COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 24 novembre 2021
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission procède d'abord à l'examen, en application de l'article 88 du Règlement, des amendements nouveaux déposés en séance publique sur la proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage‑femme (n° 4690) (Mme Annie Chapelier, rapporteure).
La commission a accepté les amendements figurant dans le tableau ci-après (*) :
N° | Auteur | Groupe | Place | Alinéa |
36 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 1er | 8 |
37 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 1er | 11 |
38 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 1er bis | 1 |
39 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 2 | 3 |
40 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 2 | 4 |
41 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 3 | 1 |
45 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 3 | 2 |
44 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 3 | 3 |
42 | Mme CHAPELIER Annie | Agir ens | 4 | 3 |
(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.
La commission examine ensuite la proposition de loi pour une santé accessible à tous et contre la désertification médicale (n° 4589) (M. Sébastien Jumel, rapporteur).
Le contexte sanitaire est celui que l'on sait : la médecine scolaire est en carafe, la protection maternelle et infantile tout autant, la médecine du travail est à l'arrêt, 30 % des postes de praticien hospitalier sont vacants et nos problèmes de démographie médicale perdurent. Alors que la pandémie reprend de la vigueur, je rends hommage à tous les soignants qui vont à nouveau se mobiliser au service de nos concitoyens et je vous remercie de m'accueillir dans cette commission pour traiter de la désertification médicale, qui touche tous nos territoires à des degrés divers.
Cette proposition de loi ne vise pas à susciter la polémique mais à nous rassembler pour trouver des solutions pratiques à un problème crucial, que nos concitoyens éprouvent quotidiennement. Le Grand débat national lancé à Grand Bourgtheroulde l'a montré : c'est l'une des principales sources d'inquiétude des Français. La résolution du problème central des déserts médicaux n'est donc ni de gauche, ni de droite, elle est d'intérêt national. C'est pourquoi je donnerai un avis positif aux amendements qui lui apportent des réponses concrètes.
Lors de l'élaboration de ce texte, j'ai conduit l'audition de médecins, d'étudiants, des fédérations hospitalières, d'un géographe spécialiste des questions sanitaires, d'associations d'usagers, d'agences régionales de santé (ARS), d'élus locaux. Tous m'ont dit tenir le sujet pour prioritaire, car il est le symbole de la République qui prend soin ou de la République qui renonce. Le constat est connu et la situation ne va cesser de s'aggraver. Déjà, 10 millions de nos concitoyens vivent dans une zone où l'accès aux soins est difficile. La densité médicale n'a cessé de baisser ces dernières années, passant de 325 à 318 médecins pour 100 000 habitants entre 2012 et aujourd'hui, et l'effectif des médecins généralistes a chuté de 5,6 %. Les inégalités territoriales sont criantes, la densité médicale globalement plus favorable au sud qu'au nord du pays. La densité constatée dans les anciennes régions Picardie, Centre et Pays-de-la-Loire – et Normandie dans une moindre mesure – est particulièrement faible, avec 127 à 130 médecins généralistes pour 100 000 habitants.
Les nombreux indicateurs créés pour mesurer ce phénomène complexe font tous apparaître une situation très inquiétante. Singulièrement, l'indicateur d'« accessibilité potentielle localisée » créé par le ministère de la santé en 2012, qui recense le temps d'accès aux professionnels, la quantification de leur activité et les différences de consommation de soins de la population selon l'âge, montre que la proportion de personnes habitant un « désert médical » est passée de 8,6 % en 2015 à 11,6 % aujourd'hui. Ce taux varie selon les régions, allant de 4,1 % en Provence-Alpes-Côte d'Azur à 46,4 % en Guyane – Stéphane Peu évoquera le département de la Seine-Saint-Denis. Même dans des zones dites « sur‑denses », des déserts médicaux peuvent exister en raison du nombre de médecins qui s'installent en secteur 2 avec dépassements d'honoraires – c'est le cas, à Paris, de 62 % des médecins. La Cour des comptes a montré que « les zones de densités élevées de médecins et de nouvelles installations majoritaires en secteur 2 se superposent ». Dans le sud‑est de la France comme à Paris, il est presque impossible de trouver un médecin spécialiste qui n'exerce pas en secteur 2. Il en résulte que ceux de nos concitoyens les plus modestes qui résident en zones sur‑denses, ceux qui n'ont pas le patrimoine social, financier et culturel nécessaire, sont en réalité dans l'incapacité de consulter un spécialiste.
Le manque structurel de médecins a des impacts en cascade, sur l'hôpital en particulier. À cinq exceptions près, tous les départements de France ont connu au cours des dernières années une hausse des passages aux urgences et une baisse du nombre de généralistes. On dit souvent qu'aux urgences se traite la misère du monde mais en l'état, faute de médecins, on se rue aux urgences, avec le risque de saturation qui en découle, plus important dans les zones sous‑denses. Comment ne pas être frappé par un taux de vacance des postes de praticiens hospitaliers supérieur à 30 % ? Cela dit quelque chose de l'abîme dans lequel sont plongés les hôpitaux.
J'ai également souhaité appeler l'attention sur la situation de certains territoires souvent oubliés de l'analyse, en particulier les outre‑mer, encore plus fortement frappés par le manque de médecins que la métropole, ce qui entraîne des difficultés sanitaires particulièrement marquées, avec des taux élevés de mortalité infantile, de maladies transmissibles, de pathologies rares ou chroniques. Cela n'est pas près de s'améliorer : à Wallis-et-Futuna, la moyenne d'âge des médecins est de 61 ans !
Je fais aussi le point sur la situation des zones rurales, qui ne sont pas les seules touchées, mais sont fortement concernées. Leurs habitants vivent en moyenne deux ans de moins que les urbains : ce chiffre ne peut nous laisser insensibles.
J'insiste encore sur le fait que la difficulté d'accès aux soins touche en priorité ceux dont la situation économique est la plus fragile : les personnes pauvres ont trois fois plus de risques que les autres de devoir renoncer à des soins ; si elles habitent en zones sous‑dotées, ce risque est plus de huit fois supérieur à celui qui prévaut pour le reste de la population !
Pour en finir avec le constat, je rappelle que 11 % de nos concitoyens, soit 6 millions de personnes, habitant majoritairement en zones sous‑denses, n'ont pas de médecin traitant. L'UFC‑Que choisir indique que 44 % des médecins qu'elle a interrogés refusent des nouveaux patients – on peut les comprendre : la patientèle des praticiens qui exercent en zones sous‑denses est de 14 % plus élevée que celle de leurs confrères. En conséquence, ils ont moins de temps à consacrer au dépistage des cancers, dont ceux du col de l'utérus et du sein, à la vaccination des personnes âgées, à la prévention des conduites addictives et des maladies professionnelles.
Il ressort de l'audition de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) que le lien entre désertification médicale et moins bon état de santé des populations, n'ayant pas fait l'objet d'études, n'est pas suffisamment documenté. Toutefois, au regard des données disponibles, par exemple le creusement de l'écart d'espérance de vie en bonne santé entre milieu rural et milieu urbain, ce lien apparaît très plausible, sinon certain. Il me semble donc indispensable de conduire des travaux approfondis à ce sujet afin que la représentation nationale dispose de données précises.
Par conséquent, la situation est très grave. Certes, des mesures ont été adoptées depuis plusieurs années pour tenter d'endiguer ce phénomène. La loi du 24 juillet 2019 a notamment réformé le numerus clausus, dispositif de régulation drastique du nombre de médecins formés, en vigueur depuis 1971, qui a contribué à tarir l'offre de soins au fil des ans. Cette réforme est une bonne nouvelle, mais elle ne commencera à produire des effets que dans dix ans au mieux. La DREES a montré que, sans action complémentaire, nous ne commencerons à stopper l'hémorragie médicale qu'en 2030.
Deux autres facteurs doivent appeler notre attention. D'une part, si nous prenons en compte le vieillissement de la population et l'accroissement de la demande de soins qu'il provoquera, nous ne retrouverons le niveau actuel de densité médicale qu'en 2035. D'autre part, ce n'est pas parce que le nombre de médecins augmentera qu'ils s'installeront dans des zones où l'on a besoin d'eux et que les inégalités territoriales seront corrigées. Sans dispositif de régulation territoriale, la suppression du numerus clausus risque au mieux de ne rien changer à la situation actuelle.
D'autres actions ont été menées, dont je dresse la liste dans le rapport. Il s'agit pour la plupart de mécanismes incitatifs, dont les ARS et la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère m'ont clairement indiqué qu'il n'est pas possible d'évaluer l'efficacité – on comprend entre les lignes quelle est toute relative, avec de forts effets d'aubaine. La Cour des comptes alerte à ce sujet depuis plusieurs années, soulignant que nous ne disposons pas de la vision d'ensemble du coût et de l'efficience de ces dispositifs.
En parallèle, le plan Ma Santé 2022 devrait permettre de déployer 4 000 assistants médicaux d'ici l'an prochain. C'est une bonne chose, mais ils ne sont à ce jour, selon les chiffres que m'a transmis la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), que 1 233 équivalents temps plein. Le ministre, que j'ai rencontré cette semaine, m'a dit que les objectifs fixés semblaient largement atteints. Certes, mais quelque 2 770 équivalents temps plein doivent donc encore être créés d'ici l'an prochain pour atteindre l'objectif affiché par le Gouvernement : vous conviendrez que le compte n'y est pas encore. J'ajoute que nous devrons obtenir plus d'informations sur les territoires dans lesquels sont déployés les assistants médicaux, car le risque est grand qu'ils s'installent dans des zones déjà médicalement sur‑dotées ou dans des structures d'exercice collectif existantes, ce qui renforcerait les inégalités territoriales au lieu de les corriger.
Les collectivités territoriales sont fortement mobilisées, parfois parallèlement à l'État. Cela donne lieu à une concurrence délétère. Nous avons tous entendu parler il y a peu des exigences hautement déraisonnables, et incompatibles avec les finances communales, d'un médecin pressenti pour venir s'installer dans un bourg de la Manche.
Nous devons donc remédier rapidement à cette situation. Nous ne pouvons attendre dix ans de plus et voir l'offre médicale se raréfier encore dans nos territoires, au péril de la santé de nos concitoyens. Notre proposition de loi formule des pistes réalistes, propres à répondre rapidement à ce problème majeur.
Plusieurs leviers s'offrent à nous, et d'abord celui de la formation. La loi de 2019 a remplacé le numerus clausus par un numerus apertus. Dans ce nouveau système, l'État établit des objectifs pluriannuels d'admission, tenant compte et des capacités de formation, et des besoins de santé des territoires. Toutefois, les besoins restent supérieurs au nombre d'étudiants. C'est pourquoi l'article 1er de la proposition de loi établit que le nombre d'étudiants formés dépend uniquement du besoin de santé des territoires : cela doit permettre aux universités de s'adapter pour y répondre. Je propose également que soient prises en compte non seulement les inégalités territoriales mais aussi les inégalités sociales d'accès aux soins – c'est crucial pour comprendre le problème du renoncement aux soins.
En matière de formation toujours, je propose dans l'article 2 de généraliser le contrat d'engagement de service public (CESP). Ce dispositif créé en 2009 permet aux étudiants de médecine et d'odontologie qui s'engagent à exercer ensuite dans une zone sous-dense de recevoir 1 200 euros bruts chaque mois pendant la durée de leurs études. Ce dispositif, dont les analystes pointent le modeste succès, devrait être généralisé. Aujourd'hui, outre que 7 % seulement des diplômés peuvent en bénéficier, ils sont très inégalement répartis sur le territoire : pour la médecine, l'Île-de-France offre près de 18 % du total national
L'article 3 traite du conventionnement sélectif des médecins, question récurrente. Les infirmiers, les sages-femmes et les masseurs-kinésithérapeutes relèvent de ce régime, qui leur interdit de s'installer en zone sur‑dense sauf en cas de cessation d'activité d'un confrère. Cette règle a été exclue pour les médecins, pour lesquels a été avancé le principe de libre installation – peut‑être le nombre de médecins qui siègent dans nos instances décisionnelles n'y est-il pas pour rien. Pourtant, la Cour des comptes, le Sénat, la direction générale du Trésor et même notre Assemblée ont publié de nombreux rapports montrant qu'il s'agit d'une voie d'équilibre pour ne pas remettre en cause les fondements de la liberté d'installation tout en agissant sur la répartition géographique des médecins. Si nous n'y venons pas, nous courons le risque, lorsque les effectifs augmenteront, de voir les disparités territoriales s'aggraver. Nous n'aurons donc rien réglé. Pour les professions soumises au conventionnement sélectif, nous avons constaté l'amélioration sensible de la répartition territoriale. Il faut donc désormais y inclure les médecins.
Je propose aussi de revoir les dispositifs d'incitation à l'installation, très coûteux et qui ont montré leur faible efficacité. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 a créé un contrat de début d'exercice qui remplace les quatre contrats précédents sans modifier la philosophie qui les sous-tendait. Mieux vaut supprimer ce contrat et réorienter les financements directement vers les collectivités territoriales afin qu'elles puissent investir dans des infrastructures, comme des centres de santé. C'est une condition indispensable pour attirer de nouveaux médecins, les jeunes générations aspirant désormais plus largement à exercer leur belle profession comme salariés, dans des structures collectives.
L'article 5 formalise le principe d'égal accès aux soins et en précise la définition, en posant une limite maximale de 30 minutes pour accéder aux soins depuis son domicile. Selon les travaux du géographe Emmanuel Vigneron, le nombre de femmes en âge de procréer se trouvant à plus de 45 minutes d'une maternité a plus que doublé en vingt ans, passant de 290 000 en 1997 à 716 000 en 2019 ; sur la même période, le nombre de maternités a diminué d'environ un tiers. Cette situation a pour conséquence intolérable d'accroître les risques de mortalité maternelle et infantile.
Enfin, je propose par l'article 6 d'élargir le périmètre d'activité des hôpitaux de proximité. La relation ville-hôpital est déterminante si l'on veut faire face efficacement au problème que pose la démographie médicale. Créés en 2015, les hôpitaux de proximité doivent remplacer les hôpitaux locaux pour assurer une couverture territoriale au plus près des zones les moins dotées. En mai dernier, une ordonnance a profondément révisé la gouvernance de ces établissements et défini une procédure de labellisation, mais il leur est toujours interdit de pratiquer la chirurgie et l'obstétrique. Je sais qu'il est compliqué de recruter des gynécologues-obstétriciens, mais la situation étant celle que j'ai décrite, nous ne pouvons priver nos concitoyens qui vivent loin d'un centre hospitalier de ces deux types de soins. En outre, parce que les consultations avancées seraient plus aisément dispensées dans ces hôpitaux, l'article 6 formalise leur réalisation en ces lieux. Avec une consultation de médecin de premier ou deuxième recours assurée hors de son lieu d'exercice principal, on palliera l'absence de médecin sur un territoire tout en permettant aux personnes vivant dans un désert médical de consulter notamment des médecins spécialistes.
Cette proposition de loi réaliste, qui rassemble des travaux réalisés sur différents bancs, est fondée sur un état des lieux solidement établi qui doit nous conduire à agir. Nous ne pouvons rester dix ans encore dans cette situation. Nous devons prendre des mesures plus coercitives pour garantir à tous le droit à la santé, qui a valeur constitutionnelle. Si nous ne le faisons pas, la décennie à venir se caractérisera par une désertification médicale encore aggravée pour un grand nombre de nos territoires, symbole de la République qui recule et qui renonce, ce que personne ne veut, j'imagine, sur aucun de nos bancs.
Notre groupe est d'accord avec votre constat, monsieur le rapporteur, l'amélioration de l'accès aux soins doit être une priorité. Néanmoins, nous n'approuvons pas les solutions que vous proposez à cette fin.
Pendant ce mandat, nous avons défendu de nombreuses mesures visant à améliorer l'accès aux soins, avec plus de professionnels formés, plus de coopération, plus de temps médical redonné aux médecins. Dès 2018, nous avons mis fin au numerus clausus, si bien qu'en 2021, le nombre d'étudiants en médecine s'est accru de près de 20 %. Sachant que l'exercice médical en maison de santé pluriprofessionnelle attire, nous avons fortement augmenté leur nombre : l'objectif du doublement a été atteint en juin 2021, date à laquelle on comptait 1 889 maisons de santé contre 910 en 2017. Nous devons poursuivre. Nous avons gradué la prise en charge hospitalière avec la labellisation des hôpitaux de proximité, grâce à la loi « Ma Santé 2022 » du 24 juillet 2019, qui permet aux professionnels de ville de participer aux soins à l'hôpital et à sa gouvernance et qui met fin à la tarification à l'activité et au tout-tarification à l'activité (T2A) – une autre promesse tenue. Avant-hier encore, nous adoptions un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) qui permet des progrès dans l'accès aux soins dans nos territoires en renforçant les délégations de tâches et la coopération entre les professionnels de santé.
Il faut continuer d'avancer et d'innover pour lutter contre la désertification médicale, mais les mesures proposées ne sont pas appropriées. Le conventionnement sélectif, qui peut paraître séduisant, aurait des effets pervers non négligeables pour nos concitoyens : le nombre total de médecins en France restant insuffisant, cela conduirait à faire peser la contrainte financière sur les assurés, qui n'auraient souvent pas d'autre choix que de se rendre chez un médecin non conventionné. Garantir l'accession à un établissement de santé à moins de 30 minutes du domicile de chacun est une injonction purement démagogique qui n'apporte aucune solution pratique. Enfin, vous voulez arrêter de financer les contrats de début d'exercice alors que ce dispositif, adopté dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, incite les médecins à s'installer dans des zones sous-denses.
Cette proposition de loi poursuit un objectif louable, et même primordial. Mais, précisément parce que le sujet est compliqué et d'une importance majeure, nous devons accélérer l'application de dispositifs efficaces plutôt qu'adopter des mesures idéologiques qui aggraveraient la situation. Aussi proposerons-nous la suppression des articles.
Merci, monsieur le rapporteur, pour ce travail, qui donne un éclairage précis sur un sujet qui préoccupe plusieurs millions de nos concitoyens. Moi-même élu d'un département où 60 000 personnes sont sans médecin traitant, j'ai parfois le sentiment qu'en dehors des élus locaux, la question n'intéresse pas les autorités de l'État.
