Intervention de Denis Morin

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h30
Commission des affaires sociales

Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Merci de nous entendre sur ce rapport que la Cour a remis suite à la demande de votre commission.

Outre M. François de La Guéronnière, président de section, je suis accompagné de Mme Clélia Delpech, de M. Charles Persoz et de Mme Isabelle Burkhard, les rapporteurs, qui ont aussi préparé le document PowerPoint qui sert de support à notre présentation.

Le sous‑titre de ce rapport, « Une politique à refonder pour réduire les inégalités sociales et territoriales de santé », aurait été tout aussi valable il y a cinq, dix ou même vingt ans : comme souvent en matière de santé publique et de prévention, on ne peut en effet pas dire que l'action publique se déploie avec toute l'efficacité nécessaire. Le constat est quelque peu accablant, même s'il existe des points d'amélioration, que nous soulignons.

Les travaux que nous avons menés en matière de prévention, souvent d'ailleurs à la demande de l'Assemblée nationale, sur les grandes pathologies l'année dernière, sur l'obésité il y a deux ans ou encore sur l'autisme en 2017, montrent qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir pour répondre aux besoins des patients ou aux demandes des familles.

La santé des enfants étant un vaste sujet, tant par la population concernée que par les thèmes à aborder, nous avons été conduits, en lien avec la commission, à circonscrire nos travaux aux enfants de 0 à 11 ans révolus, soit 9 millions de personnes et 14 % de la population française. Nous avons inclus l'ensemble des actions menées par les divers acteurs, en particulier par le ministère de l'éducation nationale – la Cour ayant produit il y a deux ans un rapport spécifique sur la médecine scolaire – et par les collectivités territoriales à travers notamment les services de PMI.

A été en revanche exclu tout ce qui relève de l'accueil du jeune enfant. Je signale que nous travaillons pour le mois d'octobre prochain sur la prestation d'accueil du jeune enfant. Nous ne sommes pas entrés dans les détails en matière de périnatalité, un thème sur lequel nous travaillons de façon récurrente et qui est inscrit à notre programmation pour 2022, et pour lequel les indicateurs sanitaires ne sont pas très bons. Nous n'abordons pas non plus l'autisme, le dernier rapport datant de 2017, ni la santé mentale, sur laquelle nous reviendrons sans doute ultérieurement, en lien avec la crise sanitaire.

Au‑delà des acteurs nationaux, nous avons effectué des déplacements dans quatre régions – l'Île‑de‑France, les Hauts‑de‑France, La Réunion et l'Occitanie – et neuf départements, où nous avons chaque fois rencontré les représentants des agences régionales de santé (ARS), des rectorats, des inspections d'académie, des conseils départementaux, des associations de prévention et de promotion de la santé et des structures de soins primaires.

Nous avons également souhaité faire des comparaisons internationales et, en dépit d'un cruel manque de données, avons pu obtenir un certain nombre d'éléments de la part de l'Organisation de coopération et de développement économiques et de l'Organisation mondiale de la santé pour nous situer par rapport aux pays comparables.

Nous avons aussi pu conclure un partenariat avec l'Institut national d'études démographiques (INED) afin d'exploiter les données de ce que l'on appelle la cohorte Elfe (étude longitudinale française depuis l'enfance), qui suit 18 000 enfants sur la durée.

Nous avons recherché ces données un peu à l'aveugle, car l' open data est très loin de s'appliquer facilement dans ce domaine. C'est d'autant plus étonnant que le sujet est à l'évidence essentiel – la santé des enfants d'aujourd'hui est celle des adultes de demain et l'espérance de vie d'après‑demain. Notre première observation porte donc sur le manque cruel de données aisément disponibles, qui empêche de retracer fidèlement l'état de santé des enfants dans notre pays.

Les indicateurs que nous avons pu suivre permettent de noter un certain nombre d'améliorations, en matière de mortalité, de surpoids au jeune âge – la situation se stabilise alors qu'elle continue à se dégrader dans certains pays voisins, sans même parler des États‑Unis – et de santé dentaire. En l'espèce, l'amélioration doit probablement être reliée à la campagne « M'T dents » menée par l'assurance maladie, qui a manifestement produit des effets. Quand un acteur majeur de santé public se mobilise, ça marche !

Des progrès restent à accomplir, à commencer s'agissant de la mortalité au jeune âge : les indicateurs de mortalité maternelle – c'est peu connu – et infantile au très jeune âge sont mauvais. Nous occupons une place médiocre en matière de vaccination, notamment contre la rougeole. Il en va de même s'agissant de la qualité de l'alimentation : nous sommes en la matière très loin des initiatives qui ont pu être prises concernant le tabac ou plus modestement l'alcool.

