Intervention de Laura Létourneau

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 9h30
Commission des affaires sociales

Laura Létourneau, déléguée ministérielle au numérique en santé :

Le Ségur contribuera à la partie émergée de l'iceberg pour les Français, c'est‑à‑dire le mur vert de la maison.

Mon Espace Santé offre d'ores et déjà deux fonctionnalités. Tout d'abord, le dossier médical intègre le profil médical, où l'utilisateur renseigne ses allergies, ses antécédents, ses directives anticipées, ou encore son groupe sanguin. Il peut également ajouter des documents médicaux, comme des comptes rendus d'hospitalisation, de biologie, de radiologie. Il doit remplir lui‑même cette section, en prenant une photo du document, si l'hôpital n'est pas encore connecté. L'ajout des documents au dossier médical se fait de manière ergonomique et rapide. Progressivement, grâce au Ségur de la santé, l'alimentation par le laboratoire, l'hôpital ou le cabinet de radiologie sera automatique.

En plus du dossier médical, qui reprend le DMP, mais dont nous avons refondu l'ergonomie, la messagerie de santé constitue une nouveauté. Il n'est pas normal de pouvoir à son banquier par des canaux sécurisés, mais d'envoyer une ordonnance à son pharmacien par Gmail ou de demander un conseil de rééducation à son kinésithérapeute par WhatsApp. Nous n'avons pas simplement déclaré une souveraineté numérique. Nous avons œuvré pour proposer une réelle alternative à ces outils, dont la sécurité et l'éthique sont garanties par les pouvoirs publics.

Ce produit sera évolutif, comme tout outil numérique. La stratégie n'est pas celle du one shot, mais celle d'une évolution permanente. Une feuille de route, rendue publique, permet de voir quand l'agenda médical sera par exemple disponible. Courant 2022, deux nouvelles fonctionnalités seront en effet proposées. La première est l'agenda médical, dans lequel l'utilisateur retrouvera l'ensemble de ses rendez‑vous médicaux, et qui sera également utile pour émettre des rappels de prévention, par exemple sur le dépistage du cancer du sein ou la vaccination. La seconde fonctionnalité innovante, consécration de l'État‑plateforme, est un catalogue d'applications et de services, du privé et de la société civile, respectant les fondations de la maison. Nous vérifierons leur éthique, leur sécurité, leur opérabilité, avant de les intégrer à ce catalogue.

À quoi servira Mon Espace Santé ? Les usages sont multiples. Je ne dispose malheureusement pas de suffisamment de temps pour détailler l'exemple du parcours d'usage « grossesse », testé dans l'un des trois départements pilotes de l'expérimentation.

S'agissant de la sécurité des données, les données personnelles de santé sont hébergées en France, sur des serveurs français. Il existe deux sites, l'un dans le Nord, l'autre dans l'Ouest. La supervision et la coconstruction du service ont été assurées par l'ANSSI et la CNIL, qui contrôlera régulièrement le service. Des bug bounties sont en cours de réalisation. Des hackeurs bienveillants, appartenant à des collectifs militants tels que YesWeHack, tentent de s'introduire dans le service à la recherche de failles de sécurité que nous n'aurions pas découvertes. Elles nous seront signalées pour que nous améliorions la sécurité du service. Par ailleurs, les données sont chiffrées et anonymisées. Ce sont des normes de sécurité certifiées hébergeurs de données de santé (HDS).

Seuls les citoyens et les professionnels de santé de leur choix pourront avoir accès aux données du dossier médical. Ni l'État, ni l'assurance maladie, ni les assurances tierces, ni les mutuelles, ni les employeurs n'ont accès aux données. J'insiste sur le fait que cet accès est impossible juridiquement et techniquement, pour répondre aux craintes éventuelles. Des travaux sont en cours sur la publication en open source du code, pour que chacun puisse vérifier la manière dont l'outil est codé.

La traçabilité et le contrôle des accès sont à disposition du patient, qui doit consentir à l'accès des données de son dossier médical par les professionnels de santé. Les professionnels de santé n'ont pas accès aux mêmes documents en fonction de leur spécialité médicale. Un dentiste n'a pas accès au compte rendu d'accouchement. Une matrice d'habilitation définit les droits d'accès aux données en fonction de la spécialité médicale, pour respecter la proportionnalité des données. En surcouche de cette matrice d'habilitation, implémentée dans tous les cas, le patient peut choisir de masquer encore davantage de documents. Ainsi, un accord doit dans tous les cas être donné, puis vient la matrice d'habilitation plus protectrice, et enfin la possibilité de masquer les documents. De plus, tous les accès sont tracés. Un tableau de bord affiche l'historique des accès dans Mon Espace Santé. Une notification est envoyée au patient dès qu'un professionnel de santé accède à son dossier médical, qu'un nouveau document est automatiquement envoyé ou qu'un message sécurisé lui est adressé.

Mon Espace Santé a été lancé. Vous pouvez dès à présent vous rendre sur la plateforme et cliquer sur « Générer un nouveau compte provisoire ». Le compte s'active en 5 minutes. C'est le mécanisme d'ouverture proactif, dit « opt‑in ». L'une des différences avec le DMP est la mise en place de l'« opt‑out », une ouverture automatique sauf opposition de la personne. Entre fin janvier et le 28 mars 2022, 65 millions de courriers ou de courriels sont envoyés aux Français, leur annonçant l'arrivée de Mon Espace Santé. La personne peut décider d'activer son espace avec le code provisoire. Elle peut également s'y opposer de manière très simple, et un numéro de téléphone est en outre à sa disposition si nécessaire. Si la personne ne s'est pas manifestée dans les six semaines, l'espace est ouvert automatiquement. Cependant, la personne est notifiée de cet accès. Même après six semaines, et contrairement à certaines rumeurs, sans date limite, la personne peut décider de s'opposer. Vous pouvez voir le calendrier de la généralisation par territoire. Même en cas de fermeture de Mon Espace Santé, il est possible de demander la suppression des données pour qu'elles ne soient pas archivées durant dix ans. En effet, elles sont par défaut archivées pendant dix ans, en harmonie avec le délai de conservation classique des données dans la santé, pour permettre notamment des recours en justice. Une grande campagne de communication, avec des spots télévisés et auprès des professionnels de santé, a été lancée.