La suppression du numerus clausus nous est souvent présentée comme la solution ayant permis de régler tous les problèmes mais, comme vous l'avez justement souligné, les moyens alloués à l'université et le manque de possibilités de stage ne permettront pas d'accueillir davantage d'étudiants en médecine qu'aujourd'hui. Les problèmes de démographie médicale continueront donc de s'accentuer au cours des années et peut-être des décennies à venir, aggravés par le vieillissement de la population – un vieillissement en mauvaise santé – qui fera sensiblement croître la demande de soins.
Toutefois, je ne partage pas les solutions que vous proposez, notamment pas l'idée du conventionnement sélectif. En premier lieu, point n'est besoin d'une loi pour l'instituer : c'est une affaire entre l'assurance maladie, qui ne l'a pas proposé, et les médecins, qui ne l'ont pas demandé. Depuis la crise des « gilets jaunes », je ne crois pas qu'on impose des solutions à des professionnels qui n'en veulent pas. Ni les étudiants en médecine, ni les médecins ne voulant du conventionnement sélectif : les effets pervers d'une telle mesure seraient incommensurables, à commencer par le fait que la plupart des médecins qui voudront s'installer librement se déconventionneront. En conséquence, une médecine à deux vitesses se mettra progressivement en place, certains pouvant, comme dans le centre de Paris, payer 70 euros une consultation de généraliste quand d'autres seront contraints de chercher un médecin désespérément. N'oubliez pas non plus que l'hôpital est le premier concurrent de la médecine de ville. Si, demain, les étudiants en médecine sont contraints à une installation donnée au terme de leurs études, ils préféreront sans doute rester à l'hôpital, d'autant que, 70 % des étudiants en médecine étant des jeunes femmes, cela peut correspondre à des aspirations familiales légitimes.
Cessons d'imaginer que l'on réglera le problème compliqué de la santé par des solutions simples. Depuis des années, on nous annonce « la » solution censée tout régler ; je n'ai rien vu de tel à ce jour. Des solutions plus complexes sont souhaitables. J'apprécie la qualité de votre travail, mais le groupe Les Républicains ne pourra soutenir cette proposition de loi.
Cette proposition de loi est censée remédier aux difficultés territoriales d'accès aux soins par des propositions coercitives, pour citer le rapporteur, et radicales, imaginées par d'autres pays et qui ont entraîné des échecs non moins radicaux. Nous comprenons tous le désarroi des populations et des élus dans les territoires affectés par la pénurie de personnel médical, mais nous ne voterons pas des dispositifs de coercition inefficaces qui ne feraient qu'aggraver le problème.
Coexistent en France une offre de soins administrée, l'hôpital, et une offre libérale, la médecine de ville. Les médecins généralistes de première ligne sont les médecins libéraux. Pourquoi vouloir leur imposer des contraintes à l'installation ? Sachant que seulement 8 % des jeunes médecins s'installent en libéral, les obliger à aller là où ils ne veulent pas n'aura pour résultat que de les faire fuir. Ils s'orienteront vers des emplois salariés, qui ne manquent pas puisque, vous l'avez rappelé, 30 % des postes hospitaliers sont vacants.
Il faut rendre attractif l'exercice de la médecine libérale, qui s'effrite d'année en année – pas nécessairement par des incitations financières généreuses, qui ont montré leurs limites, mais par des mesures adaptées à chaque territoire, et d'abord en prenant la médecine libérale en considération. Nous avons fait beaucoup pour l'hôpital, avec le Ségur de la santé, mais pas grand-chose pour la médecine de ville. Il faut aussi accompagner la future installation des étudiants – et ne me dites pas que c'est impossible : quinze jeunes médecins généralistes formés à Lyon vont bientôt s'installer en Ardèche, département dont ils ont découvert les attraits après avoir participé aux gardes des pompiers. Il y a d'autres méthodes : par exemple favoriser la pratique de groupe, mettre à la disposition des médecins des outils numériques simples, faire monter en compétence toutes les professions paramédicales et faciliter l'accès direct, dans un exercice coordonné, à certains professionnels de santé.
Notre groupe, majoritairement, ne votera pas en faveur d'une proposition de loi qui a tout de la baguette magique alors que nous travaillons depuis quatre ans à appliquer des mesures pragmatiques qui, progressivement, porteront leurs fruits.
La santé était déjà au cœur des enjeux politiques lors du Grand débat national en 2019 et dans les cahiers de doléances. Aujourd'hui, alors que nous sommes confrontés à une pandémie inédite, le droit à l'accès équitable aux soins garanti par la Constitution n'est plus assuré et les inégalités en santé ne cessent de croître, tous les indicateurs le montrent. Ainsi, sept Français sur dix auraient déjà renoncé à se faire soigner, notamment les plus précaires. La pénurie touche non seulement les médecins généralistes mais aussi certains spécialistes tels que les gynécologues, dont sont privées les habitantes de treize départements. La désertification médicale est une préoccupation majeure des Français. Sachant que 22 % de nos concitoyens résidant dans un territoire rural se trouvent à plus de 30 minutes d'un service d'urgence, une meilleure répartition territoriale de la médecine est impérative.
La proposition de loi que nous examinons va en ce sens. Les députés du groupe Socialistes et apparentés ont déposé trois propositions de loi et des dizaines d'amendements pour améliorer le maillage territorial des médecins et assurer un meilleur accès aux soins en tous lieux. La pénurie de spécialistes peut se régler par l'ouverture de maisons de santé pluridisciplinaires dans les zones sous‑dotées. Puisque toutes les mesures incitatives prises depuis plusieurs années n'ont pas obtenu les résultats escomptés, nous devons adopter le conventionnement sélectif, dispositif auquel 84 % des Français sont favorables mais pas les médecins, en tout cas pas tous. Il ne s'agit pas de coercition, mais d'encourager les installations là où le manque de médecins est avéré. Cela doit s'accompagner de conditions de travail exemplaires et d'un exercice moderne de la médecine, comme les jeunes médecins le demandent. De même, obligation doit être faite aux jeunes diplômés en médecine de signer un CESP. La situation est grave ; elle exige que nous soyons à la hauteur des enjeux. Nos compatriotes sont très inquiets pour leur santé et celle de leurs proches. Ne laissons pas l'inégalité d'accès à la santé devenir la première fracture territoriale de notre République.
Pour toutes ces raisons, notre groupe soutiendra la proposition de loi.
Je remercie Sébastien Jumel de tenter de répondre aux préoccupations des Français, qui nous interpellent tous les jours à ce sujet. Une réflexion sociétale est nécessaire.
Je vous rejoins lorsque vous dénoncez le creusement des inégalités territoriales dans l'accès aux soins. Mais le phénomène n'est pas propre à la France ; il s'observe malheureusement dans tout le monde occidental. Je salue la densité et la qualité de votre remarquable rapport, alimenté par de nombreuses auditions et par le tour de France des hôpitaux et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes qu'avaient lancé les parlementaires communistes, mais si le groupe Agir ensemble partage votre constat et parfois votre analyse, il ne partage pas l'ensemble des solutions proposées.
Nous ne sommes pas favorables au conventionnement sélectif, car cela supposerait que les effectifs de médecins soient suffisants pour couvrir les besoins de l'ensemble du territoire, ce qui n'est pas le cas. Cela aurait peut-être été possible il y a une dizaine d'années, mais ce ne l'est plus, hélas. Une politique d'attractivité réelle doit être menée dans les territoires, car quand les départements s'investissent dans cette démarche, ils voient leurs effectifs médicaux augmenter ; l'exemple donné par Cyrille Isaac‑Sibille le montre.
Parce que le droit à la santé est un droit constitutionnel que nous devons protéger et qu'il n'est pas acceptable de voir se creuser les inégalités territoriales en matière de santé, il faut aller plus loin que ce qui a déjà été fait. Notre groupe votera donc en faveur de l'article 1er, sous réserve du maintien de la prise en compte des capacités de formation dans les objectifs pluriannuels d'admission, car il en va de la qualité de la formation et de l'accueil des étudiants en santé.
Notre groupe défendra aussi deux articles additionnels visant l'un à renforcer l'information du Parlement sur le développement des stages en ambulatoire et l'accompagnement des maîtres de stages universitaires, l'autre à encourager la signature de CESP. Enfin, je suis favorable, à titre personnel, à l'article 2, car il ouvre à davantage de recrutements, en particulier grâce aux passerelles, qui peuvent être améliorées.
Je salue le rapport approfondi de Sébastien Jumel, qui propose des mesures de régulation. En matière d'installation des médecins, je pense qu'il faut autant de liberté que possible, et autant de régulation que nécessaire. Je fais partie des députés qui, comme Philippe Vigier, ont soutenu à l'Assemblée nationale toutes les mesures incitatives proposées depuis quinze ans par les ministres de la santé successifs, de toutes tendances politiques. Tout a été essayé : les primes à l'installation, la défiscalisation en zone de revitalisation rurale (ZRR), les contrats locaux de santé, les projets professionnels, les maisons pluridisciplinaires de santé, les forums à l'installation, la télémédecine, les groupements hospitaliers de territoire (GHT)... Malgré cela, depuis quinze ans, la situation s'aggrave. Les sénateurs, préoccupés autant que nous le sommes, ont publié en janvier dernier un rapport montrant qu'environ 8 millions de Français sont sans médecin référent. Il est donc temps, en plus des mesures incitatives existantes, d'expérimenter des mesures de régulation, car nous ne pouvons imaginer voir la pénurie s'aggraver encore.
Le ministre de la santé a pris une mesure phare, le remplacement du numerus clausus par un numerus apertus, mais elle n'aura d'effets tangibles que dans une dizaine d'années. Or on ne peut plus attendre. Aussi, au nom du groupe UDI et Indépendants, je soutiendrai l'ensemble du texte, et défendrai des amendements issus d'une proposition de loi que j'ai déposée avec une cinquantaine de collègues – car tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale sont sensibles à cette question. J'entends des députés dire que les mesures de régulation ne sont pas une solution, mais sans jamais rien proposer d'autre que les mesures incitatives en vigueur. Au contraire, l'initiative de Sébastien Jumel doit être encouragée et soutenue avec force et conviction.
Mes félicitations vont à Sébastien Jumel pour son rapport remarquable. Il montre combien il est urgent d'agir contre la désertification médicale qui s'aggrave, au détriment de la santé publique et de la cohésion sociale. Depuis de nombreuses années, nous dénonçons des inégalités d'accès aux soins, tenant notamment au fait que les effectifs de médecins sont en deçà des besoins de santé grandissants d'une population qui augmente, vieillit et souffre de plus en plus de maladies chroniques.
Les majorités se sont succédé et diverses solutions ont été proposées sans réussir à endiguer le phénomène. Nulle part, les dispositifs incitatifs à l'installation n'ont permis d'inverser la tendance. L'urgence et le constat de ces échecs nous obligent à envisager des mesures de régulation, comme il en existe pour d'autres professions. Le conventionnement sélectif en fait partie. Cette possibilité, déjà intégrée dans les deux propositions de loi du groupe Socialistes et apparentés, a toujours été rejetée et le sera probablement une nouvelle fois. Je suis pourtant convaincue que cette mesure est indispensable, car il nous faut trouver un équilibre entre la liberté d'installation des médecins et la protection de la santé garantie à chacun. Je me réjouis que nous puissions à nouveau avoir ce débat.
Le soutien aux collectivités territoriales a fait ses preuves, notamment durant l'épidémie de covid‑19. Leur action en faveur de la création des centres de santé est utile, notamment dans les territoires ruraux, tel mon département des Hautes‑Pyrénées. Cela correspond à l'évolution d'une profession dont les membres se tournent de plus en plus vers le salariat. La proposition d'une contractualisation entre ARS et collectivités demande donc toute notre attention.
Au-delà des mesures d'urgence, il est nécessaire d'investir massivement dans les études de santé. Alors que le relèvement du numerus clausus ne donnera pas de résultats avant une dizaine d'années et que la capacité de formation des médecins reste insuffisante dans les universités, nous approuvons la proposition consistant à déterminer l'offre de formation à partir des seuls besoins de santé dans les territoires. Il leur revient en effet de définir en priorité notre politique de santé.
Le groupe Libertés et Territoires votera tous les articles de la proposition de loi.
Je salue à mon tour le travail de Sébastien Jumel. Par cette proposition de loi, lui et l'ensemble des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ont voulu répondre aux deux crises majeures survenues pendant le quinquennat. La crise sanitaire d'abord, qui est aussi une crise sociale, le coronavirus ne frappant pas indifféremment selon les territoires ou selon que l'on appartient ou pas aux classes populaires – les habitants de la Seine-Saint-Denis, département qui a connu le plus fort taux de mortalité en France, peuvent en témoigner. La crise des « gilets jaunes » ensuite, qui, entre autres choses, a révélé les fractures territoriales de notre pays et le fait qu'en France des territoires ruraux, des territoires péri‑urbains et des banlieues populaires de grandes villes se sentent oubliés de la République. Par cette proposition concrète, inspirée par les réalités des territoires, nous essayons de faire œuvre utile pour l'avenir de notre pays.
Pour la médecine comme dans bien d'autres domaines, on ne peut vouloir s'en tenir à des principes exclusivement libéraux et s'offusquer de se voir imposer des règles quand on est principalement financé par de l'argent public : il doit y avoir des contreparties. Tout en saluant, comme l'a fait le rapporteur, la fin du numerus clausus, il faut prendre des mesures urgentes, applicables le plus rapidement possible. C'est à quoi tend cette proposition de loi, au terme d'un travail sérieux au cours duquel toutes les parties ont été entendues, dont les représentants de territoires devenus des déserts médicaux. Rendez-vous compte : en Seine‑Saint‑Denis, 30 % des assurés sociaux n'ont pas de médecin traitant ! Comment ne pas faire le lien avec le plus fort taux de mortalité de tous les départements pendant la crise du covid ? Alors, que fait-on : on attend l'effet de la suppression du numerus clausus ? On espère que l'exemple de l'Ardèche trouvera à s'appliquer en Seine-Saint-Denis ? Je ne le crois pas. Il faut d'autres mesures.
Nous sommes tous d'accord sur ce terrible constat : les inégalités d'accès aux soins persistent ; pire, la désertification médicale continue de progresser. Les zones blanches médicales sont souvent des espaces ruraux, mais aussi des villes moyennes ou des zones péri‑urbaines. Selon un sondage, 63 % des Français ont déjà renoncé à des soins en raison de la longueur des délais d'attente ou de la distance à parcourir. Ces oubliés de la santé, victimes d'une fracture sanitaire territoriale, demandent des réponses tangibles.
Si la politique de santé incombe évidemment à l'État, en pratique les collectivités territoriales ne sont pas exclues du champ sanitaire. Je milite activement pour qu'elles soient mieux associées à la politique de santé pour l'adapter aux besoins des bassins de vie. Je suis favorable à la création de maisons de santé, au plus proche de territoires tous différents.
Vos solutions, monsieur le rapporteur, contreviennent au principe essentiel du libre exercice de la médecine. Comment les professionnels que vous avez rencontrés ont‑ils réagi ? Les exemples des États-Unis, du Canada, de l'Allemagne et de l'Autriche montrent que les dispositifs de coercition ne fonctionnent pas. Je pense plus précisément à l'instauration d'un conventionnement sélectif à l'installation : dans ces pays, soit les médecins s'installent à la périphérie des zones sous‑denses, soit ils choisissent un exercice salarié – et l'offre est très importante, en particulier dans les hôpitaux. Aussi votre texte me fait-il m'interroger. Il faut pourtant prendre toutes les mesures essentielles pour permettre à nos concitoyens de trouver un médecin et des professionnels de santé au plus près d'eux.
Depuis quinze ans, j'entends la majorité en exercice répéter qu'elle prend des mesures extraordinaires, ce qui évoque toujours la belle phrase de Tomasi di Lampedusa, dite par Alain Delon dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » J'ai pour ma part déposé deux propositions de loi et été le rapporteur d'une commission d'enquête parlementaire sur l'accès aux soins. Cela va-t-il mieux ? Non, et cela s'aggrave même, chacun le sait. Aussi, même si la proposition de loi est imparfaite, je la soutiendrai. J'ai subi les foudres de la gauche qui cassait la proposition de loi que je soutenais, j'ai vu la droite agir de la même manière avec des propositions issues de la gauche, et je n'ai entendu proposer ce matin aucune nouvelle solution.
Ne jouons pas au poker menteur : il est faux de dire que le numerus clausus a été supprimé, c'est en réalité un numerus apertus qui a été élargi. Dans la région Centre‑Val de‑Loire, quand 101 étudiants en médecine passaient en deuxième année en 2001, ils sont maintenant 257. Stéphanie Rist et moi-même avons écrit une lettre au Premier ministre il y a quinze jours pour demander que l'on passe à 300. Mais il en faudrait 500 pour que la région soit couverte ! Arrêtons de nous raconter des histoires !
Il faut réévaluer et développer le CESP, qui est un très bon dispositif, qui fonctionne bien. Il faut augmenter les moyens financiers – le rapport de la Cour de comptes nous étrille sur ce point ! Et pourtant, je suis dans la région qui compte le plus de maisons de santé pluridisciplinaires, car les collectivités les ont financées à bloc !
C'est un cri du cœur que je pousse. Non, tout n'est pas parfait dans ce que propose Sébastien Jumel, mais si vous en restez au statu quo, vous ne vous en sortirez pas. Essayons d'agir ensemble, tous les groupes confondus, parce que nous sommes tous concernés : il n'y a pas de logique de groupe qui tienne, il s'agit juste de savoir si, oui ou non, on apporte une réponse forte à la première attente des Français. Pour le moment, elle n'est pas à la hauteur.
