J'ai été maire dix ans, je préside une conférence territoriale de santé : le système D, c'est notre lot quotidien. Tous les dispositifs évoqués par nos collègues pour assurer que « tout va très bien, madame la marquise », je les ai testés. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont absentes de 40 % du territoire national, et quand bien même elles existent, elles sont plus ou moins denses. Il en résulte que les territoires se font concurrence pour avoir un médecin généraliste – comme celui qui, dans la Manche, exigeait pour venir s'installer logement, voiture, salaire mirobolant et terrain gratuit... Cette situation neutralise toute capacité d'aménagement du territoire. Le bricolage, ça suffit, monsieur Isaac‑Sibille, ça ne marche pas.
Je remercie Joël Aviragnet de son soutien. Je l'ai écrit dans mon rapport, je me suis beaucoup inspiré du rapport Garot, que j'ai prolongé et actualisé à la faveur d'un diagnostic que nous avons voulu le plus partagé possible. Il ne m'a pas échappé que, les médecins ne souhaitant plus exercer solitairement, l'une des solutions consiste à multiplier les maisons pluridisciplinaires, mais cela implique évidemment un accompagnement financier à la hauteur. Or, quand nous avons entendu les ARS, j'ai été frappé par l'incapacité de l'État à établir des critères objectifs permettant un accompagnement propre à assurer l'égalité républicaine.
Mme Chapelier a présenté la désertification médicale comme un problème général en Occident. Vous lirez malheureusement en page 8 de mon rapport qu'en ce domaine, les comparaisons internationales ne sont pas valorisantes pour notre pays. Elle estime aussi que le conventionnement sélectif aurait été possible il y a dix ans, mais plus maintenant, car on manque de médecins. Mais ce sont les mêmes qu'il y a dix ans qui refusent cette mesure, et toujours sans faire la démonstration qu'elle ne fonctionnerait pas !
On me dit qu'il n'y a pas de zones sur‑denses ; j'aimerais que la commission des finances se saisisse de ce sujet. Dans les Alpes-Maritimes, la densité médicale est de 636,5 et 42 % des médecins exercent en secteur 2 ; à Paris, la densité médicale est de 1 192,3, et 62 % des médecins pratiquent en secteur 2. Cela signifie que, dans les zones sur‑denses aussi, ceux qui n'ont pas le pognon, ceux qui n'ont pas le patrimoine relationnel et culturel nécessaire n'ont pas accès aux médecins. Les collectivités tentent de se rendre attractives, mais ce levier ne suffit pas.
Merci à Thierry Benoit pour ses aimables propos. Ce rapport a été beaucoup travaillé et de nombreuses auditions nous ont permis d'actualiser les chiffres, même si la CNAM s'est montrée très désinvolte durant les auditions. Thierry Benoit a raison : puisque l'on a tout essayé et que rien ne marche, il faut tenter des choses nouvelles si l'on veut essayer de répondre aux préoccupations des habitants.
Je remercie également Jeanine Dubié pour son soutien et je me félicite qu'elle soit d'accord avec le principe du conventionnement sélectif. Nous insistons, dans le rapport, sur le rôle précieux des collectivités territoriales et sur l'importance qu'il y aurait à mieux les accompagner. Toutefois, il faut dire les choses franchement : dans certaines régions, les ARS freinent des quatre fers parce que l'union régionale des médecins libéraux se livre à des pressions politiques inacceptables, faisant obstacle au financement public de centres de santé employant des médecins salariés.
Stéphane Peu a rappelé à raison la dimension sociale indéniable de la crise sanitaire. Plus on est pauvre, plus on est éloigné de la dispensation publique des soins, plus on voit se dégrader l'espérance de vie en bonne santé et l'espérance de vie tout court. Il a observé à juste titre que nos collègues médecins qui exercent une vigie permanente pour réaffirmer en toutes occasions la liberté d'installation comme un principe fondamental oublient un peu vite que cette liberté est conditionnée à un financement public.
Bernard Perrut a parlé avec force des oubliés de la santé et du renoncement aux soins, mais jugé notre proposition farfelue : là où elle a été adoptée, elle ne marcherait pas, selon lui. Il se trouve qu'elle vient d'être appliquée en Autriche et en Suisse, pays qui ne sont pas réputés pour être des adeptes absolus de la coercition.
Quelles réactions ai-je observées chez mes interlocuteurs en leur parlant de limites à la liberté d'installation ? L'Ordre des médecins m'a paru un peu plus consensuel, un peu plus ouvert que les syndicats de médecins, qui étaient vent debout, comme les étudiants en médecine. J'attends le jour où l'on démocratisera l'accès aux études de médecine ! Pour l'instant, la photographie sociologique des étudiants, que vous trouverez dans mon rapport, est celle des écoles préparatoires, avec le même entre‑soi : pour faire des études de médecine, mieux vaut être enfant de cadre supérieur ou de médecin qu'enfant d'employé, d'ouvrier ou d'agriculteur. Les chiffres sont à votre disposition, et ce sont ceux de la DREES. La démocratisation de l'accès aux études de médecine, avec un accompagnement financier, permettrait à des jeunes des territoires de s'installer chez eux au terme de leurs études. C'est une solution à explorer – sauf pour les médecins conservateurs, qui s'y opposent.
Je remercie Philippe Vigier pour sa franchise, et pour le courage politique dont il a fait preuve. Comme Thierry Benoit, il a soutenu tous les dispositifs d'incitation de tous les ministres de la santé successifs, et relève qu'ils ont été inefficaces. Pour avoir remis un rapport de commission d'enquête au sujet des déserts médicaux, il sait de quoi il parle. Pour ma part, j'estime urgent d'évaluer l'efficacité de ces politiques d'incitation, dont le coût est exorbitant. Vous considérez souvent que nous dépensons trop pour une trop faible efficacité : en l'occurrence, voilà un domaine où cela est avéré. Bref, le statu quo ne marche pas, Philippe Vigier nous l'a rappelé.
