Intervention de Bernard Perrut

Réunion du mardi 26 octobre 2021 à 18h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Perrut, rapporteur pour avis des crédits de la mission Travail et emploi :

La discussion du PLF 2022 intervient dans un contexte bien différent de celui de l'année dernière, puisqu'il est bâti sur une prévision de croissance de plus de 6 %, alors que nous évoquions en 2021 une contraction du PIB de 9 %.

Sur le front de l'emploi, les chiffres sont encourageants. Alors que l'Unédic estimait l'an dernier que 300 000 emplois salariés pourraient être créés en 2021, en réalité près de 450 000 l'ont été au premier semestre, et environ 75 000 devraient l'être au second, ce qui portera à près de 220 000 le nombre de créations nettes d'emplois entre fin 2019 et fin 2021.

Ces bonnes nouvelles ne doivent cependant pas conduire le Gouvernement à relâcher l'effort. Bien au contraire.

Le budget 2022 s'inscrit, pour la mission Travail et emploi, dans une certaine continuité par rapport au budget 2021. Au passage, madame la ministre, je regrette le retard avec lequel le Gouvernement a répondu aux questions que j'ai posées au début de l'été : une telle pratique n'a pas facilité le travail sur les crédits en question.

Les autorisations d'engagement (AE) du programme 102 Accès et retour à l'emploi augmentent assez significativement, avec une hausse de 11 % par rapport à 2021, et atteignent 7,5 milliards d'euros, tandis que les crédits de paiement (CP) connaissent une hausse de 8 % et atteignent 7,2 milliards d'euros. Cette hausse s'explique pour moitié par la pérennisation des contrats aidés, dispositif qui avait été supprimé en début de mandat.

Je salue le soutien au secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE) : 127 330 ETP seront financés afin que soit atteint l'objectif de 240 000 personnes en 2022.

Je note également l'augmentation des crédits dédiés aux missions locales chargées de la mise en œuvre du Parcours d'accompagnement contractualisé vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) et de la garantie jeunes, sa modalité la plus intensive. En 2022 comme en 2021, elle pourra ainsi accompagner 200 000 nouveaux jeunes. L'objectif pour 2021 pourra-t-il cependant être effectivement tenu ?

Concernant les moyens de Pôle emploi, je regrette que des engagements de l'État au sein de la mission Travail et emploi, à hauteur de 85 millions d'euros en 2022, après 86 millions d'euros en 2021, n'aient pas été tenus. Il est vrai que dans le même temps il lui est accordé, au travers de la mission Plan de relance, 175 millions d'euros en raison de la baisse du financement de l'Unédic. Malheureusement, cette rallonge n'est pas pérenne : qu'en sera-t-il à l'avenir ?

Les crédits du programme 103 Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi ont pour objectifs d'anticiper et d'accompagner les conséquences des mutations économiques sur l'emploi, de prévenir le licenciement et le reclassement des salariés. Ils visent à améliorer la reconnaissance des compétences et des qualifications à travers le déploiement du plan d'investissement dans les compétences (PIC).

Je salue la priorité accordée au développement de l'emploi des TPE et des PME grâce à une hausse substantielle des crédits correspondants. Pouvez-vous cependant préciser le soutien apporté à ce PIC dont les crédits baissent substantiellement – près de 600 millions au titre de ce même programme 103 ? Encore une fois, le plan de relance n'est pas pérenne.

Les crédits du programme 111 Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail diminuent de 61,5 % en AE et augmentent de 4,2 % en CP, ce qui n'est dû qu'à la création d'une nouvelle action, Renforcement de la prévention en santé au travail, dotée de 11,8 millions d'euros de crédits, sans quoi les CP auraient baissé de plus de 9 %. Comment seront utilisés les crédits de cette action créée pour accompagner la récente réforme de la santé au travail ?

Les crédits du programme 155 Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail sont inscrits au titre de la communication, du support informatique, des études et statistiques, du contentieux et de la gestion des ressources humaines. Les dépenses de personnel ont augmenté de 11 millions d'euros, ce qui s'explique en partie par la mobilisation des agents du ministère notamment pendant la crise sanitaire. Hormis ces dépenses, 5,5 millions d'euros supplémentaires ont été ouverts afin d'accélérer la modernisation numérique du ministère.

Comme l'an dernier, les crédits ouverts au titre de la mission Travail et emploi ne reflètent pas l'intégralité des dépenses budgétaires en faveur de l'emploi et de la formation professionnelle. En effet, la mission Plan de relance participe à l'effort global en la matière, à hauteur de 3,5 milliards d'euros, soit nettement moins que l'an dernier, cette évolution s'expliquant par le changement de contexte économique.

J'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport à deux dispositifs considérés comme des piliers des politiques d'accompagnement des jeunes vers l'emploi : la garantie jeunes et l'apprentissage.

La première, qui a vu le jour en 2013 sous la forme d'une expérimentation et qui a été généralisée à compter du 1er janvier 2017, s'adresse aux jeunes de 16 à 25 ans. Le dispositif, mis en œuvre par les missions locales, repose à la fois sur un accompagnement intensif, sur le plan individuel et collectif, et sur la pluralité des mises en situation professionnelle.

Il donne droit à une allocation, dont le montant équivaut à celui du revenu de solidarité active (RSA), déduction faite notamment du forfait logement, et qui est cumulable avec des ressources d'activité si celles-ci ne dépassent pas 300 euros par mois. Elle s'élève mensuellement au maximum à 497,50 euros, et en moyenne à 375 euros.

