Intervention de Pierre Dharréville

Réunion du mercredi 15 décembre 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville, rapporteur :

Je m'associe aux remerciements déjà formulés aux deux co-présidents et aux services de la commission, ainsi qu'à celles et ceux qui ont accepté d'échanger avec nous et nous ont reçus au cours de cette mission.

Marc Delatte vous a exposé sa vision d'une réforme non dénuée de bonnes intentions mais qui s'est révélée globalement assez inopérante quant aux enjeux de l'accès aux soins et de l'amélioration des conditions de travail. Je partage l'essentiel de ses observations sur les tensions qui s'expriment à travers la mise en œuvre des GHT.

Mais je ne suis pas très surpris qu'il en soit ainsi et je pense que c'était même inéluctable, s'agissant d'une réforme qui s'accompagnait d'un grand plan d'économies, imposé par le vote d'un objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) toujours plus contraint jusqu'en 2021. Cette réforme accompagnait également une amplification du virage ambulatoire qui a débouché sur la suppression de près de 20 000 lits durant cette période. Elle devait être mise en œuvre dans le cadre d'une pénurie croissante de médecins et d'une montée en charge des maladies chroniques.

Nous avons rencontré un hôpital en crise, une crise conjoncturelle et structurelle. Cela nous a sauté aux yeux à chacune des visites que nous avons faites. Établis et pensés comme une pièce maîtresse dans la réponse aux besoins de santé, les GHT n'ont hélas rien changé à cette trajectoire de crise. Ils ont plutôt accompagné un certain nombre d'orientations déjà à l'œuvre.

Je pense que les GHT, tels qu'ils ont été imaginés, se fondent sur un paradoxe, comme nous l'ont dit de nombreux médecins et soignants rencontrés. Je cite une formule que nous avons entendue : « Pour mutualiser, encore faut-il avoir quelque chose à partager. »

Sans surprise, le bilan des GHT déçoit donc, cinq ans après leur mise en œuvre. Pour les différents acteurs rencontrés, il est difficile de dire que les GHT ont amélioré de manière significative l'accès aux soins de nos concitoyennes et concitoyens.

Des coopérations médicales entre établissements ont bien vu le jour, d'ailleurs pas toujours liées aux GHT – nous avons même observé des efforts pour raccrocher à un GHT des coopérations qui s'étaient épanouies en dehors. Il semble que, pour les coopérations médicales, le GHT ne soit pas toujours la bonne échelle, en particulier lorsqu'il s'agit de créer des parcours de soins pour la prise en charge des personnes en proximité. Cela dépend d'ailleurs de la taille des GHT concernés puisqu'il existe tellement de cas de figure différents. Il en va de même pour l'interaction avec la médecine de ville, le médico‑social et l'ensemble des acteurs de soins des territoires.

Les GHT ont eu tendance à se concentrer sur la mutualisation des fonctions support, qui était inscrite dans la loi comme obligatoire. C'est parfois un prérequis nécessaire pour coopérer, notamment pour les systèmes d'information, qui permettent de parler le même langage.

Cette mutualisation des systèmes d'information est un outil indispensable pour construire des parcours de soins coordonnés pour les patients, avec également le défi de renforcer la sécurité informatique des établissements. Cette nécessité s'étend, au-delà de l'hôpital public, à tous les acteurs du parcours de soins. Sur cette question, les GHT ont effectué un travail certain et n'ont pas tous avancé de la même façon. Nous constatons qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir et que les aides financières pour soutenir cette convergence sont insuffisantes. Il faut noter la réticence des petits établissements – et des plus gros – qui doivent abandonner leur système d'information au profit de celui de l'établissement support. Cela suscite des difficultés particulières pour les établissements psychiatriques, qui doivent parfois renoncer à des systèmes mono-activité plus performants.

En revanche, la mutualisation des achats a bien avancé au sein des GHT. Tous ont désormais une direction des achats unique, gérée par l'établissement support. Pour autant, nous n'avons pas été en mesure d'identifier une amélioration du service rendu du fait de cette mutualisation, en particulier pour les médecins et soignants des établissements concernés.

Dans tous les GHT où nous sommes allés, on nous a dit combien la mutualisation des achats était source d'une complexité accrue, parfois de délais, voire d'une perte de qualité, notamment lorsque certains établissements doivent renoncer aux prestataires locaux qu'ils connaissent bien, avec lesquels ils ont une relation ancienne, avec lesquels la patientèle peut également avoir une relation privilégiée. Cela peut avoir des effets économiques et sociaux plus larges, au-delà de l'hôpital public, notamment lorsque le GHT conduit à recourir à de très grandes entreprises plutôt qu'aux fournisseurs locaux.

