Intervention de Jean

Réunion du mardi 15 février 2022 à 21h05
Commission des affaires sociales

Jean :

Claude Brdenk. L'écrivain a mis trois ans pour faire son livre, laissez‑moi trois minutes pour développer un sujet central.

Vous constatiez, disais‑je, qu'il manquait une personne le matin et une autre l'après‑midi. Or, si vous aviez la chance de trouver un remplaçant, la législation vous imposait d'établir deux CDD pour la même personne : l'un pour le matin et l'autre pour l'après‑midi. Si, le lendemain, un employé supplémentaire venait à manquer – certains directeurs qui m'écoutent doivent se dire qu'ils aimeraient bien n'avoir que deux ou même quatre postes à pourvoir –, vous vous retrouviez à devoir établir quatre contrats de travail. Autrement dit, pour employer deux personnes en CDD, vous deviez faire six contrats de travail.

Le problème a été remonté par toutes les organisations patronales – le SYNERPA pour les maisons de retraite, la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France, mais aussi les syndicats patronaux de la restauration. Le ministère du travail a très récemment allégé ces procédures, en 2018 ou 2019, me semble‑t‑il, sous la forme d'une expérimentation qui est toujours en cours, à ma connaissance.

Voilà comment, avec 85 % de l'effectif en CDI, soit cinquante personnes sur cinquante‑cinq – c'est le nombre moyen de salariés dans un établissement –, vous pouviez vous retrouver avec 150 CDD, voire plus, quand bien même vous n'employiez sous cette forme que quatre ou cinq personnes, dix tout au plus. Quant aux motifs de remplacement, le champ de ceux qui sont proposés à l'employeur est très restreint et ne correspond pas aux situations, en particulier parce qu'il n'est pas possible de pourvoir par ce moyen un poste vacant. Il y avait donc, effectivement, de faux motifs.

En ce qui concerne les propos qui me sont prêtés, je n'ai jamais été vendeur de baskets dans une chaîne de distribution spécialisée. C'est tout simplement faux ; ces propos ont été totalement imaginés. Il est assez simple de le vérifier : vous ne trouverez ni fiches de paye ni points de retraite. Il y a dans le livre, me concernant, quarante‑quatre assertions totalement fausses.

Vous me demandez si, selon moi, on peut faire des marges au détriment de la qualité. Comme je vous l'ai dit, la préoccupation a toujours été la même : répondre positivement à une obligation de moyens – qu'il s'agisse de moyens humains, en dépit du nombre trop important de CDD, dont je vous ai expliqué la raison, ou de moyens matériels. À ma connaissance, quel que soit le pays, il y avait tout le matériel et les stocks nécessaires – nous en parlerons si vous m'interrogez sur les protections et la nourriture. En tout cas, c'est ce que je constatais à chacun de mes déplacements sur le terrain.

Il n'y avait pas de politique destinée à augmenter les marges. Les résultats du groupe Orpea se situent entre 5 % et 7 %, comme vous l'a dit M. Charrier, ce qui n'est pas colossal au regard des investissements, qui sont de plusieurs milliards d'euros.

À vous entendre, madame Brenier, j'ai dénoncé le risque de maltraitance mais sans rien faire pour empêcher ces pratiques. Je ne sais pas s'il s'agit d'une question ou d'une mise en cause. Je vous ai dit, tout simplement, que j'avais lu le rapport Hugonot, ce que personne n'avait fait à l'époque – même ici, je ne sais pas combien de personnes l'ont lu. Je me suis alors aperçu que ce risque existait. J'ai donc, à mon modeste niveau, essayé de créer des outils de formation à la prévention de la maltraitance, avec la directrice médicale pour la France, qui est devenue entre‑temps directrice médicale pour l'international.

Ce n'est pas quelque chose que j'invente : tout cela a existé. Nous avons formé des milliers de collaborateurs, bien avant que les premiers textes relatifs à la maltraitance n'existent. Je n'ai pas prôné l'explosion des maisons de retraite ; c'est ce qui est arrivé, en raison des tendances démographiques. Nous avons eu trois révolutions à gérer : une révolution numérique, une révolution climatique, qui est difficile, et une révolution liée au vieillissement de la population. Je suis prêt à assumer mes erreurs si j'en ai commis, mais je ne suis pas responsable de l'évolution démographique (Exclamations), et donc du développement des biens et des services dans lesquels nous avons investi.