Depuis qu'elle est apparue en France il y a une quarantaine d'années, la désertification médicale n'a cessé de s'intensifier. Les habitants les plus touchés renoncent aux soins et l'écart d'espérance de vie entre territoires urbains et territoires ruraux se creuse. L'ensemble de la chaîne de soins est désormais affecté, des services d'urgence à la pharmacie. En Haute‑Loire, 47 communes sur 257 cumulent les difficultés d'accès aux soins de premiers secours. Le département fait partie de la vingtaine de ceux qui comptent le plus de communes classées en désert médical, avec 201 médecins et 85 pharmacies pour 230 000 habitants. Les femmes sont les premières touchées, en raison du manque de gynécologues et des fermetures de maternités. Pourtant, les élus locaux se mobilisent et tentent d'attirer des professionnels par tous moyens : maisons de santé, financements régionaux et départementaux qui soulagent les finances locales... Certains départements installent des centres de santé départementaux où travaillent des médecins salariés. Une véritable politique d'attractivité des territoires doit être définie par l'État. Notre système de santé s'essouffle, des réformes strictes et des réformes structurelles doivent être appliquées. La crise due au covid a fait naître de belles initiatives communes à l'hôpital, à la médecine de ville et aux collectivités. Observons ce qui est fait dans les régions.
Je vous remercie pour ce rapport. Il a le mérite d'exister et il est licite, étant donné les problèmes que connaissent nos concitoyens, que tous les groupes politiques puissent s'exprimer à ce sujet. Toutefois, les mesures de régulation proposées ne fonctionneront pas davantage que les mesures incitatives, dans le contexte que nous connaissons. En Allemagne, où ce choix a été fait, il est sans succès. Il faut rappeler aux étudiants qui veulent apprendre cette discipline que la médecine libérale est aussi une médecine sociale et qu'il n'y a pas de contradiction entre les deux. L'installation des médecins en secteur rural et en zone sous‑dense passe d'abord par une politique nationale de développement des territoires ruraux. C'est ce que nous faisons depuis quatre ans, et c'est ce que nous ferons encore dans le projet de loi « 3DS » dont nous allons débattre. Autant dire que les solutions dont nous traitons dans notre commission ne sont pas les seules à prendre en compte. Les choses sont beaucoup plus compliquées que cela, et dire que l'on va tout régler par des mesures de régulation est facile mais inefficace.
Merci pour ce rapport, monsieur Jumel. J'ai assisté avec vous à de nombreuses auditions, et j'ai apprécié les observations intéressantes des médecins « juniors », les étudiants, comme des « seniors », dont vous aviez d'ailleurs admis qu'ils n'avaient pas tout à fait tort. Nous nous accordons sur deux points. D'abord, nous considérons que la grande faiblesse de notre système de formation tient au manque de maîtres de stage, qui empêche d'avoir plus d'étudiants en médecine sur le terrain. Ensuite, dans les zones à la démographie médicale difficile, la CNAM pourrait avoir la faculté d'assouplir les règles d'adressage, de manière que les patients ne soient pas obligés de passer par le médecin traitant pour avoir accès à un spécialiste.
J'ai participé à la création de la convention médicale en 1971, année de mon installation, et je pense que vos préconisations risquent de la mettre à mal dès l'instant où le politique interférerait dans la relation entre les caisses d'assurance maladie et les représentants des médecins. On estime à 90 % la proportion actuelle de médecins conventionnés. Combien seront-ils demain avec ces propositions ? Leur nombre risque de chuter. Pour finir, je suggère la lecture instructive du rapport de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé, qui traite de l'installation des médecins dans cinq pays européens.
Je vous remercie pour ce travail majeur alors que la désertification médicale et les difficultés d'accès aux soins s'amplifient. En 2018, 7 400 000 personnes, soit plus d'un dixième de la population, vivaient dans une commune où l'accès à un médecin généraliste est limité, contre 7,6 % « seulement » en 2012.
Vous proposez des mesures contraignantes, et je regrette qu'une nouvelle fois nous nous attaquions aux conséquences plutôt qu'aux causes. Il faut redonner de l'attractivité à l'exercice de la médecine générale, puisque le constat est sans appel : elle fait partie des dernières spécialités choisies par les étudiants, et l'exercice libéral est également en baisse. Il faut revaloriser la profession et les actes de médecine générale, inciter aux stages en médecine de ville pendant les études, modifier les modalités de tarification pour favoriser le travail en groupe, et inciter à la création de maisons de santé pluridisciplinaires, puisque les médecins généralistes ne souhaitent plus exercer isolément. Au pic de la pandémie, les assurés qui souffraient d'une maladie chronique et qui disposaient d'une ordonnance renouvelable dont la durée de validité avait expiré pouvaient se voir délivrer leur médicament par le pharmacien pour un mois. Cet aménagement a permis d'assurer la continuité des prestations. Pourquoi, dans un pays qui compte 22 000 officines, ne pas fluidifier les parcours de soins en généralisant cette pratique ?
Je remercie Sébastien Jumel pour sa proposition, qui rejoint de nombreuses réflexions conduites au sein de l'Assemblée nationale et beaucoup des propositions que notre groupe a formulées par la voix de Guillaume Garot depuis le début de cette législature.
On l'a rappelé, 10 % des Français n'ont pas accès aux soins parce qu'ils vivent dans un désert médical. On compte dans l'Eure 5,3 fois moins de médecins qu'à Paris, et dans les territoires les moins bien dotés, six mois sont nécessaires pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue, contre deux heures sur Doctolib à Paris. Dans certains départements, tel celui des Hautes‑Alpes, plus aucun gynécologue médical n'exerce en libéral. Loin de s'améliorer, la situation s'aggrave, puisque la différence d'espérance de vie entre les habitants d'un département hyper-urbain et ceux d'un département hyper-rural, qui était de trois mois dans les années 1990, est aujourd'hui de quinze mois. C'est une perte de chances considérable.
Quand il n'y a pas de médecins dans les déserts médicaux, les patients se tournent vers les services d'urgence. Mais partout en France, ces services sont en tension et de nombreux lits sont fermés – partout en France, des maires nous disent que la République ne passe plus par chez eux. Tel est l'enjeu, et nous soutiendrons évidemment la proposition de Sébastien Jumel.
Je comprends, à entendre Mme Rist, qu'en cette fin de quinquennat le parti du président de la République n'est plus du tout en marche mais tout à fait à l'arrêt. En fait de révolution, votre candidat à la présidence de la République pourrait adopter un nouveau slogan : « Nous allons mettre un frein à l'immobilisme ». Pour vous, il faut que rien ne change pour que rien ne change...
Au demeurant, il est assez cocasse que ce soit cette collègue, qui a porté une loi fragilisant les hôpitaux à dimension humaine partout en France, mettant à mal les services d'urgence, contribuant à ce que 30 % des postes de praticiens hospitaliers soient désormais vacants, me fasse un procès en irréalisme. Je le prends comme un compliment. Dans le même temps, je n'ai entendu aucune proposition sérieuse, immédiatement applicable, du groupe La République en Marche.
Je constate, aux propos de M. Grelier, que la droite, ayant perdu le nord, cherche une boussole. Vraiment, tout le monde serait contre mes propositions ? Pourtant, les sénateurs Hervé Maurey et Jean-François Longeot ont remis un rapport d'information qui les reprend pour l'essentiel, tout comme la proposition de loi de Stéphane Sautarel, cosignée par un grand nombre de parlementaires du groupe Les Républicains. Je vous renvoie donc à ces textes instructifs.
Pour M. Isaac-Sibille, la solution, c'est le système D, avec des pompiers accueillant des médecins en Ardèche. Mais le législateur, s'il veut un État qui protège, qui aménage, qui régule, qui réaffirme la présence de la République partout et pour tous, se satisfera difficilement du système D.
J'ai été maire dix ans, je préside une conférence territoriale de santé : le système D, c'est notre lot quotidien. Tous les dispositifs évoqués par nos collègues pour assurer que « tout va très bien, madame la marquise », je les ai testés. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont absentes de 40 % du territoire national, et quand bien même elles existent, elles sont plus ou moins denses. Il en résulte que les territoires se font concurrence pour avoir un médecin généraliste – comme celui qui, dans la Manche, exigeait pour venir s'installer logement, voiture, salaire mirobolant et terrain gratuit... Cette situation neutralise toute capacité d'aménagement du territoire. Le bricolage, ça suffit, monsieur Isaac‑Sibille, ça ne marche pas.
Je remercie Joël Aviragnet de son soutien. Je l'ai écrit dans mon rapport, je me suis beaucoup inspiré du rapport Garot, que j'ai prolongé et actualisé à la faveur d'un diagnostic que nous avons voulu le plus partagé possible. Il ne m'a pas échappé que, les médecins ne souhaitant plus exercer solitairement, l'une des solutions consiste à multiplier les maisons pluridisciplinaires, mais cela implique évidemment un accompagnement financier à la hauteur. Or, quand nous avons entendu les ARS, j'ai été frappé par l'incapacité de l'État à établir des critères objectifs permettant un accompagnement propre à assurer l'égalité républicaine.
Mme Chapelier a présenté la désertification médicale comme un problème général en Occident. Vous lirez malheureusement en page 8 de mon rapport qu'en ce domaine, les comparaisons internationales ne sont pas valorisantes pour notre pays. Elle estime aussi que le conventionnement sélectif aurait été possible il y a dix ans, mais plus maintenant, car on manque de médecins. Mais ce sont les mêmes qu'il y a dix ans qui refusent cette mesure, et toujours sans faire la démonstration qu'elle ne fonctionnerait pas !
On me dit qu'il n'y a pas de zones sur‑denses ; j'aimerais que la commission des finances se saisisse de ce sujet. Dans les Alpes-Maritimes, la densité médicale est de 636,5 et 42 % des médecins exercent en secteur 2 ; à Paris, la densité médicale est de 1 192,3, et 62 % des médecins pratiquent en secteur 2. Cela signifie que, dans les zones sur‑denses aussi, ceux qui n'ont pas le pognon, ceux qui n'ont pas le patrimoine relationnel et culturel nécessaire n'ont pas accès aux médecins. Les collectivités tentent de se rendre attractives, mais ce levier ne suffit pas.
Merci à Thierry Benoit pour ses aimables propos. Ce rapport a été beaucoup travaillé et de nombreuses auditions nous ont permis d'actualiser les chiffres, même si la CNAM s'est montrée très désinvolte durant les auditions. Thierry Benoit a raison : puisque l'on a tout essayé et que rien ne marche, il faut tenter des choses nouvelles si l'on veut essayer de répondre aux préoccupations des habitants.
Je remercie également Jeanine Dubié pour son soutien et je me félicite qu'elle soit d'accord avec le principe du conventionnement sélectif. Nous insistons, dans le rapport, sur le rôle précieux des collectivités territoriales et sur l'importance qu'il y aurait à mieux les accompagner. Toutefois, il faut dire les choses franchement : dans certaines régions, les ARS freinent des quatre fers parce que l'union régionale des médecins libéraux se livre à des pressions politiques inacceptables, faisant obstacle au financement public de centres de santé employant des médecins salariés.
Stéphane Peu a rappelé à raison la dimension sociale indéniable de la crise sanitaire. Plus on est pauvre, plus on est éloigné de la dispensation publique des soins, plus on voit se dégrader l'espérance de vie en bonne santé et l'espérance de vie tout court. Il a observé à juste titre que nos collègues médecins qui exercent une vigie permanente pour réaffirmer en toutes occasions la liberté d'installation comme un principe fondamental oublient un peu vite que cette liberté est conditionnée à un financement public.
Bernard Perrut a parlé avec force des oubliés de la santé et du renoncement aux soins, mais jugé notre proposition farfelue : là où elle a été adoptée, elle ne marcherait pas, selon lui. Il se trouve qu'elle vient d'être appliquée en Autriche et en Suisse, pays qui ne sont pas réputés pour être des adeptes absolus de la coercition.
Quelles réactions ai-je observées chez mes interlocuteurs en leur parlant de limites à la liberté d'installation ? L'Ordre des médecins m'a paru un peu plus consensuel, un peu plus ouvert que les syndicats de médecins, qui étaient vent debout, comme les étudiants en médecine. J'attends le jour où l'on démocratisera l'accès aux études de médecine ! Pour l'instant, la photographie sociologique des étudiants, que vous trouverez dans mon rapport, est celle des écoles préparatoires, avec le même entre‑soi : pour faire des études de médecine, mieux vaut être enfant de cadre supérieur ou de médecin qu'enfant d'employé, d'ouvrier ou d'agriculteur. Les chiffres sont à votre disposition, et ce sont ceux de la DREES. La démocratisation de l'accès aux études de médecine, avec un accompagnement financier, permettrait à des jeunes des territoires de s'installer chez eux au terme de leurs études. C'est une solution à explorer – sauf pour les médecins conservateurs, qui s'y opposent.
Je remercie Philippe Vigier pour sa franchise, et pour le courage politique dont il a fait preuve. Comme Thierry Benoit, il a soutenu tous les dispositifs d'incitation de tous les ministres de la santé successifs, et relève qu'ils ont été inefficaces. Pour avoir remis un rapport de commission d'enquête au sujet des déserts médicaux, il sait de quoi il parle. Pour ma part, j'estime urgent d'évaluer l'efficacité de ces politiques d'incitation, dont le coût est exorbitant. Vous considérez souvent que nous dépensons trop pour une trop faible efficacité : en l'occurrence, voilà un domaine où cela est avéré. Bref, le statu quo ne marche pas, Philippe Vigier nous l'a rappelé.
Je partage l'opinion d'Isabelle Valentin : oui, les élus locaux se mobilisent et oui, il faut mener des politiques d'attractivité. Mais je puis vous assurer que même dans une ville qui multiplie les dispositifs attractifs comme le fait la mienne, quand 40 % des médecins sont âgés de plus de 60 ans et ne trouvent pas à être remplacés, aucune danse du ventre ne vous permettra de venir à bout des problèmes de démographie médicale.
Prenant la parole avec une certaine condescendance, Mme Iborra a jugé qu'il n'y avait pas de contradiction entre médecine libérale et médecine sociale. Sauf qu'un médecin surchargé de patients ne peut ni en accepter de nouveaux, ni consacrer le temps nécessaire aux politiques préventives, à la détection d'une conduite addictive ou à d'autres problèmes. Cela n'est plus possible, puisque les temps de consultations se raccourcissent à mesure que la densité médicale faiblit. Il faut, certes, développer les territoires ruraux, et je ne suis pas sûr que le projet de loi « 3DS » remplisse cet objectif.
M. Jean-Pierre Door, cardiologue, vigilante vigie depuis Georges Pompidou pour que rien ne bouge, a beaucoup apprécié l'audition des médecins seniors. Comment pouvait-il en être autrement ? Il est vrai, mais cela ne relève pas du chantier législatif, qu'il faut veiller à mieux gérer territorialement les maîtres de stage. Olivier Véran m'a dit que, lorsqu'il était jeune mais qu'il soufflait déjà à l'oreille des ministres, il avait suggéré de généraliser les stages afin de permettre aux médecins qui s'installaient, et peut-être aux stagiaires, de consacrer une demi‑journée ou une journée par semaine à l'exercice médical dans les zones sous‑denses. C'est une bonne idée dont je m'étonne qu'on ne la mette pas en œuvre alors qu'elle ne relève pas du champ législatif.
J'en viens à l'adressage. Si 11 % des Français n'ont pas de médecin traitant, on peut considérer que le sujet est important ! Pour certains d'entre eux, c'est une question de vie ou de mort – en tout cas de vie en bonne santé. Or, lorsqu'elles finissent par obtenir une ordonnance, ces personnes, parce qu'ils n'ont pas de médecin traitant, sont moins bien remboursées. La CNAM a créé, mais bien peu le savent, un dispositif « Médecin traitant générique » avec un numéro d'appel qui permet à qui n'a pas de médecin traitant d'être orienté et peut-être d'obtenir un remboursement à taux plein. Je proposerai par voie d'amendement d'inscrire dans la loi la possibilité de saisir un médiateur de la CNAM pour répondre aux préoccupations de l'adressage et du remboursement. J'imagine donc que vous le voterez.
Selon Josiane Corneloup, nous nous attaquons aux conséquences de la désertification médicale plutôt qu'à ses causes. Il me semble pourtant que l'article 1er, qui porte sur la formation, et l'article 2, qui généralise le contrat de service public, s'attaquent aux causes plutôt qu'aux conséquences. Il faut, selon elle, revaloriser la profession de médecin généraliste et mieux payer ces praticiens. Mais rien de cela n'est de nature à corriger les inégalités territoriales dans l'accès aux soins, objet de cette proposition de loi ! Quant à généraliser le renouvellement des ordonnances prescrites aux malades chroniques, sans être toubib, cela me semble bien imprudent : une affection chronique peut être évolutive et justifie que l'on consulte un médecin de temps en temps.
Je remercie Boris Vallaud d'avoir rappelé par des exemples concrets les inégalités territoriales dans l'accès aux soins ; d'avoir fait le lien entre la situation de la démographie médicale et l'embouteillage des services d'urgences ; et d'avoir redit que la République n'est plus partout. La « loi Rist » risque encore d'aggraver la situation : de nombreux services d'urgences sont en train de fermer, au détriment des populations les plus fragiles.
Je suis un nouveau député, mais je ne suis pas entièrement naïf et j'ai peu d'illusions sur la capacité des Marcheurs à entendre raison. J'espère cependant que les plus pragmatiques de mes propositions seront retenues. Il y a quelques jours, dans les Hauts-de-France, le Président de la République lui-même a appelé à se montrer innovant et volontariste, soulignant que la situation serait très difficile dans les années à venir et notant qu'il faudra du temps pour former des professionnels. N'attendez donc pas que les trains passent – car, de retour dans vos circonscriptions, vous serez je suppose, comme je le suis, appelés tous les jours par des habitants qui ne trouvent pas de médecin traitant.
La DGOS, que j'ai interpellée à ce sujet, m'a répondu qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, parce que « ceux qui n'ont pas de médecins sont en bonne santé ». C'est drôle, s'ils n'ont pas de médecin, je n'aurais pas pensé qu'on pouvait savoir qu'ils sont en bonne santé. Mais surtout, je vois dans mon territoire normand les diagnostics établis dans les contrats locaux de santé sur l'état de santé de la population, qui font état de taux de cancers, de conduites addictives, de renoncements aux soins, de maladies professionnelles... Le magazine Marianne, le quotidien Le Monde et tous les journaux nationaux ont superposé la carte de la densité médicale et celle de la santé des habitants, démontrant évidemment que ce sont les mêmes.
