La présente proposition de loi pour l'emploi des seniors jusqu'à la retraite est l'aboutissement de mois de travaux engagés dans le cadre de la mission d'information sur l'emploi des travailleurs expérimentés, que j'ai eu l'honneur de présider et dont Didier Martin et Stéphane Viry étaient rapporteurs. Elle s'inscrit dans la même démarche transpartisane et constructive, et je remercie mes collègues du groupe Les Républicains qui l'ont signée.
Avant notre rapport, bien des travaux avaient été conduits sur l'emploi des seniors, dans la perspective de la réforme des retraites. J'ai la conviction que le sujet est trop vaste et trop grave pour être abordé seul. À la croisée de l'emploi et de la retraite, il brasse de nombreuses questions liées aux règles de notre formation professionnelle, de notre santé au travail, de notre droit du travail, de nos prélèvements sociaux, de notre système de retraite, de notre système d'assurance chômage.
Cette question est d'autant plus importante qu'elle est structurante pour notre société. La ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, Élisabeth Borne, l'a rappelé, il y a quelques jours, devant notre commission : « Il est évident que l'on doit travailler sur l'emploi des jeunes, mais il est nécessaire de travailler également sur l'emploi des seniors. Le taux d'emploi des 45-65 ans en France se situe 6 points en dessous de la moyenne européenne, ce qui interroge sur le niveau de compétitivité et sur l'équilibre de la protection sociale. » Je souscris à ce constat. Opposer emploi des jeunes et emploi des seniors n'aurait aucun sens ; chacun de ces publics rencontre ses propres difficultés sur le marché du travail, et chacun mérite d'être aidé. Comme il existe un plan « 1 jeune, 1solution », il existe pour un senior des solutions, j'en suis convaincue – c'était d'ailleurs une des conclusions de notre mission d'information.
Je devrais plutôt parler de travailleur expérimenté, tant le terme de senior charrie de préjugés et de stéréotypes négatifs. Je vous proposerai donc, par amendement, de préférer ce terme à celui de seniors, dans le titre de la présente proposition de loi.
Cette dernière, volontairement concise, ne prétend pas traiter du déploiement d'un nouveau système de retraite, aussi légitime soit-il – le contexte économique, social et politique ne permet pas de l'envisager sereinement, et ce n'est pas mon objectif. Elle est davantage tournée vers l'employabilité des seniors, fil conducteur d'un texte que j'ai conçu comme une boîte à outils mise à la disposition de quiconque veut s'emparer de cette question.
Je ne prétends pas présenter un panel exhaustif de toutes les solutions en matière d'employabilité. Bien d'autres dispositifs existent déjà, notamment relatifs à la négociation de branche et d'entreprise sur le maintien en emploi des salariés âgés de plus de 50 ans, pour un accès facilité à la formation professionnelle ou encore à la retraite progressive, qui peuvent être utilement mobilisés pour améliorer le taux d'emploi des travailleurs âgés. Certains d'entre eux font d'ailleurs l'objet d'une autre proposition de loi que j'ai déposée parallèlement.
Plusieurs principes cardinaux sont au fondement de la présente proposition de loi.
Tout d'abord, l'incitation plutôt que la sanction. Je suis intimement persuadée que la valorisation des bonnes pratiques des entreprises est bien plus efficace que la contrainte, notamment envers les plus petites d'entre elles. C'est pourquoi je propose, à l'article 1er, un double dispositif composé d'un label « 50+ », qui repose sur une démarche volontaire des entreprises, et d'un index « Dynamique des âges », qui ne s'appliquera qu'aux entreprises d'au moins 500 salariés et n'est assorti d'aucune sanction.
Ce dispositif s'inspire largement des démarches de labellisation et d'index, qui ont fait leurs preuves en matière d'égalité professionnelle et de lutte contre les discriminations. Il s'inspire également, comme bien souvent en matière d'innovation sociale, d'initiatives de terrain. Le succès du label « 45+ », mis en place par le comité de bassin de l'emploi du Sud Val‑de‑Marne, est la preuve que la reconnaissance des pratiques vertueuses des entreprises a un effet incitatif. La portée des effets du nouvel index « Dynamique des âges » sera évaluée dans un rapport dont l'article 2 prévoit la remise au Parlement dans un délai de trois ans.