Deuxième observation, pour le coup très documentée : nous confirmons les inégalités sociales et territoriales qui sont observées depuis vingt ans. Ainsi, l'obésité a un fort gradient social, comme on peut le constater rien qu'en regardant autour de soi. Il en va de même pour la prévalence des caries.

La troisième observation porte sur les masses budgétaires en jeu. Ces données n'existent pas en tant que telles et c'est la Cour qui a procédé au chiffrage. Elle a mesuré les dépenses associées à la santé des enfants à 8,9 milliards d'euros pour 2019, c'est‑à‑dire avant la crise, dont 3,3 milliards au titre des dépenses de soins de ville, autant au titre des dépenses en établissements, et 2 milliards au titre de la prévention, dont 1,3 milliard pour la médecine scolaire et 500 millions pour la PMI.

Ces masses sont significatives mais employées, pour utiliser le langage poli de la Cour, de façon non suffisamment efficiente. Bref, 9 milliards, ce n'est pas rien et les résultats ne sont pas à la hauteur.

Pourquoi ? En raison principalement – mis à part une insuffisance ponctuelle de moyens sur un segment ou l'autre, le grand âge par exemple – d'une inorganisation générale des acteurs, ce qui est un sujet récurrent, et d'une commande interministérielle insuffisamment ferme, en dépit de progrès obtenus grâce à un comité interministériel qu'il faudrait réactiver. Les structures étatiques en cause sont lourdes à remuer : médecine scolaire, PMI. Dans cet univers, chacun fait quelque chose dans son coin mais la coordination est insuffisante.

Selon la carte de l'implantation des services territoriaux, les seuls services qui contribuent à compenser, dans la limite de leurs moyens, les inégalités territoriales sont les services de PMI. Leur densité est inversement proportionnelle à celle des médecins généralistes, sans parler de celle des pédiatres. On aurait pu penser que la médecine scolaire contribuait aussi à compenser ces inégalités, mais non : son implantation est la même que celle des médecins et pédiatres, avec de la densité à la périphérie du pays, sur les façades atlantique et méditerranéenne, et bien sûr dans les grandes métropoles, alors que tout le centre et une partie du Nord sont peu couverts.

La carte de la densité des professionnels de PMI pour 100 000 enfants de moins de 6 ans en 2019 révèle à l'inverse, donc, une densité importante dans toute la partie centrale du pays, des Hauts‑de‑France au sud de l'Occitanie, où prévalent de fortes inégalités sociales et territoriales. Si l'on regardait plus finement, en Île‑de‑France, la situation de la Seine‑Saint‑Denis, on y verrait une densité de médecins libéraux extrêmement faible et en revanche une activité de PMI extrêmement forte. J'insiste, car le constat est frappant.

Nous formulons un certain nombre de recommandations pour répondre au constat de l'inefficience de la politique en faveur de la santé des enfants malgré l'importance des enjeux qui lui sont liés. Elles visent à améliorer la gouvernance et le pilotage, et à renforcer l'offre de soins à destination des enfants. La coordination doit être améliorée au niveau national, ce qui est malheureusement assez courant en matière de santé publique, mais aussi à l'échelon régional. En effet, pourtant implantées depuis 2009, les ARS ont beaucoup de mal à entraîner les acteurs publics territoriaux de l'État, sans parler des collectivités locales, dans une vision partagée. Un catalyseur – peut‑être pourront‑elles jouer ce rôle – serait nécessaire au niveau territorial.

Des initiatives ont été prises, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 3DS », visant à transférer la médecine scolaire aux collectivités territoriales. Mais le contexte est globalement marqué par une pénurie de professionnels de santé de premier niveau. Il faut mobiliser davantage les paramédicaux et, au‑delà, tous ceux qui peuvent contribuer au premier recours, y compris l'hôpital local lorsque cela est possible, autour du suivi des enfants.

Les dysfonctionnements de notre système de santé et son insuffisante organisation se retrouvent bien dans la santé des enfants et dans les difficultés à faire progresser l'action publique dans ce domaine de façon plus coordonnée et plus corrélée aux besoins des patients.

Cela exige d'aller au fond des choses : parfois, l'amélioration d'un indicateur cache une dispersion plus forte. Il faut agir spécifiquement à destination de certaines populations, en concentrant les moyens, pour qu'un indicateur s'améliore globalement. C'est ce qu'illustre la politique d'« aller vers » menée actuellement.

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