Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Réunion du mercredi 17 novembre 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo, rapporteure :

Les hasards du calendrier font que ce texte est inscrit à l'ordre du jour des travaux de notre commission alors que, dimanche dernier, le 14 novembre, se tenait la Journée mondiale du diabète, au cours de laquelle j'ai pu me rendre compte que, dans la France de 2021, une personne atteinte de cette maladie ne peut toujours pas devenir militaire, policier, pilote de ligne, contrôleur aérien, contrôleur ferroviaire ou sapeur‑pompier, pour ne citer que quelques exemples.

Cette actualité est donc un signe, un de plus, dans la longue liste de ceux qui nous imposent de faire aboutir cette proposition de loi – qui, je le rappelle, a été votée à l'unanimité successivement par les deux chambres – pour qu'enfin, elle prenne force de loi.

La question se pose avec d'autant plus d'acuité que la part des malades chroniques au sein de la population ne cesse d'augmenter. Une personne sur vingt souffre de diabète, sans que cela l'empêche de vivre une vie presque normale, à l'heure des pompes à insuline et des holters glycémiques. Combien de temps allons-nous imposer au jeune Hakaroa Vallée, dont je salue l'engagement sans faille, de faire son tour de France des exploits sportifs et des élus pour sensibiliser contre ces discriminations d'un autre temps ?

Je vous l'avais déjà dit lors de son examen en première lecture, en janvier 2020, l'adoption de cette proposition de loi, conçue comme un texte d'appel lors de son dépôt, apparaît désormais comme une nécessité. Au fond, elle n'aurait jamais dû exister ; elle n'a vu le jour que parce que les engagements pris n'ayant pas été tenus, il nous a fallu agir en tant que législateurs. La situation n'a que trop duré. Rendez-vous compte : notre groupe a déposé ce texte dès 2018. Depuis, le consensus est établi, l'obsolescence de notre réglementation admise, et pourtant, concrètement, rien ne se passe !

Ou presque rien, car depuis le dépôt de la proposition de loi, signée par cent sept députés représentant six groupes politiques différents, un petit mouvement a été amorcé par le Gouvernement – mais il demeure inabouti. Dès 2017, Marisol Touraine, alors ministre des affaires sociales et de la santé, soulignait, en réponse à une question au Gouvernement, que les textes relatifs aux conditions d'aptitude ne correspondaient plus à la réalité médicale, ni à celle des soins. Deux ans plus tard, en 2019, Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, affirmait la volonté du Gouvernement d'avancer sur ce sujet afin de garantir à tous une égalité de traitement dans l'accès à certains emplois.

La même année, lors de la discussion parlementaire du projet de loi de transformation de la fonction publique, le Gouvernement prenait l'engagement de confier à trois ministères – l'emploi, la santé et la fonction publique – le soin de faire évoluer avant la fin de l'année le référentiel d'aptitude utilisé dans l'armée et dans plusieurs métiers de la fonction publique, intitulé SIGYCOP. Parallèlement, il annonçait une mission conduite conjointement par l'Inspection générale des affaires sociales et celle de l'administration, mission qui devait rendre son rapport en octobre 2021 et dont nous attendons toujours les conclusions.

Alors, où en sommes-nous ? Tout avance, sans aboutir. Le 25 novembre 2020, la notion d'aptitude physique a été supprimée par voie d'ordonnance de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite « loi Le Pors », sans qu'aucun texte d'application ne soit pris. Le Gouvernement peine à savoir quel ministère doit assumer la charge de ce chantier. L'évolution législative, réelle, ne fait toujours pas l'objet de textes d'application et de trop nombreux contentieux continuent d'envahir les prétoires.

Qu'à cela ne tienne ! Cette petite proposition de loi sera donc celle des grandes ambitions. Adoptons‑la au plus vite, conforme, dans la version que nous renvoie le Sénat, qui, à défaut d'être totalement satisfaisante, présente au moins le mérite d'être opérationnelle et de mettre fin à une discrimination absurde qui n'a que trop duré.

Je remercie vivement le rapporteur du Sénat, M. Xavier Iacovelli, pour son engagement et pour son souci d'apporter des modifications au texte sans en altérer l'esprit, afin de le rendre plus opérationnel.