Je partage l'opinion d'Isabelle Valentin : oui, les élus locaux se mobilisent et oui, il faut mener des politiques d'attractivité. Mais je puis vous assurer que même dans une ville qui multiplie les dispositifs attractifs comme le fait la mienne, quand 40 % des médecins sont âgés de plus de 60 ans et ne trouvent pas à être remplacés, aucune danse du ventre ne vous permettra de venir à bout des problèmes de démographie médicale.
Prenant la parole avec une certaine condescendance, Mme Iborra a jugé qu'il n'y avait pas de contradiction entre médecine libérale et médecine sociale. Sauf qu'un médecin surchargé de patients ne peut ni en accepter de nouveaux, ni consacrer le temps nécessaire aux politiques préventives, à la détection d'une conduite addictive ou à d'autres problèmes. Cela n'est plus possible, puisque les temps de consultations se raccourcissent à mesure que la densité médicale faiblit. Il faut, certes, développer les territoires ruraux, et je ne suis pas sûr que le projet de loi « 3DS » remplisse cet objectif.
M. Jean-Pierre Door, cardiologue, vigilante vigie depuis Georges Pompidou pour que rien ne bouge, a beaucoup apprécié l'audition des médecins seniors. Comment pouvait-il en être autrement ? Il est vrai, mais cela ne relève pas du chantier législatif, qu'il faut veiller à mieux gérer territorialement les maîtres de stage. Olivier Véran m'a dit que, lorsqu'il était jeune mais qu'il soufflait déjà à l'oreille des ministres, il avait suggéré de généraliser les stages afin de permettre aux médecins qui s'installaient, et peut-être aux stagiaires, de consacrer une demi‑journée ou une journée par semaine à l'exercice médical dans les zones sous‑denses. C'est une bonne idée dont je m'étonne qu'on ne la mette pas en œuvre alors qu'elle ne relève pas du champ législatif.
J'en viens à l'adressage. Si 11 % des Français n'ont pas de médecin traitant, on peut considérer que le sujet est important ! Pour certains d'entre eux, c'est une question de vie ou de mort – en tout cas de vie en bonne santé. Or, lorsqu'elles finissent par obtenir une ordonnance, ces personnes, parce qu'ils n'ont pas de médecin traitant, sont moins bien remboursées. La CNAM a créé, mais bien peu le savent, un dispositif « Médecin traitant générique » avec un numéro d'appel qui permet à qui n'a pas de médecin traitant d'être orienté et peut-être d'obtenir un remboursement à taux plein. Je proposerai par voie d'amendement d'inscrire dans la loi la possibilité de saisir un médiateur de la CNAM pour répondre aux préoccupations de l'adressage et du remboursement. J'imagine donc que vous le voterez.
Selon Josiane Corneloup, nous nous attaquons aux conséquences de la désertification médicale plutôt qu'à ses causes. Il me semble pourtant que l'article 1er, qui porte sur la formation, et l'article 2, qui généralise le contrat de service public, s'attaquent aux causes plutôt qu'aux conséquences. Il faut, selon elle, revaloriser la profession de médecin généraliste et mieux payer ces praticiens. Mais rien de cela n'est de nature à corriger les inégalités territoriales dans l'accès aux soins, objet de cette proposition de loi ! Quant à généraliser le renouvellement des ordonnances prescrites aux malades chroniques, sans être toubib, cela me semble bien imprudent : une affection chronique peut être évolutive et justifie que l'on consulte un médecin de temps en temps.
Je remercie Boris Vallaud d'avoir rappelé par des exemples concrets les inégalités territoriales dans l'accès aux soins ; d'avoir fait le lien entre la situation de la démographie médicale et l'embouteillage des services d'urgences ; et d'avoir redit que la République n'est plus partout. La « loi Rist » risque encore d'aggraver la situation : de nombreux services d'urgences sont en train de fermer, au détriment des populations les plus fragiles.
Je suis un nouveau député, mais je ne suis pas entièrement naïf et j'ai peu d'illusions sur la capacité des Marcheurs à entendre raison. J'espère cependant que les plus pragmatiques de mes propositions seront retenues. Il y a quelques jours, dans les Hauts-de-France, le Président de la République lui-même a appelé à se montrer innovant et volontariste, soulignant que la situation serait très difficile dans les années à venir et notant qu'il faudra du temps pour former des professionnels. N'attendez donc pas que les trains passent – car, de retour dans vos circonscriptions, vous serez je suppose, comme je le suis, appelés tous les jours par des habitants qui ne trouvent pas de médecin traitant.
La DGOS, que j'ai interpellée à ce sujet, m'a répondu qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, parce que « ceux qui n'ont pas de médecins sont en bonne santé ». C'est drôle, s'ils n'ont pas de médecin, je n'aurais pas pensé qu'on pouvait savoir qu'ils sont en bonne santé. Mais surtout, je vois dans mon territoire normand les diagnostics établis dans les contrats locaux de santé sur l'état de santé de la population, qui font état de taux de cancers, de conduites addictives, de renoncements aux soins, de maladies professionnelles... Le magazine Marianne, le quotidien Le Monde et tous les journaux nationaux ont superposé la carte de la densité médicale et celle de la santé des habitants, démontrant évidemment que ce sont les mêmes.
Telles sont les premières réponses que je voulais donner à mes collègues, en espérant qu'ils vont lever le frein, en finir avec l'immobilisme et répondre à nos propositions concrètes.