Face à de nombreuses questions pertinentes qui témoignent de votre activité de parlementaires de terrain, je répondrai de façon plus globale en rappelant d'abord les deux objectifs des GHT, qui sont la stratégie d'égalité d'accès aux soins dans la sécurité et la qualité, d'une part, et la rationalisation des modes de gestion avec la mise en commun des fonctions support et les transferts d'activité entre établissements, d'autre part.
La gouvernance des GHT a ses instances, que sont le comité stratégique, le collège médical, la commission de soins infirmiers, dont l'IGAS préconise d'ailleurs la fusion avec le collège médical, le comité des usagers, qu'il ne faut pas surtout oublier, et le comité territorial des élus locaux. Il faut savoir qu'à partir du 1er janvier 2022, nous aurons des commissions médicales de groupement (CMG) qui permettront que chacun des acteurs trouve sa place dans une vision territoriale.
Cette gouvernance est lourde : dans le GHT Limousin, par exemple, il faut consulter quatre‑vingt‑dix instances pour modifier le projet médical partagé. Dans des GHT de grande taille comme celui des Bouches-du-Rhône, trente‑neuf personnes se retrouvent autour de la table. Dans notre rapport, nous sommes plutôt favorables à la CMG, mais encore faut-il que cette CMG aux pouvoirs élargis laisse toute sa place à la gouvernance médicale, sans centraliser encore cette gouvernance aux dépens des hôpitaux de proximité
Cela rejoint notre recommandation 11, qui vise à étudier les modalités d'une personnalité juridique très souple et limitée pour faciliter le portage de projets au sein des GHT, à condition qu'elle ne se substitue pas à la personnalité juridique des établissements parties.
Nous avons parlé de la T2A, qui est un facteur bloquant dans la structuration et la coopération des établissements. Cela provoque un système gagnant-perdant et des distorsions de concurrence entre établissements. C'est une puissante incitation à ne pas coopérer. Le ministre le réaffirme d'ailleurs : il faut que ce système de T2A évolue pour aller dans une logique de parcours de soins en amont et en aval, ce qui nécessite d'impliquer le secteur privé, les établissements médico‑sociaux et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Nous avons eu une audition très intéressante avec le représentant des CPTS. Elles sont actuellement au nombre de 670 et se multiplient rapidement. Elles s'organiseront en inter-CPTS qui seront plus à même d'interagir avec les GHT.
Nous pourrions dire que la solution serait de fusionner les budgets des établissements des GHT, mais ce n'est pas toujours adapté. Cela dépend de la maturité des coopérations. Il faut ainsi respecter le tempo de chacun et s'adapter à la dimension des projets. C'est ainsi que nous pouvons avancer et susciter la reconnaissance des personnels.
Encore faut-il leur donner les moyens nécessaires, comme nous l'avons vu avec l'« article 51 », dont les soignants se sont emparés : il a eu un succès fou, qui a dépassé les budgets, et cela montre qu'il est possible de combattre l'amertume et les souffrances des soignants en leur donnant des moyens.
Je parlais précédemment des directeurs, qui sont acteurs de leur établissement avant d'être acteurs du GHT. Ils sont évalués par les ARS en fonction des résultats financiers de leur établissement et, de ce fait, le problème est plus facile lorsque les établissements du GHT sont en direction commune. Toutefois, ce n'est pas toujours souhaitable, notamment quand les GHT sont pléthoriques ou que les établissements sont éloignés de l'hôpital support. Je pense à l'exemple de Gournay-en-Bray, qui se situe à une heure de route du CHU de Rouen.
Nous avons parlé aussi de l'évolution de la prime d'exercice territorial. Il faut voir l'effet structurant qu'il y a à employer des praticiens en temps partagé. Je ne pense pas du tout au « médecin sac-à-dos » pour pallier les manques et « boucher des trous » mais je le conçois une logique de GHT et une logique populationnelle. Pour le moment, pour employer un médecin sur plusieurs sites, il faut signer une convention avec chaque établissement concerné ; je crois qu'être médecin de GHT éviterait des redondances et permettrait des procédures plus souples. Ceci est un élément très structurant.
Vous avez parlé d'autorisations sanitaires. La Cour des comptes le dit : c'est le principal outil permettant de structurer l'offre de soins sur le territoire. Il faut essayer d'accorder le projet régional de santé (PRS) avec le PMP mais il faut que le régime juridique de ces autorisations évolue car il ne s'y prête pas. L'idée serait de disposer d'autorisations sanitaires collectives.
La DGOS préconisait plutôt une procédure de demande d'avis du comité stratégique pour toute demande d'autorisation sanitaire déposée par un établissement partie, de façon à s'assurer de la cohérence entre le PMP et le PRS. En tout cas, il faut absolument aller plus loin que ce que prévoit l'ordonnance du 12 mai 2021 sur ce point.
Vous avez judicieusement parlé de la HAD dans l'approche populationnelle. Elle en fait partie intégrante, avec la médecine de ville, les cliniques privées, le secteur médicosocial. Dans la réforme de 2016, ces aspects étaient très secondaires et la fédération de l'hospitalisation privée dit d'ailleurs qu'il s'agit d'une réforme de l'hospitalisation publique, et non d'une réforme de la santé.
La loi donne la possibilité d'associer des établissements privés aux GHT. Or, en 2019, d'après le rapport de l'IGAS, moins de 50 % des GHT avaient passé des conventions de partenariat avec un établissement de santé privé d'intérêt collectif ou avec un établissement privé à but lucratif. C'est une revendication forte de la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France et de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés. J'espère qu'elle sera entendue.
