Intervention de Annie Chapelier

Réunion du mercredi 17 novembre 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Chapelier, rapporteure :

« Compter les femmes pour que les femmes comptent », tel est bien l'état d'esprit de cette proposition de loi sur les sages‑femmes. Elles sont 23 400 en France. Spécialistes de la physiologie, elles prennent en charge chaque année plus de 750 000 femmes qui accouchent et autant de nouveau-nés et de partenaires. Elles assurent la surveillance, le suivi médical de la grossesse, préparent à la naissance, à la parentalité. Elles accompagnent les femmes tout au long de leur vie, en assurant leur suivi gynécologique de prévention ou en prescrivant leur contraception. Et la liste n'est pas exhaustive.

Derrière ces chiffres et ces compétences élargies, se cache un mal‑être profond et ancien de la profession. Depuis le manifeste commun de 2003, les sages‑femmes n'ont cessé d'exprimer leurs revendications sans réussir à se faire entendre totalement. Le moment est venu de les soutenir dans ce combat, par cette proposition de loi.

La venue au monde de cette proposition représente un aboutissement pour celles qui nous font naître et qu'il nous faut d'urgence reconnaître. Au cours de cette législature, de belles avancées ont été réalisées pour la santé mentale des jeunes mères, qu'il s'agisse de l'instauration d'un entretien prénatal et d'un entretien postnatal ou des mesures contenues dans les lois de financement de la sécurité sociale de 2020 et 2022. Ces dispositions ont contribué à réaffirmer le rôle essentiel des sages‑femmes dans la lutte contre la dépression du post-partum. Avec les apports de la loi de notre collègue Mme Rist et la revalorisation des rémunérations par le Ségur de la santé, un mouvement a été enclenché.

Nous partions de très loin. Deux femmes sur trois se disent très insatisfaites de leur prise en charge au moment de l'accouchement et sept étudiantes sages‑femmes sur dix souffrent de symptômes dépressifs. Ce mal-être commun aux professionnels et aux parturientes est notamment lié à une très forte médicalisation de la naissance. Au travers de leurs revendications, les sages‑femmes souhaitent revenir à leur cœur de métier : la physiologie. Les patientes, elles, souhaitent davantage de personnalisation et une réappropriation de ce moment si particulier et déterminant de la vie d'une mère et de celle de l'enfant qu'est la naissance.

Dès lors, pourquoi avoir centré cette proposition de loi sur la seule formation ? Le terme de « formation » est présent plus de cent quarante fois dans le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), paru en juillet 2021, alors que celui-ci portait sur l'évolution globale de la profession. La formation constitue à la fois un point de départ et la condition sine qua non de l'évolution en profondeur de cette profession.

Le texte soumis à votre examen avance plusieurs solutions en vue d'améliorer les conditions d'apprentissage et d'exercice des sages‑femmes, tout au long de leur carrière.

L'article 1er prévoit le parachèvement de l'intégration universitaire. Pour donner une suite aux auditions, je présenterai un amendement afin que cette universitarisation ait lieu prioritairement au sein des unités de formation et de recherche (UFR) de santé ou, le cas échéant, d'une des composantes de formation en médecine. Les modèles d'intégration universitaire sont, en effet, très hétérogènes et il s'agit de proposer une ligne directrice.

La formation des sages‑femmes, qui s'effectue en école, est en cours d'intégration à l'université. Sur les trente-cinq écoles de sages‑femmes de notre pays, onze indiquent avoir finalisé leur universitarisation et seulement six d'entre elles ont opté pour le transfert complet de leur financement au niveau universitaire. La circulaire de la direction générale de l'offre de soins de 2012 avait pourtant fixé l'achèvement du processus d'intégration universitaire pour 2017. Les causes de ce retard sont multiples mais nullement financières. Selon les présidents des centres hospitaliers universitaires, le frein est davantage psychologique. Pourtant, ce processus d'intégration universitaire est inéluctable pour réaffirmer le caractère médical de la profession. L'article 1er fixe la ligne directrice qui a manqué jusqu'à présent pour le rendre effectif.

La formation doit évoluer aussi dans son contenu. C'est l'objet de l'article additionnel après l'article 1er que je vous propose de créer par amendement : il créerait un statut de maître de stage universitaire en maïeutique, comme cela existe en médecine, pour mieux accompagner les étudiantes pendant leurs stages, en libéral et en ambulatoire. Alors que les stages sont un moment clé dans l'apprentissage des étudiantes, il s'agit de combler le manque d'encadrement révélé par une enquête réalisée en 2019 par l'Association nationale des étudiants sages‑femmes.

Avec l'extension des compétences et l'élargissement des missions, la formation s'est trouvée considérablement densifiée, et la profession appelle de ses vœux sa révision dans son ensemble. Un amendement tendra à modifier l'article 2 de façon à réorganiser les premier et deuxième cycles, et à instituer un troisième cycle d'études à l'issue duquel les étudiantes obtiendront le diplôme d'État de docteur en maïeutique.

