Commission des affaires sociales

Réunion du mardi 15 février 2022 à 21h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 15 février 2022

La séance est ouverte à vingt-et-une heures cinq.

Dans le cadre des auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea, la commission auditionne M. Jean Claude Brdenk, ancien directeur général délégué en charge de l'exploitation et du développement du groupe Orpea.

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Nous poursuivons le cycle d'auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea. Nous recevons M. Jean-Claude Brdenk, que je remercie de s'être rendu disponible à cette heure tardive.

Monsieur Brdenk, vous êtes directeur général délégué au sein du groupe Bastide depuis le début de l'année. En 2021, vous avez été vice‑président du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA). Vous avez occupé, entre mars 2010 et décembre 2020, les fonctions de directeur général délégué en charge de l'exploitation et du développement au sein du groupe Orpea, après avoir été, entre 1997 et 2010, directeur d'exploitation dans cette même entreprise. À ce titre, vous avez participé activement au développement d'Orpea, en France comme à l'international, « en coordonnant les services clés des opérations et en instaurant des normes de qualité aux plus hauts standards au sein de toutes les activités du groupe », selon les éléments de votre biographie.

Nous avons entendu dès le 2 février M. Philippe Charrier, président‑directeur général d'Orpea depuis le 30 janvier, et M. Jean-Christophe Romersi, directeur général d'Orpea France, à la suite de la publication de l'ouvrage Les Fossoyeurs, qui dénonce de graves dysfonctionnements et des situations de maltraitance dramatiques au sein des établissements du groupe. Malgré près de trois heures d'audition, nous n'avons obtenu quasiment aucune réponse de la part de MM. Charrier et Romersi à des questions pourtant précises, parfois posées à plusieurs reprises, sur le fonctionnement du groupe, notamment le rationnement des repas et des protections, l'existence de marges arrière obtenues auprès de fournisseurs de produits financés par de l'argent public, la gestion des personnels et les sous‑effectifs organisés, l'existence d'un syndicat maison et, plus largement, sur le modèle du groupe, tel que le décrit l'ouvrage, fondé sur l'objectif de dégager des profits croissants au détriment du bien‑être et de la dignité des résidents.

Nous espérons que les échanges qui auront lieu ce soir seront plus constructifs et que vous apporterez à la représentation nationale des réponses précises et étayées sur les différents points soulevés par l'ouvrage de M. Castanet, compte tenu des fonctions que vous avez exercées au sein du groupe jusqu'en 2020.

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Jean-Claude Brdenk, ancien directeur général en charge de l'exploitation et du développement du groupe Orpea

Merci pour votre invitation, qui me donne l'occasion d'expliquer les activités qui ont été les miennes sur le plan national – en 1997 –, puis européen – à partir de 2004 – et international – à compter de la fin 2010 ou du début 2011, jusqu'à la fin décembre 2020.

J'ai répondu volontiers à cette invitation car j'ai été personnellement attaqué dans le livre dont il est question. Celui‑ci m'a prêté certaines intentions ainsi que des propos brutaux et dégradants que je n'ai jamais tenus, traduisant des pensées que je n'ai même jamais eues. Je me réserve d'ailleurs le droit d'engager une action judiciaire pour obtenir réparation de l'atteinte portée à mon honneur et à ma considération.

Je voudrais vous faire part d'une inquiétude légitime : j'ai eu l'impression, en entendant vos propos liminaires ainsi que les auditions précédentes, que les faits évoqués étaient considérés comme entièrement avérés. J'ai noté une certaine émotion, de l'indignation et de la colère. Toutefois, je ne peux pas croire que l'émotion suscitée par la sortie de ce livre, présenté à tous comme la vérité absolue et révélée, puisse empêcher votre commission d'appréhender la situation de façon sereine et impartiale.

Si je suis venu, c'est aussi parce que je pense aux résidents et à leurs familles, que j'ai connus et côtoyés plus souvent qu'à mon tour, un peu partout dans le monde, ainsi qu'aux équipes, des auxiliaires de vie jusqu'aux directeurs d'établissement et aux directeurs régionaux : alors qu'elles ont été applaudies par tous en 2020, elles sont désormais singulièrement traitées.

Mon action au sein d'Orpea a été rythmée par sept étapes.

La première a démarré en 1997. En juillet de cette année‑là, j'ai été nommé directeur d'exploitation pour la France. Le groupe Orpea comptait alors quarante‑deux établissements : trente‑neuf maisons de retraite et trois cliniques. À l'époque, on ne parlait pas encore d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), car les soins étaient dispensés par des cabinets d'infirmiers ou infirmières libéraux, sur prescription médicale, et nous nous occupions essentiellement des fonctions de restauration et d'hôtellerie.

J'ai animé ce réseau. Il fallait alors instaurer, avec les directeurs régionaux, les premiers référentiels correspondant aux processus clés. À l'époque, il n'y avait aucun texte ou document de référence. Nous nous sommes fondés sur les meilleures pratiques issues de l'expérience d'anciennes infirmières. Il a fallu créer des modules de formation, élaborer des outils de suivi de la qualité et développer des plans d'action destinés à corriger les erreurs. Des échanges avaient lieu toutes les semaines sur les sites.

Je dirigeais les établissements, pas le siège. Celui‑ci, comme dans toutes les entreprises décentralisées, était un prestataire de services, le fournisseur exclusif dans des domaines comme le conseil juridique, les ressources humaines, les achats, les travaux, la maintenance, la comptabilité ou encore le contrôle de gestion.

Au cours de la deuxième étape, entre 1998 et 2000, je me suis attelé à trouver puis à recruter un médecin, le docteur Benattar, devenue depuis lors directrice médicale du groupe. Avec elle, ainsi qu'avec les quelques soignants que comptait déjà le groupe à l'époque, nous avons instauré la plupart des procédures destinées à prendre en charge les résidents.

Nous avons également mené ensemble un autre travail très important, qui m'a considérablement marqué dès le départ et qui consistait à lutter contre la maltraitance. À l'époque, une seule personne parlait de ce phénomène : le professeur Hugonot, qui a créé en 1994 le réseau Allô Maltraitance des personnes âgées (ALMA). Très tôt, le docteur Benattar et moi‑même avons lu le rapport du professeur Hugonot, qui m'a stupéfié. La maltraitance se produisait plutôt au domicile – dans 70 % des cas, contre 30 % dans les institutions, tout en sachant que les établissements privés étaient alors très peu nombreux. Au cours d'une discussion avec le président du groupe, je m'étais fait la remarque que, si les entreprises comme la nôtre étaient appelées à se développer, comme le laissaient penser les évolutions démographiques, le risque que les phénomènes de maltraitance décrits par le professeur Hugonot se déplacent du domicile vers les institutions était réel et sérieux. Or, à l'époque, il n'existait aucun protocole pour les prévenir. Nous avons été les premiers à créer des formations à la prévention de la maltraitance – ce n'est qu'à partir des années 2000 que l'on a commencé à parler de bientraitance et que les pouvoirs publics se sont emparés de la question.

Tout de suite, j'ai considéré que le plus important, pour nos établissements, quel que soit d'ailleurs le pays où ils se situaient, serait de répondre à l'obligation de moyens, humains ou matériels – y compris évidemment l'alimentation, qui fait partie du champ des soins. Cette obligation de moyens a été rappelée année après année aux directeurs d'exploitation et à l'ensemble des équipes, dans tous les pays.

En 2004, mes fonctions sont devenues européennes. Le groupe s'implantait alors en Belgique, en Espagne ou encore en Italie.

En 2011 – me semble-t-il –, mes fonctions sont devenues internationales. Le groupe allait alors connaître une croissance extrêmement importante : notre taille doublait tous les trois ans environ. J'ai été nommé directeur général délégué, rattaché à la direction générale.

En 2014‑2015, nous étions présents dans quinze ou seize pays. Il était impératif, à mes yeux, d'organiser le groupe par zones géographiques, regroupant un ou plusieurs pays et couvrant une ou plusieurs activités, comme c'est le cas dans n'importe quelle société internationale, avec un directeur d'exploitation pour chaque zone. J'ai créé en premier la zone ibérique, à titre d'essai. Elle regroupait l'Espagne et le Portugal et rassemblait des cliniques et des maisons de retraite. Les débuts ont été difficiles. À partir de fin 2015-début 2016, cela a commencé à fonctionner car les procédures de suivi des établissements par les directeurs des opérations de chacune des filiales étaient parfaitement opérationnelles.

En 2018-2019, les sept zones avaient été créées. La France forme une zone à part entière, dotée d'un directeur national pour les maisons de retraite – c'est la fonction de Jean‑Christophe Romersi, que vous avez auditionné ; après mon départ, il a été chargé également du champ sanitaire, c'est‑à‑dire des cliniques. Les autres zones sont les suivantes : Europe de l'Est, Europe du Nord, Allemagne, Amérique latine (LATAM) et nouveaux pays. À partir de 2019, cette organisation a permis un fonctionnement tout à fait normé et conforme à la réglementation des différents pays.

En 2020, s'est produit l'événement que nous connaissons tous et qui nous a pris de court. La crise a été extrêmement brutale et ses conséquences pour les personnes âgées se sont révélées calamiteuses. Le problème étant d'ordre médical, le groupe a demandé à l'ensemble des établissements une réponse qui l'était également. Nous avons été salués, ou à tout le moins remarqués. Il est vrai que la manière dont nous avons géré la crise sur le plan international a été quelque peu différente de celle des autres opérateurs, qu'ils soient associatifs, publics ou privés. Je m'en expliquerai s'il le faut.

Durant la première vague, qui a été si difficile, l'organisation par zones a montré son efficacité : dans chacune d'entre elles, les responsables ont su faire preuve de réactivité et appréhender correctement la situation. Dans chaque zone, on trouve, de façon tout à fait classique, un directeur administratif et financier, un directeur d'exploitation et un directeur général. En tant que directeur général délégué, je me retrouvais en lien avec des directeurs d'exploitation qui étaient eux‑mêmes en lien avec des directeurs de zones. Il y avait une redondance. En faisant, en 2014‑2015, ce choix d'organisation qui était bon pour le groupe, je savais que ma fonction devenait à terme inutile. Une fois passée la première vague, il a été décidé que je serais révoqué. La décision, prise le 2 novembre 2020, a été annoncée le 3 et mes fonctions ont cessé le 31 décembre.

Dans ce dossier, il convient de faire preuve de discernement. Le témoignage de la directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) Île‑de‑France devant votre commission, la semaine dernière, était particulièrement édifiant et révélateur. Entre 2011 et 2019, seize visites ont eu lieu dans quatorze établissements d'Orpea en Île‑de‑France. Le constat est clair : pas d'actes de maltraitance, pas de surmortalité, pas de suroccupation, pas d'injonction, pas de dépenses à l'euro près, pas de mise sous tutelle administrative, pas de fermeture d'établissements appartenant à Orpea – alors même que la directrice générale a avoué qu'elle était en train de fermer huit établissements dans la région. Ces propos m'ont interpellé car ils diffèrent de ce qui est décrit dans l'ouvrage.

J'essaierai, madame la présidente, de répondre à l'ensemble de vos questions sincèrement, de manière détaillée – si je le puis et si le domaine concerné correspondait à mes fonctions – et avec beaucoup de courtoisie.

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À la suite de la lecture du livre de M. Castanet, plusieurs questions s'imposent. La plupart d'entre nous sont ici non pas pour juger mais pour comprendre. Le « système » des EHPAD Orpea, le modèle économique dénoncé dans le livre, qui a été créé par les dirigeants – dont vous avez fait partie –, s'appuie non pas sur l'humain ou le souci du soin et de l'accompagnement, mais plutôt sur la rentabilité.

Dès lors que vos prestations peuvent coûter jusqu'à 7 000 euros par mois environ, pourquoi conseillez‑vous à vos clients d'embaucher des « dames de compagnie » pour accompagner les bénéficiaires, comme il est écrit dans le livre ? Comment justifier ces frais supplémentaires, alors que les familles dépensaient déjà des milliers d'euros pour un service censé être de qualité, voire de luxe ?

L'auteur du livre cite le rapport de l'ancienne direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, qui faisait état de dérives au regard du droit du travail. Certaines personnes travaillant dans les EHPAD n'avaient pas de déclaration préalable à l'embauche. Pire encore, elles signaient sous de faux noms, par exemple « France Rivel », qui revient souvent. De faux contrats de travail auraient été inventés pour bénéficier des aides de l'État et du département. Que pouvez‑vous nous dire à ce sujet ?

Enfin, vous auriez tenu des propos laissant à penser que la qualité et le bénéfice étaient pour vous antinomiques : « gérer des personnes âgées en maison de retraite, c'est exactement comme vendre des baskets. Mon but, à l'époque, c'était de vendre le maximum de baskets. Et aujourd'hui, c'est qu'on vende le maximum de journées de prise en charge. » Vous auriez également dit : « Il n'y a aucun indice de qualité, ni en France ni ailleurs, donc on s'en fout. » Si l'on en croit ces propos rapportés dans le livre, la dépendance ne serait qu'un moyen comme un autre de faire des bénéfices. Néanmoins, la possibilité de faire des marges justifie‑t‑elle à vos yeux la maltraitance ?

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Merci, monsieur Brdenk, de participer à ce cycle d'auditions qui concerne le « scandale Orpea », comme on le nomme désormais.