Vous avez parlé d'une focalisation sur le champ sanitaire au détriment du médico‑social et vous avez souligné la différence entre l'acte et le parcours. Finalement, même si les PMP ont englobé la thématique du médico‑social, le sujet est resté en marge de la réforme. Au 1er janvier 2020, d'après la Cour des comptes, seulement 7,5 % des établissements médico‑sociaux (EMS) étaient associés aux GHT, indépendamment des établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) hospitaliers. Cela signifie que seuls 78 EMS autonomes étaient membres de 28 GHT sur 136.
Nous constatons donc un cloisonnement, avec une absence de politique financière globale qui nous permettrait d'avoir un outil fonctionnel.
Sur la HAD, la Cour des comptes souligne effectivement qu'il s'agit d'une occasion manquée : un tiers de la HAD n'a pas été associée à l'élaboration des PMP. Luttons donc contre cette vision trop hospitalo-centrée et développons les équipes mobiles, que ce soit en gériatrie, en soins palliatifs ou en chimiothérapie par exemple. Je crois qu'il faut nous adapter. C'est une plus-value, c'est progresser vers une stratégie de l'« aller vers » face aux réalités d'aujourd'hui.
Les PMP n'ont pas toujours associé le personnel soignant et ne sont pas à la hauteur de leurs espérances. Nous le voyons avec cet exemple du centre hospitalier de Martigues, dont le PMP soulignait le déficit de lits en psychiatrie et prévoyait l'ouverture de 25 lits supplémentaires ; à ce jour, il n'a pas eu l'autorisation nécessaire pour les ouvrir. Les GHT n'ont d'avenir que s'ils partent du terrain, dans une logique ascendante.
D'après la Cour des comptes, la réforme des GHT a eu un coût brut évalué à 140 millions d'euros, auxquels il faut ajouter les dotations accordées dans le cadre du fonds d'intervention régional. La mutualisation des fonctions support doit être évaluée à l'aune du service rendu au patient, de la qualité de vie au travail et de l'impact social et environnemental. Vous retrouvez dans nos recommandations le souhait de plus d'écoute, de confiance et de souplesse.
Sur la fonction achats, il faut savoir que la mutualisation permet effectivement des économies de coûts tarifaires et une meilleure sécurité juridique mais, en même temps, les établissements parties nous disent qu'il faut former un délégué achats et les accompagner davantage. Ils se plaignent aussi de perdre leurs fournisseurs locaux, d'avoir des produits moins spécifiques et de ce que les délais augmentent. Par exemple, à Château‑Thierry, où ils souhaitaient acheter des fauteuils adaptés, cela prend du temps – et même beaucoup trop de temps.
Il faut donc renforcer l'évaluation de la mutualisation des achats et en apprécier les effets macroéconomiques. La différence entre les gains théoriques et les gains budgétaires tangibles est difficilement contrôlable, comme le dit la Cour des comptes. De plus, entre 2015 et 2018, la dépense budgétaire liée aux achats a augmenté, même en neutralisant l'évolution des prix. Pour savoir où nous en sommes aujourd'hui, une évaluation est nécessaire.
La question des systèmes d'information (SI) est très importante. Nous avons parlé de la sécurité informatique et des cyberattaques mais il faut aussi développer des schémas directeurs de SI communs pour une convergence, avec un dossier patient informatisé commun, une identification unique commune. C'est assez ardu parce que l'hétérogénéité est importante. Nous avons finalement mobilisé des financements en faveur de la convergence mais de façon non spécifique et, surtout, des financements régis par la règle du financement à l'usage, c'est-à-dire octroyés une fois que le système a été mis en route.
Le programme HOP'EN doit évoluer ; 465 millions d'euros ont été ajoutés lors du Ségur numérique pour le volet « équipement » et 260 millions d'euros pour le volet « usage ». Cela va dans le bon sens pour la mise en œuvre du référentiel socle pour l'interopérabilité mais, d'après la Cour des comptes, il faudra ajouter au budget environ 250 millions d'euros pour les charges d'exploitation.
Sur les périmètres dysfonctionnels, je crois qu'il faut procéder à des audits, comme cela a été fait pour le GHT Saphir : finalement, le divorce n'a pas été prononcé car les parties sont reparties en « mode projet » et que des moyens leur ont été donnés pour le faire. Je n'ai pas de réponse générale mais je ne pense pas qu'il faille trancher à la hache les périmètres. Cela ne paraît pas pertinent.
Dans le cadre des PMP de deuxième génération, il importera de recentrer les projets des GHT sur quelques filières prioritaires. Il faudra rationaliser, en se donnant d'abord le temps d'évaluer les premiers PMP.
Il est grand temps de tenir compte de la dimension de santé publique et de la prévention. Je rappelle toujours que 12 000 décès de personnes âgées sont liés chaque année à des chutes qui, dans la majeure partie des cas, pourraient être évitées. Si nous ne développons pas en amont la prévention, nous continuerons d'alimenter nos hôpitaux avec les complications des maladies chroniques. Il est urgent de s'en occuper, avec la problématique de vieillissement que nous connaissons.
La démographie médicale reste un facteur bloquant mais il existe des solutions. Les temps médicaux partagés ne sont pas la seule réponse ; le numerus clausus a été remplacé par un numerus apertus mais il faut du temps pour que cela produise ses effets.