Diagnostic anténatal, monitoring, échographie sont autant d'éléments qui ont technicisé le suivi de la grossesse et l'accouchement. Les sages‑femmes françaises sont celles qui, en Europe, sont dotées du plus grand nombre de compétences et de responsabilités, ce qui justifie une formation plus étayée mais surtout plus équilibrée. Il ressort des auditions une totale unanimité sur la nécessité d'une sixième année, considérée comme « très attendue » et représentant une véritable bouffée d'oxygène pour les étudiantes. Elle correspond à la recommandation 30 du rapport de l'IGAS, dont les auteurs, lors de leur audition, ont souligné l'impérieuse nécessité, concluant par les mots : « c'est le moment ».

Pour être pertinente, la formation doit aussi être reconnectée au terrain et réalisable. C'est le sens de l'article 3, qui vise à donner aux enseignantes-chercheuses de la filière maïeutique la possibilité d'exercer simultanément leur activité clinique, à l'instar des médecins, dentistes et pharmaciens. Cet article 3, pour l'instant, ne permet le cumul d'activité que pour les sages‑femmes souhaitant exercer dans les hôpitaux publics ; un amendement de réécriture tendra à ouvrir cette possibilité à l'ensemble des sages‑femmes enseignantes-chercheuses, qu'elles travaillent à l'hôpital public, dans des établissements privés ou en ambulatoire.

Notre commission a auditionné les deux seules maîtresses de conférences en maïeutique de France. Pour elles, l'évolution vers cette double expertise est d'une évidence absolue. Mme Chantry, qui n'a plus exercé depuis sept ans, a dit se sentir totalement déconnectée du terrain. Elle ne peut exercer en étant enseignante-chercheuse, car cela lui est refusé par son chef d'établissement. La double activité permet pourtant la combinaison optimale entre théorie et pratique, nécessaire à une meilleure actualisation de leurs connaissances et de l'enseignement prodigué.

Grâce à un modèle très incitatif et une volonté nationale, les pays du nord de l'Europe ont favorisé le développement de la recherche en maïeutique. En Suède, en particulier, plus de 176 sages‑femmes sont titulaires d'un doctorat, contre seulement 45 en France ; elles sont quatre fois plus nombreuses pour une population six fois inférieure – le ratio est de 1/24. De ce fait, les pays du Nord ont de bien meilleurs chiffres au regard de la qualité de l'accouchement, mesurable aux taux de césariennes. Ceux-ci sont les plus bas du monde occidental : 17 % en Suède, contre 21 % en France. La France reste quand même un assez bon élève au niveau européen puisque, dans certains pays du sud de l'Europe, ce taux peut atteindre 50 %.

Par ailleurs, alors que toutes les disciplines, de l'histoire à la sociologie, publient nombre de travaux de recherche sur l'accouchement en France et sur les perspectives d'évolution du métier de sage‑femme, celles-ci restent les grandes absentes, les exclues de la recherche. Les plus concernées par le sujet ne sont encore qu'étudiées par d'autres, notamment les médecins gynécologues-obstétriciens.

La reconnaissance de l'activité de sage‑femme passera par une évolution des nomenclatures, abordée à l'article 4. Celles-ci les placent dans une zone grise entre le paramédical et le médical. Depuis 1982, les nomenclatures d'activités françaises (NAF) et des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) de l'Institut national de la statistique et des études économiques classent les sages‑femmes avec les infirmières ou en catégorie de profession intermédiaire. Je proposerai des amendements visant à les reclasser avec les autres professions médicales, comme le prévoit le code de la santé publique.

À en juger par le faible nombre d'amendements déposés, nos débats ne devraient pas être longs. Je gage qu'il est révélateur d'un consensus sur l'évolution de la formation des sages‑femmes. Je me réjouis du riche travail transpartisan qui a prévalu durant l'élaboration de cette proposition de loi. J'y vois une volonté nationale, puisque, durant toutes les auditions, nous n'avons jamais entendu une note discordante.

Je remercie l'ensemble des personnes auditionnées, en particulier les étudiantes sages‑femmes, pour leur collaboration. Elles prennent leur destin en main, se battent pour leurs droits et nous donnent toutes les raisons d'être fiers de notre jeunesse. Je remercie aussi mon groupe Agir ensemble, ainsi que les cent trente‑six députés de tous les bancs de l'hémicycle, cosignataires de cette proposition de loi, pour leur confiance et leur soutien.

Les compétences des sages‑femmes, la qualité de leur travail et leur utilité pour notre société doivent être réaffirmées et défendues avec fierté. Ce métier construit notre société. C'est ce que je vous propose de faire avec notre groupe.

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