Il ne s'agit pas de juger des personnes, mais de comprendre des situations. Après avoir auditionné la semaine dernière Victor Castanet, l'auteur des Fossoyeurs, il nous a semblé intéressant de vous poser ce soir les questions que suscite la lecture du livre. Vous y êtes présenté comme l'un des principaux artisans de ce que l'on appelle désormais le « système Orpea », le « cost killer », le « bulldozer », l'« exécuteur » chargé de faire appliquer des restrictions budgétaires visant à maximiser les profits du groupe.
Le journaliste décrit ainsi, à la page 122, « la terreur qui régnait en Comex », c'est‑à‑dire en comité d'exploitation, où vous poussiez chaque mois des « colères foudroyantes » contre les directeurs régionaux : « Si vous ne bougez pas, il va y avoir du sang sur les murs ! »
Il décrit également l'institutionnalisation d'un management couperet. Si « un établissement avait des résultats non satisfaisants pendant trois mois [...] ou s'il y avait un mouvement du personnel dans un EHPAD, ça ulcérait Brdenk et, dans la foulée d'un Comex, il demandait qu'on envoie les “nettoyeurs” s'occuper du directeur en charge. Il fallait [...] nettoyer les bureaux pour que le pauvre gars n'ait rien pour se défendre ou pour salir le groupe. Les nettoyeurs vidaient les ordinateurs. Ils prenaient les disques durs. Ils partaient avec tout. [...] Le type arrivait le matin, tôt, avec sa petite voiture. Les nettoyeurs étaient déjà là, sur le parking, en train de l'attendre. Et le type ne rentrait même pas dans son bureau. Ils étaient passés le matin de bonne heure dans son bureau [...] et ils avaient tout mis dans un carton. [...] Et dans la foulée, tous ses mails avaient été nettoyés. » Une véritable machine à broyer, à instiller la crainte tout au long de la chaîne hiérarchique.
À la lecture de l'ouvrage, on s'interroge sur ce qui peut ressembler à de l'insensibilité à l'égard des personnels et des résidents qui subissaient les conséquences de votre management brutal. À la page 123, l'auteur vous prête les mots suivants : « gérer des personnes âgées en maison de retraite, c'est exactement comme vendre des baskets ». J'imagine que ce n'est qu'une image ! Il souligne en outre votre méconnaissance abyssale des questions de santé et des parcours de soins, que vous revendiquez, et votre vision comptable des êtres humains vulnérables dont votre groupe avait la charge. Les conséquences de votre management à distance, par le biais de tableaux Excel, sur la vie des résidents et les conditions de travail des salariés du groupe sont catastrophiques et systémiques – je pense notamment au rationnement de la nourriture et des produits hygiéniques essentiels au bien‑être des personnes âgées, ou encore à la défaillance des dispositifs médicaux.
Quel regard portez‑vous sur ces accusations ? Estimez‑vous avoir été un bon directeur ? Quelle lecture faites‑vous de la rentabilité des EHPAD privés à but lucratif ? Pourquoi avez‑vous quitté le groupe Orpea en 2020, après vingt‑trois ans de services et en pleine crise du covid ? Pensez‑vous que le directeur d'exploitation d'un des leaders de la santé et du médico‑social puisse s'exonérer d'un socle minimal de connaissances en matière de santé ? Enfin, reconnaissez‑vous l'existence d'un système de marges arrières appliquées aux produits payés par l'assurance maladie, ce qui est totalement interdit ?