Depuis son lancement, la garantie jeunes produit des résultats encourageants, et il faut s'en féliciter. Dans le détail, environ un tiers des bénéficiaires en sort avec un « accès à l'autonomie avec situation active », c'est-à-dire qu'ils occupent un emploi ou qu'ils suivent une formation qualifiante ou certifiante. Et 41 % en sortent avec « un accès à l'autonomie sans situation active », c'est-à-dire ni en emploi ni en formation mais qu'ils ont passé au moins quatre-vingts jours en emploi ou en immersion en entreprise au cours de l'accompagnement.

Ce bon dispositif est donc perfectible. C'est pourquoi je formule dans le rapport quelques propositions afin de l'améliorer.

Il faut d'abord renforcer la lutte contre le phénomène de non-recours avec la systématisation de l'orientation du public concerné, par tous les acteurs – de la veille sociale, de l'hébergement ou de l'insertion – et l'amélioration de l'information des jeunes.

Il faut également renforcer encore les initiatives pour repérer les jeunes que l'on qualifie volontiers d'invisibles. Pouvez-vous nous donner quelques détails sur les actions qui seront conduites dans ce domaine en 2022 ?

Il faut veiller à mieux accompagner les jeunes dans l'accomplissement des démarches administratives préalables à l'entrée en garantie jeunes qui sont souvent un frein à l'entrée dans le dispositif.

Je pense enfin qu'il faut étendre le bénéfice de cette garantie à un public plus nombreux.

J'ai suivi avec beaucoup d'attention les annonces faites au sujet de l'instauration d'un éventuel revenu d'engagement, rebaptisé contrat d'engagement, hélas, très flou. Nous ne disposons en fait d'aucune information concrète sur le dispositif, encore moins sur son articulation avec ceux qui existent déjà. Sur une question aussi majeure, les parlementaires devraient être informés suffisamment tôt pour pouvoir faire correctement leur travail.

Pouvez-vous nous donner des éléments d'information concrets sur ce nouveau dispositif, notamment sur les critères qui seront établis pour pouvoir en bénéficier, et nous indiquer comment il s'articulera avec la garantie jeunes et avec les autres dispositifs existants ? Quel sera le montant de ces crédits ? 2 milliards prévus initialement ? 500 millions ? Comment sera-t-il introduit ? Par voie d'amendement ?

Il est impératif que les jeunes qui bénéficieront du futur dispositif soient tenus, en contrepartie de l'accompagnement qui leur sera proposé et de l'aide qui leur sera versée, de respecter un certain nombre d'engagements clairement définis. Le but ne peut être seulement de faire baisser le chômage artificiellement : il faut les accompagner vers l'emploi.

N'y a-t-il pas trop de dispositifs d'accompagnement ? « Il faudrait simplifier », me disait récemment une directrice de mission locale, qui évoquait aussi « le besoin d'une meilleure coopération avec Pôle emploi qui lui aussi a en charge des jeunes » !

Concernant l'apprentissage, l'objectif emblématique des 500 000 apprentis par an est enfin atteint et ce chiffre historique est d'ailleurs en passe d'être à nouveau battu en 2021. Nous le savons, l'apprentissage est devenu une voie privilégiée pour l'insertion professionnelle des jeunes et attire, depuis quelques années, un nombre croissant de diplômés du supérieur, ce qui est une bonne chose pour la réputation de ce type de formation mais ne doit pas nous détourner de son objectif premier : l'insertion des jeunes les plus en difficulté.

Si la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a un rôle dans l'évolution de ce dispositif, je m'interroge – comme bien d'autres – sur les effets des aides exceptionnelles déployées depuis le début de la crise. L'association Régions de France parle de chiffres trompeurs. Dans quelle mesure le succès de l'apprentissage est-il lié à ce financement exceptionnel ?

Je me fais également le relais des préoccupations qu'un tel succès implique pour le déficit de France compétences, estimé à 3 milliards d'euros, les dépenses liées à l'apprentissage pesant pour près d'1 milliard dans ce déficit. Si je n'occulte pas l'effet de la crise, qui a considérablement réduit la masse salariale des entreprises sur laquelle repose une partie des ressources de l'apprentissage, je m'interroge quant au caractère structurel de ce déficit et surtout quant aux solutions à mettre en œuvre pour le résorber durablement. Quelle est votre vision, madame la ministre ?

Grâce à l'aide exceptionnelle de 5 000 euros pour un apprenti mineur et de 8 000 euros pour un apprenti majeur, les entreprises peuvent aujourd'hui avoir recours facilement à l'apprentissage. Vous avez reporté l'échéance de ces aides exceptionnelles jusqu'à fin mars 2021 puis au 30 juin 2022. Mais qu'adviendra-t-il demain lorsqu'elles s'éteindront ? Qu'envisagez-vous pour soutenir durablement l'essor de l'apprentissage ?

En conclusion, les crédits de la mission Travail et emploi pour 2022 sont de nature à favoriser la sortie progressive de la crise mais je regrette qu'ils ne permettent pas, à ce stade, de refléter les ambitions nécessaires à plus long terme en matière d'emploi, et plus spécialement pour les jeunes, quand leur taux de chômage est de 19,8 %, contre 8 % en moyenne pour l'ensemble des actifs.

De nombreux Français sont toujours très éloignés de l'emploi : ne faut-il pas craindre que la fin du « quoi qu'il en coûte » ait un effet sur les entreprises, et donc sur la création d'emplois ?

Enfin, quid de la volonté de cogouvernance des régions pour le retour à l'emploi ? Ainsi, la région Auvergne Rhône-Alpes vient de lancer un plan de retour au travail avec trois objectifs : identifier les offres d'emploi, promouvoir les secteurs en tension et former aux métiers qui recrutent. Ne faudrait-il pas aller plus loin dans une coopération plus forte entre chacune de nos régions, notre organisation territoriale de Pôle emploi et tous les acteurs économiques ?

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