Intervention de Clélia Delpech

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h30
Commission des affaires sociales

Clélia Delpech, conseillère référendaire à la Cour des comptes :

Je vais reprendre rapidement les principaux constats et messages formulés dans le rapport adressé par la Cour à la commission.

La première des trois parties du rapport concerne l'état de santé des enfants âgés de moins de 12 ans en France : s'il est contrasté, il se situe néanmoins dans la moyenne des pays européens.

Des améliorations sont notables sur certains points, notamment la mortalité des moins de 15 ans, le surpoids, l'obésité et la santé dentaire, en raison des programmes ambitieux menés notamment par l'assurance maladie.

Des difficultés persistent néanmoins : les indicateurs périnataux restent très préoccupants, le taux de vaccination contre la rougeole est parmi les plus faibles de l'Union européenne et certains indicateurs relatifs aux comportements en matière de santé demeurent, au‑delà des enjeux d'alimentation et de consommation de produits sucrés, particulièrement médiocres et potentiellement inquiétants pour l'avenir.

Les analyses tirées des données de la cohorte Elfe, dans le cadre du partenariat avec l'INED, traduisent des inégalités sociales et territoriales fortes en matière d'état de santé des enfants, et ce dès le plus jeune âge.

Le graphique concernant le surpoids et l'obésité chez les enfants de 3 ans et demi en fonction des revenus du foyer fait apparaître un facteur trois entre le premier et le dernier quintile, et même un facteur sept si l'on ne considère que l'obésité. Le graphique qui porte sur la fréquence des caries à l'âge de 5 ans et demi en fonction du revenu est malheureusement de même type. On peut faire des constats comparables concernant le développement du langage, le développement psychomoteur, l'asthme ou les symptômes respiratoires.

Ces constats ont été difficiles à établir, faute d'un système efficace de suivi de la santé des enfants. Les données issues des dispositifs à vocation universelle, comme les examens médicaux ou la vaccination obligatoires, sont quasiment inexploitables. Les certificats de santé sont peu renseignés par les professionnels. Les bilans réalisés à l'âge de 3 ou 4 ans pour tous les enfants sont très hétérogènes et impossibles à valoriser à l'échelon national. Il n'existe aucune description possible de l'état de santé des enfants à partir des examens réalisés par l'éducation nationale. Les informations sont issues d'enquêtes thématiques conduites assez irrégulièrement.

Par ailleurs, le suivi épidémiologique de la santé des enfants reste incomplet et centré principalement sur les pathologies, avec une maille géographique et une fréquence des enquêtes insuffisantes. Des comportements de santé sont très peu décrits alors qu'ils sont essentiels. Certains thèmes comme la santé mentale ne sont absolument pas documentés.

Notre recommandation n° 1 vise donc à améliorer le suivi épidémiologique en exploitant davantage les données médico‑administratives, en enrichissant les indicateurs produits, en facilitant l'appariement avec des bases de données sociales, pour mieux cerner les inégalités, et en réalisant des enquêtes régulières et ciblées sur certains problèmes de santé.

La deuxième partie du rapport est consacrée aux politiques de réduction des inégalités en matière de santé menées depuis 2016 par les pouvoirs publics, dont les effets restent modestes.

On note l'absence d'une véritable politique partagée de la santé des enfants, bien que celle‑ci soit régulièrement affichée comme une priorité. La stratégie nationale de santé a certes été renouvelée, avec un tournant et un approfondissement de certaines orientations et une priorité accordée à la réduction des inégalités, mais elle demeure éclatée et complexe.

Si une déclinaison opérationnelle des différents plans de la stratégie nationale de santé existe, ainsi qu'une évaluation d'ensemble, elles sont largement insuffisantes, et on déplore l'absence d'une vision consolidée des dépenses. Nous avons dû réaliser nous‑mêmes une synthèse des dépenses relatives à la santé des enfants de moins de 12 ans, l'indicateur n'étant malheureusement pas suivi par les pouvoirs publics.

Face à ce constat d'une politique qui, malgré un large consensus sur l'importance de la santé des enfants, se heurte à la pluralité des acteurs institutionnels impliqués, nous proposons de renforcer le pilotage interministériel de la santé des enfants.

Il faut à la fois s'appuyer sur l'efficacité du réseau de l'assurance maladie, très structuré pour décliner les priorités nationales, et renforcer la cohérence d'action avec la PMI qui, en raison même de son caractère décentralisé, peine à animer cette politique nationale, ce qui prive les pouvoirs publics d'un levier véritablement efficace. D'où la recommandation n° 2 sur le renforcement du pilotage interministériel de la santé des enfants, et la recommandation n° 3, son pendant au niveau territorial, relative à l'unification du cadre de contractualisation entre ARS, assurance maladie, PMI et éducation nationale.

Nous avons examiné un certain nombre de leviers d'action à la disposition des pouvoirs publics pour cette politique de réduction des inégalités. Certains, comme les examens dits obligatoires ou la vaccination, sont anciens et reposent sur des professionnels de santé spécifiques.

Ces dispositifs, censés toucher tous les enfants, peinent à remplir leurs objectifs. Sur vingt examens médicaux qui n'ont d'obligatoires que le nom, très peu sont réalisés. Par exemple, en 2018‑2019, un enfant sur cinq a bénéficié de la visite médicale scolaire de la sixième année. De la même façon, il n'y a eu que 60 000 examens obligatoires du neuvième et du vingt‑quatrième mois, pour 125 000 enfants concernés. Cette situation s'explique pour ce qui est de la médecine scolaire par la pénurie de médecins et par les difficultés d'organisation. L'élargissement de l'obligation vaccinale a en outre eu des effets timides et ne porte pas encore pleinement ses fruits.