J'ai entendu vos propos et je comprends votre agacement, peut‑être aussi la difficulté à encaisser ce que le livre décrit. Mais comprenez que notre rôle, en tant que parlementaires, est avant tout de faire la lumière sur cette affaire. Celle‑ci, du reste, ne résulte pas seulement du livre : depuis la parution de celui‑ci, de très nombreux témoignages sont apparus, émanant de résidents, de familles ou d'employés d'Orpea – ainsi que d'autres structures. Il est démontré qu'il existe une difficulté s'agissant de la prise en charge de nos aînés.

Vous avez rappelé que vous vous inquiétiez, au début, du développement croissant des EHPAD et du risque que la maltraitance, qui existait à domicile, passe aux institutions. Le nombre de structures développées par Orpea a effectivement explosé ; avez‑vous, à l'époque, alerté les institutions et le groupe du risque de voir se développer les phénomènes de maltraitance ?

Une tribune signée par des associations de familles de résidents, des délégués syndicaux et même des organisations syndicales appelle à ce que l'on rende compte de ce qui se passe dans ces établissements. C'est la raison pour laquelle nous sommes nombreux à soutenir la demande de création d'une commission d'enquête qui permettrait de faire toute la lumière.

Je suis surprise car les propos tenus par la directrice générale de l'ARS Île‑de‑France n'ont pas exactement le sens que vous leur prêtez : elle nous a expliqué que des contrôles avaient été faits mais que, malheureusement, il y avait trop peu de moyens pour permettre des investigations plus nombreuses et récurrentes. Quand on vous entend, on a l'impression que c'est : « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Pourtant, les faits sont là, ils ont été décrits. J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi vous n'avez rien dit si, dès 1997, vous pensiez qu'il pouvait y avoir des risques de maltraitance.

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Selon le livre Les Fossoyeurs, le groupe Orpea gonflerait les factures d'actes de médecine, chirurgie et obstétrique envoyées à l'assurance maladie. Par exemple, quand un patient est opéré d'un accident vasculaire cérébral, on ajoute un degré de sévérité à l'opération pour en renchérir le coût aux yeux de l'assurance maladie. Le groupe emploierait à cette fin dix équivalents temps plein (ETP) à son siège. Un témoin évalue le gain lié à cette pratique à 10 % du chiffre d'affaires chaque année. Quelle est votre réaction face à ces allégations très graves de détournements de fonds publics ?

Vous travaillez désormais chez Bastide, après avoir quitté Orpea en 2020. Pouvez‑vous nous confirmer que ce groupe pratiquait des marges arrière pour les établissements Orpea ?

Lors du conseil d'administration du 2 novembre 2020, les conditions financières de votre cessation de fonctions ont été arrêtées, avec effet au 31 décembre. Pouvez‑vous nous indiquer la part fixe de votre rémunération ainsi que la part variable pour l'année 2020 ? Pouvez‑vous nous indiquer également le montant de votre indemnité de départ ?

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Jean

Claude Brdenk. Madame Hammerer, en ce qui concerne les 7 000 euros par mois, un ou deux établissements seulement en France, peut‑être trois au total en Europe pratiquent de tels tarifs. L'un d'entre eux, qui est largement cité et sur lequel est fondé l'argumentaire du livre, au service de la thèse qui y est déployée, est l'établissement de Neuilly‑sur‑Seine.

Les résidents arrivant dans un tel établissement avaient déjà des dames de compagnie, voire quatre ou cinq personnes pour les servir à leur domicile. L'établissement en question s'adresse à une clientèle très spécifique. Les résidents nous demandent la possibilité pour des dames de compagnie de poursuivre leur activité car elles connaissent toutes les habitudes de vie des personnes. C'est ainsi que plusieurs de ces dames de compagnie sont arrivées dans l'établissement. Ce n'est pas quelque chose que l'on pourrait refuser. La pratique est donc tolérée, d'autant que la principale préoccupation, dans ce genre de cas, est d'éviter autant que possible de rompre avec les habitudes de la personne âgée, pour laquelle il est déjà traumatisant d'entrer dans un tel établissement. Si l'on supprime de surcroît les visites d'une personne qu'elle voyait tous les jours, la situation peut se révéler extrêmement délicate. Il n'y a pas eu, à ma connaissance, de vente ou de facturation par Orpea des services de dames de compagnie.

Je suis très content que vous m'ayez interrogé sur les embauches, car cela revient, pour l'essentiel, à évoquer le problème des contrats à durée déterminée (CDD). Il ne s'agit pas du tout de faux contrats de travail, contrairement à ce que j'ai entendu lors des auditions précédentes.

Avant la réforme de la tarification, chaque établissement comptait entre vingt‑huit et trente‑cinq salariés, employés pour la plupart à temps plein, dans des fonctions d'hôtellerie et de restauration. La directrice générale de l'ARS Île‑de‑France vous a expliqué le mécanisme des ratios de personnels et vous a dit qu'Orpea se situait dans la moyenne ou au‑dessus. J'ai les vrais chiffres pour 2019 et 2020 – pas ceux d'avant, j'en suis désolé ; vous pouvez les demander à Orpea. Les conventions tripartites ont permis de médicaliser les établissements. Cela s'est traduit par une augmentation très progressive du nombre de salariés : une quarantaine, puis une cinquantaine et jusqu'à soixante‑cinq récemment. Ce processus a débuté non pas en 2002, mais en 2004 ou 2005. Les fluctuations étaient dues à l'évolution de la dotation, comme vous l'a expliqué M. Romersi – avec la fameuse dotation minimale de convergence (DOMINIC). En moyenne, les établissements recevaient 35 % de plus que le montant de la DOMINIC, mais la situation était très variable. Certains établissements privés touchaient seulement 10 % ou 20 % de plus, parfois même ils étaient tout juste au niveau de la DOMINIC, pour une charge de soins exactement identique.

Au moment où j'ai quitté Orpea, le groupe employait en contrat à durée indéterminée (CDI) 85 % environ de ses 25 000 salariés – pour 30 000 lits, cliniques et maisons de retraite confondues –, même si, du reste, dans des établissements employant plusieurs dizaines de personnes, on raisonne plutôt en ETP. Jean‑Christophe Romersi vous a dit qu'il y avait plutôt 82 % de CDI en 2021. Peu importe : ce que les dirigeants d'Orpea ont déclaré est tout à fait exact. Il y avait donc, à cette époque, 15 % de personnes employées en CDD, ce qui est peu. D'ailleurs, si nous avions pu employer 100 % du personnel en CDI, nous l'aurions fait : cela aurait permis de stabiliser les équipes et donc le service. Mais on sait très bien que les choses ne se passent pas ainsi dans la réalité : il faut tendre vers les 90 %, mais il restera toujours 10 % à 12 % de cas où l'on n'arrive pas à recruter des personnes en CDI, et ce pour des raisons très simples comme les vacances, les accidents ou encore les maladies, qui ont pour conséquence que certaines personnes, subitement, ne peuvent pas venir travailler. Pour pallier ces difficultés, on a recours à des CDD.

À cela s'ajoute le fait que, depuis 2004, les effectifs s'accroissent : ce sont des métiers en tension car tout le monde recrute en même temps. Il est vrai que le secteur public avait un train d'avance, mais il n'en reste pas moins que, depuis près de dix‑huit ans, la moitié des 7 000 EHPAD de France recrute en même temps pour les mêmes fonctions. C'est là un fait incontestable.

En dehors des 85 % de CDI, il faut pourvoir les postes vacants et assurer les remplacements. Cela suppose de créer des CDD – et il s'agit de vrais contrats. Or cela posait à l'époque un léger problème tenant au droit du travail. Les établissements de santé n'étaient pas les seuls à y être confrontés : le secteur de la restauration s'en était plaint lui aussi au ministère du travail. Le problème résidait dans les motifs de remplacement. Il ne s'agissait pas de faux CDD : toutes ces personnes étaient payées, bien entendu. On peut facilement le prouver, car elles figuraient dans le journal de paie.

Au début de la journée, vous constatiez qu'il vous manquait une personne le matin et une autre l'après‑midi pour assurer les soins ou les services de restauration.

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Et si nous commencions par parler des registres du personnel qui n'étaient pas à jour ?

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Jean

Claude Brdenk. L'écrivain a mis trois ans pour faire son livre, laissez‑moi trois minutes pour développer un sujet central.

Vous constatiez, disais‑je, qu'il manquait une personne le matin et une autre l'après‑midi. Or, si vous aviez la chance de trouver un remplaçant, la législation vous imposait d'établir deux CDD pour la même personne : l'un pour le matin et l'autre pour l'après‑midi. Si, le lendemain, un employé supplémentaire venait à manquer – certains directeurs qui m'écoutent doivent se dire qu'ils aimeraient bien n'avoir que deux ou même quatre postes à pourvoir –, vous vous retrouviez à devoir établir quatre contrats de travail. Autrement dit, pour employer deux personnes en CDD, vous deviez faire six contrats de travail.

Le problème a été remonté par toutes les organisations patronales – le SYNERPA pour les maisons de retraite, la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France, mais aussi les syndicats patronaux de la restauration. Le ministère du travail a très récemment allégé ces procédures, en 2018 ou 2019, me semble‑t‑il, sous la forme d'une expérimentation qui est toujours en cours, à ma connaissance.

Voilà comment, avec 85 % de l'effectif en CDI, soit cinquante personnes sur cinquante‑cinq – c'est le nombre moyen de salariés dans un établissement –, vous pouviez vous retrouver avec 150 CDD, voire plus, quand bien même vous n'employiez sous cette forme que quatre ou cinq personnes, dix tout au plus. Quant aux motifs de remplacement, le champ de ceux qui sont proposés à l'employeur est très restreint et ne correspond pas aux situations, en particulier parce qu'il n'est pas possible de pourvoir par ce moyen un poste vacant. Il y avait donc, effectivement, de faux motifs.

En ce qui concerne les propos qui me sont prêtés, je n'ai jamais été vendeur de baskets dans une chaîne de distribution spécialisée. C'est tout simplement faux ; ces propos ont été totalement imaginés. Il est assez simple de le vérifier : vous ne trouverez ni fiches de paye ni points de retraite. Il y a dans le livre, me concernant, quarante‑quatre assertions totalement fausses.

Vous me demandez si, selon moi, on peut faire des marges au détriment de la qualité. Comme je vous l'ai dit, la préoccupation a toujours été la même : répondre positivement à une obligation de moyens – qu'il s'agisse de moyens humains, en dépit du nombre trop important de CDD, dont je vous ai expliqué la raison, ou de moyens matériels. À ma connaissance, quel que soit le pays, il y avait tout le matériel et les stocks nécessaires – nous en parlerons si vous m'interrogez sur les protections et la nourriture. En tout cas, c'est ce que je constatais à chacun de mes déplacements sur le terrain.

Il n'y avait pas de politique destinée à augmenter les marges. Les résultats du groupe Orpea se situent entre 5 % et 7 %, comme vous l'a dit M. Charrier, ce qui n'est pas colossal au regard des investissements, qui sont de plusieurs milliards d'euros.

À vous entendre, madame Brenier, j'ai dénoncé le risque de maltraitance mais sans rien faire pour empêcher ces pratiques. Je ne sais pas s'il s'agit d'une question ou d'une mise en cause. Je vous ai dit, tout simplement, que j'avais lu le rapport Hugonot, ce que personne n'avait fait à l'époque – même ici, je ne sais pas combien de personnes l'ont lu. Je me suis alors aperçu que ce risque existait. J'ai donc, à mon modeste niveau, essayé de créer des outils de formation à la prévention de la maltraitance, avec la directrice médicale pour la France, qui est devenue entre‑temps directrice médicale pour l'international.

Ce n'est pas quelque chose que j'invente : tout cela a existé. Nous avons formé des milliers de collaborateurs, bien avant que les premiers textes relatifs à la maltraitance n'existent. Je n'ai pas prôné l'explosion des maisons de retraite ; c'est ce qui est arrivé, en raison des tendances démographiques. Nous avons eu trois révolutions à gérer : une révolution numérique, une révolution climatique, qui est difficile, et une révolution liée au vieillissement de la population. Je suis prêt à assumer mes erreurs si j'en ai commis, mais je ne suis pas responsable de l'évolution démographique (Exclamations), et donc du développement des biens et des services dans lesquels nous avons investi.

J'ai ici un document destiné aux stagiaires, qui servait à la formation à la prévention de la maltraitance en institution ; il est daté de septembre 2003. Sa première version, qu'Orpea vous fournira probablement, remonte au début des années 2000. À cette époque‑là, encore une fois, personne ne prônait cette démarche. Elle s'est révélée à moi et au docteur Benattar. Nous considérions qu'il s'agissait d'un risque véritable et il fallait absolument que nous y travaillions tous les jours, quel que soit le lieu. C'est ce que j'ai fait tout au long de ma carrière, et il y en a évidemment des traces écrites, notamment s'agissant de l'obligation de moyens.