J'ai ici un document destiné aux stagiaires, qui servait à la formation à la prévention de la maltraitance en institution ; il est daté de septembre 2003. Sa première version, qu'Orpea vous fournira probablement, remonte au début des années 2000. À cette époque‑là, encore une fois, personne ne prônait cette démarche. Elle s'est révélée à moi et au docteur Benattar. Nous considérions qu'il s'agissait d'un risque véritable et il fallait absolument que nous y travaillions tous les jours, quel que soit le lieu. C'est ce que j'ai fait tout au long de ma carrière, et il y en a évidemment des traces écrites, notamment s'agissant de l'obligation de moyens.

En ce qui concerne les moyens humains, il y avait de faux motifs d'embauche en CDD – j'y reviens –, et j'en suis vraiment désolé. Les inspecteurs du travail l'ont vu, évidemment, mais ils ont bien compris la difficulté que nous rencontrions. D'ailleurs, si tel n'avait pas été le cas, les organisations patronales n'auraient pas été entendues par le ministère du travail. Pour le reste, il fallait mettre en place tous ces moyens ; c'est ce que nous avons fait. Je ne suis pas responsable de l'explosion du nombre d'établissements dans le monde, je n'ai jamais travaillé à leur développement. Il s'agit simplement de services adaptés pour des personnes pour qui il est impossible, hélas, physiquement et psychiquement, de rester à domicile. On a besoin de ces établissements, qu'ils soient tenus par Orpea ou par d'autres groupes, en France ou ailleurs.

Avant d'en venir aux contrôles des ARS, je voudrais évoquer ceux que nous faisions nous‑mêmes, aussi bien en interne, réalisés par des personnes qualifiées à cette fin, qu'à travers des prestataires extérieurs. Chaque établissement Orpea est contrôlé en moyenne trente‑sept fois par an. Des laboratoires interviennent pour le traitement des surfaces ; des plats témoins sont analysés en laboratoire. De l'hygiène des surfaces à la dératisation, ce sont quasiment deux mille points de contrôle qui sont couverts dans chaque établissement, chaque année. Les résultats sont assez binaires : ils sont soit positifs soit négatifs.

L'ARS Île‑de‑France indique avoir mené, entre 2011 et 2019, seize inspections concernant quatorze EHPAD. Elle n'a prononcé aucune injonction et n'a placé aucun établissement sous tutelle administrative ; en revanche, lorsqu'elle a constaté des dysfonctionnements, elle a émis des prescriptions, ce qui nous a amenés à élaborer des plans d'action.

J'ai vu des contrôles dans presque tous les pays où le groupe Orpea est implanté, et je peux vous dire que la France n'a pas à rougir du sérieux avec lequel ils sont menés. Il ne s'agit pas de réunions sympathiques. Lorsqu'un établissement est inspecté par une équipe de l'ARS, une équipe du département ou les deux en même temps, le personnel voit débarquer beaucoup de monde – jusqu'à onze personnes –, ce qui le tétanise. Il n'est évidemment pas prévenu : ce sont des contrôles surprises, comme vous l'a expliqué la directrice générale de l'ARS. Celle‑ci a d'ailleurs bien précisé que le dernier contrôle dont a fait l'objet, en août 2018, la résidence Les Bords de Seine de Neuilly‑sur‑Seine, évoquée dès le début de l'ouvrage de M. Castanet, était une inspection « inopinée ». Un rapport définitif a été rendu en juin 2019. Si un acte de maltraitance avait été constaté, aurait‑il fallu attendre une année pour que ce rapport soit publié ? Non, évidemment ! On nous a simplement adressé des prescriptions, auxquelles nous avons répondu, puisque le temps d'intervention du médecin coordonnateur était insuffisant.

Encore une fois, madame la députée, nous devons faire preuve d'un peu de discernement dans nos propos. (Exclamations.) Je ne vous dis pas cela de manière agressive. (Mêmes mouvements.) Nous parlons d'un sujet très technique, et nous ne pouvons pas mettre en doute la parole des agents de l'État.

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