S'agissant de l'intitulé de la proposition de loi, d'abord circonscrit aux personnes atteintes de diabète, les travaux de l'Assemblée avaient déjà conduit à l'étendre à l'ensemble des maladies chroniques. Le Sénat a jugé utile de l'élargir encore, en visant l'état de santé. Si je regrette cette formule trop lapidaire, la modification ne me semble pas de nature à priver le texte d'effet, l'enjeu premier étant que, quels que soient les motifs médicaux, l'accès à l'emploi ne soit plus a priori impossible pour les personnes malades.

Dès l'article 1er, le Sénat a eu à cœur de confirmer cette volonté, en affirmant la nécessité de dresser un état des lieux des réglementations par le biais d'un comité ad hoc. Ce comité d'évaluation des textes encadrant l'accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques devra rendre ses conclusions dans trois ans au plus tard. Il convient en effet de le contraindre à travailler dans un temps limité. Un tel comité aura aussi le mérite de mettre tout le monde autour de la table. Après l'examen de la proposition de loi par le Sénat, il est désormais composé de trois types de membres : des représentants de l'État, des personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence dans le champ de la santé au travail ainsi que des soins, de l'épidémiologie et de la recherche sur les maladies concernées, et des représentants de malades ou d'usagers. Si je regrette que le Sénat ait supprimé la participation des parlementaires, je me réjouis qu'il ait précisé que sa composition doit être paritaire entre les hommes et les femmes.

Enfin, dans un souci d'efficacité, le Sénat propose que le comité rende régulièrement compte de ses travaux au Gouvernement et au Parlement. L'introduction de cette disposition a naturellement conduit à la suppression de l'article 3, qui avait le même objet.

L'article 2 est le cœur de la proposition de loi. Le Sénat a confirmé notre intention d'inverser la charge de la preuve et d'imposer la prise en compte, au cas par cas, de manière proportionnée, de l'adéquation d'un emploi à la pathologie des personnes, en fonction de l'état de la science. La pertinence des normes doit s'apprécier au regard des risques et sujétions qui peuvent être liés aux fonctions ou emplois accessibles.

Afin de renforcer la sécurité juridique et l'efficacité du texte, les sénateurs ont adopté une nouvelle rédaction de l'article, introduisant le principe de proportionnalité dans l'appréciation des conditions de santé particulières prévues par des dispositions législatives ou réglementaires pour l'accès à certains emplois, tout en maintenant le principe fondamental d'une appréciation médicale individualisée devant prendre en compte les possibilités de traitement et de compensation du handicap. En outre, afin de rendre le dispositif pérenne, ils ont souhaité que ces conditions de santé soient régulièrement actualisées et prévoient l'entrée en vigueur du dispositif au plus tard le 1er décembre 2022, en cohérence avec l'entrée en vigueur des dispositions de l'ordonnance du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique, qui doit produire ses effets dans les deux ans.

S'il me faut exprimer un seul regret, c'est celui que l'article 4 ait été supprimé. Rappelez-vous, nous avions unanimement voté cet article qui imposait la mise en œuvre d'une campagne de communication publique d'information et de sensibilisation concernant l'inclusion sur le marché du travail des personnes diabétiques, notamment. La disposition n'a pas été jugée de nature législative par les sénateurs. Pourtant, ces campagnes sont non seulement nécessaires, mais également gages d'une insertion réussie.

En tant que commissaires aux affaires sociales, nous savons combien la communication est importante pour qu'enfin cessent les craintes, les discriminations et les erreurs d'appréciation dues à l'ignorance de pathologies aujourd'hui parfaitement maîtrisées. La science permet à des malades de vivre ; le droit est en train de s'adapter à cette avancée. Quel meilleur moyen d'encourager ce mouvement que la communication et l'information du public ? Je serai attentive à ce que ces campagnes soient mises en place et nous continuerons à le demander au Gouvernement.

Pour conclure, l'objet de ce texte est donc plutôt simple : permettre à chacun de réaliser ses aspirations professionnelles, notamment lorsqu'il s'agit de s'engager au service de l'intérêt général, sans être stigmatisé injustement et pour des motifs purement théoriques, en raison de son état de santé. Le caractère absurde et discriminatoire de textes qui n'ont pas évolué en même temps que les progrès médicaux, ainsi que la convergence des attentes de nos concitoyens, du Gouvernement, des parlementaires et de la jurisprudence, ne laissent plus aucun doute : nous devons adopter ce texte, tel qu'il nous revient du Sénat.

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