En ce qui concerne les moyens humains, il y avait de faux motifs d'embauche en CDD – j'y reviens –, et j'en suis vraiment désolé. Les inspecteurs du travail l'ont vu, évidemment, mais ils ont bien compris la difficulté que nous rencontrions. D'ailleurs, si tel n'avait pas été le cas, les organisations patronales n'auraient pas été entendues par le ministère du travail. Pour le reste, il fallait mettre en place tous ces moyens ; c'est ce que nous avons fait. Je ne suis pas responsable de l'explosion du nombre d'établissements dans le monde, je n'ai jamais travaillé à leur développement. Il s'agit simplement de services adaptés pour des personnes pour qui il est impossible, hélas, physiquement et psychiquement, de rester à domicile. On a besoin de ces établissements, qu'ils soient tenus par Orpea ou par d'autres groupes, en France ou ailleurs.

Avant d'en venir aux contrôles des ARS, je voudrais évoquer ceux que nous faisions nous‑mêmes, aussi bien en interne, réalisés par des personnes qualifiées à cette fin, qu'à travers des prestataires extérieurs. Chaque établissement Orpea est contrôlé en moyenne trente‑sept fois par an. Des laboratoires interviennent pour le traitement des surfaces ; des plats témoins sont analysés en laboratoire. De l'hygiène des surfaces à la dératisation, ce sont quasiment deux mille points de contrôle qui sont couverts dans chaque établissement, chaque année. Les résultats sont assez binaires : ils sont soit positifs soit négatifs.

L'ARS Île‑de‑France indique avoir mené, entre 2011 et 2019, seize inspections concernant quatorze EHPAD. Elle n'a prononcé aucune injonction et n'a placé aucun établissement sous tutelle administrative ; en revanche, lorsqu'elle a constaté des dysfonctionnements, elle a émis des prescriptions, ce qui nous a amenés à élaborer des plans d'action.

J'ai vu des contrôles dans presque tous les pays où le groupe Orpea est implanté, et je peux vous dire que la France n'a pas à rougir du sérieux avec lequel ils sont menés. Il ne s'agit pas de réunions sympathiques. Lorsqu'un établissement est inspecté par une équipe de l'ARS, une équipe du département ou les deux en même temps, le personnel voit débarquer beaucoup de monde – jusqu'à onze personnes –, ce qui le tétanise. Il n'est évidemment pas prévenu : ce sont des contrôles surprises, comme vous l'a expliqué la directrice générale de l'ARS. Celle‑ci a d'ailleurs bien précisé que le dernier contrôle dont a fait l'objet, en août 2018, la résidence Les Bords de Seine de Neuilly‑sur‑Seine, évoquée dès le début de l'ouvrage de M. Castanet, était une inspection « inopinée ». Un rapport définitif a été rendu en juin 2019. Si un acte de maltraitance avait été constaté, aurait‑il fallu attendre une année pour que ce rapport soit publié ? Non, évidemment ! On nous a simplement adressé des prescriptions, auxquelles nous avons répondu, puisque le temps d'intervention du médecin coordonnateur était insuffisant.

Encore une fois, madame la députée, nous devons faire preuve d'un peu de discernement dans nos propos. (Exclamations.) Je ne vous dis pas cela de manière agressive. (Mêmes mouvements.) Nous parlons d'un sujet très technique, et nous ne pouvons pas mettre en doute la parole des agents de l'État.

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Jean

Claude Brdenk. Les contrôles ne sont pas biaisés. Au contraire, ils sont très rigoureux et pénibles pour le personnel des établissements inspectés, d'autant que plusieurs services interviennent simultanément.

Madame Pires Beaune, vous avez évoqué les accusations de gonflement des factures, dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), proférées par le docteur Patrick Métais. Ce dernier parle beaucoup, dans l'ouvrage de M. Castanet, des maisons de retraite et des pratiques de codification des soins – il était justement chargé de contrôler le PMSI. Il explique notamment que le rôle des médecins du département de l'information médicale (DIM) est de tricher et d'enrichir leur groupe aux dépens de l'assurance maladie ; or il me semble qu'il exerce actuellement cette fonction dans un hôpital public.

M. Castanet laisse entendre que le docteur Patrick Métais faisait partie des hauts dirigeants d'Orpea, qu'il avait une place importante au sein du groupe.

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Jean

Claude Brdenk. Merci, monsieur le député, pour cette précision !

Dans l'ouvrage, M. Métais explique que lui‑même, en tant que médecin, modifiait les codifications de PMSI. Tout cela est couvert par le secret médical, et je lui laisse la responsabilité de ses propos. S'il a réellement agi de la sorte, ce n'était absolument pas son rôle, et vous avez raison, c'est très grave. Pour ma part, je ne maîtrise pas ce sujet qui relève des seuls médecins, mais je pense que ces derniers sont suffisamment sérieux pour ne pas tricher avec les codifications de PMSI.

Vous m'avez également demandé de confirmer que le groupe Bastide pratiquait des marges arrières avec les établissements du groupe Orpea. Je n'ai pas quitté Orpea le 31 décembre 2020 pour arriver le 1er janvier 2021 chez Bastide. Je vous l'ai déjà dit, je ne dirigeais pas le siège d'Orpea : mon métier consistait à faire en sorte, avec l'aide d'acheteurs diplômés en pharmacie, que l'ensemble des produits référencés et sélectionnés par la direction médicale soient disponibles dans les établissements, et surtout que les services demandés y soient effectivement assurés. Il s'agissait d'une obligation de moyens. Or, de 2017 à 2020, un peu plus de deux cents contrôles ont été effectués par l'ensemble des autorités de tutelle, et ils n'ont jamais conclu à un seul cas de maltraitance ou à un seul manque de dispositifs médicaux. S'agissant des marges arrières, M. Charrier a répondu à votre question.

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Jean

Claude Brdenk. Il ne s'agissait pas de marges arrières, mais de contrats de prestations spécifiques (CPS) permettant à une entreprise de s'implanter à l'étranger en ayant une meilleure connaissance du secteur d'activité. Je vous donnerai un exemple très clair. Mon rôle n'était pas de trouver des terrains ou de construire des bâtiments, mais de superviser les responsables de zone. Depuis une quinzaine d'années, je me suis beaucoup intéressé aux systèmes de santé dans un certain nombre de régions du monde et, à ce titre, je me suis rendu en Amérique latine. Je suis allé au Brésil en 2011.

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Plusieurs députés

Ce n'est pas la question !

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Jean

Claude Brdenk. Je veux vous donner une idée de la difficulté à s'implanter à l'étranger pour vous faire comprendre en quoi consiste un CPS. Orpea a racheté des établissements en Amérique latine en 2017 mais n'en a toujours pas créé de nouveaux dans cette région du monde – les travaux ont été engagés mais les résidences ne sont pas encore ouvertes. Les démarches prennent donc plus de dix ans. Dans ce contexte, un CPS permet à un fournisseur de gagner du temps et d'accroître sa connaissance du secteur. Grâce à cet outil, une entreprise cinq, dix ou trente fois plus petite qu'Orpea, qui n'a pas les moyens de passer dix ans à essayer de s'implanter à l'étranger, peut bénéficier de conseils très précieux. J'ai donc répondu à votre question. (Exclamations.) M. Charrier vous a donné exactement la même explication.

Je vais compléter ma réponse s'agissant des marges arrières. Le Journal du dimanche du 30 janvier 2022 nous apprend que M. Claude Évin, ancien ministre de la santé, a informé les pouvoirs publics de l'existence de remises de fin d'année (RFA) dans un autre groupe dès le 9 octobre 2014, et que cette révélation n'a suscité aucune réaction. Je ne sais pas pourquoi. Peut‑être cette question ne relève‑t‑elle pas du code de la santé publique, ni du code de l'action sociale et des familles, mais du code de commerce. Mais je ne suis pas juriste, et mon rôle n'est pas d'émettre des hypothèses ; je vous laisse donc creuser cette question.

J'en viens à votre question relative à ma rémunération fixe et variable. Je travaillais dans une société cotée en Bourse, tenue d'appliquer la règle du « say on pay », où les rémunérations sont donc encadrées. Les sommes que j'ai touchées ne résultent ni d'un choix personnel ni d'un choix des administrateurs d'Orpea ; cependant, il était de la responsabilité de ces derniers de vérifier qu'elles étaient en phase avec les rémunérations pratiquées dans le même secteur d'activité, sur la base de comparaisons internationales tenant compte de la taille de l'entreprise, de ses effectifs et du nombre de pays dans lesquels elle est implantée. Ma rémunération fixe annuelle s'élevait à 650 000 euros en montant brut, soit environ 325 000 euros en montant net. Quant à la partie variable, qui dépendait de critères qualitatifs et quantitatifs, elle était comprise entre 300 000 et 450 000 euros les deux dernières années.

Mon indemnité de départ, votée à l'assemblée générale ordinaire de juin 2021, s'est élevée à 2,5 millions d'euros en montant brut, auxquels il faut retrancher quelque 1,3 million d'impôts prélevés à la source. Elle correspond à environ 5 000 euros en montant net par mois passé chez Orpea, selon des modalités de calcul encadrées correspondant aux bonnes pratiques des entreprises cotées en bourse.

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Vous n'avez pas répondu à ma question relative aux marges arrières, mais peut‑être l'avais‑je mal formulée... Je la pose donc autrement : le groupe Bastide reversait‑il de l'argent à Orpea en fin d'année ?

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Jean

Claude Brdenk. Je laisserai évidemment le groupe Bastide, au sein duquel mon arrivée a été officiellement annoncée début janvier, s'exprimer à ce sujet.

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Jean

Claude Brdenk. Mon activité n'a aucun rapport avec les marges arrières. Je vais vous répondre très simplement : à ma connaissance, le groupe Bastide, dont je n'étais pas salarié à l'époque des faits, paie des CPS mais pas de RFA.

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Ce n'est pas du tout le sens de la question ! Votre réponse est lunaire !

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Il ne s'agit pas de juger des personnes, mais de comprendre des situations. Après avoir auditionné la semaine dernière Victor Castanet, l'auteur des Fossoyeurs, il nous a semblé intéressant de vous poser ce soir les questions que suscite la lecture du livre. Vous y êtes présenté comme l'un des principaux artisans de ce que l'on appelle désormais le « système Orpea », le « cost killer », le « bulldozer », l'« exécuteur » chargé de faire appliquer des restrictions budgétaires visant à maximiser les profits du groupe.

Le journaliste décrit ainsi, à la page 122, « la terreur qui régnait en Comex », c'est‑à‑dire en comité d'exploitation, où vous poussiez chaque mois des « colères foudroyantes » contre les directeurs régionaux : « Si vous ne bougez pas, il va y avoir du sang sur les murs ! »

Il décrit également l'institutionnalisation d'un management couperet. Si « un établissement avait des résultats non satisfaisants pendant trois mois [...] ou s'il y avait un mouvement du personnel dans un EHPAD, ça ulcérait Brdenk et, dans la foulée d'un Comex, il demandait qu'on envoie les “nettoyeurs” s'occuper du directeur en charge. Il fallait [...] nettoyer les bureaux pour que le pauvre gars n'ait rien pour se défendre ou pour salir le groupe. Les nettoyeurs vidaient les ordinateurs. Ils prenaient les disques durs. Ils partaient avec tout. [...] Le type arrivait le matin, tôt, avec sa petite voiture. Les nettoyeurs étaient déjà là, sur le parking, en train de l'attendre. Et le type ne rentrait même pas dans son bureau. Ils étaient passés le matin de bonne heure dans son bureau [...] et ils avaient tout mis dans un carton. [...] Et dans la foulée, tous ses mails avaient été nettoyés. » Une véritable machine à broyer, à instiller la crainte tout au long de la chaîne hiérarchique.

À la lecture de l'ouvrage, on s'interroge sur ce qui peut ressembler à de l'insensibilité à l'égard des personnels et des résidents qui subissaient les conséquences de votre management brutal. À la page 123, l'auteur vous prête les mots suivants : « gérer des personnes âgées en maison de retraite, c'est exactement comme vendre des baskets ». J'imagine que ce n'est qu'une image ! Il souligne en outre votre méconnaissance abyssale des questions de santé et des parcours de soins, que vous revendiquez, et votre vision comptable des êtres humains vulnérables dont votre groupe avait la charge. Les conséquences de votre management à distance, par le biais de tableaux Excel, sur la vie des résidents et les conditions de travail des salariés du groupe sont catastrophiques et systémiques – je pense notamment au rationnement de la nourriture et des produits hygiéniques essentiels au bien‑être des personnes âgées, ou encore à la défaillance des dispositifs médicaux.

Quel regard portez‑vous sur ces accusations ? Estimez‑vous avoir été un bon directeur ? Quelle lecture faites‑vous de la rentabilité des EHPAD privés à but lucratif ? Pourquoi avez‑vous quitté le groupe Orpea en 2020, après vingt‑trois ans de services et en pleine crise du covid ? Pensez‑vous que le directeur d'exploitation d'un des leaders de la santé et du médico‑social puisse s'exonérer d'un socle minimal de connaissances en matière de santé ? Enfin, reconnaissez‑vous l'existence d'un système de marges arrières appliquées aux produits payés par l'assurance maladie, ce qui est totalement interdit ?