Par ailleurs, les parcours de santé restent encore très marqués par des inégalités sociales et territoriales, malgré des dispositifs généraux visant à lever les freins financiers à l'accès aux soins. Le recours aux urgences est plus prononcé dans les milieux sociaux les moins favorisés et surtout le recours au pédiatre est plus fréquent pour les enfants de moins de 2 ans habitant dans des grandes métropoles et issus de milieux sociaux favorisés. Aujourd'hui, le suivi de la santé des enfants relève clairement d'abord du médecin généraliste pour les catégories sociales les moins favorisées, lorsqu'elles consultent un médecin.

Les inégalités ne sont pas que sociales : deux cartes présentant le taux de réalisation de la visite médicale de la sixième année et celui du dépistage infirmier de la douzième année illustrent d'importantes inégalités entre départements.

Dans une troisième partie, la Cour, forte de ces constats, propose de réorganiser la politique de santé des enfants pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé. Cela implique de redéfinir le parcours de santé des enfants autour de la prévention et du médecin traitant, en l'inscrivant dans un cadre d'action territorialisé, adapté aux besoins et aux ressources du territoire, et en s'appuyant sur le levier de la transformation numérique.

En premier lieu, il faut clarifier le positionnement des acteurs spécifiques de la santé des enfants. La place de la PMI est essentielle, surtout pour les enfants des milieux les plus modestes, compte tenu de la fragilité de la santé scolaire – marquée par la pénurie de médecins scolaires et des difficultés d'organisation – et de la disparition progressive des compétences spécialisées en santé de l'enfant en médecine de ville.

Nous recommandons par conséquent de conforter les missions de la PMI et de consolider le financement du réseau, notamment en étendant le périmètre des actes et produits remboursés par l'assurance maladie.

En deuxième lieu, il convient de mettre la prévention au cœur de l'approche, d'abord en renforçant la promotion en santé à destination des enfants et de leurs parents. À cet égard, l'école paraît le lieu idéal pour la diffusion des messages de prévention et de promotion de la santé, à condition sans doute de clarifier les choses et de remobiliser l'ensemble des équipes autour de priorités de prévention partagées par l'éducation nationale, les ARS et l'assurance maladie. Cela suppose aussi d'investir davantage dans la prévention, tant du point de vue humain que du point de vue financier, notamment en confortant la compétence pédiatrique généraliste. C'est pourquoi nous recommandons de confier aux ARS le pilotage et le suivi renforcé des actions de promotion de la santé menées par des associations dans les établissements scolaires, dans le cadre de la contractualisation unique que nous avons préconisée précédemment, étant entendu qu'il doit y avoir une articulation fine avec les compétences de l'éducation nationale au niveau académique.

En troisième lieu, il faut réorganiser la prise en charge de la santé des enfants, en réaffirmant d'abord l'importance du médecin traitant de l'enfant. Possible depuis 2016, la désignation d'un médecin traitant n'est pas obligatoire pour les enfants – elle l'est pour les adultes. Il s'agit d'accélérer le déploiement du dispositif, qui concerne à ce jour seulement un enfant sur deux. L'idée est d'attribuer aux médecins traitants un rôle central dans la prise en charge de la santé de tous les enfants, tout en encourageant la coopération avec les auxiliaires médicaux, notamment en facilitant les délégations d'actes pour aller vers du travail aidé.

C'est au médecin traitant que serait confiée la réalisation de l'ensemble des examens obligatoires, y compris ceux effectués actuellement en milieu scolaire, afin de réussir à toucher plus d'enfants. Pour les enfants les plus éloignés du système de santé, car tous n'ont pas un accès facile aux médecins, on pourrait envisager de réaliser certains examens dans les écoles, en lien avec l'éducation nationale.

Cette approche doit être déclinée par territoire : il convient de s'appuyer sur les maisons de santé pluriprofessionnelles et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) afin de construire une réponse locale. Nous reprenons la proposition, régulièrement mise en avant, d'expérimenter un label « maison de santé de l'enfant ». Il s'agirait de regrouper en un lieu unique l'ensemble des compétences centrées sur les enfants, pour faciliter les démarches des parents. De tels lieux existent déjà ; il est possible de s'adosser aux services de la PMI ou à d'autres structures.

Pour mener à bien cette réorganisation d'ensemble, nous proposons enfin de s'appuyer sur les outils numériques au service de la santé des enfants. Le déploiement des systèmes d'information est très inégal selon les acteurs, et chaque système d'information – celui de la médecine scolaire, celui des services de la PMI, sans parler du dossier médical partagé – rencontre des difficultés propres. Qui plus est, ces systèmes ne sont pas interfacés, ce qui empêche la transmission des informations, laquelle permettrait pourtant d'améliorer la qualité de la prise en charge des enfants. La dématérialisation commence tout juste, sans suivre de véritable calendrier. C'est pourquoi nous recommandons de réaliser prioritairement l'intégration du carnet de santé dématérialisé de l'enfant dans l'espace numérique de santé.

Les différentes recommandations que je viens d'énoncer sont présentées en trois blocs : améliorer la gouvernance et le pilotage, renforcer l'offre de soins à destination des enfants, construire un parcours de soins territorialisé.

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