La formation faisait aussi partie des fonctions support que les GHT devaient mutualiser. Nous voyons bien, au stade où nous en sommes, le caractère crucial de cet enjeu sur lequel les GHT auraient sans doute pu trouver une utilité un peu plus forte que cela n'a été le cas.

La mise en place des GHT a permis une multitude d'échanges, comme cela nous a beaucoup été dit lors des auditions. Lorsque nous avons échangé avec les directions des établissements, nous avons constaté leur engagement très fort dans la construction des réponses à l'échelle du GHT, avec beaucoup de temps et d'énergie consacrés à mettre en place cette réforme. Lorsque nous interrogions les médecins, le principal apport qu'ils voyaient au GHT était l'organisation de ces rencontres, de ces échanges autour de projets pour les patients dans les territoires. Nous avons entendu parler de soignants qui découvraient leurs collègues d'autres hôpitaux, qui échangeaient sur leurs pratiques, de médecins de plus en plus nombreux à être tentés par un exercice médical à temps partagé sur plusieurs sites, dans une logique gagnant-gagnant. Il faut considérer que c'est un acquis de cette réforme.

Toutes ces dynamiques sont positives. Pour autant, pouvons-nous considérer que le résultat est à la mesure du chantier pharaonique qu'a été la mise en œuvre des GHT ? La Cour des comptes estime que la seule rédaction des projets médicaux partagés des GHT, dont les effets semblent modestes, a mobilisé entre soixante‑quatorze et cent vingt‑quatre directeurs, médecins et cadres de santé à temps plein pendant un an, durant la période de crise que nous avons traversée.

Au quotidien, la réforme se traduit par des instances de gouvernance supplémentaires, des déplacements, de longues heures de discussion dans le cadre de groupes de travail multiples pour discuter de projets qui, lorsqu'ils font consensus, se heurtent quand même parfois, voire souvent, à des problèmes de financement.

Je veux évidemment saluer, avec Marc Delatte, l'ensemble de la communauté hospitalière, qui n'a pas compté son temps et son énergie pour mettre en œuvre les obligations imposées par la loi. Je voudrais vous dire combien j'ai été marqué par une rencontre avec une soignante d'un hôpital de proximité qui, à la question de savoir ce que le GHT avait concrètement changé pour elle, nous a répondu qu'elle ne voyait plus sa cadre de santé, toujours mobilisée dans les instances et pour des réunions diverses.

Au terme de ce bilan, la question que nous posons dans notre rapport est la suivante : les GHT sont-ils l'outil adéquat pour faire face aux enjeux les plus urgents de notre système de soins ?

La direction générale de l'offre de soins (DGOS) estime que la mutualisation des achats s'est traduite par des gains sur les achats. Cela semble quand même être un concept un peu étroit, qui ne permet pas de prendre en compte les coûts complets associés à cette mutualisation, sans parler des coûts d'opportunité, de l'appréciation de la qualité du service rendu ou même du coût écologique de cette mutualisation, avec la multiplication des déplacements entre les sites des GHT. J'ai posé la question de savoir si nous avions un bilan carbone de la mise en place des GHT. Pour l'heure, nous n'en disposons pas, alors que je pense que la question serait intéressante.

Il faudrait aussi mesurer l'impact en matière de sous-traitance de la mise en œuvre des GHT et vérifier que cela permet bien un développement du service public. Un certain nombre d'interrogations nous sont parfois remontées à ce sujet. Nous devons disposer d'une évaluation plus précise, à l'échelle nationale, de ce qu'ont permis les GHT.

Nous pensons aussi qu'il serait utile de recenser les modalités de coopération hors GHT qui se sont mises en place avec la crise sanitaire, afin d'avoir un peu de recul sur ce qui fonctionne bien dans chaque territoire.

Je crois finalement qu'il nous faut interroger la logique intégrative des GHT et le risque de fuite en avant dans cette voie, pour peut-être mieux saisir les atouts d'une logique coopérative à laquelle les GHT peuvent fournir un cadre. Ils trouveront leur pleine utilité s'ils permettent le déploiement du service public et la réponse aux besoins de proximité.

Nous pensons qu'il sera impératif de corriger les dysfonctionnements constatés dans les GHT et de modifier en conséquence leur fonctionnement pour ne pas avoir des structures uniquement tournées sur elles-mêmes. Il faudra démocratiser et alléger la gouvernance, imposer un principe de subsidiarité dans l'action des GHT et faire en sorte que leur centre de gravité soit déplacé pour donner la priorité à la proximité. En effet, loin des tentations de centralisation qui ont pu se manifester, nous devons restaurer les moyens d'actions des établissements, qui doivent, à mes yeux, demeurer la cellule de base. Le GHT ne doit pas être le lieu du pouvoir concentré mais l'espace de la coopération et du partage, toujours au service du patient. Il conviendra de ne pas forcer les choses mais de prendre le meilleur de l'expérience qui a été vécue ces dernières années.

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