Telles sont les premières réponses que je voulais donner à mes collègues, en espérant qu'ils vont lever le frein, en finir avec l'immobilisme et répondre à nos propositions concrètes.
La commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er : Territorialisation des capacités d'accueil des universités
Amendement de suppression AS7 de Mme Stéphanie Rist.
Je suis étonnée que le rapporteur, que je pensais communiste, déplore que la loi que j'ai défendue prévoie, pour lutter contre l'intérim médical, de plafonner la journée de médecin intérimaire à 1 200 euros, contre plus de 3 000 euros actuellement.
L'article 1er nous semble satisfait. La loi « Ma Santé 2022 » du 24 juillet 2019 a supprimé le numerus clausus, c'est-à-dire la définition nationale du nombre d'étudiants. Depuis la rentrée 2020, les universités et les ARS, après consultation des conférences régionales de la santé et de l'autonomie, définissent ensemble le nombre d'étudiants en fonction des besoins et des possibilités de formation régionales.
En 2021, nous avons évalué à 19,4 % l'augmentation du nombre d'étudiants en médecine, ce qui ne s'était jamais vu depuis plus de cinquante ans.
Ne vous inquiétez pas : j'appartiens bien au groupe communiste et je partage la colère contre les mercenaires de l'intérim, qui placent les hôpitaux dans des situations financièrement intenables. Néanmoins, comme j'ai eu l'occasion de le dire en séance publique, la mesure que vous avez prise n'a pas été expertisée et il n'y a pas eu d'étude d'impact. Elle fragilisera les GHT à taille humaine ainsi que les hôpitaux de proximité. Le ministre de la santé vient d'ailleurs de décider d'en différer l'application !
Cet article 1er vise à territorialiser la formation médicale. Le numerus apertus, créé par la loi de 2019, remplace l'ancien numerus clausus. Dans le nouveau système, c'est la capacité d'accueil des universités qui définit le nombre d'étudiants, au regard d'objectifs pluriannuels devant notamment tenir compte des « besoins de santé du territoire ». Toutefois, les besoins restant structurellement supérieurs aux capacités de formation des universités, nous n'arriverons pas à corriger les inégalités sans développer les moyens de ces dernières. Une formation universitaire est ainsi possible à Tours mais à Orléans, toute proche, on ne voit pas la couleur des médecins formés ! On voit bien que la territorialisation de la formation est la clé de voûte.
J'ajoute que les ARS, qui constituent un État dans l'État et ne rendent que peu de comptes aux préfets, n'ont toutefois aucune force de conviction à l'égard des recteurs – moins encore que les présidents d'université. La corrélation de l'estimation des besoins avec les objectifs de formation sera inutile si la loi ne fixe pas des objectifs de territorialisation. C'est le sens de cet article 1er.
Avis défavorable.
Je ne voterai pas en faveur de la suppression de cet article. Mme Rist a eu raison de rappeler la hausse du nombre d'étudiants en médecine qui passent en deuxième année. Mais ce n'est pas nouveau : dans l'académie d'Orléans-Tours, l'augmentation a été de 257 % en vingt ans ! C'est pourquoi j'ai dit que les moyens n'étaient pas au rendez-vous.
Dans ma première proposition de loi, j'avais proposé une formation régionale en fonction des besoins. Mais nous savons bien que certains postes d'internat restent vacants, ou que certains internes quittent les régions où ils ont commencé leur cursus. De plus, numerus clausus ou apertus, tout le monde ne passe pas en deuxième année de médecine. Dans la région Centre‑Val de Loire, 500 places d'étudiants en médecine seraient nécessaires. En Eure‑et‑Loir, nous comptons 71 médecins pour 100 000 habitants !
Je me félicite que nous approuvions tous la suppression, par notre majorité, du numerus clausus alors que, depuis trente ans, gauche comme droite, rien n'avait été fait. Voilà pourquoi les propos aujourd'hui des députés socialistes, communistes et des Républicains amusent : trente ans de gestion comptable des soins !
Après l'ouverture des universités de mai 1968, il a fallu restreindre l'accès avec le numerus clausus, en 1971. En 1979, des décrets faisaient déjà état de la nécessité de former les médecins en fonction des besoins des populations mais ni la droite ni la gauche n'ont agi et ce sont elles maintenant qui nous donnent des leçons !
Je ne suis pas d'accord avec ceux qui veulent supprimer cet article en s'accordant un satisfecit. Nous avons été tympanisés par votre slogan sur la suppression du numerus clausus, mais vous n'avez pas anticipé les capacités d'accueil des universités en médecine : on continue à fabriquer de l'échec.
La réforme des études de santé, quant à elle, est très loin de produire les résultats escomptés. Aujourd'hui, 90 % de ceux qui réussissent sont d'abord passés par des préparations privées très coûteuses, parfois dès la terminale, ce qui soulève un certain nombre de questions quant à la démocratisation de l'accès à ces études. On ne saurait se satisfaire de cette situation.
L'augmentation des capacités d'accueil et leur mise en cohérence sont urgentes. Ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup d'étudiants en première année que tout se passe pour le mieux en deuxième ou troisième année et que nous formerons suffisamment de médecins.
Plus globalement, nous assistons à la fin de deux systèmes : celui de l'intérim médical dans nos hôpitaux et celui de l'intégration des professionnels étrangers, administrativement longue et complexe, dont le succès est très relatif.
On ne peut décidément pas balayer cet article d'un revers de la main.
M. Isaac‑Sibille s'est montré bien péremptoire. Je lui rappelle qu'en 2000, le numerus clausus, celui que nous payons aujourd'hui, s'élevait à 3 200 étudiants. Ce sont ceux-là qui manquent aujourd'hui ! À partir de 2005, on est passé à 7 000, puis à 8 500. Ne dites donc pas que rien n'a été fait ! Et aujourd'hui, avec la suppression du numerus clausus, on dépasse les 10 000.
Je suis favorable à la territorialisation, mais les facultés doivent faire de gros efforts pour accroître leurs capacités immobilières.
J'ajoute que le centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours est en effet une sorte de forteresse dans l'ensemble de la région Centre‑Val de Loire. Nous avons essayé de créer par voie d'amendement un centre hospitalier régional universitaire, à Orléans. Cela a échoué, malgré tous les efforts. Le doyen du CHU de Tours essaie d'envoyer des chefs de clinique à Orléans, mais cela ne suffit pas : il faut que les externes et les internes soient sur place et dans les hôpitaux annexes de la région.
Enfin, je m'interroge sur la nécessité d'épreuves classantes nationales. Autrefois, elles étaient régionales.
Le Centre‑Val de Loire est la seule région à ne disposer que d'un seul CHU. Depuis soixante‑dix ans, nous formons deux fois moins d'étudiants que d'autres régions ayant le même nombre d'habitants. Nous savons donc ce qu'il en est de la difficulté d'accès aux soins, ce qui a d'ailleurs justifié mon engagement en politique.
La hausse du nombre de médecins doit se poursuivre – 20 % en plus, ce n'est pas rien – mais il faudrait aussi considérer que la question des soins ne se limite pas à l'accès au médecin, sur quoi se concentre cette proposition de loi. Il y a bien d'autres innovations à faire et mesures à prendre.
J'ai présidé le conseil de surveillance d'un hôpital et je préside un conseil territorial de santé. Savez-vous comment les choses se passent, lorsqu'on est un hôpital à taille humaine et qu'on n'a pas de gynécologue-obstétricien ? Il faut aller pleurer auprès du patron du pôle du CHU pour qu'il accepte d'en faire venir deux. Les assistants spécialistes régionaux (ASR), qui sont dans la main des ARS, sont concentrés dans les CHU et il faut là encore aller pleurer chaque année, notamment dans le domaine de la psychiatrie, pour que leur répartition soit équilibrée.
C'est parce que le système D et le chacun pour soi ne fonctionnent pas que la loi doit fixer des objectifs de territorialisation, y compris en matière de formation. C'est le sens de cet article.
Je veux bien recevoir des leçons, mais il n'est pas nécessaire d'être toubib pour s'intéresser à ces questions. On peut aussi être un élu, se soucier des usagers et tenter de répondre à leurs problèmes. Si les je‑sais‑tout de la santé étaient efficaces, nous ne serions pas là pour en parler.
La commission adopte l'amendement
En conséquence, l'article 1er est supprimé et l'amendement AS15 de Mme Annie Chapelier tombe.
Après l'article 1er
Amendement AS5 de M. Thierry Benoit.
Les stages dans les territoires sous‑dotés – zones rurales, villes moyennes, certains quartiers de grandes villes – doivent être rendus obligatoires, au lieu d'être simplement prioritaires, comme ils le sont à l'heure actuelle. Les étudiants pourront ainsi découvrir l'exercice pratique de la médecine dans ces territoires et avoir envie d'y travailler.
La loi de 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (« OTSS »), suite à un amendement introduit par le Sénat contre l'avis du Gouvernement, prévoit en effet la possibilité de réaliser un stage d'un semestre en pratique ambulatoire, « en priorité » dans des zones sous‑denses. Toutefois, comme l'a indiqué le Premier ministre au Sénat la semaine dernière, le Gouvernement n'a toujours pas pris les décrets d'application de cette loi. Cela devrait être fait « d'ici au printemps prochain » ! Les stages constituant un levier d'attractivité important pour les zones sous‑denses, je ne peux qu'être favorable à l'adoption de cet amendement.
M. Door a évoqué les épreuves classantes régionales, dispositif que je défendais dans ma première proposition de loi. Ainsi, lorsque 300 postes seraient ouverts dans une région, tous seraient pourvus alors qu'avec les épreuves classantes nationales, il arrive que seuls 250 le soient, comme c'est le cas dans ma région.
Par ailleurs, des stages obligatoires permettraient de mettre un terme à l'« hospitalo‑centrisme » : tout ne doit pas se faire dans les CHU. Autrefois, les externes faisaient des stages dans tous les territoires, dans les petits centres hospitaliers, et la greffe prenait : lorsqu'ils découvraient les gorges de l'Ardèche, ils avaient envie de s'y installer !
Nous augmentons déjà le nombre de maîtres de stage et de professeurs universitaires en médecine générale, et il faut accélérer. En revanche, une obligation de stage en zone sous‑dense serait inapplicable pour un interne en neurochirurgie ou en chirurgie cardiaque par exemple, car aucun de ces services ne s'y trouve. Nous voterons contre cet amendement.
Il est donc possible de faire des stages, dans certaines spécialités, dans les zones sous‑denses.
Selon la loi de 2019, « les étudiants de médecine générale réalisent au cours de la dernière année du troisième cycle de médecine au minimum un stage d'un semestre en pratique ambulatoire » dans une zone sous‑dotée. Or le décret n'a jamais été publié. La non‑application de cette loi entraîne des conséquences encore plus dramatiques, qui impliqueront des mesures encore plus contraignantes. Là encore, il n'est pas possible de balayer cela d'un revers de la main.
L'argument de Mme Rist est tendancieux : on peut stigmatiser les zones sous‑dotées en disant qu'elles sont tellement mal pourvues qu'on ne peut pas y faire de stage ! L'obligation porterait évidemment sur les disciplines qui existent dans ces territoires.
La commission rejette l'amendement.
Article 2 : Généralisation du contrat d'engagement de service public
Amendement de suppression AS8 de Mme Stéphanie Rist.
Les CESP sont positifs, mais leur généralisation, prévue dans cet article, serait une mesure coercitive. Il nous semble préférable, plutôt que de l'obliger, que l'étudiant construise son parcours professionnel lui-même, afin que son choix soit motivé par des considérations positives.
Avis défavorable.
Décidément, les Marcheurs veulent que rien ne change pour que rien ne change...
Ces contrats sont issus de la loi de 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Ils visent à inciter les étudiants à s'installer dans des zones sous‑denses. En échange d'une allocation de 1 200 euros bruts par mois, ceux qui signent un CESP s'engagent à exercer dans ces zones pour une durée au moins égale au versement de l'allocation.
Ce contrat a été étendu par la LFSS 2013 aux étudiants en odontologie, et par la loi « OTSS » de 2019 aux praticiens à diplôme étranger hors Union européenne. Le ministère de la santé m'a indiqué qu'une réflexion était en cours pour l'étendre à d'autres formations de santé.
Ce dispositif fait partie des multiples contrats d'incitation à l'installation et reste le plus connu des étudiants en médecine et en odontologie. Mais depuis 2010, 4 794 CESP ont été offerts aux étudiants en médecine et 781 aux étudiants en odontologie, soit au total seulement 5 575 contrats, chiffre très marginal par rapport au nombre d'étudiants. En outre, le nombre de CESP proposé ne correspond pas au nombre de CESP effectivement signés : pour la campagne 2019-2020, à peine 51 % des CESP proposés ont été signés par des étudiants en médecine. Enfin, ces contrats sont très inégalement répartis sur le territoire : près de 20 % des CESP offerts en médecine sont concentrés en Île-de-France.
Il faut donc passer à la vitesse supérieure. C'est le sens de cet article.
C'est vrai, lorsqu'on vit dans le luxe, le calme et la volupté, 1 200 euros ne représentent pas grand-chose. Mais lorsqu'on est issu d'un milieu modeste et qu'on n'est pas plus con qu'un autre, cela change tout. Un tel dispositif peut favoriser la démocratisation des études de médecine, et donc la territorialisation des futurs médecins.
Je ne suis pas très étonné que les Marcheurs reprennent à leur compte un libéralisme exacerbé.
J'entends le sens de cet article mais je rappelle que 8 % seulement des jeunes médecins s'installent en libéral. Plus les contraintes seront nombreuses, moins ils seront nombreux à le faire. Vous reconnaissez vous-même que ce contrat ne fonctionne pas. Une contrainte serait encore plus contre-productive !
Mme Rist a parlé d'innovation mais ce n'en est pas une : nous connaissons fort bien ce système, il est en vigueur au Royaume‑Uni et a abouti à une médecine à deux vitesses. Ceux qui refuseront cette contrainte s'installeront en secteur non conventionné, inaccessible aux Français les plus modestes. Ce qu'il faut, c'est qu'un plus grand nombre de jeunes médecins s'installent en libéral, et pour cela il faut les accompagner ! Des territoires parviennent à les faire venir. Il faut aller les chercher et faciliter leur installation ce qui suppose, pour l'État, d'éviter les contraintes et les paperasses.
Avec cet article, on aura le système britannique, avec de nombreux médecins que les Français n'auront pas les moyens d'aller voir. Or le grand avantage de notre système est de disposer d'un système régulé, l'hôpital, et d'un système libéral. Les Français ont le choix !
Le dispositif des CESP est excellent et permet aux conseils départementaux de retenir des étudiants en médecines. L'allocation mensuelle de 1 200 euros constitue une aide précieuse et peut être considérée comme une forme de bourse. S'ils ne sont pas assez nombreux à être signés, c'est qu'ils ne sont pas assez connus – je propose depuis longtemps un guichet unique qui y remédierait. Mais je ne suis pas favorable à ce qu'ils deviennent obligatoires : cela doit rester un choix. C'est d'ailleurs ce que vous ont dit les jeunes étudiants lors de leur audition, monsieur le rapporteur.
Il s'agit en effet d'une très belle option. Mais je rappelle qu'un élève de l'École polytechnique est payé pour faire ses études, dès la deuxième année. L'État s'honorerait de préserver un système de santé unique au monde en rémunérant les étudiants à travers ces CESP. Ils rendront ensuite à leur pays ce qu'il leur a donné ou, comme les polytechniciens, ils auront la possibilité de racheter leur contrat.
Texte après texte, le problème perdure : dans de nombreux territoires, il est impossible de trouver un médecin. Certes, ils ne sont pas les seuls professionnels de santé mais je vous rappelle que la sécurité sociale exige de passer d'abord par un médecin traitant...
Nous devons impérativement trouver une solution. Est-ce celle-ci ou une autre ? Je n'en sais rien, mais nous devons agir. Il n'est pas possible d'abandonner ainsi la population. C'est ce que je vis tous les jours dans mon territoire, et c'est pareil qu'on soit de la majorité ou de l'opposition.
Certes, les médecins ne sont pas formés en nombre suffisant, certes il en manque partout, mais les possibilités d'accueil existent quand même. Dans mon territoire, qui se bat contre la désertification médicale, nous disposons d'un plateau de cardiologie très en pointe. Il faut mettre un terme à certaines idées toutes faites et trouver des solutions.
Peut-être faut-il prévoir des expérimentations, sans doute faut-il être moins radical que le rapporteur le propose, mais il ne faut pas rester sans rien faire !
J'entends souvent dire qu'il faut « faire nation ». Pour cela, il faut que chacun s'engage, ce que permet le dispositif proposé par de M. Jumel. Il importe de démocratiser l'accès aux études de médecine, notamment pour les jeunes issus des milieux populaires, qui ne peuvent pas toujours financer de longues années d'études. En contrepartie, les étudiants s'engagent à servir le pays là où il a besoin d'eux. Cela existe pour d'autres professions, je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même pour la médecine alors qu'elle connaît des manques criants.
En salariant les étudiants, cet article constitue une tentative politique pour établir un service national de santé, afin de salarier ensuite les professionnels. Ce n'est pas sur ce fondement que notre système de soin a été construit mais sur la conjonction d'une offre double, libérale et publique.
Je crois en la vocation. Tous ceux qui l'ont doivent pouvoir la vivre indépendamment des contraintes sociales ou financières, mais aussi dans leur territoire de prédilection. C'est en effet cet attachement qui conditionnera la relation du médecin libéral avec sa patientèle. Ce contrat se situe bien au-delà d'un exercice de boutiquier, de « toubib ».
À ce propos, monsieur le rapporteur, je vous engage à surveiller votre langage. Si vous souhaitez susciter des vocations pour les zones sous-médicalisées, cessez donc de parler de « toubibs » comme on parle de « clebs ». Vous parlez de médecins, qui par ailleurs consacrent quatre à cinq ans au service public durant leur formation. Le service rendu à la nation existe déjà et il est obligatoire pendant l'externat, l'internat et le clinicat.