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Valérie Six (UDI

I). Bien implanté en France, où il compte 350 établissements, mais aussi à l'étranger, avec douze établissements situés dans les autres pays européens, en Chine et au Brésil, le groupe Orpea est devenu leader du marché des EHPAD – un marché prometteur, au vu des importants besoins de prise en charge de la dépendance. Rien qu'en France, nous devrons créer 8 000 places d'EHPAD dans les dix prochaines années. Si l'espérance de vie des Français est parmi les plus élevées d'Europe, ce n'est pas le cas de l'espérance de vie en bonne santé. Les résidents sont de moins en moins autonomes. Depuis plusieurs années, les rapports successifs tirent la sonnette d'alarme et soulignent la nécessité d'améliorer la qualité de la prise en charge en établissement.

L'affaire Orpea est donc un scandale de plus et, je l'espère, le scandale de trop. Les accusations portées contre le groupe sont graves : certains faits relèvent du pénal. Nous laisserons la justice faire son travail. Cependant, il nous faut comprendre les dysfonctionnements afin de prendre les mesures nécessaires pour qu'ils ne se reproduisent plus. Il ressort de l'enquête du journaliste Victor Castanet que la rentabilité des établissements l'emporte sur la qualité du service rendu et, dans certains établissements, sur la dignité des pensionnaires. Comment a‑t‑on pu en arriver là ?

Sur quels critères votre stratégie de développement reposait‑elle ? Sur quels critères déterminiez‑vous vos objectifs de croissance et de marge ? Quelle était votre politique de contrôle de qualité en interne, et comment pourrait‑on l'améliorer ?

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Vous n'ignorez pas que vos propos, tenus devant une commission parlementaire, vous engagent.

J'avais très envie de rencontrer celui qu'on décrit comme un « cost killer » et qui a perçu, au moment de son départ le 31 décembre 2020, une indemnité de 2 539 036 euros correspondant à vingt‑quatre mois de rémunération. On vous décrit comme un manager capable « de virer vingt‑sept directeurs d'une même région, d'un seul coup » : « Ça s'est fait en quelques mois. [...] Vingt‑sept prud'hommes payés ! Rien à foutre. Ils font ce qu'ils veulent. »

Ce soir, vous nous avez beaucoup parlé de responsabilité, de hiérarchie, de mutations, de nominations, d'implantations... Vous nous avez aussi dit vos sentiments, mais j'ai eu l'impression, à de nombreuses reprises, que vous noyiez le poisson. À vous entendre, vous avez toujours pris beaucoup de précautions, vous avez tout bien fait.

Pour ma part, j'ai envie de vous parler de patients alités toute la journée, de repas non servis à des résidents, de pansements pas faits, de résidents abandonnés dans leurs excréments – pour le dire moins poliment, dans leur merde –, et des différents reproches qui vous sont faits dans cet ouvrage, entre le manque de personnel chronique, les irrégularités de recrutement, les scandales financiers et la corruption... On aurait proposé à un journaliste 15 millions d'euros pour cesser d'enquêter. Lesquelles de ces accusations reconnaissez‑vous ?

Sans vous exonérer en aucune façon de vos responsabilités, je crois aussi que tout cela est la conséquence logique d'une recherche de rentabilité à tout prix permise par certaines politiques publiques. On sait que les privatisations ont été accompagnées par les pouvoirs publics, permettant l'écosystème que l'on décrit ce soir, et que la situation d'Orpea n'est pas sensiblement différente de celle de nombreux autres grands groupes. Avec l'argent public, le secteur privé lucratif fait moins bien et enrichit dirigeants et actionnaires sur le dos des patients et de l'État.

Certains de mes collègues vous ont interpellé sur les propos qui vous sont prêtés dans le livre, comparant la gestion des personnes âgées dans les EHPAD avec la vente de baskets. Vous nous avez répondu qu'aucune feuille de paie n'attestait du fait que vous auriez travaillé chez un équipementier sportif. Très franchement, nous avons l'impression que vous vous moquez du monde ! La citation qui vous est prêtée est une image, une métaphore : elle ne signifie pas que vous avez travaillé dans un magasin de sport.

Enfin, vous nous avez dit, dans votre propos liminaire, que vous vouliez bien assumer vos responsabilités. Lesquelles, cher monsieur ?

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Pour vous assurer une rémunération annuelle de 1,3 million d'euros et une indemnité de départ de 2,5 millions – le même salaire et la même indemnité, à peu de chose près, que M. Yves Le Masne –, quel montant ou quel pourcentage préleviez‑vous sur les établissements au titre des frais de siège ? Vos rémunérations étaient en effet imputées sur la section hébergement, laquelle comprend aussi les dépenses d'alimentation ; or on apprend, à la lecture du livre, que vous y consacriez 4 euros par jour et par résident.

Comment les bénéfices – car je suppose qu'il n'y avait jamais de pertes – étaient‑ils affectés ? Venaient‑ils abonder des comptes de réserve ? Orpea prévoyait‑il, en plus de la réserve légale, une réserve obligatoire ? Quelle était la part reversée aux actionnaires, sous forme de dividendes ?

Tout à l'heure, vous avez expliqué que votre salaire était conforme à celui que touchent les dirigeants d'entreprises du CAC40 ayant des activités équivalentes. Pensez‑vous, au plus profond de vous‑même, que les prestations assurées dans la résidence Les Bords de Seine, où le prix de journée s'établit aux alentours de 300 euros, correspondent vraiment aux montants payés ?

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Je me demande qui est responsable de faits aussi graves. Les individus qui défilent devant nous, notamment les dirigeants d'Orpea, nous disent qu'ils ne sont pas concernés par ces problèmes.

À ma connaissance, des contrôles ont été conduits par l'inspection du travail ; des procès‑verbaux ont été dressés et des signalements effectués. J'imagine que vous en avez été informé. Comment avez‑vous réagi ?

En 2017, j'avais rencontré des agents travaillant dans un établissement de votre groupe, qui m'avaient décrit une situation très problématique. Je me souviens de leur état de fatigue morale, du caractère insupportable de leurs conditions de travail et des conséquences de vos choix de gestion sur les résidents. Ils m'avaient parlé d'une auxiliaire de vie qui, après avoir servi le petit déjeuner, devait effectuer le ménage dans trente‑trois chambres. Pouviez‑vous l'ignorer ? Cela faisait‑il partie de la politique de l'entreprise ?

Il nous a été expliqué que le recours aux CDD était plus cher en raison de la prime de précarité. En faisant abstraction de cette dernière, payiez‑vous vraiment au même niveau un CDD et un CDI ? Quelles étaient les consignes de la direction en la matière ?

Il y a un gouffre entre votre rémunération, celle des plus hauts dirigeants, et les salaires des personnels. Quelle était la marge demandée aux établissements ? À combien s'élevait la marge moyenne par patient ? Quelles étaient les exigences des actionnaires ?

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Jean

Claude Brdenk. Comme cela est indiqué dans l'ouvrage de M. Castanet, la marge d'un établissement normalisé est de l'ordre de 28 % d'EBITDAR, un ratio qui correspond au chiffre d'affaires net de charges, sans les loyers. Lorsque je travaillais pour Orpea, l'EBITDAR réalisé au niveau international était légèrement inférieur à ce niveau, autour de 27,4 %. Il s'agit d'un chiffre consolidé, puisqu'Orpea ne publie qu'un seul bilan – je ne dispose pas de données par pays. Ce taux de 28 %, qui illustre le niveau des coûts d'exploitation, n'est pas exigé par les actionnaires, lesquels connaissent le résultat net, de l'ordre de 5 % à 7 %. Dans le livre, un directeur qui a changé de groupe explique qu'on lui demande désormais une marge de 28 %. À Neuilly, le prix de journée est plus important, et le chiffre d'affaires l'est donc tout autant : le numérateur étant plus élevé, le taux est logiquement supérieur.

Je vous remercie, monsieur Dharréville, de m'avoir interrogé sur le coût des CDD par rapport aux CDI. À longueur de chapitres, il est répété que le recours aux CDD était un choix de l'entreprise, qui lui permettait d'optimiser sa masse salariale. Cette assertion est complètement fausse et vous l'avez d'ailleurs corrigée. Ceux d'entre vous qui sont chefs d'entreprise savent que les CDD, ne serait‑ce que par les fameux 10 % de prime de précarité, coûtent plus cher que les CDI, que le groupe Orpea entend évidemment privilégier. À fonctions et expériences équivalentes, j'imagine que les salaires de ces deux types de contrat sont les mêmes, mais Orpea respecte la législation du travail et paie la prime de précarité.

S'agissant des contrôles de l'inspection du travail, je ne sais pas trop comment vous répondre. Vous parlez de faits comme s'ils étaient avérés.

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Je n'ai pas de raison d'en douter, ils m'ont été rapportés personnellement.

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Jean

Claude Brdenk. S'ils sont avérés, vous avez raison, ils sont graves. J'ai l'impression que ce que raconte M. Castanet est considéré comme la vérité absolue ; or je viens de vous démontrer, en prenant l'exemple des CDD, que certaines affirmations répétées dans le livre sont totalement fausses.

Vous avez rapporté qu'une auxiliaire de vie devait faire le ménage dans trente‑trois chambres. Cela ne correspond ni à la norme – en tout cas, je l'espère – ni aux directives que nous avons pu donner. De mémoire, un agent est chargé du ménage de dix‑huit à vingt‑quatre chambres par jour, en moyenne, et c'est déjà beaucoup. En cas de tension sur les effectifs due, par exemple, à l'absence d'un remplaçant, nous passons en mode dégradé, comme cela nous est demandé par les autorités de tutelle dans des circonstances assez graves : nous privilégions alors les soins et retardons les activités liées à l'hôtellerie, notamment le ménage.

Madame Dubié, vous m'avez interrogé sur les frais de siège. Comme je vous l'ai expliqué, je m'occupais des établissements et des réseaux à l'échelle internationale : je ne peux donc pas répondre à votre question.

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Jean

Claude Brdenk. J'ai été directeur de l'exploitation du réseau, mais pas du siège. Je ne vais pas vous dire de bêtises, je ne connais pas les frais de siège. Je vous invite donc à poser votre question à Orpea. De même, l'affectation des résultats concerne la direction financière, qui est au siège.

Le prix moyen d'une chambre dans la résidence Les Bords de Seine n'est pas de 300 euros par jour. Ce montant correspond au prix d'une suite, c'est‑à‑dire de la chambre la plus chère. Vers 2019, le prix moyen d'une chambre dans cet établissement devait se situer autour de 200 à 210 euros, ce qui est déjà considérable – je ne connais pas par cœur les prix des mille établissements, d'autant que j'ai quitté Orpea, mais cela représente à peu près le double du prix moyen constaté en France dans un établissement privé. En effet, le terrain a été acheté au Domaine – aux enchères, me semble‑t‑il –, et vous savez bien que le prix du foncier à Neuilly‑sur‑Seine est beaucoup plus élevé qu'à Aurillac ou à Sens. Il est environ dix fois plus élevé que la moyenne nationale.

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Jean

Claude Brdenk. Cela ne s'amortit pas en deux ans, ni en dix ans d'ailleurs...

Madame Firmin Le Bodo, vous avez longuement cité des propos qui me sont prêtés. Je vous l'ai dit en introduction, je n'ai jamais déclaré ni même pensé ce genre de choses. C'est dégradant, et cela relève de la diffamation.

Monsieur Quatennens, vous avez évoqué l'affaire des vingt‑sept directeurs, censée se passer entre 2010 et 2013, alors que je n'étais pas forcément toujours en France. Je veux vous lire un extrait du livre, à la page 92 dans l'édition numérique : « Vous savez, Brdenk a décidé, un jour, de virer 27 directeurs d'une même région, d'un seul coup. Ça s'est fait en quelques mois. Des directeurs avec des taux d'occupation proches de 100 % ! » Je ne comprends pas, car la thèse soutenue par l'auteur est justement qu'Orpea recherche des taux d'occupation très élevés. J'aurais donc décidé de me séparer de vingt‑sept directeurs ayant des taux proches de 100 % ? C'est complètement illogique !

Permettez‑moi maintenant d'entrer dans le détail – vous comprendrez alors pourquoi la façon dont ce bouquin a été rédigé me laisse perplexe. Dans la région concernée, il y a eu au maximum, en une année entière – c'était en 2013 –, sept départs dont trois démissions, un licenciement pour faute grave, un licenciement pour inaptitude – il s'agissait d'une personne en longue maladie – et deux ruptures conventionnelles. Évidemment, ce n'est pas moi qui gérais ce genre de choses, qui relèvent en réalité des ressources humaines, des directeurs régionaux et des directeurs de division.

L'un des chapitres du livre s'intitule « Les 27 sacrifiés ». L'auteur explique d'abord qu'il va avoir vingt‑trois témoignages, puis il espère en obtenir une quinzaine, peut‑être onze, peut‑être neuf. Finalement, il en a eu trois.

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Jean

Claude Brdenk. Dans les citations que vous avez lues, madame Firmin Le Bodo, vous avez évoqué le comex. J'ai entendu dire, lors d'une précédente audition, qu'il s'agissait d'un comité exécutif, alors que c'est un simple comité d'exploitation.

Ce comité d'exploitation, qu'est‑ce que c'est ? Il regroupe les directeurs de division ou de filiale, une fois par mois, pour faire le point sur la situation de l'entreprise ou de chaque division par rapport aux actions en cours. L'ordre du jour a toujours été le même, sans surprise, depuis vingt ou vingt‑cinq ans : les chiffres, les actions menées, les projets, les différents besoins et la qualité. C'est un organe de gestion assez classique dans toutes les entreprises. Je ne sais pas comment on l'appelle ailleurs ; nous l'avons appelé comex – je ne sais pas si c'était judicieux ou non.