La fracture numérique est un sujet clef, car même si l'outil est particulièrement ergonomique et qu'il est connecté à tous les logiciels sur le terrain pour une alimentation automatique, il est indispensable d'accompagner tous les Français qui en ont besoin dans sa mise en œuvre. Il s'agit là de la clef de notre succès. Nous devrons les aider à utiliser Mon Espace Santé et répondre à leurs craintes potentielles sur l'utilisation des données de santé. Un numéro de support a été mis en place. Il ne s'agit pas de laisser les personnes seules face à un chatbot. Des partenariats inédits entre la sphère santé et la médiation numérique ont été montés. Nous avons formé et formons actuellement tous les conseillers numériques France Services, ainsi que des aidants du réseau Aidants Connect, sociétaires de la MedNum, des hubs territoriaux, et tous les médiateurs du terrain, à l'utilisation de Mon Espace Santé. Ils se rendront dans les EHPAD, les hôpitaux, les universités, les entreprises, pour expliquer comment fonctionne Mon Espace Santé à ceux qui en ont besoin. C'est inédit. Une stratégie de cette ampleur n'avait jamais été proposée. Des coordinateurs supplémentaires ont été recrutés pour atteindre nos objectifs en matière d'accompagnement.

Cette mobilisation collective est la clef de notre avancement. Nous avons pu mettre en place une ruche dans laquelle chacun apporte sa pierre à l'édifice. C'est aussi le cas concernant le Ségur. Jamais une telle coconstruction n'avait été possible. Le même phénomène s'observe quant à Mon Espace Santé. Une tribune a été signée par des associations de patients, des ordres, des syndicats de professionnels de santé, des fédérations hospitalières médicosociales, des syndicats d'industriels ou encore des élus. Chacun s'engage à contribuer au succès de ce projet, qui est celui de tous les Français, et pas uniquement du gouvernement ou de l'assurance maladie. C'est un projet essentiel pour regagner notre souveraineté et plus particulièrement notre souveraineté sanitaire.

Outre le Ségur et Mon Espace Santé, nous travaillons sur l'innovation autour de cinq grandes thématiques. Certains concernent des sujets basiques, mais essentiels, comme la formation des professionnels sa santé au numérique en santé, sur lesquels nous parvenons enfin à avancer en travaillant en interministériel. L'attractivité ressources humaines de la direction des systèmes d'information hospitalière est une problématique clef. Les responsables de la sécurité des hôpitaux sont très mal rémunérés. Nous avons revalorisé leur grille salariale pour rendre ce métier attractif par rapport à d'autres secteurs, et afin qu'ils puissent recruter des personnes plus expérimentées et porter des projets avec efficacité. Ces sujets sont des prérequis au développement du numérique. D'autres sujets sont liés au développement économique et à la mise en place d'une filière industrielle française européenne robuste. Il s'agit par exemple du remboursement anticipé. Nous avons répliqué le modèle allemand pour rembourser de manière anticipée un dispositif médical connecté au même titre qu'un médicament, ce qui est par exemple utile pour la télésurveillance. Il existe au total trente‑cinq actions sous‑jacentes, que je ne développerai pas.

Des projets au niveau européen sont également en cours. L'Europe a démontré sa capacité à porter des projets numériques de grande ampleur pendant la crise sanitaire. Par ailleurs, elle va accélérer son rôle sur les sujets numériques grâce à l'espace européen des données de santé, dont le règlement sera prochainement présenté par la Commission européenne. Il permettra par exemple à un Français de se voir dispenser sa prescription en français dans une officine en Allemagne. Un professionnel de santé allemand pourra accéder à la synthèse numérique et connaître les allergies d'un patient français arrivant inconscient aux urgences.

La présidence française de l'Union européenne donne lieu à une stratégie globale, qui se caractérise par les termes de puissance, de relance et d'appartenance. Cette stratégie se décline sur la santé numérique. Nous militons pour une troisième voie européenne, qui ne soit ni chinoise ni américaine. Pour accélérer les usages, nous devons nous mettre d'accord sur des normes techniques communes, afin d'assurer la communication des logiciels et des conditions d'accès au marché, notamment au remboursement. En prérequis, et afin de garantir la confiance, nous avons fait signer en trois semaines par la Commission européenne et tous les États membres des principes éthiques du numérique en santé. Ces principes comprennent quatre piliers. Le premier est la fracture numérique, car nous nous engageons chacun à ne laisser personne de côté. Le deuxième est l'application réelle du RGPD, pour garantir l'accès à ses données de santé et décider à qui elles sont partagées. Le troisième pilier concerne les services numériques qui répondent à des valeurs humanistes, par exemple une intelligence artificielle responsable. Enfin, le dernier pilier renvoie à l'écoresponsabilité du développement du numérique en santé. Ces principes ont été adoptés le 2 février 2022.

Nous avons toujours été convaincus, tant au niveau européen que français, de la nécessité d'une mobilisation collective, à la fois des pouvoirs publics entre eux, mais aussi avec les acteurs du terrain, notamment les citoyens en direct via le comité citoyen. C'est seulement en procédant de cette manière que nous pourrons progresser dans un cadre de valeurs à la française, éthique, humaniste et citoyen.

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