Je ne voudrais pas donner l'impression de faire la leçon, mais je rappelle simplement à ceux qui parlent de médecine à deux vitesses ou de nationalisation de la médecine à propos de ce texte, que le ministère de la santé ouvre un débat sur la « grande sécu »... Chacun devrait faire preuve de modération.
La généralisation du CESP a du sens. Il permettrait de diversifier les origines des futurs médecins tout en favorisant des personnes qui ont envie de faire ces études sans en avoir les moyens financiers. Elle assurerait la présence de médecins dans les territoires sous‑denses et donnerait peut-être aux étudiants le goût de la médecine générale, qui est aussi une médecine de spécialité, ce que l'on oublie trop souvent.
Je regrette l'absence d'étude d'impact pour les propositions de loi. Lors de la discussion de celle de M. Garot, j'avais calculé que ce genre de mesure concernait un grand maximum de cinq à dix médecins par an. En revanche, en insinuant que les médecins mépriseraient la ruralité et qu'ils ne voudraient pas travailler, vous envoyez un signal particulièrement négatif.
Des personnes que vous avez auditionnées vous ont dit qu'elles avaient envie de refaire de la médecine. Travaillons ensemble pour que ce soit le cas ! Nous l'avons fait avec les CPTS, ou avec des dispositifs d'appui et de coordination, parce que les médecins ont besoin de consacrer moins de temps à l'administratif et à la coordination et plus de temps à la médecine.
Mais allons jusqu'au bout de votre proposition de loi. Quelle sera la vie d'un médecin isolé, dans un territoire isolé ? Il aura 3 000 patients, il sera de garde vingt‑quatre heures sur vingt‑quatre et il raccrochera le stéthoscope au bout de six mois. Vous aurez gagné cinq à dix médecins par an et vous en aurez perdu cent, avec la confiance de ces professionnels. C'est déplorable.
La loi « Ma Santé 2022 » a contribué à démocratiser les études en santé en réformant la première année de médecine, avec les parcours accès santé spécifiques et licences accès santé. Des étudiants qui ne peuvent pas se loger dans la ville de leur CHU peuvent passer leur première année près de chez eux. Les profils géographiques et sociaux sont donc diversifiés.
D'abord, le CESP concerne autant la médecine libérale que l'hôpital.
Ensuite, le mode de financement des études de médecine ne détermine en rien le mode de pratique. Si une question est jugée prioritaire, d'intérêt national, il est politiquement normal d'assurer un financement pour tous.
Certains utilisent de grosses ficelles en s'efforçant de faire croire que le groupe communiste s'inspirerait du modèle thatchérien. Je rappelle tout de même que 11 % des Français n'ont pas accès aux soins, et que la République n'est donc pas présente partout et pour tous de la même manière. J'aimerais que M. Borowczyk s'interroge aussi sur la situation de ces millions de Français. Nous en recevons certains dans nos permanences : pas de médecin pour un cancer, pas de médecin pour un enfant... Le rapport montre d'ailleurs combien l'état de la médecine scolaire est désastreux. J'aimerais que M. Borowczyk se montre sensible à cette solitude-là, plutôt que de déplorer l'absence d'étude d'impact tout en affirmant qu'une mesure concernera cinq à dix médecins chaque année.
Monsieur Martin, je parle des médecins avec le plus grand respect et, dans mes activités d'élu, je les considère de la même manière. Je les respecte tant que tout le monde, selon moi, devrait pouvoir profiter de leur science. J'attache tant d'importance à leur mission que je ne me satisfais pas d'une médecine à plusieurs vitesses en fonction des lieux où l'on habite. « Toubib », dans ma bouche, est presque un terme affectueux.
Il m'avait échappé que les pharmaciens, les kinésithérapeutes, les infirmiers libéraux faisaient désormais partie d'un service public national. Sur quelle planète vivez-vous ? Tout argument vous est bon pour que rien ne change ! C'est cela que je retiens de nos débats, où des collègues médecins s'expriment les uns après les autres pour que rien ne bouge. Aucune proposition alternative n'a été formulée !
Pourtant il en existe, comme la territorialisation de l'installation des assistants médicaux – je ne l'ai pas inscrite dans le texte parce que les études montrent qu'ils s'installent là où des médecins sont déjà présents. Les idées ne manquent pas, mais vous refusez tout changement pour corriger les inégalités sociales et territoriales dans l'accès au soin.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 2 est supprimé.
Article 3 : Instauration d'un conventionnement sélectif pour les médecins
Amendement de suppression AS9 de Mme Stéphanie Rist.
Ne soyez pas caricatural : nous ne nous satisfaisons pas de l'état actuel de l'accès au soin dans nos circonscriptions, et nous nous battons tous les jours sur ce sujet. Mais depuis quatre ans, nous avons déjà beaucoup réformé.
Nous sommes opposés à cet article pour trois raisons.
Les consultations de nombreux patients risquent de ne pas être remboursées par la sécurité sociale puisque nous ne disposons pas d'un nombre suffisant de professionnels pour appliquer ce conventionnement.
De plus, le message que vous envoyez aux étudiants les incitera à choisir une autre spécialité que la médecine générale, ou à se diriger vers l'industrie pharmaceutique ou la sécurité sociale. Compte tenu du vieillissement de la population et du temps qu'il faudra pour bénéficier de la fin du numerus clausus, nous avons besoin d'étudiants de médecine générale et devons les encourager à choisir cette spécialité.
Enfin, vous comparez la situation des médecins avec celle des kinésithérapeutes ou des infirmières mais le gradient du différentiel démographique est nettement supérieur pour eux puisqu'il est de 1 à 7. Vous allez paupériser la France sans améliorer pour autant la situation dans les zones sous-denses.
D'abord, il ne s'agit pas d'un article de coercition, mais bien de régulation.
Ensuite, le conventionnement sélectif pénalise les zones denses. Vous me dites qu'avec ce mécanisme, nous prenons le risque que les patients les plus fragiles ne soient plus remboursés. J'ai déjà cité les chiffres : dans les Alpes‑Maritimes, 42 % des médecins sont en secteur 2, conventionné à honoraires libres ; dans les Hauts‑de‑Seine, ils sont 52 % ; dans le Haut‑Rhin, 33 % seulement ; dans les Yvelines, 43 % ; à Paris 62 % ! Votre argument tombe.
Enfin, comme le montrent tous nos débats, les difficultés d'accès aux soins sont devenues un sujet majeur. Le Président de la République lui-même l'a reconnu et a souligné la nécessité de faire bouger les choses. Allez-vous entendre votre président ou, d'une manière corporatiste, rester bloqués sur le statu quo, sans rien bouger ? Le conventionnement sélectif, tel que nous le proposons, vise à corriger les trajectoires de déménagement du territoire, qui sont source d'inégalités territoriales, culturelles et sociales.
D'abord, avec cette mesure, qui constitue effectivement une régulation et non une contrainte, vous touchez l'ensemble des médecins libéraux, généralistes et spécialistes.
Deuxième observation : vous faites un parallèle avec les pharmaciens. Est‑ce vraiment le meilleur modèle ? Trouvez-vous normal que, pour s'installer, un jeune pharmacien doive débourser des centaines de milliers d'euros, pour acheter une charge ? Naturellement, cela permet de disposer d'un bon réseau dans le territoire, mais c'est coûteux pour qui souhaite s'installer.
Enfin, à Paris ou dans les Alpes‑Maritimes, s'ils ne peuvent s'installer que lorsqu'un confrère conventionné s'en va, les médecins seront conduits à exercer hors convention. Vous allez aggraver le système des dépassements d'honoraires que vous critiquez.
Monsieur le rapporteur, votre parcours montre votre attachement au dialogue social et au syndicalisme. Les conventions médicales professionnelles, signées entre les représentants des professionnels de santé et les caisses d'assurance maladie, permettent des accords en vue de calculer des remboursements et des honoraires : c'est un système conventionnel remarquable. Les politiques que nous sommes voudraient s'y immiscer, au risque de rompre le système conventionnel.
Aujourd'hui, 90 % des professionnels sont conventionnés. S'ils ne sont plus d'accord avec les conventions, il est évident qu'ils se déconventionneront très rapidement. Vous l'avez dit dans votre rapport, lorsque certains Länder ont opté pour le conventionnement sélectif, 3 à 5 % de leurs médecins se sont déconventionnés dans les semaines qui ont suivi.
Il y a donc un danger. Je ne souhaite pas qu'il y ait une rupture conventionnelle entre les professionnels de santé, les caisses d'assurance maladie et les complémentaires, qui sont tous les trois liés au sein des accords conventionnels.
J'apprécie que le rapporteur cite le Président de la République ou que nos vigies expérimentées rappellent les principes du conventionnement. La proposition du rapporteur me choque car elle limite le conventionnement dans les zones où l'offre de soins est très importante. Dans les Alpes‑Maritimes, il n'y aura bientôt plus aucun médecin conventionné. Limiter le nombre de médecins conventionnés revient à avoir moins d'actes à tarif opposable – des actes plus chers seront honorés – et moins d'objectifs de santé publique suivis. À l'échelon national, cela donne une moindre maîtrise des dépenses de santé, remboursées dans l'intérêt de la santé de la population. Je ne comprends pas votre argument, et je le trouve même dangereux.
J'ai écouté les débats avec beaucoup d'attention, après ceux du PLFSS. À chaque fois, on parle d'une situation qui ne peut pas durer... et pourtant, rien ne change.
Cet été, sur mon lieu de vacances, j'ai eu à soigner une plaie infectée. En l'absence de médecins, j'ai utilisé le site Qare : deux heures plus tard, j'étais en téléconsultation avec un médecin, qui m'a posé trois questions et délivré une ordonnance. Je ne l'ai même pas vu, seulement entendu. Je n'ai pu m'empêcher de penser que le médecin n'était pas nécessaire : un logiciel aurait suffi.
Si l'on n'expérimente pas d'autres pratiques, notamment le conventionnement sélectif, les premiers à y perdre seront les médecins : ils perdront le cœur de leur métier. La cabine de téléconsultation exposée cette année au Salon des maires et des collectivités locales en est l'illustration. Le ministère sait, depuis longtemps, comment faire des économies et payer moins de médecins. Je vous parie que, d'ici cinq ans, on y sera.
Le rapporteur nous reproche d'être corporatistes et de ne pas vouloir bouger les lignes. Je l'invite à relire le communiqué commun du Conseil national de l'Ordre national des médecins et des syndicats de médecins libéraux du 5 novembre 2021, qui nous reproche d'avoir, dans le dernier budget de la sécurité sociale, permis l'accès direct aux orthoptistes, aux orthophonistes, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux infirmiers en pratique avancée pour les primo-prescriptions. Nous ne pouvons pas être traités de corporatistes si lesdites corporations nous envoient un tel communiqué.
Monsieur Martin, il ne s'agit pas d'avoir moins de conventionnement, mais d'en avoir là où il y en a besoin. Nous permettons aussi le conventionnement pour remplacer les départs en retraite au fur et à mesure et proposons des révisions plus systématiques des zonages. Selon les ARS, la révision a lieu tous les trois ans, tous les ans, tous les six mois, ou jamais... Nous proposons une adaptabilité en fonction des réalités de terrain.
Jean-Pierre Door a dit l'importance que nous attachons au dialogue social et au respect des partenaires. C'est vrai aussi dans ce domaine. J'ai auditionné les représentants des syndicats de médecins, ainsi que ceux du Conseil national de l'Ordre des médecins, qui faisaient d'ailleurs entendre une musique un peu différente. Les chiffres n'étant pas consolidés, ils n'ont pas été capables de nous dire le nombre de patients qui effectuent des recours devant l'Ordre faute de réponse de santé, ce qui pose une sérieuse question d'éthique.
Pour ma part, lorsque j'ai besoin de dialogue social, je ne me contente pas d'entendre le Mouvement des entreprises de France : j'auditionne tous les partenaires. J'ai même auditionné l'Assemblée des départements de France, l'Association des maires ruraux de France et l'Association des petites villes de France. L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité n'était pas disponible car elle comptait encore ses bulletins mais, pour en avoir été membre longtemps, je sais à quel point nos propositions sont partagées par l'ensemble des élus, qui sont confrontés à cette réalité.
Étant donc très attaché au dialogue, je ne me suis pas contenté d'une concertation partielle, voire partiale. Je l'ai voulue la plus large possible, pour tenter de dégager une position d'intérêt général. C'est de cela qu'il s'agit à travers le conventionnement sélectif de l'article 3 : de régulation, non de coercition.
Quant au communiqué, l'argument est un peu faible. Heureusement que certains communiqués disent que vous ne faites pas tout bien ! Cela s'appelle la démocratie. Et ils ne sont rien à côté de ceux que vous recevrez pour votre inertie devant cet impérieux sujet de l'accès aux soins.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 3 est supprimé et l'amendement AS18 de M. Sébastien Jumel tombe.
Après l'article 3
Amendement AS1 de M. Thierry Benoit.
L'amendement introduit une mesure de régulation, qui vise à concilier la liberté d'installation et le principe d'égal accès aux soins pour l'ensemble des citoyens français. C'est aussi une mesure d'intérêt général.
Le rapport d'information du Sénat de janvier 2021 indique que 8 millions de Français sont sans médecin référent. Il y a donc nécessité et urgence à agir, pour proposer une plus juste répartition des médecins dans l'ensemble du territoire français, selon les zonages concernés.
L'amendement prévoit que les médecins généralistes et spécialistes exercent pour une durée d'au moins trois ans dans les territoires sous‑dotés. Ils ne seront pas isolés, comme je l'ai entendu dire, puisqu'ils exerceront dans des maisons pluridisciplinaires de santé, au sein de territoires qui ont déployé des projets professionnels de santé, où il existe des contrats locaux de santé et où l'on s'attache à faire travailler ensemble les professionnels. Cette mesure de régulation s'ajoute aux mesures incitatives qui ont été énumérées – primes à l'installation, défiscalisation en ZRR, contrats locaux de santé, CPTS, emplois salariés des centres de santé.
Avis de sagesse. Thierry Benoit montre que ma proposition n'est ni dogmatique, ni idéologique, puisqu'il va plus loin que moi. Bien qu'étant moins audacieux, j'essuie toujours le refus des Marcheurs.
Jusqu'à preuve du contraire, le médecin est obligé de faire certains actes, notamment des gardes. S'il est seul, il sera de garde tous les jours et toutes les nuits, ce qui finira par poser un problème.
Cet amendement, que nous avions examiné dans le cadre du PLFSS, est une fausse bonne idée. La régulation obligatoire est valable lorsqu'il y a trop de professionnels ! En l'état actuel des choses, les médecins qui seront obligés de s'installer dans une zone sous‑dense choisiront vraisemblablement un autre type d'activité – médecin du travail, médecin-conseil – du reste tout aussi nécessaire. Non seulement vous n'aurez pas d'installation en zone déficitaire, mais vous aurez perdu un médecin libéral.
Je suis surprise d'entendre que cette mesure irait à l'encontre de son objectif. Le Conseil national de l'Ordre des médecins rappelle régulièrement que le nombre de ses inscrits ne diminue pas, voire augmente : c'est peut-être qu'il faut s'interroger sur la répartition territoriale. Dans les zones sous‑denses, la sous-densité n'est pas la même selon les territoires.
Notre débat, tous bords confondus, est caricatural de l'Assemblée : on fait tous des constats qui sont justes, sur le manque de médecins, les comportements conservateurs de certains syndicats ou la réplication du modèle social, mais on s'envoie des vérités là où il faudrait cultiver la modestie. Quelle impression un concitoyen ayant du mal à trouver un médecin peut‑il avoir de nos débats ?
Dans les années qui viennent, le nombre de médecins va mécaniquement diminuer car ceux qui partent à la retraite sont plus nombreux que ceux qui commencent d'exercer. De plus, comme les femmes sont plus nombreuses parmi les nouveaux médecins, le temps médical disponible sera moindre. Dans ce contexte de pénurie, la proposition de Thierry Benoit peut avoir du sens pour des médecins qui seront formés plus tard, mais elle ne sera pas opérante à court terme : ceux qui s'orientent maintenant choisiront plutôt la solution de facilité pour eux – je ne dis pas qu'elle est éthiquement défendable, mais c'est ce qui se passera.
Il faut se concentrer sur les quelques territoires qui s'en tirent. Dans ma commune de 1 000 habitants, on est passé d'un médecin, à trois et demi : on s'est débrouillé pour imaginer ce qui attirerait les médecins, pour économiser du temps, on les a fait travailler avec le CHU, qui ne savait pas travailler avec la médecine libérale auparavant... La solution ne sera pas unique, et la proposition de Thierry Benoit peut participer à la palette des possibles. Mais nous devons être beaucoup plus modérés dans nos propos, car là, on se fait plaisir, on s'envoie des scuds, mais on ne règle rien pour nos concitoyens.
D'abord, ma proposition est liée à la suspension du numerus clausus. Ensuite, elle est extraite d'une proposition de loi que j'ai déposée la semaine dernière sur le bureau de l'Assemblée nationale, qui est cosignée par cinquante‑cinq députés de presque tous les groupes, hormis le groupe de la Gauche démocrate et républicaine et le groupe Socialistes et apparentés, qui avaient leurs propres initiatives.
Par ailleurs, dans les débats de la primaire qu'organise le parti Les Républicains, je note que Philippe Juvin, professeur de médecine et candidat à l'élection présidentielle, fait une proposition similaire à la mienne. Je souhaite que nos diverses propositions de loi, tant celle de Sébastien Jumel que celle de Guillaume Garot ou celle de notre groupe, permettent que le conventionnement sélectif fasse partie du débat présidentiel dans les mois à venir. C'est un sujet de la plus haute importance pour nos concitoyens.
Je suis d'accord avec Nicolas Turquois : c'est l'addition des réponses qui fait la solution. Mon expérience de terrain le confirme.
Les gens percevront nos débats conformément à la réalité : il y a un constat partagé, des groupes qui tentent d'apporter des solutions et un groupe majoritaire qui les refuse toutes.