La prévention et l'anticipation des besoins forment le deuxième principe fondateur. C'est l'une des conclusions fortes des travaux de la mission d'information : le maintien en emploi doit être pensé très en amont des enjeux de formation professionnelle et de prévention. La mi‑carrière, aux alentours de 45 ans, est une étape décisive. On sait que, passé un certain âge, les salariés renoncent à se former, victimes de l'« effet horizon ». Malheureusement, la durée de vie d'une compétence est de plus en plus courte, c'est pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour prévenir l'obsolescence des compétences.
Telle est l'ambition de l'article 3, qui introduit un entretien professionnel renforcé, couplé à la visite médicale de mi‑carrière, afin d'établir un diagnostic complet de la situation professionnelle du salarié. À l'issue des auditions conduites dans le cadre de l'élaboration de la proposition de loi, il m'a paru utile de réécrire cet article, afin de faire toute sa place au conseiller en évolution professionnelle (CEP) dans cette démarche. Cette réécriture fera l'objet d'un amendement.
La visite médicale de mi‑carrière, introduite par la loi d'août 2021visant à renforcer la prévention en santé au travail, doit être l'occasion pour le salarié de préparer la seconde partie de sa carrière. Le secret médical rend évidemment impossible d'effectuer au cours du même entretien un diagnostic à la fois sur la santé du salarié et sur les perspectives professionnelles. J'ai acquis la conviction que cet entretien serait d'autant plus fructueux qu'il s'effectuerait en dehors de l'entreprise. Aussi, je le distingue bien de l'entretien professionnel qui doit se tenir obligatoirement tous les deux ans avec l'employeur. Seul le CEP, encore trop méconnu, me semble à même de conduire cet entretien renforcé. Nous y reviendrons lors de la présentation de mon amendement.
Dernier principe fondateur, l'accompagnement. L'article 4 fait de l'accompagnement spécifique des demandeurs d'emploi de plus de 50 ans un objectif explicite des missions de Pôle emploi. Depuis une dizaine d'années, Pôle emploi a renoncé à une approche d'accompagnement par public au profit d'une approche individualisée. Je considère que c'est une grave erreur, convaincue que le taux de retour à l'emploi des travailleurs âgés est bien meilleur lorsqu'ils bénéficient d'un accompagnement spécifique. Les initiatives en ce sens – le dispositif plein-emploi pour les seniors (PEPS) développé à Tourcoing, les espaces emploi AGIRC-ARRCO ou encore l'opération Talent seniors menée par l'Association pour l'emploi des cadres – foisonnent partout en France. Il ne faut pas confondre la situation des travailleurs âgés et celle des demandeurs d'emploi de longue durée. C'est précisément pour éviter qu'ils sombrent dans le chômage de longue durée qu'il faut prendre en charge rapidement ces travailleurs expérimentés. Toutes les initiatives locales couronnées de succès attendent un signal fort de notre part. C'est l'objet de l'article 4, qui me tient particulièrement à cœur.
Enfin, l'article 5 prévoit de rétablir le cumul emploi-retraite. J'ai bien conscience que ce sujet est moins consensuel que les autres, mais il ressortait clairement des travaux de notre mission, tout comme des auditions que j'ai menées, que le rétablissement des cotisations génératrices de droits nouveaux à la retraite est une puissante incitation au maintien dans l'emploi. Comme il m'importe d'aborder ce sujet à travers le prisme de l'employabilité, je vous proposerai par amendement une discussion plus générale sur la transition entre l'emploi et la retraite, en allongeant le délai de préavis que doit respecter un salarié pour solliciter son départ à la retraite. Plus le salarié préviendra son employeur en amont, mieux celui-ci sera à même d'organiser son maintien en emploi dans de bonnes conditions.
Notre prise de conscience collective sur les difficultés que rencontrent les travailleurs expérimentés dans l'emploi doit se traduire en actes. Je suis persuadée que nous pouvons élaborer ces solutions ensemble, dans une démarche consensuelle et constructive.