Je laisserais trois mois pour avoir des résultats ? Pour gérer un établissement, il faut comprendre la façon dont il fonctionne, et j'ai toujours considéré que cela prenait au minimum deux à trois ans. Cette affirmation me paraît donc absurde : trois mois, c'est totalement illogique.

Sur les baskets, je ne sais pas si c'est à prendre au premier degré. Je suis très étonné.

Ce que les gens pensaient de moi ? Il faudrait demander aux équipes qui ont travaillé avec moi pendant dix ou quinze ans. Jean‑Christophe Romersi, que vous avez reçu, a travaillé à mes côtés pendant quatorze ou quinze ans.

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Jean

Claude Brdenk. Vous voyez que moi, je vous parle. J'essaye de faire cet effort. Vous pouvez au moins me le reconnaître.

Les équipes de directeurs de division avaient en moyenne entre dix et quinze ans d'ancienneté : elles étaient expérimentées.

C'est vrai, madame la députée, je ne suis pas médecin. Je n'ai jamais voulu l'être, d'ailleurs. J'ai toujours laissé les médecins faire de la médecine, définir les projets de soins, les projets d'établissement et les projets médicaux.

Madame Six, concernant les marges, j'ai répondu ; M. Charrier vous l'a dit et je le répète : les résultats sont ce qu'ils sont, entre 5 % et 7 %. Il n'y avait pas d'objectif de croissance en tant que tel. Les établissements nouvellement construits mettent deux à quatre ans à se remplir progressivement, et ils génèrent du chiffre d'affaires et de la croissance. En moyenne, Orpea ouvre entre quarante et soixante établissements par an dans le monde entier. Je ne sais pas si je peux mieux répondre.

Madame Firmin Le Bodo, vous m'avez demandé – je vous en remercie – quel regard je porte sur ma fonction. Je pense l'avoir exercée légitimement du mieux que j'ai pu. Il y a probablement eu des anomalies, des erreurs : je me suis probablement planté, comme n'importe quel dirigeant. Je tiens quand même à souligner un élément de plus qui m'a laissé perplexe. Je vous remercie aussi, d'ailleurs, d'avoir repris les propos que vous avez cités, car ils montrent combien je suis caricaturé. Je vous l'ai dit dès le début, je me sens attaqué, et je vais répondre à cette attaque. « Exécuteur », « cost killer », attitude déplorable, j'aurais fait pleurer des gens en comex... je ne pense pas que ce soit le cas ; il faut leur poser la question. J'ai probablement été très maladroit – très, très maladroit, c'est évident. J'ai dû faire des erreurs, comme tout manager. Mais je pense avoir été quelqu'un d'intègre, de juste et d'équitable. (Exclamations.) Je vous l'ai dit, ma préoccupation a toujours été la même : mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour les équipes, pour les établissements, auprès des personnes âgées, des plus fragiles.

Les ratios de personnel en attestent : quand j'ai quitté le groupe, il y avait 25 000 salariés pour 30 000 lits de sanitaire et de maison de retraite. Concernant le ratio d'encadrement, il était de 65 ETP pour 100 patients en 2019, de 67 en 2020, et entre 46 et 50 en soins, ce qui, comme la directrice générale de l'ARS Île‑de‑France vous l'a expliqué, correspond à la moyenne nationale, qui est, respectivement, de 62 et 48. Sauf dans quelques établissements, dont celui de Neuilly‑sur‑Seine... où le ratio atteignait 85 à 87 ETP, soit 40 % de plus que la moyenne nationale. Ce sont des gens que l'on paie ; les calculs sont assez simples à vérifier. L'établissement est allé au‑delà de ce que prévoit la convention tripartite, au moins ces quatre ou cinq dernières années – pour la période antérieure, je n'ai pas regardé ; je n'ai plus accès à ces chiffres puisque je ne fais plus partie d'Orpea. Chaque fois, la différence était évidemment financée par Orpea. Pourquoi ce choix ? Tout simplement parce que l'établissement, vous l'avez dit, était très onéreux et que nous y avions beaucoup plus de personnel, en soins comme en hôtellerie, que dans les autres. Les chiffres sont ce qu'ils sont, je suis vraiment désolé : la moyenne nationale de 62 ETP pour 100 patients vous a été communiquée par la directrice générale de l'ARS Île‑de‑France, et il y en a bien entre 85 et 87 dans cet établissement, dont des CDI – je ne sais pas dans quelle proportion – et des CDD – très nombreux, pour les motifs que je vous ai expliqués. Nous étions donc bien à plus de 40 % au‑dessus de la moyenne nationale.

Je ne sais pas quoi vous dire de plus. Si vous avez d'autres questions, vous pouvez bien évidemment me les poser.

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Effectivement, nous avons encore une dizaine de questions.

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Tout d'abord, comme mes collègues ici présents, je souhaite exprimer à nouveau toute ma compassion et ma solidarité aux résidents et aux familles, mais également à l'ensemble du personnel des établissements du groupe Orpea et au‑delà.

Je suis persuadée que notre travail de parlementaires, celui des ARS et celui de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances vont permettre de faire toute la lumière sur les allégations de M. Victor Castanet dans son ouvrage. Soyez assuré, monsieur, de notre totale détermination.

Dans cette optique, je souhaiterais vous interroger sur la politique de ressources humaines, notamment les conditions de travail des salariés, au sein d'un groupe dont vous avez été directeur général délégué en charge de l'exploitation et du développement.

Lorsque vous étiez en responsabilité, le groupe faisait‑il varier l'effectif de ses établissements en fonction du taux d'occupation par résidence ?

Quelle était la politique du groupe concernant le remplacement de personnel ? Arrivait‑il qu'il n'y ait pas de remplacement ? Si oui, pour quelle raison ?

Est‑il arrivé que les établissements fonctionnent avec moins de personnel soignant que le nombre déclaré aux autorités sanitaires ?

Quelle était la politique du groupe en ce qui concerne le suivi des financements en provenance de la Caisse nationale de l'assurance maladie et des conseils départementaux ? Plusieurs allégations laissent penser que, dans certaines résidences, les deniers publics n'ont pas été consacrés aux missions pour lesquelles les financements avaient été octroyés. Il s'agit notamment du financement de certains postes de personnel soignant. Avez‑vous déjà eu affaire à ce type de situation ? Quelles étaient les réactions et sanctions de la part du groupe ?

Quelle était la politique du groupe en matière de reversement des dotations publiques lorsque celles‑ci étaient supérieures aux besoins réels des établissements ?

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Jean

Claude Brdenk. En ce qui concerne la variation de l'effectif par rapport au taux d'occupation, les choses sont assez simples. Le livre prétend qu'à un moment, il a été demandé – je ne sais pas par qui : un directeur ? Je ne sais pas lequel – de supprimer des personnels en fonction dans un établissement, notamment un médecin coordonnateur ; vous voyez à quel passage je fais référence. Cela m'a choqué. Il est impossible et complètement stupide de supprimer un CDI parce que vous avez trois résidents en moins, surtout quand il s'agit d'un poste de médecin, pour le recréer quinze jours après dans les effectifs et recruter un nouveau médecin.

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Jean

Claude Brdenk. Un médecin en CDD, c'est assez rare... j'ai rarement vu cela – peut‑être une rétribution en honoraires, ou une convention, s'il exerce en libéral.

Concernant les postes en soins, les choses sont quasiment fixes. Ils dépendent des budgets qui nous sont octroyés, vous le savez très bien. Il y a peu de souplesse possible.

Les CDD de remplacement sont nécessairement anticipés. Quand on peut, on essaye de le faire. Il est toujours difficile de trouver quelqu'un pour le lendemain. Que fait‑on quand on n'a pas assez de personnel en soins ? Ponctuellement, il est possible que l'on n'arrive pas à en trouver. Dans ce cas, on décide de recruter coûte que coûte. Les personnes concernées, qui sont évidemment accompagnées, apparaissent alors, dans les éléments de reporting, comme « faisant fonction de ». Certaines ARS les acceptent, d'autres les rejettent. Je n'ai jamais compris la raison de cette différence de traitement.

Ces personnes, des auxiliaires de vie en CDD de remplacement, non diplômées, étaient très importantes pour nous : elles ont servi de vivier de recrutement pour des CDI et, surtout, nous les avons fait bénéficier de formations internes diplômantes. Cela va peut‑être vous étonner, mais, en 2004, la seule entreprise qui a réussi à décrocher l'autorisation d'avoir une école de formation délivrant le diplôme d'État d'aide‑soignant, c'est le groupe Orpea. À l'époque, nous commencions tous à instaurer les conventions tripartites, nous essayions tous de faire venir des aides‑soignantes et des infirmiers, fonctions qui n'existaient pas auparavant dans nos structures, et nous nous apercevions que cela allait être difficile.

Lors d'un congrès de notre syndicat national, le ministre de la santé de l'époque, M. Douste‑Blazy, nous a expliqué qu'il ne comprenait pas pourquoi, alors que la réforme de la tarification lancée par Mme Guinchard‑Kunstler était en marche, les groupes présents ne créaient pas d'école d'aides‑soignantes. On s'est tous regardés, et je suis allé le voir après son intervention : « monsieur le ministre, votre remarque est très pertinente, mais cela fait un an et demi que nous suivons la procédure administrative pour cela auprès de deux ministères » – dans mon souvenir, ce n'est pas la santé qui demandait des documents, mais l'enseignement supérieur – « et que nous n'arrivons pas à avancer ». Il a souri, a dit « très bien » ; l'un de ses collaborateurs était présent ; j'ai été recontacté dans la semaine et deux ou trois semaines après, je me suis retrouvé dans le ministère dont dépendait la création de l'école, accompagné de ce collaborateur du ministère de la santé, qui a demandé à notre interlocuteur ce qui bloquait dans les volumes de papiers que nous avions déposés. On n'a pas très bien compris sa réponse, mais j'ai obtenu l'autorisation quinze jours plus tard.

Tout cela ne signifie peut‑être pas grand‑chose et ne représentait en tout cas pas grand‑chose quantitativement. Mais, pour nous, c'était énorme. Depuis 2004, nous avons diplômé dans cette école, avec 100 % de réussite, dix personnes seulement : cela vous semble ridicule au regard des besoins ; mais cela nous a permis d'apprendre à diplômer les personnes. Or, à cette époque, nous pensions déjà que l'on pouvait faire de l' e‑learning et utiliser la validation des acquis de l'expérience (VAE) pour des fonctions que l'on appelait les aides médico‑psychologiques. Dans ce cadre, ce ne sont pas dix personnes que l'on diplômait à terme, mais deux cents, trois cents. In fine, Orpea a délivré des diplômes d'État d'aide‑soignant en VAE, dans le cadre de commissions départementales où siégeaient les agences régionales de l'hospitalisation, à des milliers de personnes. Et là, cela a changé la donne. Tout cela parce que nous nous étions battus, qu'un ministre nous avait écoutés, et que nous avions obtenu dix places. Car c'est ce qui nous a permis de comprendre ce qu'il fallait faire.

Pour revenir à votre question, madame la députée... (« Ah ! »)... à laquelle j'ai déjà répondu en grande partie, il y a très peu de postes fixes sur lesquels on peut faire des remplacements. Dans le domaine des soins, je vous ai expliqué ce que nous faisions lorsque nous ne trouvions pas de soignants. Les remplacements de personnel, nous nous efforcions d'y procéder, comme je vous l'ai aussi expliqué : c'est ce qui entraîne cette foultitude de CDD. Il s'agit, je le répète, d'un exercice budgétaire que l'on nous demande. Il est impossible de se conformer exactement au cadre budgétaire qui nous est donné : on est toujours au‑dessus ou en dessous.

Vous m'avez demandé si nous reversions nos dotations excédentaires. Oui, madame, nous les reversions, jusqu'en 2016, date d'instauration des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens. De mémoire, toutes les dotations qui n'étaient pas dépensées en personnel en année n – je vais vous expliquer pourquoi, mais vous le savez déjà – étaient reprises en année n + 2. Les montants distribués par les ARS étaient assez considérables ; c'était la période de montée en charge des dispositifs et de ce que l'on a appelé la convergence tarifaire. Mais vous maîtrisez tout cela aussi bien que moi, voire mieux.

Pourquoi avions‑nous des excédents ? C'est un point très important. Vous connaissez, je pense, l'existence des budgets prévisionnels et des comptes d'emploi, au mois d'avril. Les crédits déconcentrés de l'État arrivaient dans les ARS officiellement en avril, mais, dans les faits, plutôt en juin ou juillet ; le temps qu'ils soient répartis, beaucoup nous parvenaient au cours du dernier trimestre, entre septembre et novembre, et plutôt en novembre qu'en septembre. Dès lors, soit nous avions eu la chance de procéder à des recrutements en CDI – ces fameux recrutements que nous tentions d'obtenir – et nous les avions financés sur la trésorerie de l'établissement, auquel cas les dotations permettaient de résorber ces coûts ; soit nous n'avions pas réussi à trouver ces personnes et nous avions utilisé des CDD, dont le coût était lui aussi absorbé ainsi ; soit, enfin, nous n'étions pas parvenus à trouver ces personnes et nous n'avions pas eu la certitude d'avoir les dotations, auquel cas cet argent que nous ne pouvions plus utiliser était, selon la procédure, reversé aux ARS au bout de deux ans.