M. Borowczyk a parlé d'obligations, et il est vrai que les médecins en ont de nombreuses. Mais j'ai une inquiétude, partagée par l'Ordre des médecins : 39 % des médecins seulement assurent la permanence obligatoire en matière de médecine ambulatoire, ce qui signifie que 61 % ne répondent pas à cette obligation – souvent dans les territoires où l'accès aux soins est le plus difficile. Vous voyez qu'il ne suffit pas d'avoir une obligation pour qu'elle soit mise en œuvre. C'est le sujet qui nous préoccupe ce matin.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS2 de M. Thierry Benoit.
En 2015, des maires du territoire dans lequel je vis et que je représente se sont regroupés pour construire une maison pluridisciplinaire de santé. Deux médecins s'y sont installés, l'un titulaire, l'autre remplaçant, qui a toujours indiqué qu'il ne resterait pas éternellement. Fin septembre, après quatre ans d'exercice, il a annoncé qu'il changeait d'orientation – c'est son droit le plus légitime. Dans la foulée, le médecin titulaire a également quitté l'exercice de la médecine, car il ne souhaitait pas rester seul. En l'espace de quelques jours, 1 500 patients se sont retrouvés sur le carreau.
Inspiré de cette expérience, l'amendement prévoit que « les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes mentionnés à l'article L. 4113-9, communiquent à l'agence régionale de santé et au conseil de l'ordre dont ils relèvent leur volonté de ne plus exercer dans le cabinet situé dans une commune identifiée comme zone caractérisée par une offre de soins insuffisante [...] , dans un délai d'au moins un an avant leur départ ».
Dans un territoire sous‑doté, dans de tels cas, il n'y a pas de solution de remplacement : on ne peut pas dire à l'ARS et aux médecins de se mobiliser. Dans notre cas, les médecins du territoire ont répondu dans l'urgence et ont essayé d'organiser des vacations dans la maison pluridisciplinaire, mais cela ne pourra pas durer plus de quelques semaines.
C'est un amendement pragmatique, pertinent, frotté à la réalité du terrain, et qui correspond à une attente. Avis favorable.
Avec tout le respect que j'ai pour vous, vous venez d'appuyer ce que je disais précédemment. Vous dites qu'un médecin qui se retrouve seul veut partir. Or, c'est ce que vous voulez faire avec la loi. CQFD.
Pour ne pas avoir de médecins qui exercent seuls dans les territoires sous‑dotés, une régulation est nécessaire. Il faut autant de liberté que possible en matière d'installation, et autant de régulation que nécessaire.
La commission rejette l'amendement.
Amendements AS4 et AS3 de M. Thierry Benoit.
L'amendement AS3 vise à annualiser les zonages établis tous les trois ans par l'ARS, qui définit les zones d'intervention prioritaire, zones d'action complémentaire, zones sous‑dotées... L'idée est que la cartographie soit mise à jour de façon annuelle afin que les professionnels, les élus et l'ARS puissent apporter des réponses appropriées. Ces zonages sont en effet parfois en décalage avec la réalité : certains territoires sont encore considérés comme des zones d'observation alors qu'ils sont devenus des zones d'intervention prioritaire avec le départ de médecins.
L'amendement AS4 oblige les ARS à publier sur leur site des informations sur l'offre de soins dans chaque département.
Avis favorable sur les deux amendements.
L'amendement AS4 est un amendement de transparence : nous la devons à nos concitoyens, s'agissant de l'évolution de l'offre de soins dans un territoire.
L'amendement AS3 est pertinent : en inscrivant la révision annuelle dans la loi, il vise à donner le plus de souplesse possible et à permettre aux ARS d'adapter les zonages à la réalité.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS19 de M. Sébastien Jumel.
L'amendement a pour objet de créer un mécanisme de conciliation auprès de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) en cas de difficulté à trouver un médecin traitant. La disposition a été adoptée en janvier 2019 à l'initiative de la majorité, grâce à un amendement d'Audrey Dufeu. Il s'agit de permettre aux assurés sociaux qui ne trouvent pas de médecin traitant de saisir leur CPAM, qui devra leur proposer un médecin traitant disponible et éviter toute conséquence sur leur niveau de remboursement.
D'après la CNAM, un mécanisme spécifique d'identification des bénéficiaires consommants et de la situation des médecins a été instauré depuis 2017 dans les secteurs géographiques qui connaissent des difficultés de démographie médicale. En 2021, pour tenir compte des difficultés d'accès à un médecin traitant, il a été décidé d'étendre de manière systématique l'utilisation du numéro de médecin traitant générique national au bénéficiaire dont le médecin traitant a cessé son activité du fait d'un départ en retraite ou d'un changement de région d'exercice.
L'extension est effectuée de manière systématique, pour une durée d'un an. Un numéro de médecin traitant générique est enregistré dans le système d'information sur le compte des bénéficiaires concernés. Cela permet de ne pas les pénaliser, en cas de remboursement. En complément de ce dispositif, un plan d'action de la mission accompagnement en santé pour les publics fragiles a été élaboré selon quatre axes.
Je propose d'élargir ce début de réponse dans la loi.
Mais même des amendements qui ne mangent pas de pain, comme ceux de Thierry Benoit visant à demander de la transparence ou à inviter les ARS à procéder à des révisions plus régulières des zonages, sont refusés. C'est dire votre ouverture d'esprit et, pour reprendre la préoccupation de Nicolas Turquois, votre volonté concrète d'apporter des réponses aux questions que rencontrent nos concitoyens.
L'amendement doit peut-être être retravaillé, mais je vous donne raison, monsieur Jumel : les personnes qui ont le plus de mal à trouver un médecin sont souvent des gens socialement modestes, ou qui ont du mal à aller chercher un professionnel plus loin. Je suis favorable à un dispositif qui facilite l'attribution d'un médecin.
L'amendement est satisfait : un dispositif d'accueil existe. L'année dernière, malgré la crise sanitaire, en Côte‑d'Or, la caisse départementale d'assurance maladie a accueilli 800 personnes qui cherchaient un diagnostic de santé et une orientation médicale. L'obligation que vous proposez, fidèle à vous-même, relève davantage de la bureaucratie que d'autre chose.
Ces derniers mots sont outranciers et condescendants. D'abord, j'ai déposé un amendement visant à systématiser le remboursement des soins pour les personnes qui n'ont pas de médecin traitant, qui a été jugé irrecevable au titre de l'article 40. Ensuite, la directrice générale de la CNAM n'a pas pu me décrire précisément la manière dont le dispositif fonctionnait – et pour cause : n'étant pas inscrit dans la loi, il est déployé de manière différente dans les territoires. Faire la loi, c'est faire en sorte que la loi de la République s'applique partout et pour tous.
Je ne vois pas où est la bureaucratie. Ouvrir la possibilité de saisir le Défenseur des droits pour l'inclusion scolaire, ou la Commission nationale de l'informatique et des libertés pour des questions qui touchent aux libertés fondamentales, est-ce de la bureaucratie ? Vraiment, monsieur Martin, tout ce qui est outrancier est nul et non avenu.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS6 de M. Thierry Benoit.
Nous avons énoncé toutes les mesures visant à inciter les médecins à s'installer – elles sont nombreuses, et je ne les remets pas en cause. Mais, à côté des mesures incitatives, il faut maintenant des mesures de régulation.
Nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport qui recense l'ensemble des mesures incitatives, tout en évaluant leurs résultats. Si tant de députés de tant de groupes politiques s'inquiètent de la situation gravissime de l'offre de soins de proximité, c'est bien que les mesures exclusivement incitatives qui existent aujourd'hui ne suffisent pas.
L'amendement est pertinent : poser un bon diagnostic et évaluer l'efficacité des politiques publiques est utile. Les personnes auditionnées et le ministre ont d'ailleurs insisté sur la difficulté d'une telle évaluation pour l'ensemble des dispositifs. La Cour des comptes, elle-même, l'a soulignée à de nombreuses reprises.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS20 de M. Sébastien Jumel.
Il s'agit d'obtenir un rapport du Gouvernement, pour s'assurer que le déploiement des assistants médicaux, censé ouvrir 20 % de temps médical supplémentaire, est réalisé dans de bonnes conditions. Surtout, il faut préciser la territorialisation de ce mode de déploiement car vous n'avez pas pu inscrire l'obligation dans la loi.
J'adhère à ce dispositif, qui corrige les inégalités et ne les grave pas dans le marbre de la réalité de nos territoires respectifs.
Le rapport pourrait être intéressant, mais il relève davantage du Printemps social de l'évaluation. Je suis donc défavorable, non à l'idée mais à la méthode.
La commission rejette l'amendement.
Article 4 : Renforcement du soutien des agences régionales de santé à la création et à la gestion des centres de santé par les collectivités territoriales
Amendement de suppression AS10 de Mme Stéphanie Rist.
L'article 4 tend à revenir sur le contrat de début d'exercice. Or ce dispositif, instauré par la LFSS 2020, contribue à encourager l'installation des jeunes médecins, sans que notre volonté de développer les centres de santé soit pour autant remise en cause : des financements sont consacrés à ces structures, dont le nombre croît. En tout état de cause, il ne me paraît pas pertinent de lier la fin du contrat de début d'exercice à l'augmentation du nombre de centres. C'est pourquoi nous proposons la suppression de cet article.
Madame Rist, pouvez-vous me donner le montant des crédits alloués à la création de maisons et de centres de santé ? Êtes-vous certaine que l'accompagnement des ARS est mobilisé de la même manière partout sur le territoire ? Pouvez-vous me dire combien de contrats de plan État-région comportent un volet santé et m'assurer que, dans ce domaine, le législateur est en mesure de garantir l'égalité républicaine ? À l'ensemble de ces questions, la réponse est non. Parmi les personnes que j'ai auditionnées, trois directeurs généraux d'ARS ont écarquillé les yeux en prenant connaissance de ce que leurs collègues font, ou pas, dans leurs régions respectives.
En définitive, vous voulez que rien ne bouge. Vous êtes dans l'autosatisfaction permanente, dans ce domaine comme dans les autres. Ma colère n'est pas feinte : elle est celle des personnes – 11 % de la population ! – qui n'ont pas accès aux soins.
Et dire de la majorité qu'elle est dans l'autosatisfaction permanente n'a sans doute rien d'outrancier...
S'agissant de l'article 4, monsieur le rapporteur, vous trouverez des éléments de réponse à vos questions dans le projet de loi « 3DS », qui est en cours d'examen à l'Assemblée. La démocratie sanitaire s'organise pas à pas, avec les territoires.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 4 est supprimé.
Article 5 : Principe d'égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire
Amendement de suppression AS11 de Mme Stéphanie Rist.
Par l'article 5, vous nous proposez un modèle unique d'organisation territoriale de l'hospitalisation. J'aimerais beaucoup le voter, mais, compte tenu de la faiblesse excessive de la démographie médicale – je continue d'ailleurs d'assurer une consultation, le lundi matin, dans mon hôpital – il rendrait impossible d'assurer la qualité et la sécurité de la prise en charge des patients. Force est de constater que nous ne sommes pas d'accord sur la manière dont nous pourrions améliorer l'accès aux soins. Nous proposons de supprimer l'article 5.
Comme disait le philosophe, votre admirable sens de l'égalité consiste à donner beaucoup à ceux qui ont déjà tout...
Je ne prendrai qu'un exemple : entre 1997 et 2019, le nombre de femmes en âge d'avoir des enfants habitant à plus de 45 minutes d'une maternité est passé de 290 000 à 716 000. Je suppose que tout cela est très positif, et que c'est ma proposition de loi qui est de nature à mettre à mal le maillage territorial et la capacité à prendre en charge les patients dans de bonnes conditions...
Je crois, pour ma part, que la définition d'objectifs politiques en matière d'aménagement du territoire – labellisation des hôpitaux de proximité fondée sur les études de géographes spécialistes de ces questions, élaboration de conventions intelligentes avec les CHU afin d'assurer une répartition équilibrée des médecins et des ASR, organisation de consultations avancées, notamment de spécialistes... – serait de nature à améliorer la prise en charge des patients. Peut-être suis-je naïf et péremptoire, mais cela s'appelle l'aménagement sanitaire du territoire. Il semble que cette préoccupation ne soit pas partagée par la majorité.
À la différence des quatre premiers articles, relatifs à la médecine libérale, l'article 5 a trait à la médecine hospitalière. Il illustre les limites de la médecine administrée car, pour ouvrir des services de chirurgie et d'obstétrique dans les hôpitaux de proximité, il faudrait que les créations de postes ne soient pas réservées aux seuls CHU. Cela ne fonctionne pas.
L'article 5 me semble simpliste, voire intégriste. Vous proposez, afin d'assurer un égal accès aux soins – ce que nous souhaitons tous – de garantir l'accès à un établissement de santé à moins de 30 minutes du domicile en transports motorisés. Mais pourquoi 30 minutes, plutôt que 20 ou 40 ? Un accouchement peut durer beaucoup moins d'une demi‑heure ! Compte tenu, qui plus est, des inégalités qui existent en matière de transport, une telle disposition, qui est de toute façon tout à fait arbitraire, apporterait une fausse sécurité.
Je ne sors pas ces 30 minutes de mon chapeau, mais de l'ensemble des études statistiques, qui déterminent qu'au-delà de ce délai, on est dans un désert médical.
J'ai en tête l'exemple d'une ville où un service d'urgences, qui fonctionnait bien – grâce, du reste, à une coopération intelligente entre la médecine libérale et la médecine hospitalière – s'est trouvé dans le collimateur de l'ARS, qui voulait tirer un trait dessus. C'est la mobilisation et le volontarisme politique qui ont permis de maintenir ce service essentiel de soins de proximité dans la vallée la plus industrielle et ouvrière de France. Aujourd'hui, l'hôpital va recevoir le label « hôpital de proximité ». Non, la fixation d'objectifs politiques en matière d'aménagement du territoire ne relève pas d'une démarche simpliste ou dogmatique ; elle traduit la volonté politique d'un État qui protège et prend soin.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 5 est supprimé.
Article 6 : Élargissement des compétences des hôpitaux de proximité
Amendement de suppression AS12 de Mme Stéphanie Rist.
Monsieur le rapporteur, je vous rejoins sur l'intérêt des hôpitaux de proximité. Au reste, c'est notre majorité qui a permis la labellisation desdits hôpitaux et entrepris des réformes structurelles, puisque nous avons modifié le financement des établissements en mettant fin au tout‑T2A et impliqué les professionnels de ville dans leur gouvernance. La labellisation permet une gradation des soins, sans laquelle il n'est pas possible d'avoir accès à des soins de proximité de qualité. Ce qui importe, c'est que les patients soient pris en charge au bon endroit au bon moment. Tel est l'objet de la stratégie « Ma Santé 2022 » : réorganiser les soins de ville avec les CPTS et graduer les hospitalisations.
Encore une fois, je suis d'accord avec vous : les hôpitaux de proximité sont un enjeu majeur, et il faut tout faire pour qu'ils fonctionnent bien. Dans mon territoire, un hôpital va être labellisé ; des professionnels de ville viendront y soigner les malades qui pourront l'être, qui ne seront donc plus envoyés à trois quarts d'heure de là. Ne dites pas que nous ne faisons rien, nous avançons. Mais laisser croire que cet hôpital comprendra demain un plateau de chirurgie alors qu'il n'y a pas de chirurgien, c'est mentir aux citoyens et ce n'est pas conforme à leur intérêt en matière de santé.
Avis défavorable.
En guise de conclusion, je dirai que cette question, j'en suis convaincu, sera déterminante dans le débat national qui va s'ouvrir dans les prochaines semaines. Vous ne pourrez pas vous contenter de dire que tout a été tenté, car tel n'est pas le ressenti de la population. Votre refus obstiné, dogmatique, d'évoluer se retournera contre les médecins eux‑mêmes, qui sentent d'ailleurs la situation se déstabiliser tant la pression est forte. Peut-être aurez-vous l'occasion d'y réfléchir d'ici à la séance publique. En tout cas, nous porterons, quant à nous, la voix des territoires, en rappelant l'impérieuse nécessité de remédier aux inégalités sociales et territoriales dans l'accès aux soins.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 6 est supprimé.
Article 7 : Gages financiers
Amendement de suppression AS13 de Mme Stéphanie Rist.
Monsieur Turquois, vous avez là l'illustration de la démarche constructive et profondément innovante du groupe La République en Marche qui, à chacun des articles de cette proposition de loi pragmatique, a préféré l'immobilisme.
Monsieur le rapporteur, je partage certains de vos constats – nous les partageons tous – mais vous laissez croire que rien n'a été fait. Pourtant, le développement des pratiques avancées par exemple est une des pistes qu'il convient d'exploiter pour économiser du temps médical. Quant aux hôpitaux de proximité, dont je suis un adepte, nos concitoyens y sont attachés, mais dès qu'ils doivent subir un acte chirurgical compliqué, ils préfèrent se rendre au CHU, où un plateau technique permet de réaliser de tels actes en toute sécurité, notamment les accouchements. Qui n'a pas eu connaissance d'un accouchement qui s'est mal passé dans une clinique de proximité dépourvue de service d'appui ? Cessons donc d'agiter des chiffons rouges ! L'hôpital de proximité est adapté aux soins de suite, par exemple, ou aux personnes qui ne peuvent plus être maintenues à domicile ; mais pour les actes plus complexes, le haut plateau technique d'un hôpital de plus grande taille ou d'un CHU a son importance.
Ne stigmatisons pas les médecins, même si je constate effectivement certaines réticences et certains conservatismes. Vous opposez les uns aux autres. Nous aurions pourtant dû travailler ensemble, car, contrairement à ce que vous laissez entendre, la majorité n'est pas sourde : nous sommes tous concernés par le problème de la désertification médicale. Mais votre approche est politique, et elle s'est traduite par des déclarations insupportables pour nos concitoyens.
Merci, monsieur le rapporteur, pour votre proposition de loi : il est toujours intéressant de discuter de cette question qui nous concerne tous.
Lorsque l'on pense à l'accès aux soins dans les territoires, les villes et les villages, on pense à la médecine générale. Or la médecine générale, c'est la médecine libérale. Il faut donc en faire la promotion, car elle est le premier relais auprès de la population.
