Ce rapport étant un travail collectif, collaboratif, je souhaite en préambule remercier les services de la commission et avoir une pensée pour Gilles Lurton. Pierre Dharréville et moi-même sommes très heureux et honorés d'avoir conduit ces travaux sur les GHT et de vous présenter aujourd'hui ce rapport, qui sera le dernier de la MECSS sous cette législature.
S'il est le dernier, ce rapport n'est pas le moindre et il correspond à une attente réelle des Français. La santé est leur première préoccupation, c'est un truisme de le rappeler, surtout dans cette période d'inquiétude liée à la cinquième vague de covid-19. La crise sanitaire est au cœur de ce système de santé et ce rapport est aussi dédié à tous les soignants qui ont montré leur savoir-faire depuis deux ans face à cette crise. Mais nous n'oublions pas l'ensemble des forces de la Nation, les personnels administratifs, les préfectures qui ont aussi montré leur engagement et leur compétence. Cela montre ce que nous aimons de la France.
Notre système de soins est confronté à de grands enjeux avec l'accélération des connaissances, les nouvelles technologies, le virage ambulatoire mais aussi le vieillissement de notre population, avec l'augmentation de la prévalence des maladies chroniques. Nous sommes par ailleurs mis au défi de développer enfin une culture de la prévention et de la santé publique.
J'aimerais m'attarder sur la raison pour laquelle le législateur en est venu à créer les GHT en 2016. Il faut avoir en mémoire que la situation était à l'époque très éclatée avec historiquement des hôpitaux gérés localement, sans coordination nationale. À partir des années 1970, des groupements inter-hospitaliers ont été créés pour mieux structurer l'offre de soins. Par la suite, les groupements de coopération sanitaire (GCS) ont été mis en place, dans lesquels il était possible d'inclure des établissements privés. En 2009, sont arrivées les communautés hospitalières de territoire (CHT).
L'objectif de la création des GHT était de rendre cette coopération obligatoire. En réalité, leur mise en place en 2016 s'est faite un peu dans l'urgence et dans l'improvisation : il a fallu très rapidement arrêter les périmètres de ces groupements et élaborer, pour chacun d'entre eux, un projet médical partagé. Il existe aujourd'hui 136 GHT.
La réforme des GHT a été conçue comme un mélange de prescriptions normatives assez contraignantes, avec parfois un fonctionnement très vertical, et un semblant de liberté laissée aux acteurs de terrain. Les GHT devaient obligatoirement mutualiser certaines fonctions support – achats, systèmes d'information, information médicale – dans des délais très brefs. Ils devaient mettre en place une gouvernance assez étoffée, avec tout de même six instances imposées par la loi, d'où la lourdeur du système. Mais par ailleurs, les acteurs hospitaliers étaient censés avoir la liberté de s'organiser eux-mêmes et la loi ne prévoyait pas de personnalité juridique pour les GHT, avec l'idée que ces structures seraient essentiellement fonctionnelles.
La mise en œuvre n'a finalement pas été si simple et, très rapidement, des tensions – prévisibles – sur la vocation des GHT sont apparues, en raison d'une réflexion insuffisante sur toutes les implications de ce modèle.
En 2016, entre l'objectif d'efficience et celui d'accès aux soins pour tous, il n'était pas évident pour les GHT de savoir lequel devait être poursuivi en priorité. L'accès à des soins sûrs et de qualité pour tous aurait évidemment dû primer, mais finalement c'est la mutualisation des fonctions support qui a concentré les efforts.
Ce flou sur la finalité a contribué à faire que les GHT se sont structurés à des échelles très hétérogènes. Il existe de très grosses structures comme le GHT des Bouches-du-Rhône, qui couvre deux millions d'habitants, tandis que le GHT Saphir, qui rassemble les hôpitaux de Soissons et de Château-Thierry, en couvre dix fois moins. Le général de Gaulle disait qu'il est difficile de gouverner avec 246 fromages, mais je peux vous dire que ce n'est pas simple avec 136 GHT aussi différents !
Nous avons rédigé ce rapport avec modestie et humilité. Nous ne pouvons pas et ne voulons pas vous présenter un modèle unique de GHT. Chaque groupement doit avant tout privilégier la proximité, selon une logique populationnelle.
Une autre tension est apparue à l'usage, entre l'objectif de recomposition de l'offre de soins assigné aux GHT et les leviers opérationnels à leur disposition pour le faire. Dans notre rapport, nous montrons que les GHT n'ont en fait guère d'outils pour inciter les établissements à coopérer. Parfois, il existe même des incitations à ne pas coopérer. La tarification à l'activité (T2A), en particulier, est un puissant facteur bloquant.
J'évoquais aussi la tension entre le caractère normatif de la réforme et la liberté laissée aux acteurs de terrain. Nous avons le sentiment que le côté normatif l'a finalement emporté. D'une part, les délais impartis pour la rédaction des PMP étaient trop brefs pour pouvoir réellement associer des acteurs de terrain. Il faut savoir que ces PMP représentent 17 400 pages et 1 902 filières décrites – 15 par établissement. C'est l'équivalent des travaux d'Hercule en six mois !
Finalement la gouvernance des GHT, organisée autour d'un hôpital support, s'est avérée plus propice aux projets centralisateurs qu'aux initiatives sur le terrain et, alors que nous étions partis d'une réforme qui se voulait pragmatique, avec une approche populationnelle, nous avons raté le virage médico‑social.
Nous nous retrouvons avec une gouvernance très lourde, rigide, plutôt verticale, peu ouverte sur les acteurs du soin, qui a créé de la souffrance à l'hôpital, parce que les soignants veulent travailler dans de bonnes conditions et avoir du temps médical. Nous avons cherché à améliorer les choses sur ce plan depuis cinq ans et nous avançons, mais nous ne sommes pas encore au bout du chemin.
Voici donc le bilan de ce tour de France que nous avons effectué ensemble sur l'action des GHT. Mais il faut continuer ; nous sommes au milieu du gué et la situation est hétérogène. Nous avons vu de belles réalisations. Je pense que nous devons ne pas rater la rédaction des PMP de deuxième génération et nous donner le temps d'évaluer les premiers.