Le 2 décembre prochain, veille de la journée mondiale des personnes handicapées, nous serons une nouvelle fois amenés à nous exprimer sur la déconjugalisation de l'AAH, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale. Ce texte, adopté en deuxième lecture par le Sénat le 12 octobre dernier, est inscrit à notre ordre du jour par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l'occasion de sa journée de « niche ». Je l'en remercie chaleureusement.
Le mode de calcul actuel de l'AAH est absurde : nombreux sont les témoignages de personnes en situation de handicap qui renoncent à être en couple ou à vivre avec leur conjoint pour ne pas perdre leur allocation. Il est aussi dangereux : la dépendance financière envers son conjoint est particulièrement problématique pour les femmes victimes de violences conjugales, et constitue un frein supplémentaire pour s'extraire des situations d'emprise. Il est enfin intolérable, car il contrevient au principe d'autonomie des personnes en situation de handicap, et plus largement à leur dignité.
Je rappelle une nouvelle fois que l'AAH n'est pas un minimum social. D'une part, elle est prévue dans le code de la sécurité sociale et non dans celui de l'action sociale et des familles. Ce dernier reprend intégralement à ce sujet les articles du code de la sécurité sociale. Son contentieux relève des juridictions de la sécurité sociale et non pas de l'aide sociale.
D'autre part, par sa nature même, l'AAH ne peut pas être considérée comme les autres minima sociaux. Elle est une aide durable, destinée à des personnes qui ne peuvent travailler qu'à temps partiel, voire pas du tout, et dont la situation n'évoluera pas favorablement, le tout reposant sur des constatations médicales.
C'est pour ces raisons que j'ai déposé l'année dernière la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, qui prévoit l'individualisation de l'AAH dans ses règles de calcul et de plafonnement. Elle a été adoptée en première lecture le 13 février 2020 à l'Assemblée nationale puis le 9 mars 2021 par le Sénat, qui l'a améliorée, grâce au travail de son rapporteur, Philippe Mouiller. À chaque fois, le vote a dépassé les clivages politiques.
En deuxième lecture à l'Assemblée, alors que Stéphane Peu et moi-même étions déjà rapporteurs, la proposition de loi avait été totalement vidée de son contenu par un amendement du Gouvernement et de sa majorité qui substitue au mécanisme d'individualisation de l'AAH un abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint. Ce mécanisme, adopté dans les conditions indignes d'un vote bloqué, se traduit certes par une augmentation de l'allocation pour un certain nombre de bénéficiaires, mais il dénature pleinement l'ambition originelle du texte. Les bénéficiaires de l'AAH l'ont exprimé clairement : ils ne souhaitent pas une augmentation de la prestation, mais la garantie d'une véritable autonomie, la reconnaissance d'une vie autonome.
Ce constat est partagé par les sénateurs, qui ont rétabli, le 12 octobre dernier, la rédaction qu'ils avaient adoptée en première lecture. Nous devons saluer une fois encore la qualité du travail de nos collègues sénateurs, qui ont enrichi la proposition de loi et évité des effets de bord. Le texte nous paraît aujourd'hui tout à fait équilibré, et répond à son objectif initial.
L'individualisation de l'AAH constitue une demande de longue date des personnes en situation de handicap et son adoption serait un fait marquant. D'autres mesures de cette proposition de loi me sont chères, comme le report de 60 à 65 ans de l'âge limite, sauf exception, pour solliciter la prestation de compensation du handicap (PCH), mesure adoptée conforme par le Sénat, ainsi que les dispositions visant à soutenir et à encourager le parcours sportif des personnes en situation de handicap.
Nous ne pouvons ignorer la mobilisation extrêmement forte que suscite cette proposition de loi, en particulier les plus de 100 000 signatures de la pétition en ligne du Sénat, qui l'ont amené à l'inscrire à l'ordre du jour.
Enfin, en revenant sur la déconjugalisation prévue à l'article 3 du texte, le Gouvernement a créé une incohérence juridique. En effet, l'article 2 de la proposition de loi, qui prévoit la suppression de la majoration du plafond de cumul de l'AAH avec la rémunération garantie pour les bénéficiaires en couple, a été adopté conforme par le Sénat en première lecture. Cette situation crée une situation d'inégalité vis-à-vis des autres bénéficiaires de l'AAH, toujours soumis à la conjugalisation de l'allocation.
Je vous invite dès lors à adopter ce texte conforme. J'appelle véritablement chaque député à voter en son âme et conscience. L'attente des personnes en situation de handicap est très forte, nous nous devons de ne pas la décevoir.