Comme vous l'avez vous-même reconnu, le problème est complexe. En tant que tel, il ne peut pas être résolu par la contrainte, mais par des mesures variées, adaptées à chaque territoire. C'est dans cette perspective que nous travaillons depuis quatre ans, et que nous avançons progressivement : fin du numerus clausus, développement des maisons médicales, protocoles de coopération, pratiques avancées... C'est ainsi que nous parviendrons à une solution pour nos concitoyens.
Il est dommage que chacun des articles de la proposition de loi ait été supprimé. Nous démontrons, une fois encore, que nous ne sommes pas capables de tenir compte de la réalité dans la définition des politiques publiques. Lorsque j'entends M. Isaac‑Sibille évoquer la médecine libérale, j'ai envie de lui rappeler que, désormais, les internes en médecine réclament le salariat. C'est le principal changement que nous observons depuis cinq ans ! La pratique est en train de changer, les médecins ne veulent plus exercer la médecine comme leurs prédécesseurs, la profession se féminise. Par ailleurs, entre 2019 et 2020, le nombre des médecins inscrits au Conseil national de l'Ordre a augmenté de 1,75 %. Le problème qui se pose est celui de leur répartition géographique. Il faudra donc bien, un jour ou l'autre, instaurer des dispositifs quelque peu coercitifs. Mais, une fois encore, on le fera trop tard ! Dans notre pays, on est incapable de prendre en compte la réalité pour anticiper les réformes qui s'imposent.
Je tiens à remercier M. Jumel et son groupe d'avoir déposé cette proposition de loi sur une question prégnante dont l'importance, qu'on le veuille ou non, va grandissant. Des choses ont été faites, notamment sous cette législature, avec bien sûr la fin du numerus clausus, mais nous savons tous que c'est insuffisant. Le département d'Ille‑et‑Vilaine, où je vis, est objectivement attractif : il existe une offre socio‑éducative sur l'ensemble de son territoire ; or, même là, la situation est préoccupante.
J'appelle votre attention, mes chers collègues, sur le fait que, dans les mois qui viennent, ce dossier restera en haut de la pile. Les candidats à l'élection présidentielle ont donc intérêt à présenter des propositions concrètes et nouvelles en matière d'incitation à l'installation : je vous assure que le discours que certains ont tenu ce matin ne suffira pas. Lorsque vous n'avez pas accès à un médecin généraliste, vous ne pouvez pas avoir accès à un spécialiste : c'est le b.a-ba ! Je sais ce qui a été fait en faveur de l'hôpital public, de l'hôpital privé et des centres de santé, qui permettent aux médecins d'être salariés. Mais la question de la régulation de l'offre de médecine libérale en ville sera posée dans le cadre de la prochaine campagne présidentielle. À titre personnel, je serai très attentif aux propositions que feront les candidats sur ce point. Je me console cependant, car les médecins sont instruits et ouverts d'esprit, de sorte que c'est peut-être d'eux que viendront les propositions salutaires.
Monsieur le rapporteur, vous avez, dans votre conclusion, fait beaucoup de politique en opposant la population à la majorité présidentielle, malgré tout ce qu'elle a accompli. En tout cas, je vous remercie pour la cohérence dont vous faites montre : de même que, lorsqu'il n'y a pas d'argent, vous allez le chercher chez ceux qui font tourner l'économie, de même, lorsqu'il n'y a pas de médecins, vous tapez sur ceux qui font la médecine de tous les jours. Merci pour eux, et bravo...
Il est très désagréable d'entendre cela. Premièrement, j'ai entamé mon intervention liminaire en rendant hommage à l'ensemble de soignants pour leur mobilisation exemplaire durant la crise, et singulièrement aux médecins libéraux. Deuxièmement, j'ai tenté d'établir, dans mon rapport, un diagnostic partagé le plus actualisé possible de la situation – que personne n'a contesté, du reste. Troisièmement, la majorité n'a défendu, ce matin, aucun amendement autre que de suppression ; plutôt que de présenter d'autres propositions, elle a préféré tenter de démontrer le caractère inopérant des nôtres. Dans ce domaine, la caricature est inaudible et inacceptable, et nous aurons l'occasion, en séance publique, de nous dire quelques vérités, dans le respect de la démocratie. Si vous avez écouté honnêtement mon propos, vous avez noté que j'ai souligné celles des mesures prises par le Gouvernement qui vont dans le bon sens. J'ai ajouté que cela ne faisait pas la maille. Cette proposition de loi conserve donc toute sa pertinence.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 7 est supprimé.
L'ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, celle‑ci est considérée comme rejetée par la commission.
Enfin, la commission examine, en troisième lecture, de la proposition de loi, modifiée par le Sénat en deuxième lecture, portant diverses mesures de justice sociale (n° 4558) (Mme Jeanine Dubié et M. Stéphane Peu, rapporteurs).
Nous avons ce matin à nous prononcer une nouvelle fois sur le sujet essentiel de la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Lors de l'examen en séance publique de la proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié en octobre dernier, j'avais pris l'engagement d'inscrire ce texte au menu de la prochaine niche du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Je suis aujourd'hui fier de le porter avec ma collègue Jeanine Dubié.
Cette proposition de loi vise à réparer une profonde injustice, celle du mode de calcul de l'AAH, prestation d'autonomie versée, je le rappelle, aux personnes en situation de handicap dont le taux d'incapacité est d'au moins 50 %.
En effet, le montant de cette allocation est calculé en tenant compte des revenus du bénéficiaire et de son conjoint. Les personnes handicapées ont dès lors le choix de vivre en couple ou être indépendantes financièrement. Ce « prix de l'amour », dénoncé depuis trop longtemps, nous paraît toujours aussi inacceptable. On ne peut plus tolérer que de nombreuses personnes en situation de handicap renoncent au couple ou à la cohabitation dans la crainte de voir leur allocation diminuer, voire disparaître.
Il n'est pas non plus acceptable de maintenir en vigueur des règles de calcul contraires à l'autonomie et la dignité des personnes, qui tendent à enfermer les personnes en situation de handicap dans une situation de dépendance malsaine vis-à-vis de leur conjoint. Au-delà des frais de santé, c'est le quotidien entier qui dépend du conjoint : se vêtir, avoir un téléphone personnel, aller au cinéma, boire un verre avec des amis... N'y a‑t‑il pas là une atteinte intolérable aux libertés individuelles ? Aux souffrances liées à la maladie et au handicap s'ajoute souvent un sentiment de honte et d'inutilité face à l'impossibilité de contribuer aux ressources du foyer. Dans le cas des femmes en situation de handicap victimes de violence, cette dépendance financière peut s'avérer dramatique. Nous le savons, la dépendance financière est souvent liée à une dépendance psychologique et il est d'autant plus difficile de s'extraire d'une situation d'abus et de violence sans ressources propres, en devant attendre plusieurs semaines pour récupérer une AAH à taux plein.
Il faut rappeler enfin, que ces règles de calcul sont contraires aux engagements de la France en matière de protection des droits humains. La Défenseure des droits a été très claire à ce sujet, tout comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) : elles ont rappelé que le mode de calcul actuel va à l'encontre des principes de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, qu'il ne respecte pas les droits à la dignité, à l'autonomie, à la possibilité de faire librement ses propres choix et à disposer d'un niveau de vie adéquat, et qu'il entrave le droit à fonder une famille ou à vivre en couple.
Dans ce contexte, nous nous opposons, comme l'ensemble des associations représentatives des personnes handicapées, à l'abattement forfaitaire proposé par le Gouvernement lors de la deuxième lecture du texte à l'Assemblée nationale et repris dans le projet de loi de finances. Cette mesure maintient le statu quo et dénature complètement l'ambition originelle de notre texte. Un tel dispositif ne répond en rien à la demande récurrente des personnes en situation de handicap sur la reconnaissance de leur droit à l'autonomie, et donc à la dignité.
Le Sénat n'en a pas voulu non plus et a rétabli, en deuxième lecture, la version des articles 3 et 3 bis qu'il avait adoptée en première lecture. Je salue une nouvelle fois la qualité du travail des sénateurs, qui ont amélioré et enrichi le texte en rétablissant la majoration de l'AAH pour les personnes à charge et en établissant une période transitoire pour les 44 000 personnes estimées perdantes de la réforme de l'individualisation.
Nous nous trouvons aujourd'hui face à un choix : maintenir un mode de calcul obsolète et injuste ou reconnaître une fois pour toutes le droit à l'autonomie des personnes en situation de handicap. L'individualisation de l'AAH, dans un contexte de concorde politique favorable, constituerait une réforme historique. Elle fait l'objet d'une forte mobilisation, bien au-delà des associations de personnes handicapées : la pétition pour la déconjugalisation de l'AAH publiée sur le site du Sénat est la première à avoir dépassé les 100 000 signatures et les pétitions sur le site de l'Assemblée nationale en rassemblent aujourd'hui plus de 30 000. Dans une lettre ouverte en date du 4 novembre dernier, un collectif d'associations a interpellé les présidents de l'Assemblée et du Sénat sur l'urgence de mettre fin à la conjugalisation de l'AAH, évoquant « une avancée sociale d'ampleur, dont dépend le respect des droits, de la santé, et de la dignité des personnes concernées ».
Il est de notre responsabilité d'entendre ce discours, de l'accueillir et de nous montrer enfin à la hauteur de l'enjeu, en saisissant l'opportunité de rétablir ce qui est juste. Je vous invite vivement à voter cette proposition de loi conforme.
Le 2 décembre prochain, veille de la journée mondiale des personnes handicapées, nous serons une nouvelle fois amenés à nous exprimer sur la déconjugalisation de l'AAH, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale. Ce texte, adopté en deuxième lecture par le Sénat le 12 octobre dernier, est inscrit à notre ordre du jour par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l'occasion de sa journée de « niche ». Je l'en remercie chaleureusement.
Le mode de calcul actuel de l'AAH est absurde : nombreux sont les témoignages de personnes en situation de handicap qui renoncent à être en couple ou à vivre avec leur conjoint pour ne pas perdre leur allocation. Il est aussi dangereux : la dépendance financière envers son conjoint est particulièrement problématique pour les femmes victimes de violences conjugales, et constitue un frein supplémentaire pour s'extraire des situations d'emprise. Il est enfin intolérable, car il contrevient au principe d'autonomie des personnes en situation de handicap, et plus largement à leur dignité.
Je rappelle une nouvelle fois que l'AAH n'est pas un minimum social. D'une part, elle est prévue dans le code de la sécurité sociale et non dans celui de l'action sociale et des familles. Ce dernier reprend intégralement à ce sujet les articles du code de la sécurité sociale. Son contentieux relève des juridictions de la sécurité sociale et non pas de l'aide sociale.
D'autre part, par sa nature même, l'AAH ne peut pas être considérée comme les autres minima sociaux. Elle est une aide durable, destinée à des personnes qui ne peuvent travailler qu'à temps partiel, voire pas du tout, et dont la situation n'évoluera pas favorablement, le tout reposant sur des constatations médicales.
C'est pour ces raisons que j'ai déposé l'année dernière la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, qui prévoit l'individualisation de l'AAH dans ses règles de calcul et de plafonnement. Elle a été adoptée en première lecture le 13 février 2020 à l'Assemblée nationale puis le 9 mars 2021 par le Sénat, qui l'a améliorée, grâce au travail de son rapporteur, Philippe Mouiller. À chaque fois, le vote a dépassé les clivages politiques.
En deuxième lecture à l'Assemblée, alors que Stéphane Peu et moi-même étions déjà rapporteurs, la proposition de loi avait été totalement vidée de son contenu par un amendement du Gouvernement et de sa majorité qui substitue au mécanisme d'individualisation de l'AAH un abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint. Ce mécanisme, adopté dans les conditions indignes d'un vote bloqué, se traduit certes par une augmentation de l'allocation pour un certain nombre de bénéficiaires, mais il dénature pleinement l'ambition originelle du texte. Les bénéficiaires de l'AAH l'ont exprimé clairement : ils ne souhaitent pas une augmentation de la prestation, mais la garantie d'une véritable autonomie, la reconnaissance d'une vie autonome.
Ce constat est partagé par les sénateurs, qui ont rétabli, le 12 octobre dernier, la rédaction qu'ils avaient adoptée en première lecture. Nous devons saluer une fois encore la qualité du travail de nos collègues sénateurs, qui ont enrichi la proposition de loi et évité des effets de bord. Le texte nous paraît aujourd'hui tout à fait équilibré, et répond à son objectif initial.
L'individualisation de l'AAH constitue une demande de longue date des personnes en situation de handicap et son adoption serait un fait marquant. D'autres mesures de cette proposition de loi me sont chères, comme le report de 60 à 65 ans de l'âge limite, sauf exception, pour solliciter la prestation de compensation du handicap (PCH), mesure adoptée conforme par le Sénat, ainsi que les dispositions visant à soutenir et à encourager le parcours sportif des personnes en situation de handicap.
Nous ne pouvons ignorer la mobilisation extrêmement forte que suscite cette proposition de loi, en particulier les plus de 100 000 signatures de la pétition en ligne du Sénat, qui l'ont amené à l'inscrire à l'ordre du jour.
Enfin, en revenant sur la déconjugalisation prévue à l'article 3 du texte, le Gouvernement a créé une incohérence juridique. En effet, l'article 2 de la proposition de loi, qui prévoit la suppression de la majoration du plafond de cumul de l'AAH avec la rémunération garantie pour les bénéficiaires en couple, a été adopté conforme par le Sénat en première lecture. Cette situation crée une situation d'inégalité vis-à-vis des autres bénéficiaires de l'AAH, toujours soumis à la conjugalisation de l'allocation.
Je vous invite dès lors à adopter ce texte conforme. J'appelle véritablement chaque député à voter en son âme et conscience. L'attente des personnes en situation de handicap est très forte, nous nous devons de ne pas la décevoir.
Nous nous réjouissons que les articles 2, 4 et 4 bis de ce texte soient d'ores et déjà adoptés. Ainsi, la barrière d'âge pour demander la PCH est portée de 60 à 65 ans, les primes versées aux sportifs de l'équipe de France médaillés aux Jeux paralympiques sont exclues du calcul du plafond des ressources et la majoration du plafond de cumul de l'AAH et de la rémunération garantie pour les travailleurs en établissements et services d'aide par le travail (ESAT) est supprimée.
Toutefois, en cohérence avec les positions qu'il a déjà adoptées à de nombreuses reprises, notre groupe demandera la suppression des articles 3 et 3 bis, portant d'une part sur la déconjugalisation et d'autre part sur la création d'un régime transitoire. Nous restons en effet très attachés à la préservation de notre système de protection sociale, fondé sur la solidarité familiale et nationale, et considérons que la déconjugalisation de l'AAH ouvrirait une brèche en termes de justice sociale.
Nous restons néanmoins très attentifs aux alertes lancées par les associations de terrain et voulons trouver une solution pour que les bénéficiaires ne renoncent pas à se mettre en couple en vue de conserver leur allocation. C'est le sens même de l'article 43 du projet de loi de finances pour 2022, qui prévoit un abattement de 5 000 euros. Ainsi, 60 % des bénéficiaires inactifs pourront percevoir une AAH à taux plein, alors qu'ils ne sont que 45 % aujourd'hui. Cela représente un gain moyen de 110 euros par mois pour 120 000 bénéficiaires.
Le Gouvernement et la majorité portent une politique ambitieuse pour améliorer la vie quotidienne des personnes en situation de handicap. L'adoption de ce texte ainsi amendé contribuera très certainement à son enrichissement.
Je voudrais porter ici la parole et les attentes des bénéficiaires de l'AAH, qui ne demandent pas son augmentation, mais souhaitent un mode de calcul qui la rende plus propice à leur autonomie et qui soutienne leur indépendance financière dans leur couple. Pour cela, son montant doit être déconnecté des revenus de leur conjoint, qui sont souvent plus élevés.
L'AAH, à mon sens, n'est pas un minimum social comme les autres. C'est le Président de la République lui-même qui l'a dit, en décidant, après avoir poursuivi sa revalorisation spécifique, de la retirer du chantier de la refonte des minima sociaux en revenu universel d'activité, au motif que le handicap, contrairement à la précarité et au chômage, n'est pas une « situation transitoire ». Le rapport de préfiguration de la cinquième branche remis par Laurent Vachey préconise d'ailleurs le transfert de l'AAH à la branche autonomie au motif qu'elle n'est pas un pur minimum social mais comporte une part de compensation de la situation particulière des personnes en situation handicap, notamment pour l'accès à un revenu d'activité.
Notre groupe soutient cette proposition de loi dans sa rédaction actuelle et ne souscrit pas à une nouvelle refonte du texte qui se ferait au détriment des bénéficiaires de l'AAH. L'obstination gouvernementale en la matière reste insondable, face aux volontés communes des sénateurs et de l'ensemble des députés d'opposition, et alors même qu'une pétition a été signée par plus de 100 000 citoyens. S'il y a bien un enseignement que nous pouvons tirer de la crise sanitaire que nous traversons, c'est celui de l'urgence à assurer une plus grande justice sociale, notamment pour les plus vulnérables d'entre nous, dont l'autonomie doit être une priorité. Alors sachons réagir.
Cette proposition de loi nous revient très amoindrie en troisième lecture : nos débats se circonscriront à la proposition de déconjugalisation de l'AAH, cette fois sous la forme d'un droit d'option dans la prise en compte des revenus du conjoint. Nous nous sommes déjà exprimés à plusieurs reprises sur le sujet, notamment en octobre à propos de la proposition de loi d'Aurélien Pradié.
Au‑delà du risque de remise en cause générale de notre système de solidarité qui existerait si toutes les allocations venaient à être déconjugalisées, ce sont nos approches philosophiques du handicap qui divergent. Vous avez une approche individuelle, dans laquelle le handicap doit être pris en compte par une allocation. Sans méconnaître l'intérêt d'une aide au revenu, nous considérons que cette approche ne règle pas grand-chose. Nous préférons, à l'instar de la politique menée par Sophie Cluzel, une approche collective, qui permette de favoriser l'intégration des personnes souffrant de handicap au travail, de proposer des logements adaptés, de développer l'inclusion à l'école ou de travailler à l'élargissement de la PCH, entre autres.