Je ne peux pas vous dire quelles sommes cela représentait ; il faudrait poser la question à Orpea ; mais cela dépassait largement le million d'euros chaque année.

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La mission diligentée par Brigitte Bourguignon trouvera‑t‑elle dans les comptes la trace de ces opérations ?

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Jean

Claude Brdenk. Oui, bien sûr. Je ne peux pas vous dire le montant exact.

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Ce n'est pas le montant qui m'intéresse, mais le process.

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Jean

Claude Brdenk. Il était évidemment respecté lorsque nous étions excédentaires.

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Lors de l'audition de Philippe Charrier, nouveau président‑directeur général d'Orpea, nous sommes restés sur notre faim, n'obtenant au bout du compte aucune réponse à nos questions, pourtant simples.

Comme tous, j'ai été particulièrement indigné par les révélations, dans le livre Les Fossoyeurs, de manquements graves et d'importants dysfonctionnements au sein du groupe Orpea. Je ne veux pas pointer du doigt les auxiliaires de vie, les aides‑soignantes, les infirmières et l'ensemble des soignants qui œuvrent quotidiennement pour nos aînés : il n'est pas question de jeter l'opprobre sur eux, mais de s'interroger sur l'organisation, la gestion et les méthodes du groupe relevées dans l'enquête et qui sont des plus choquantes.

Mes questions seront simples et appellent des réponses simples.

Pouvez‑vous nous dire clairement si la politique du groupe en matière de réduction des coûts a conduit au rationnement de protections et de nourriture pour les résidents ?

Le livre décrit un turnover important. Le groupe a bien dû s'interroger à ce sujet. Quelles actions ont été menées pour réagir à ce problème ?

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Monsieur Brdenk, vous êtes très prolixe et je vous en remercie – vous l'êtes presque trop, mais nous saurons tirer de vos propos l'essentiel.

Selon le livre de M. Castanet, vous êtes l'un des créateurs du système Orpea et personne n'osait s'opposer à vous alors que vous étiez l'une des têtes « omnisciente [s], omniprésente [s] et omnipotente [s] » au cœur de cette matrice : un système de pilotage industriel – ce que je crois d'ailleurs entendre dans votre manière d'expliquer votre fonction – de la prise en charge des personnes âgées. Pour moi, il y a déjà une inadéquation entre cette mission et le qualificatif « industriel ». Le résultat est un record : plus de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires en novembre 2020, en pleine crise sanitaire, alors que l'État a aidé l'ensemble des groupes privés à payer la prime covid. Vous étiez un cost killer, intraitable concernant la politique de contraction des dépenses que vous avez instaurée et la réduction des coûts destinée non à amoindrir la dépense publique, mais à en intégrer une partie dans les comptes du groupe.

Tout cela ressort, je le répète, du livre et relève à ce stade de l'allégation. Mais j'aimerais que vous nous en disiez plus sur ces points, et plus précisément sur les ajustements mensuels des effectifs : quand vous supprimez deux postes sur huit parce que le taux d'occupation est de 92 %, comment en mesurez‑vous l'impact sur la qualité des soins et l'accompagnement des résidents, alors même que vous prônez une politique en faveur de la bientraitance ? Et comment ces réductions d'effectifs se traduisent‑elles dans les dépenses financées par de l'argent public ?

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Marie

Noëlle Battistel. Vous avez été directeur général délégué pendant dix ans, chargé du management – le directeur des directeurs, en somme, et l'artisan du système Orpea. Pourtant, à vous entendre – depuis près de deux heures –, vous n'êtes responsable de rien.

Les irrégularités des contrats ? La faute à la loi sur les CDD. Les maltraitances ? La faute à la crise démographique, et même à la crise environnementale. Les achats ? Ce n'était pas votre compétence. Les contrôles ? Vous n'étiez jamais prévenu. Alors comment expliquer que nous ayons en main des courriers de l'ARS qui avertissent qu'en raison de certains événements, il va y avoir une visite, en précisent la période et indiquent le nom des personnes missionnées ? L'heure exacte n'était pas donnée, certes, mais vous aviez tout le temps de vous préparer. Les marges arrières ? Vous n'avez pas répondu au motif que vous venez d'arriver chez Bastide. Alors peut‑être pouvez‑vous répondre à la question symétrique : Orpea a‑t‑il reçu des versements de Bastide en fin d'année lorsque vous étiez en responsabilité ? Si je vous interroge sur les 4,20 euros de dépense alimentaire, vous allez, j'imagine, me répondre que vous ne gériez pas les achats...

En fait, tout ce qui est écrit dans le livre de Victor Castanet est pour vous totalement faux, sorti de son imagination. Que faites‑vous donc des témoignages de familles qui arrivent tous les jours, de ceux du personnel ? Sont‑ils eux aussi sortis de son imagination ? Si oui, il serait urgent que vous traîniez M. Castanet en justice, mais vous hésitez encore.

Vous aviez beaucoup d'actions chez Orpea. Les détenez‑vous toujours ou les avez‑vous soldées à votre départ ?

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Le décalage est complet entre les révélations du livre Les Fossoyeurs et ce que vous nous décrivez du système Orpea. C'est intéressant, car dans le dernier document d'enregistrement universel publié par le groupe, qui date du 12 mai 2021, sont examinés les facteurs de risque de l'activité d'Orpea, dont, dans la catégorie « risque exploitation », le « risque lié au non‑respect des droits et de la dignité des personnes fragilisées » et le « risque lié à la prise en charge médicale et à la qualité des soins ». Ces deux risques y sont évalués comme « modérés ». Cela montre la grande confiance que la direction et le conseil d'administration plaçaient dans le système qualité...

À la lumière de ce que nous apprennent ces révélations, si c'était à refaire, que changeriez‑vous à ce système ? C'est une faillite sur tous les plans, puisqu'il crée le désarroi chez les résidents et leurs familles tout en entraînant la chute du cours de bourse de l'entreprise : vous ne satisfaites ni les actionnaires ni les résidents dont vous avez la charge.

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Jean

Claude Brdenk. En ce qui concerne le turnover, la réponse figure dans le document de référence de l'entreprise, qui est public : il était situé entre 20 et 22 %. À titre de comparaison, parmi d'autres entreprises cotées, notamment dans l'hôtellerie et la restauration, on trouve un groupe qui est lui aussi un leader et dont le turnover est également de 20 %. Je ne m'en satisfaisais pas du tout : j'aurais préféré que notre turnover soit le plus bas possible et je pensais qu'il était possible de le réduire. Ce n'est plus de ma responsabilité.

J'aurais aimé vous répondre au sujet du « livre » paru en mai 2021, mais j'ai quitté mes fonctions en 2020 : je ne sais pas du tout à quoi vous faites référence.

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Jean

Claude Brdenk. Je n'ai pas rédigé ce « livre » et je ne sais pas ce qu'il contient – récemment, j'ai été occupé à en lire un autre... Je vais néanmoins essayer de répondre.

J'ai bien constaté la chute du cours de vourse d'Orpea. Vos questions portent sur son système qualité. À ce propos, beaucoup de questions de vos collègues partent du principe que la présentation qui est faite dans le livre est la bonne. Or, si certains éléments y sont exacts, je conteste la façon dont la thèse y est soutenue. Je vous en ai donné plusieurs exemples. Je conteste donc formellement qu'il s'agisse de la vérité absolue, comme je l'ai dit en introduction. Le système qualité d'Orpea est certainement perfectible. Si des erreurs ont été commises, il va évidemment falloir les sanctionner puis les corriger. Sur quelle partie ? Laissons les enquêtes se faire, et je pense qu'Orpea saura trouver la réponse, et pas seulement lui : car si la thèse défendue se concentre sur ce groupe, il existe dans le secteur bien d'autres acteurs, privés ou non, et s'il y a des choses à modifier, il faudra le faire pour tout le monde. Il faut en tout cas absolument prendre du recul et attendre les études portant sur d'éventuelles défaillances.

En ce qui concerne l'alimentaire, il a fallu que je me replonge dans les notes que j'avais encore en ma possession quand j'ai quitté l'entreprise. Plusieurs aspects nous interpellaient.

Je vous livre d'abord une donnée de notre direction médicale qui date de 2019, mais porte sur l'année précédente, dans le cadre des rapports médicaux que nous produisons et qui donnent lieu à une synthèse sur le logiciel NETSoins : les résidents entrants étaient à 76 % désorientés et à 62 % dénutris. Ces chiffres résultent du bilan médical effectué la première semaine avec le médecin traitant, ou sous la supervision du médecin coordonnateur, qui peut également prescrire les analyses. Au bout de trois mois – ce sont des données médicales incontestables que les études à venir pourront mettre en évidence –, 65 % des résidents dénutris ont retrouvé un poids normal et une alimentation normalisée. La question des 35 % restants, que je me suis longuement posée, il faudrait la soumettre à un médecin gériatre, car les raisons pour lesquelles ils ne se stabilisent pas sont d'ordre médical.

Je vous l'ai dit, je crois à un lien étroit entre l'alimentation et les soins. Un opérateur ou un directeur d'EHPAD qui consacrerait son énergie aux soins en laissant la restauration de côté irait à l'échec. J'irai même jusqu'à demander – cela fait partie de ce qui m'interpelle dans le livre – quel serait l'intérêt de rationner l'alimentation, pour utiliser les termes de M. Castanet, alors que cela entraîne des problèmes qui débouchent hélas sur des décès, si vraiment, comme il l'affirme, le taux d'occupation est fondamental ? Pour faire simple, si on réduit le nombre de résidents en ne leur donnant pas à manger, on réduit le chiffre d'affaires.

En 2018, une émission télévisée a abordé les problèmes d'alimentation. J'ai alors voulu en avoir le cœur net. Je comprenais les réactions, mais je me demandais de quoi on parlait, quels étaient les volumes engagés.

Orpea, en France, c'était, en 2018, 11 ou 12 millions de journées alimentaires. Ce lexique n'est pas purement industriel : lors d'une audition précédente, l'un de vos collègues, qui avait auparavant géré un établissement, a abordé le CRJ, le coût repas journalier, pour s'étonner qu'on ne le contrôle pas. Près de 55 millions de repas étaient préparés en interne dans le monde au cours de l'année. Le risque le plus élevé, en la matière, ne concerne pas le coût ni le rationnement : ce sont, comme vous l'avez lu dans la presse ces dernières années, les TIAC, selon la terminologie de nos tutelles, c'est‑à‑dire les toxi‑infections alimentaires collectives, des infections généralisées d'un ou plusieurs résidents qui se soldent par leur décès après une hospitalisation. À ma connaissance, sur ces 55 millions de repas par an, des centaines de millions au fil des années, nous n'avons pas connu un seul décès par TIAC. Certains l'attribueront au hasard, mais, pour moi, c'est que les différents contrôles ne devaient pas être si mauvais.

Le CRJ alimentaire était en 2018 de 14,26 euros hors taxes. Il comprend les denrées, les compléments alimentaires, les équipements, la maintenance, le personnel, mais non les loyers. Pour les seules denrées, ce coût de revient était de 4,73 euros hors taxes. Je ne savais pas si ce montant était suffisant ou non. Nous en avions une idée, bien sûr : nous avions des éléments de comparaison, notamment les sociétés qui proposent des prestations alimentaires et les grandes enseignes ; nous savions donc que nous étions dans la norme. Mais je voulais mesurer cette norme par rapport à ce qui était dit dans la presse à cette époque.

Nous avons donc fait une chose relativement simple : nous avons choisi une semaine de menus de la saison hiver, précisément de décembre 2018, et nous avons fait les courses pour un foyer fictif de quatre personnes, soit vingt‑huit journées alimentaires. Nous sommes allés dans deux magasins de type différent : une enseigne classique de la grande distribution, dont je ne donnerai pas le nom, et un hard discounter.

Pour être sûrs que l'on ne nous reproche pas un jour des calculs erronés, nous les avons fait constater par un huissier dans un procès‑verbal. Lorsque j'ai vu les résultats, j'ai été moi‑même très perplexe, et j'ai demandé à refaire les calculs. Dans la grande distribution, le CRJ était de 5,69 euros hors taxes. Chez le hard discounter, qui proposait exactement les mêmes produits, il était de 5,15 euros. Votre collègue député évoquait le montant de 5,20 euros, également hors taxes je suppose ; nous n'en sommes donc pas loin.

Il y a une petite différence, de 9 %, entre le prix chez le hard discounter et le prix moyen de 4,73 euros. Or on parle ici de vingt‑huit journées alimentaires, alors qu'Orpea en faisait 12 millions. Ce sont donc des achats massifs ; ceci explique peut‑être cela. Je pensais très franchement que l'écart serait beaucoup plus important et qu'il y avait une erreur de calcul. Quant à votre collègue député, s'il a retenu un établissement de cent personnes, il a fait un calcul portant sur 36 500 journées alimentaires.

Nous achetions des produits des produits sous vide, de type viande fraîche., assez chers, relevant de la cinquième gamme – ce n'est pas du tout péjoratif, ce sont plutôt des produits haut de gamme. La plupart des chefs qui travaillent dans les établissements en France ont été formés par des écoles, avec des chefs étoilés, qui connaissent parfaitement nos cuisines et notre choix de produits.

