Merci pour votre invitation, qui me donne l'occasion d'expliquer les activités qui ont été les miennes sur le plan national – en 1997 –, puis européen – à partir de 2004 – et international – à compter de la fin 2010 ou du début 2011, jusqu'à la fin décembre 2020.
J'ai répondu volontiers à cette invitation car j'ai été personnellement attaqué dans le livre dont il est question. Celui‑ci m'a prêté certaines intentions ainsi que des propos brutaux et dégradants que je n'ai jamais tenus, traduisant des pensées que je n'ai même jamais eues. Je me réserve d'ailleurs le droit d'engager une action judiciaire pour obtenir réparation de l'atteinte portée à mon honneur et à ma considération.
Je voudrais vous faire part d'une inquiétude légitime : j'ai eu l'impression, en entendant vos propos liminaires ainsi que les auditions précédentes, que les faits évoqués étaient considérés comme entièrement avérés. J'ai noté une certaine émotion, de l'indignation et de la colère. Toutefois, je ne peux pas croire que l'émotion suscitée par la sortie de ce livre, présenté à tous comme la vérité absolue et révélée, puisse empêcher votre commission d'appréhender la situation de façon sereine et impartiale.
Si je suis venu, c'est aussi parce que je pense aux résidents et à leurs familles, que j'ai connus et côtoyés plus souvent qu'à mon tour, un peu partout dans le monde, ainsi qu'aux équipes, des auxiliaires de vie jusqu'aux directeurs d'établissement et aux directeurs régionaux : alors qu'elles ont été applaudies par tous en 2020, elles sont désormais singulièrement traitées.
Mon action au sein d'Orpea a été rythmée par sept étapes.
La première a démarré en 1997. En juillet de cette année‑là, j'ai été nommé directeur d'exploitation pour la France. Le groupe Orpea comptait alors quarante‑deux établissements : trente‑neuf maisons de retraite et trois cliniques. À l'époque, on ne parlait pas encore d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), car les soins étaient dispensés par des cabinets d'infirmiers ou infirmières libéraux, sur prescription médicale, et nous nous occupions essentiellement des fonctions de restauration et d'hôtellerie.
J'ai animé ce réseau. Il fallait alors instaurer, avec les directeurs régionaux, les premiers référentiels correspondant aux processus clés. À l'époque, il n'y avait aucun texte ou document de référence. Nous nous sommes fondés sur les meilleures pratiques issues de l'expérience d'anciennes infirmières. Il a fallu créer des modules de formation, élaborer des outils de suivi de la qualité et développer des plans d'action destinés à corriger les erreurs. Des échanges avaient lieu toutes les semaines sur les sites.
Je dirigeais les établissements, pas le siège. Celui‑ci, comme dans toutes les entreprises décentralisées, était un prestataire de services, le fournisseur exclusif dans des domaines comme le conseil juridique, les ressources humaines, les achats, les travaux, la maintenance, la comptabilité ou encore le contrôle de gestion.
Au cours de la deuxième étape, entre 1998 et 2000, je me suis attelé à trouver puis à recruter un médecin, le docteur Benattar, devenue depuis lors directrice médicale du groupe. Avec elle, ainsi qu'avec les quelques soignants que comptait déjà le groupe à l'époque, nous avons instauré la plupart des procédures destinées à prendre en charge les résidents.
Nous avons également mené ensemble un autre travail très important, qui m'a considérablement marqué dès le départ et qui consistait à lutter contre la maltraitance. À l'époque, une seule personne parlait de ce phénomène : le professeur Hugonot, qui a créé en 1994 le réseau Allô Maltraitance des personnes âgées (ALMA). Très tôt, le docteur Benattar et moi‑même avons lu le rapport du professeur Hugonot, qui m'a stupéfié. La maltraitance se produisait plutôt au domicile – dans 70 % des cas, contre 30 % dans les institutions, tout en sachant que les établissements privés étaient alors très peu nombreux. Au cours d'une discussion avec le président du groupe, je m'étais fait la remarque que, si les entreprises comme la nôtre étaient appelées à se développer, comme le laissaient penser les évolutions démographiques, le risque que les phénomènes de maltraitance décrits par le professeur Hugonot se déplacent du domicile vers les institutions était réel et sérieux. Or, à l'époque, il n'existait aucun protocole pour les prévenir. Nous avons été les premiers à créer des formations à la prévention de la maltraitance – ce n'est qu'à partir des années 2000 que l'on a commencé à parler de bientraitance et que les pouvoirs publics se sont emparés de la question.