En matière d'AAH, la solution proposée par le Gouvernement au sein du budget pour 2022 nous semble une alternative autrement intéressante. Passer d'un abattement de 20 % des revenus à un abattement fixe de 5 000 euros permettra d'élargir la base des personnes concernées et surtout de favoriser les plus modestes. Pour cette raison, le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates indépendantes ne votera pas cette proposition de loi.
Cette proposition de loi comporte une avancée majeure pour des centaines de milliers de nos compatriotes, à savoir la déconjugalisation de l'AAH. En résumé, nous sommes amenés ce matin à décider si nous souhaitons que nos concitoyennes et nos concitoyens en situation de handicap accèdent ou non à l'autonomie, si oui ou non nous voulons leur donner les moyens d'être indépendants. À titre personnel, je réponds oui sans la moindre hésitation.
Le mécanisme de l'AAH est en effet profondément injuste. Des institutions nationales comme la Défenseure des droits ou la CNCDH jugent que le mode de calcul décidé par le Gouvernement est contraire aux « droits à la dignité, à l'autonomie, à la possibilité de faire librement ses propres choix et à disposer d'un niveau de vie adéquat » et qu'il « entrave le droit à vivre en couple ou à fonder une famille ». Selon les rapporteurs, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies a lui aussi dénoncé ce mode de calcul et enjoint à la France de se mettre en conformité avec ses engagements en matière de droits humains.
Nous le devons à toutes les personnes en situation de handicap, à leurs associations représentatives, ainsi qu'aux 100 000 Français qui ont signé la pétition en faveur de la déconjugalisation de l'AAH. Leur mobilisation ne doit pas rester sans réponse. Nous ne pouvons pas laisser les personnes porteuses de handicap dépendre exclusivement des revenus de leur conjoint. C'est contraire à toute justice sociale et à l'esprit même de cette allocation, qui est justifiée par le handicap d'une personne et non par sa situation familiale.
Nous devons nous montrer à la hauteur. Alors que des millions de Français se désintéressent de la politique, pensant qu'elle est devenue inutile, montrons-leur qu'elle peut encore changer le quotidien des gens et votons sans réserve en faveur de cette proposition de loi.
Au nom des députés du groupe UDI et Indépendants, je salue la persévérance de Jeanine Dubié et le travail de Stéphane Peu, dont le groupe a permis de remettre cette proposition de loi à l'ordre du jour. Nous la soutenons, tout en rappelant les efforts qu'a accomplis le Gouvernement pour revaloriser l'AAH au cours du quinquennat.
La loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a encouragé la société française à porter un regard totalement différent sur la question du handicap. Elle a aussi instauré les maisons départementales des personnes handicapées.
Je considère qu'en 2021, l'AAH peut être qualifiée de prestation universelle. Si je soutiens le présent texte, c'est parce qu'avec la déconjugalisation, nous pourrons dire à une personne en situation de handicap que, quels que soient les revenus de son conjoint ou les revenus extérieurs dont son foyer peut bénéficier, l'AAH lui sera versée, parce qu'elle est liée à son handicap. C'est une prestation universelle qui l'accompagnera tout au long de sa vie.
Nous devons aujourd'hui faire progresser ce droit nouveau. Toutes les associations le demandent, et beaucoup de parlementaires, notamment dans les oppositions. Au nom du groupe UDI et Indépendants, j'insiste sur le caractère universel de cette prestation, à laquelle le vote de ce texte conférerait un nouvel éclat.
En écoutant ceux qui se sont contentés de s'opposer une nouvelle fois à cette mesure de justice sociale, ma grand‑mère aurait dit qu'il vaut toujours mieux entendre ça que d'être sourd. L'humanité avec laquelle cette proposition de loi traite la question et l'affirmation qu'elle fait de l'universalité de l'AAH expliquent que le groupe communiste, par la voix de Stéphane Peu, ait associé à sa démarche Jeanine Dubié, son initiatrice. C'est vous dire dans quel état d'esprit d'ouverture nous sommes.
Les personnes handicapées n'auraient-elles pas droit à l'amour ? C'est la question qui nous est posée, seize ans après la loi de 2005. En plus de souffrir encore d'un grand nombre de discriminations dans notre société – au travail, à l'école, dans l'accès aux droits, l'aménagement des espaces, l'accès aux logements – les personnes handicapées sont empêchées de vivre leur vie affective. L'AAH dans sa version actuelle, dont le calcul repose sur les revenus du foyer et non sur ceux du bénéficiaire, a renforcé l'idée qu'il existait bien, et vous le confirmez aujourd'hui, un prix à l'amour pour les personnes en situation de handicap. Le prix qu'elles doivent payer pour aimer, c'est leur autonomie. C'est de cela qu'il s'agit.
Deux mots sont pourtant essentiels pour comprendre ce que devrait vraiment être l'AAH : « adulte », parce que les citoyens qui bénéficient de l'AAH sont des citoyens à part entière, et « autonomie », parce qu'il ne s'agit pas d'une aumône, mais d'un objectif de solidarité nationale.
Les personnes handicapées ne doivent plus avoir à choisir entre une vie de couple, une vie affective, une vie amoureuse, et leur indépendance financière. On vient de me donner beaucoup de leçons, à propos du texte précédent, mais je vous le dis : si vous ne répondez pas à cette proposition qui fait consensus au Sénat, à l'Assemblée et parmi ceux qui œuvrent au sein du mouvement associatif, alors vous devrez expliquer aux personnes en situation de handicap pourquoi vous leur avez refusé ce droit à l'autonomie et à l'amour.
Madame Hammerer, j'ai bien écouté votre explication. Vous vous dites satisfaite des articles qui ont déjà été votés, mais j'insiste sur la situation d'inégalité que vous allez créer en refusant les articles 3 et 3 bis alors que l'article 2 est déjà voté. Ce que nous demandons à propos des ressources, vous l'acceptez pour les travailleurs en ESAT, mais pas pour les autres. Cela me paraît incongru et incohérent.
Monsieur Perrut, merci pour votre soutien. Je salue comme vous le travail fait par les sénateurs du groupe Les Républicains, et remercie une fois encore Philippe Mouiller d'avoir amélioré cette proposition de loi et travaillé ses effets de bord. Le dispositif transitoire permet de ne laisser personne sur le bord du chemin.
Monsieur Turquois, nous n'avons pas la même perception de ce sujet. Sans rouvrir le débat, je veux juste vous dire que ce texte donne à chaque personne en situation de handicap le droit de choisir librement son mode de vie. La déconjugalisation, c'est la reconnaissance effective de ce droit à une vie autonome. On peut discuter des détails pendant des heures, mais le principe est que cette prestation doit être allouée à celui qui est dans l'incapacité, partielle ou totale, d'exercer une activité salariée qui lui donnerait son autonomie.
Merci, monsieur Aviragnet, de votre soutien depuis le début de ce texte.
Monsieur Benoit, vous avez ô combien raison de rappeler que des mesures positives ont été votées pendant ce quinquennat – mais c'est le cas à chaque législature ! Je vous remercie tout particulièrement d'avoir insisté sur le caractère universel de cette prestation. C'est un terme que je n'utilisais pas, mais qui exprime effectivement parfaitement le sens de ma demande d'individualisation de la prestation.
Enfin, monsieur Jumel, merci de soutenir cette proposition, et une nouvelle fois merci à votre groupe d'avoir bien voulu la réinscrire dans sa journée de « niche ». Je sais très bien qu'en faisant ce choix, on doit laisser un autre texte de côté. C'est que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine porte une attention toute particulière à ce sujet et souhaiterait le voir enfin traité avant la fin de cette législature.
Quelques remarques complémentaires.
D'abord, personne, ni Jeanine Dubié, ni moi, ni quiconque soutient ce texte n'a minimisé ou nié les avancées qui ont été faites au cours de cette législature sur la question du handicap, à commencer par la revalorisation de l'AAH. Mais restons modestes : à taux plein, elle reste en dessous du seuil de pauvreté. Félicitons-nous de l'avancée, mais restons lucides.
Ensuite, il n'est historiquement pas vrai de dire que l'AAH est un minimum social. Je vous invite à vous reporter à sa création : ce n'est pas si vieux que ça, cela remonte à 1975. C'est Simone Veil qui a promu ce dispositif nouveau, assistée de son secrétaire d'État à l'action sociale, René Lenoir. Ils sont intervenus devant l'Assemblée, ils ont expliqué pourquoi il fallait une allocation aux adultes handicapés dans notre pays. Relisez Simone Veil : jamais il n'a été question d'assimiler l'AAH à un minimum social ! Il s'agissait d'un revenu d'autonomie de la personne handicapée. Il est erroné et fallacieux de traiter aujourd'hui l'AAH comme un minimum social alors que cela n'a jamais été dans son esprit.
Comme M. Perrut l'a dit d'ailleurs, le Président de la République lui-même, devant la Conférence nationale du handicap, a sorti l'AAH du chantier sur les minima sociaux éventuellement amenés à converger dans un revenu universel d'activité. Attention à ne pas vouloir être plus royaliste que le roi !
Enfin, écoutons les associations de personnes victimes de handicap, qui sont absolument unanimes sur le sujet. Elles en font toutes, dans toute leur diversité, une question d'autonomie, et donc de dignité. Elles sont aussi sensibles à un autre argument, que nous utiliserons autant de fois que nécessaire, selon lequel cette proposition va dans le sens de l'histoire. En 1967 – ce n'est pas si vieux – les femmes n'avaient pas le droit d'ouvrir un compte en banque ni d'avoir un chéquier sans l'accord de leur mari. C'est du même registre : quelle que soit sa situation maritale ou familiale, on a droit à l'autonomie, même quand on est porteur de handicap.
Ne faites pas un contresens sur la nature de l'AAH, qui n'est pas un minimum social, et ne faites pas un contresens historique : c'est toujours une évolution positive pour la société que de garantir l'autonomie et la dignité des personnes, quelles qu'elles soient. C'était vrai pour les femmes il y a quelques années, c'est vrai aujourd'hui pour les personnes victimes de handicap.
Article 3 : Suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation aux adultes handicapés et de la majoration de son plafonnement
Amendement de suppression AS1 de Mme Véronique Hammerer.
Nous comprenons bien que la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul du montant de l'AAH suscite l'incompréhension. Mais, encore une fois, nous considérons l'AAH comme un minimum social. Dès lors, nous estimons que l'individualisation de cette allocation mettrait à mal un système fondé sur la solidarité familiale et nationale.
Je ne rappellerai pas ce que nous avons fait, notamment l'abattement forfaitaire de 5 000 euros sur le revenu du conjoint. Mais puisque vous invoquez la dignité et la nécessité de renforcer l'autonomie, je vous réponds que c'est par le biais de la PCH que nous y arriverons. Il y a un chantier énorme à mener, notamment pour ce qui est de son volet consacré à l'aide humaine. Il faut des évolutions concernant par exemple le droit aux loisirs, qui n'est actuellement pas compris dans l'aide humaine, ou les charges sociales dont doivent s'acquitter les personnes en situation de handicap en tant qu'employeurs, que la PCH ne suffit pas à couvrir. C'est cet outil qui permettra d'assurer l'autonomie et la dignité de la personne.
Encore une fois, nous sommes fondamentalement contre l'individualisation de l'AAH. C'est pourquoi nous proposons de supprimer l'article 3.
Je ne reviendrai pas sur la nature de l'AAH, ni d'ailleurs sur les contraintes budgétaires qui existent. À l'autonomie financière, nous préférons l'autonomie qui construit des solutions, par exemple en matière de logement, de simplification des démarches administratives – le fait de ne plus être contraint de renouveler sa demande d'AAH tous les cinq ans lorsque son handicap n'est pas susceptible d'évoluer marque une véritable avancée – ou en matière d'emploi. Nous privilégions la dimension collective plutôt qu'une réponse individuelle. C'est pourquoi nous sommes défavorables à l'article 3.
La méthode est toujours la même : comme pour le texte précédent, vous proposez de supprimer chaque article. On le constate depuis le début de la législature, tout ce qui ne vient pas de la majorité est considéré comme nul et non avenu. C'est un peu lassant, mais cela n'entame pas notre détermination.
L'AAH est versée à des personnes dont le taux d'incapacité est d'au moins 50 % et qui se trouvent, de ce fait, assez durablement éloignées de l'emploi, donc de revenus. Elle n'est pas un minimum social destiné à pallier une difficulté de manière transitoire. Il s'agit d'une allocation d'autonomie due à nos compatriotes victimes de handicap, en raison de leurs difficultés durables à mener une vie professionnelle normale.
J'ajoute, car tout le monde semble l'oublier, que notre législation est en contradiction avec des conventions sur les droits de la personne handicapée que la France – pays des droits de l'homme, dit-on – a signées, au point qu'elle se fait rappeler à l'ordre, voire condamner, par les instances internationales chargées de contrôler l'adéquation des législations nationales aux conventions. Cela suscite tout de même des interrogations sur l'attitude rétrograde de notre pays s'agissant d'une question aussi fondamentale que celle des droits de l'homme et de la dignité de la personne.
Avis défavorable, bien sûr.
Madame Hammerer, les prestations relevant de la solidarité familiale sont régies par le code de l'action sociale et des familles – dans ce domaine-là, vous avez raison, la solidarité familiale intervient en vertu du principe de subsidiarité. Or l'AAH relève du code de la sécurité sociale, donc de la solidarité nationale et des principes d'universalité et d'uniformité énoncés dans l'ordonnance de 1945.
Quant à la PCH, elle est destinée à compenser la dépendance dans laquelle se trouve la personne en situation de handicap qui ne peut accomplir seule les actes de la vie quotidienne, en lui octroyant une aide humaine ou une aide financière destinée à rémunérer cette aide humaine. En individualisant l'AAH, il s'agit de reconnaître que le handicap prive la personne concernée de la possibilité d'exercer une activité professionnelle. Ce sont deux choses différentes !
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 3 est supprimé.
Article 3 bis : Maintien transitoire des modalités de calcul actuelles de l'allocation aux adultes handicapés
Amendement de suppression AS2 de Mme Véronique Hammerer.
Il s'agit d'un amendement de coordination avec l'amendement de suppression de l'article 3.
Le Sénat avait pris soin de prévoir un mécanisme transitoire aménageant, dans un premier temps, un droit d'option, de manière à atténuer l'impact budgétaire de la mesure.
Que l'ensemble des groupes, de droite et de gauche – à l'exception de la majorité – s'accordent sur une proposition et que vous ne bougiez pas une oreille, c'est désagréable, mais cela reste de l'ordre du débat politique. Mais le fait que vous prétendiez savoir, à la place des intéressés eux-mêmes, ce qui est bon ou non pour eux, est véritablement fascinant. Quelle arrogance ! Si les personnes en situation de handicap et les associations qui les représentent étaient divisées sur la question, on pourrait considérer que notre débat reflète celui qui existe dans la société. Mais, en l'espèce, elles sont unanimes. Votre refus d'écouter les intéressés est insupportable.
Les vociférations de la majorité, destinées à masquer le malaise que provoque sa posture, sont éloquentes. Il est tout aussi éloquent que les Marcheurs soient tantôt pour la collectivisation des droits, tantôt pour leur individualisation, pourvu qu'ils puissent les rogner.
La principale avancée de la loi de 2005 – votée sous l'impulsion du président Chirac, qui savait ce qu'est le handicap – consiste à considérer, dans le prolongement de la loi Veil, que la situation de handicap ouvre un droit individuel à l'accompagnement et à la non‑discrimination. Et voilà que Nicolas Turquois, tout seul dans son coin, réécrit toutes les conventions internationales sur l'accès aux droits fondamentaux des personnes en situation de handicap, contre l'avis de l'ensemble des oppositions, des associations, et des pays qui ont signé ces conventions ! De ce sujet-là également, vous aurez du mal à vous dépêtrer, car il vous faudra répondre de votre refus obstiné d'ouvrir aux personnes en situation de handicap le droit à l'autonomie et à une vie amoureuse.
Non‑discrimination et autonomie – je reprends vos mots : tel est bien notre objectif lorsque nous faisons en sorte de permettre au plus grand nombre de nos compatriotes handicapés de travailler et d'avoir un logement. Quant aux associations, bien entendu qu'elles sont favorables à une augmentation de l'AAH. Mais elles seraient tout aussi favorables au développement des moyens susceptibles d'accroître l'autonomie et de réduire les inégalités !
Encore une fois, nous préférons une réponse collective. Des changements sont en cours, mais ils se construisent sur le temps long. Il est certain que la proposition d'augmenter l'AAH a davantage d'écho médiatique, mais ce n'est pas ainsi que l'on construit des solutions dans la durée.
La question n'est pas celle de l'augmentation de l'AAH : il y va de la conception de cette allocation. C'est sur ce point que nous divergeons. J'en appelle à ceux des membres de la majorité qui ont une formation de travailleur social : la différence entre l'aide sociale et la sécurité sociale, on l'apprend à l'école de service social !
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 3 bis est supprimé.
La commission adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La séance s'achève à treize heures vingt.
Présences en réunion
Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 9 heures 30
Présents. – Mme Stéphanie Atger, M. Joël Aviragnet, M. Didier Baichère, M. Belkhir Belhaddad, M. Julien Borowczyk, M. Philippe Chalumeau, Mme Annie Chapelier, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec‑Le Nabour, Mme Josiane Corneloup, M. Dominique Da Silva, M. Marc Delatte, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu, Mme Catherine Fabre, Mme Perrine Goulet, M. Jean‑Carles Grelier, Mme Véronique Hammerer, Mme Myriane Houplain, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, Mme Geneviève Levy, Mme Monique Limon, M. Sylvain Maillard, M. Didier Martin, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Bénédicte Pételle, M. Stéphane Peu, Mme Michèle Peyron, M. Alain Ramadier, Mme Stéphanie Rist, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Jean-Louis Touraine, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vanceunebrock, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry, Mme Hélène Zannier
Excusés. – Mme Justine Benin, Mme Caroline Fiat, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Carole Grandjean, Mme Claire Guion-Firmin, M. Thomas Mesnier, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Hélène Vainqueur-Christophe
Assistaient également à la réunion. – M. Thierry Benoit, M. Fabien Di Filippo, M. Jean‑Luc Warsmann