Les calculs dont je vous ai fait part montrent que nous n'étions manifestement pas complètement en décalage ; tout cela est même cohérent. Simplement, je le répète, nous faisions 12 millions de journées alimentaires, et il n'y a eu aucune TIAC. Plus on augmente le nombre de clients, plus on diminue la facturation. L'auteur du livre défend une thèse exactement contraire, mais il n'y a pas d'intérêt à rationner la nourriture.

Je vous ai donné les chiffres ; tout cela est constatable par huissier. J'imagine qu'Orpea vous remettra l'ensemble de ces éléments. C'est moi qui les avais demandés, car je voulais savoir où nous en étions, de manière factuelle.

J'en viens aux protections. Il y a là encore une obligation de moyens.

Selon l'aide‑soignante et l'infirmier qui témoignent au début du livre, il y avait dans l'établissement de Neuilly‑sur‑Seine, le plus cher de France, 3 changes – ou produits d'incontinence – par jour. Je rappelle les chiffres communiqués par Orpea : en 2019, 5,4 changes par résident ; en 2020, 4,6 changes. Ces données sont à la disposition des enquêteurs.

Je rappelle que les effectifs de l'établissement de Neuilly sont supérieurs de 40 % à la moyenne nationale. L'infirmier et l'aide‑soignante qui y a travaillé pendant un an et dit ne pas avoir trouvé suffisamment de produits d'incontinence avaient autour d'eux trente‑cinq à quarante personnes de la même équipe.

Il peut toujours arriver que des produits ne soient pas livrés. J'ai été marqué par une grève des camionneurs qui bloquaient les routes ; il y a eu aussi des grèves de raffineries, par exemple en 2019, dans les circonstances que vous connaissez. Je ne voulais pas manquer de produits et j'avais donné comme directive d'avoir toujours un stock supérieur de 50 % à la capacité utilisée normalement. Je ne peux pas vous répondre autrement.

Comme l'a rappelé la directrice générale de l'ARS Île‑de‑France, Orpea compte cinquante‑sept établissements dans la région. Le plus proche de celui de Neuilly‑sur‑Seine est une clinique, qui doit être à quinze minutes à pied de l'autre côté du pont. Si toutefois cette clinique est également, par malchance, en rupture de stock, il y a une caisse dans l'établissement. Celle‑ci devait contenir, à l'époque, 400 ou 450 euros de cash, qui permettait, sur présentation du reçu, de payer les trajets en Uber ou en taxi G7 pour les membres de l'équipe qui n'avaient plus de métro le soir pendant le covid. Les salariés ne sont pas livrés à eux‑mêmes. S'il manquait des produits d'incontinence, on pouvait toujours, dans le pire des cas, en acheter. Quand vous gérez un établissement comme celui de Neuilly, ce n'est pas le sujet. L'obligation de moyens, c'était d'avoir les produits.

Madame Vidal, vous avez parlé de système de pilotage industriel. J'ignore si vous avez repris ces termes de l'ouvrage. Pour ma part, je ne parle pas d'industrialisation, je parle de projet de vie, et je ne pilote pas, contrairement à ce qui est rapporté dans le livre. Je ne pilotais pas les ratios d'aides‑soignantes ou d'infirmiers dans tel ou tel pays. Ce qui compte, c'est ce qui se passe sur le terrain. À l'évidence, on ne peut pas piloter depuis un bureau et un ordinateur, au demi‑poste près pour reprendre un exemple donné dans le livre, le nombre d'aides‑soignantes, d'infirmières ou de médecins, un millier de plannings et une série de conventions dont la forme varie selon le pays ! Humainement et techniquement, c'est impossible.

Il y a des conventions par site ; les plannings sont faits localement, dans les sites, pas dans les sièges. Compte tenu du nombre de contrats, les directeurs disposent d'outils pour les aider, mais ces outils ne permettent pas de consolider ce genre de données. Il n'y a pas de traitement industriel des processus. La seule personne qui peut recruter dans un délai assez bref, c'est le directeur ; ce n'est pas une personne travaillant dans un siège, quel qu'il soit. C'est le directeur qui fait ses plannings, et il a tous les moyens pour les faire. Il peut arriver qu'il y ait des tensions sur un certain nombre de postes, auquel cas on essaie de l'aider. Je vous ai expliqué tout à l'heure ce que nous faisions lorsqu'on n'arrivait pas à recruter des soignants.

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Vous parlez des recrutements. D'après ce qui est décrit dans le livre, les directeurs de résidence n'ont aucune autonomie. Le logiciel GMASS est construit de telle sorte – on doit pouvoir le voir très facilement si on va chez Orpea – que la demande de recrutement doit nécessairement être validée au siège par un supérieur hiérarchique, qui décide en fonction du taux d'occupation. Une fois la demande validée, le directeur peut effectivement procéder au recrutement.

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Jean

Claude Brdenk. Dans le livre, GMASS est présenté totalement à charge, comme la plupart des outils qui y sont évoqués. Ce n'est pas une usine à gaz, nationale, régionale ou départementale. C'est un outil assez simple, à disposition des directeurs et des directeurs régionaux.

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Jean

Claude Brdenk. GMASS sert en quelque sorte de niveau à bulle.

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C'est un logiciel de ressources humaines.

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Jean

Claude Brdenk. Pas forcément.

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Jean

Claude Brdenk. Non, pas du tout, madame Vidal. Ce serait prendre pour argent comptant ce qui est écrit dans le livre. C'est un logiciel qui permet au directeur de savoir où en sont les effectifs, de connaître les recrutements à effectuer en fonction des départs – vacances, arrêts maladie. Il doit l'utiliser au moins une fois par mois ; il peut le faire chaque jour s'il le veut.

Comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, il peut se passer deux choses. Si la masse salariale augmente, il faut comprendre pourquoi ; il y a probablement des arrêts de travail.

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Jean

Claude Brdenk. Si vous le savez, il est inutile que je réponde.

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Essayez de répondre de manière concise, monsieur le directeur. Il reste encore plusieurs questions.

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Jean

Claude Brdenk. Un effectif qui n'est pas stabilisé appelle toujours l'attention et une action correctrice, avec un passage du directeur régional pour mieux comprendre les difficultés. Une sous‑consommation du budget est anormale et tout aussi inquiétante qu'une surconsommation. L'enjeu est de comprendre ce qui se passe dans l'établissement. Pour cela, il faut s'y rendre et dialoguer avec le directeur : quelles sont les fonctions concernées ? Pourquoi y a‑t‑il moins de postes que prévu ? Quelles sont les conséquences potentielles pour les résidents ? Le directeur a‑t‑il prévu ou non des actions correctrices ?

GMASS est présenté dans le livre comme une sorte de Big Brother. Or c'est une simple application, qui ne fait nullement appel à l'intelligence artificielle.

Je vous l'ai dit, le turnover pour l'ensemble des motifs – départ en retraite, accompagnement de conjoint... – est compris entre 18 % et 22 % par an. Cela se retrouve dans les plannings. GMASS est une aide à la prévision en la matière. Ce n'est pas parce qu'un directeur a utilisé GMASS qu'il n'aura pas de remplaçants à trouver quand il arrive le matin, mais cela lui permet de limiter les difficultés, en se projetant quinze jours ou trois semaines à l'avance. Il n'y a pas de malice ni d'élément vicieux dans GMASS.

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Marie

Noëlle Battistel. Vous n'avez toujours pas répondu sur les reversements annuels de Bastide à Orpea, ni sur les actions d'Orpea que vous détiendriez actuellement.

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Jean

Claude Brdenk. J'ai vendu et acheté des actions. Au total, j'en ai conservé les trois quarts.

Concernant les éventuels reversements, je vous ai expliqué qu'il n'y avait pas de RFA. Je m'en tiens à ce que vous a dit M. Charrier lors de son audition : il s'agit manifestement de CPS. Mon travail consistait à m'assurer que nous avions tous les moyens nécessaires sur le terrain ; je ne m'occupais pas des achats. Le choix des produits et des services était validé par des pharmaciens acheteurs à la direction médicale. Nous avons toujours voulu disposer des meilleures marques existantes pour l'ensemble des produits, pour les soins comme pour la restauration. Nous avons d'ailleurs changé de fournisseurs à plusieurs reprises. Nous achetions par exemple les rails releveurs à Hill‑Rom et les lits au français Winncare. Ce sont des personnes très sérieuses et réputées, qui savent faire des produits de qualité.

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J'ai lu le livre, et je suis un peu bête et obstiné : les marges arrières existent bel et bien. Bastide reversait 2,1 millions d'euros par an ; Hartmann, 2,5 millions. Une employée d'Orpea, qui était payée pour ce faire – correctement, j'espère –, dressait chaque année un tableau de ce qu'elles rapportaient : 10 millions d'euros, restitués par 122 fournisseurs. Vous dites que cela n'existe pas, mais c'est écrit dans le livre. J'attends donc une réponse précise concernant ces marges arrières, un des leviers principaux du système Orpea que vous avez inventé et promu – d'après le livre, vous étiez surnommé « l'exécuteur » au sein du groupe.

Vous dites que GMASS est une simple application. Pourtant, elle avait pour objet de réduire la masse salariale. Le recours massif et abusif aux CDD et aux contrats d'intérim – d'ailleurs source de marges arrières pour le groupe Orpea –, les licenciements réguliers, bref ce turnover inquiétant, qui semble désormais vous préoccuper, dégradait le service aux résidents et induisait de la maltraitance : des patients qui ne sont pas accompagnés, pas changés, pas aidés pour prendre leur repas. Et c'est grave.

Reconnaissez‑vous avoir conçu un système de ce genre et mis en œuvre de telles pratiques d'optimisation de la masse salariale ? Comment expliquez‑vous tous ces éléments ?

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Dès le début de votre propos, vous vous êtes retranché derrière l'existence d'un vide juridique et la réglementation applicable à l'époque aux maisons de retraite. Vous vous êtes senti agressé par nos questions, vous l'avez reconnu. Dans de tels moments, le droit et les règles rassurent et protègent, tout comme le détail du fonctionnement des différents logiciels que vous nous avez exposé à l'instant.

C'est pourquoi ma question portera sur l'éthique, laquelle encadre le droit. L'éthique, c'est la conception morale d'une personne ou d'un milieu. Quelle était l'éthique du fonctionnement au sein de votre siège ? Vous nous avez fait un exposé sur les ressources humaines et les difficultés que vous rencontriez dans la gestion de vos contrats. Ne pensez‑vous pas que l'éthique du management de proximité est essentielle ? Comment expliquez‑vous la tyrannie du siège d'Orpea et l'impossibilité pour vos directeurs d'agir et de réagir sur le terrain ? Le livre met clairement en avant une volonté de priver les managers de proximité de leviers d'action, de les empêcher d'exercer leur métier.

Je poursuis sur l'éthique, qui vient du mot grec ethos, signifiant « manière de vivre ». L'appât du gain et l'obsession pour les résultats boursiers ont‑ils pu entacher à un moment donné votre pilotage et justifier en interne les dérives éthiques décrites dans Les Fossoyeurs ? Vous avez évoqué de nombreux indicateurs – je les connais moi aussi : le taux d'occupation, les TIAC, les ETP, les ratios, les prix de repas, la capacité d'autofinancement, l'EBITDAR, l'indicateur de consommation des solutions hydro‑alcooliques, l'indice composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales, etc. Par pitié, détaillez‑nous les indicateurs éthiques que vous avez décidé de déployer ! Sans ce supplément d'âme dans la gestion des établissements accueillant des personnes âgées, comment travailler et exercer votre activité de manière pérenne ?

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En venant à cette audition, je me disais que nous verrions un homme à l'apogée de sa carrière, arrivé tout en haut de l'échelle de décision d'Orpea, après un parcours vraisemblablement brillant ; un homme responsable de ses actes et de leurs conséquences. Vous avez parlé de déploiement, de stratégie, de planification, alors que j'attendais l'évocation d'une réponse aux fragilités, un peu d'humanité à l'égard de ces personnes âgées vulnérables – elles étaient visiblement une source de profits. J'attendais aussi une réflexion sur le respect de la dignité et des droits fondamentaux de la personne âgée ; c'est le socle de l'éthique, comme vient de le rappeler ma collègue. Alors qu'il est difficile de justifier l'injustifiable, vous avez parlé à deux reprises de « discernement », c'est‑à‑dire de la capacité de l'esprit à juger clairement et sainement des choses. N'en avez‑vous pas manqué, précisément ? Si tel n'est pas le cas, pourquoi et comment en êtes‑vous arrivé là ?

Je vous adresse de nouveau la question que tous mes collègues ont posée : qui est donc à l'origine de la machine à cash où on gagne à tous les coups ?

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En votre qualité d'ancien directeur général délégué en charge de l'exploitation et du développement d'Orpea, pourriez‑vous nous expliquer comment vous gériez le dialogue social dans l'entreprise, ainsi que les conséquences en matière de ressources humaines ?

Mme Lamarche, ancienne juriste en alternance chez Orpea, a tenu les propos suivants sur une radio nationale : « au sein de la RH, la politique mise en place est systématique, réfléchie et permet de faire des économies au détriment des conditions de travail des salariés » ; « les salariés qui portent des contestations ne sont pas les bienvenus » ; « on prend certaines largesses vis‑à‑vis du droit du travail ». Elle évoque ce qui a été retenu comme motif pour un « licenciement d'office » et parle d'« illusion » de dialogue social.