Tout de suite, j'ai considéré que le plus important, pour nos établissements, quel que soit d'ailleurs le pays où ils se situaient, serait de répondre à l'obligation de moyens, humains ou matériels – y compris évidemment l'alimentation, qui fait partie du champ des soins. Cette obligation de moyens a été rappelée année après année aux directeurs d'exploitation et à l'ensemble des équipes, dans tous les pays.
En 2004, mes fonctions sont devenues européennes. Le groupe s'implantait alors en Belgique, en Espagne ou encore en Italie.
En 2011 – me semble-t-il –, mes fonctions sont devenues internationales. Le groupe allait alors connaître une croissance extrêmement importante : notre taille doublait tous les trois ans environ. J'ai été nommé directeur général délégué, rattaché à la direction générale.
En 2014‑2015, nous étions présents dans quinze ou seize pays. Il était impératif, à mes yeux, d'organiser le groupe par zones géographiques, regroupant un ou plusieurs pays et couvrant une ou plusieurs activités, comme c'est le cas dans n'importe quelle société internationale, avec un directeur d'exploitation pour chaque zone. J'ai créé en premier la zone ibérique, à titre d'essai. Elle regroupait l'Espagne et le Portugal et rassemblait des cliniques et des maisons de retraite. Les débuts ont été difficiles. À partir de fin 2015-début 2016, cela a commencé à fonctionner car les procédures de suivi des établissements par les directeurs des opérations de chacune des filiales étaient parfaitement opérationnelles.
En 2018-2019, les sept zones avaient été créées. La France forme une zone à part entière, dotée d'un directeur national pour les maisons de retraite – c'est la fonction de Jean‑Christophe Romersi, que vous avez auditionné ; après mon départ, il a été chargé également du champ sanitaire, c'est‑à‑dire des cliniques. Les autres zones sont les suivantes : Europe de l'Est, Europe du Nord, Allemagne, Amérique latine (LATAM) et nouveaux pays. À partir de 2019, cette organisation a permis un fonctionnement tout à fait normé et conforme à la réglementation des différents pays.
En 2020, s'est produit l'événement que nous connaissons tous et qui nous a pris de court. La crise a été extrêmement brutale et ses conséquences pour les personnes âgées se sont révélées calamiteuses. Le problème étant d'ordre médical, le groupe a demandé à l'ensemble des établissements une réponse qui l'était également. Nous avons été salués, ou à tout le moins remarqués. Il est vrai que la manière dont nous avons géré la crise sur le plan international a été quelque peu différente de celle des autres opérateurs, qu'ils soient associatifs, publics ou privés. Je m'en expliquerai s'il le faut.
Durant la première vague, qui a été si difficile, l'organisation par zones a montré son efficacité : dans chacune d'entre elles, les responsables ont su faire preuve de réactivité et appréhender correctement la situation. Dans chaque zone, on trouve, de façon tout à fait classique, un directeur administratif et financier, un directeur d'exploitation et un directeur général. En tant que directeur général délégué, je me retrouvais en lien avec des directeurs d'exploitation qui étaient eux‑mêmes en lien avec des directeurs de zones. Il y avait une redondance. En faisant, en 2014‑2015, ce choix d'organisation qui était bon pour le groupe, je savais que ma fonction devenait à terme inutile. Une fois passée la première vague, il a été décidé que je serais révoqué. La décision, prise le 2 novembre 2020, a été annoncée le 3 et mes fonctions ont cessé le 31 décembre.
Dans ce dossier, il convient de faire preuve de discernement. Le témoignage de la directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) Île‑de‑France devant votre commission, la semaine dernière, était particulièrement édifiant et révélateur. Entre 2011 et 2019, seize visites ont eu lieu dans quatorze établissements d'Orpea en Île‑de‑France. Le constat est clair : pas d'actes de maltraitance, pas de surmortalité, pas de suroccupation, pas d'injonction, pas de dépenses à l'euro près, pas de mise sous tutelle administrative, pas de fermeture d'établissements appartenant à Orpea – alors même que la directrice générale a avoué qu'elle était en train de fermer huit établissements dans la région. Ces propos m'ont interpellé car ils diffèrent de ce qui est décrit dans l'ouvrage.
J'essaierai, madame la présidente, de répondre à l'ensemble de vos questions sincèrement, de manière détaillée – si je le puis et si le domaine concerné correspondait à mes fonctions – et avec beaucoup de courtoisie.