Je m'interroge donc sur la qualité du dialogue social chez Orpea. Compte tenu du turnover très élevé que vous avez décrit, de l'ordre de 20 % – on considère qu'un taux supérieur à 15 % est élevé –, pouvez‑vous nous décrire les mesures que vous aviez prises pour mener un dialogue social portant sur les conditions de travail, la qualité de vie au travail, la santé au travail, l'organisation du travail ou le partage de la valeur – autant de thèmes dont l'évocation atteste la qualité du dialogue social ?

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J'ai l'impression que, depuis le début de l'audition, vous noyez le poisson. Quand la question est embarrassante, vous nous répondez : « je ne m'occupais pas de cela », « c'était géré au siège », « je ne dirigeais pas le siège » ou encore « je ne pilotais pas les ratios d'aides‑soignantes ou d'infirmiers ». Nous avons ce soir la démonstration qu'il est indispensable de créer une commission d'enquête.

Le groupe Orpea emploie‑t‑il d'anciens hauts fonctionnaires d'ARS, notamment au siège ?

Vous êtes parti de chez Orpea le 31 décembre 2020 pour intégrer le SYNERPA en 2021. Pourquoi avez‑vous quitté le SYNERPA quelques mois seulement après y être arrivé ? Étiez‑vous devenu persona non grata ?

Orpea organisait‑il des séminaires luxueux pour quelques cadres ? Si tel est le cas, y avez‑vous participé ? Avez‑vous une idée du coût moyen par personne ?

Puisque le siège semble responsable de tout, et vous, de rien, qui au siège pourrait répondre à nos questions ?

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Jean

Claude Brdenk. Je ne sais pas à quels hauts fonctionnaires d'ARS il est fait référence dans le livre. Leur nom n'est pas donné.

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On ne peut pas continuer comme ça ! Ce n'est pas la question que j'ai posée. Savez‑vous si Orpea a employé des anciens fonctionnaires d'ARS ? Répondez « je sais » ou « je ne sais pas » !

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Jean

Claude Brdenk. Je ne sais pas. Je n'ai pas eu personnellement à recruter de hauts fonctionnaires, ni des ARS, ni des départements, ni de la fonction publique territoriale. Je sais que des fonctionnaires en disponibilité et des agents contractuels des départements sont entrés chez nous pour exercer différentes fonctions, parce qu'ils voulaient comprendre comment fonctionnait un établissement sanitaire ou médico‑social. Je n'en ai pas recruté personnellement, sinon je vous l'aurais dit. Certaines de mes responsabilités étaient internationales.

Vous dites que j'ai quitté Orpea pour rejoindre le SYNERPA. Je me permets de préciser que c'est tout à fait inexact. Sauf erreur de ma part, le SYNERPA était issu de la fusion de plusieurs fédérations, dont l'Union nationale des établissements privés pour personnes âgées (UNEPPA). J'étais membre du conseil d'administration de l'UNEPPA et j'ai rejoint le bureau du SYNERPA au moment de la fusion.

Pendant la crise du covid, au mois d'avril 2020, la présidente du SYNERPA a donné sa démission, pour des raisons qui lui sont propres. J'étais alors assez occupé sur le plan international par la gestion de la crise du covid, je l'ai dit. Un certain nombre de membres du bureau m'ont demandé si j'accepterais éventuellement de prendre la présidence du SYNERPA, dans cette période très critique pour les établissements. J'ai accepté, pour la bonne cause. Contrairement à ce qui est sous‑entendu dans le livre, je ne me suis pas proposé, je n'ai jamais brigué un quelconque poste. Orpea avait beaucoup de protocoles de soins, ce n'était d'ailleurs pas le seul opérateur dans ce cas. Nous étions particulièrement vigilants sur les changements de protocoles au fil du développement de la crise. On nous a d'ailleurs adressé à plusieurs reprises des remerciements à ce sujet.

Lorsque j'ai quitté mes fonctions chez Orpea, le directeur général et le board m'ont demandé de continuer à représenter le groupe au bureau du SYNERPA, ce qui figure dans le communiqué de presse du 3 novembre 2020. C'est donc ce que j'ai fait, jusqu'au mois de novembre 2021. Je n'étais plus alors salarié du groupe. Je lisais l'ensemble des documents, qui sont très longs à lire. Je demandais quelles questions il fallait poser et recueillais l'avis d'Orpea pour pouvoir le présenter si on me le demandait. J'envoyais mes comptes rendus et mes rapports, décrivant notamment les différentes thématiques abordées.

Qui, au siège, pourrait répondre ? Sur les problèmes de ressources humaines – c'est un métier très précis –, cela pourrait être le directeur des ressources humaines (DRH). Lors de la première audition que vous avez organisée, il a voulu répondre, mais l'audition s'est arrêtée à ce moment‑là.

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Jean

Claude Brdenk. Non, je n'ai pas dit cela, c'est simplement ce que je constate. Il aurait pu répondre de manière très précise sur la politique salariale...

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Vous plaisantez ? En plus de deux heures d'audition, nous n'avons obtenu aucune réponse !

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Jean

Claude Brdenk. Je n'y étais pas. Je ne suis pas responsable de toutes les auditions. Je pense avoir répondu ce soir à une multitude de questions.

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Je me suis permis d'intervenir car vous avez mis en cause la présidente de notre commission.

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Jean

Claude Brdenk. Il revient au DRH de répondre sur les questions relatives aux ressources humaines. Le groupe comptait 25 000 salariés, dont 82 % ou 85 % étaient en CDI en 2018‑2019. Personnellement, j'allais rencontrer les salariés sur le terrain et j'étais toujours à leur écoute. Je ne pense pas avoir été agressif, stupide et méchant, tel que je suis décrit dans le livre.

Vous m'avez posé de nombreuses questions relatives à l'éthique, madame Dufeu. Normalement, si tout ce qui est relaté dans le livre avait existé, il aurait dû y avoir à mon encontre des plaintes et des condamnations pour harcèlement, au cours de ma carrière. Or je n'ai jamais été condamné pour harcèlement. Cela ne répond probablement pas complètement à votre question, mais j'ai toujours été à l'écoute de ce qui se passait sur le terrain, j'ai toujours essayé de rendre concrètes nos obligations de moyens, à la fois en matière de personnels, de produits et de services.

Vous avez parlé d'appât du gain. M. Charrier l'a dit, le chiffre d'affaires d'Orpea, plusieurs milliards d'euros, n'est pas réalisé seulement en France, mais dans de nombreux pays – vingt‑trois quand j'ai quitté le groupe, un peu plus désormais, je crois –, répartis sur trois continents. Il résulte de la conjonction d'activités exercées dans cinq ou six métiers différents : maisons de retraite, cliniques, résidences‑services, aide à domicile, soins à domicile. C'est donc un chiffre d'affaires important, mais le résultat est, somme toute, assez modeste : 5 % à 7 %.

Je ne sais pas si ce résultat est bon ou non. Je ne siégeais pas au board – j'étais non pas directeur général, comme j'ai pu l'entendre ce soir, mais directeur général délégué, rattaché au directeur général ; la différence est assez importante. En tout cas, je n'ai jamais entendu de membre du board affirmer que 5 % ou 7 %, c'était trop ou pas assez. Pour ce que j'en ai compris, il était communément reconnu dans les sphères financières – que vous connaissez, manifestement – que les résultats d'Orpea étaient admissibles et compatibles avec la mission du groupe dans les pays où il était présent. J'ai entendu dire il y a quelques années que, pour une clinique en France, un résultat situé autour de 10 % était « correct » ou « acceptable ». Celui d'Orpea est entre 5 % et 7 %. Je ne sais pas comment vous répondre autrement.

J'en viens aux critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG), qui ne s'appelaient pas encore comme cela. Je vous ai parlé tout à l'heure de ce que nous avons essayé de faire pour les écoles. Pour moi, c'était une grande démarche éthique : il s'agissait de diplômer des gens qui n'avaient pas de diplômes et d'augmenter de ce fait leur salaire. Nous l'avons fait pour plusieurs milliers de personnes.

Pour les indicateurs éthiques et ESG, je vous invite à lire le document de référence. Il y en a toute une liste, le turnover étant l'un d'entre eux. Vous estimez qu'un turnover supérieur à 15 % est trop élevé ou dépasse les limites acceptables. Dans des secteurs d'activité comme l'hôtellerie, le turnover se situe autour de 20 % ; il est donc comparable au nôtre. Néanmoins, je suis d'accord avec vous : j'aurais préféré que notre turnover soit de 10 %.

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Je ne cherchais pas à savoir si un résultat de 5 % à 7 % est bon ou non, mais si votre crainte de devoir rogner sur les marges a pu vous amener à rogner sur l'éthique au sein du groupe Orpea.

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Jean

Claude Brdenk. Jamais. La question ne se pose d'ailleurs pas en ces termes.

Je l'ai dit tout à l'heure, peut‑être un peu rapidement, Orpea rachetait des établissements qui fonctionnaient plus ou moins bien, en France ou dans d'autres pays. Nous investissions en reprenant des établissements de 30, 40 ou 50 lits. Nous pouvions par exemple faire un établissement de 80 lits à partir de deux établissements de 40 lits.

Très peu d'opérateurs savent faire cela, que ce soit dans le secteur sanitaire ou dans le secteur médico‑social. En effet, cela demande énormément de temps et d'investissements. Lorsque l'on reprend un établissement, en particulier lorsqu'il n'est pas adapté structurellement – il peut par exemple avoir des difficultés liées à un nombre de lits insuffisant –, il faut faire un point très précis avec les départements qualité et les départements médicaux, et réaliser des audits très pointus. Nous savions qu'à l'occasion de la reprise d'un établissement par Orpea, la probabilité d'une visite des tutelles, surprise ou non, était assez élevée – c'est tout à fait légitime, ce n'est absolument pas une critique de ma part –, pour nous dire précisément ce que nous devions faire dans cet établissement. Bref, quand nous reprenions des établissements, il y avait toujours un temps d'analyse et de mise en place de plans d'action correcteurs.

Il m'est aussi arrivé, il y a très longtemps, de faire des analyses à la demande de hauts fonctionnaires, pour savoir ce que l'on pouvait faire dans tel établissement qui leur posait des difficultés. Nous y allions avec des médecins et disions comment nous nous y prendrions. Il s'agissait seulement de préconiser des mesures temporaires, en attendant que la structure soit refaite à neuf.

Une fois qu'un établissement est refait à neuf, le souci n'est pas le résultat. Je ne pilotais d'ailleurs pas le résultat, je vous l'ai dit. Au demeurant, le terme « piloter » n'est pas du tout péjoratif. Cela consiste à suivre des indicateurs pour contrôler un résultat qui est l'EBITDAR. Vous le savez sans doute, car vous avez manifestement des notions financières plus poussées que les miennes.

Je ne sais trop que vous répondre. Je vous engage à lire les documents de référence, qui sont très clairs. Je ne les ai pas sur moi. Y figurent de très nombreux indicateurs, portant notamment sur les ressources humaines. Je le répète, je ne me suis jamais fâché avec personne sur le terrain. Le livre explique que j'ai remercié vingt‑sept directeurs en un an. Je vous ai donné mon point de vue à ce sujet, en détaillant de manière claire et sincère les sept départs qui ont eu lieu en 2013. Il n'y en a pas eu vingt‑sept. Je ne suis pas tel que le livre me décrit ; cela ne m'intéresse pas. Du reste, il aurait été absurde d'agir ainsi, puisque les directeurs en question étaient tous, d'après le livre, très performants.

L'un d'entre vous m'a demandé qui était à l'origine de la machine à cash. Il n'y avait pas de machine à cash. Le résultat de 5° % à 7 % provenait tout simplement du travail effectué par les équipes, partout dans le monde. J'ignore si c'est là une machine à cash, je ne suis pas en mesure de l'évaluer. C'est probablement un peu inférieur à la norme, si l'on considère les résultats réalisés par un certain nombre de groupes internationaux, toutes activités confondues.

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Vous avez effectivement tenté de répondre aux nombreuses questions de mes collègues. Malgré tout, je suis au regret de vous le dire, nous restons sur notre faim. À entendre vos réponses, nous avons le sentiment que les révélations faites par Victor Castanet dans Les Fossoyeurs sont toutes de pures allégations. De nombreux points importants ayant frappé l'attention de la représentation nationale sont restés en suspens.

Nous auditionnerons jeudi prochain les familles, les associations de résidents et les avocats. Nous comptons bien y voir clair dans cette affaire – car il s'agit bien d'une affaire, monsieur le directeur.

La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.

Présences en réunion

Réunion du mardi 15 février 2022 à 21 heures 05

Présents. – Mme Stéphanie Atger, Mme Marine Brenier, M. Marc Delatte, Mme Cécile Delpirou, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Carole Grandjean, Mme Véronique Hammerer, Mme Fadila Khattabi, Mme Monique Limon, M. Didier Martin, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, Mme Michèle Peyron, M. Adrien Quatennens, M. Alain Ramadier, Mme Valérie Six, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock, Mme Annie Vidal

Excusés. – Mme Justine Benin, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Assistaient également à la réunion. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Christine Pires Beaune