Intervention de Laura Létourneau

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 9h30
Commission des affaires sociales

Laura Létourneau, déléguée ministérielle au numérique en santé :

Vous nous demandez pourquoi Mon Espace Santé fonctionnera mieux que le DMP qui existe depuis 2004. Nous avons pensé ce dispositif comme l'outil du citoyen, et non comme celui des professionnels de santé pour la coordination. L'ergonomie a été totalement repensée, afin que le citoyen puisse remplir son dossier médical de façon ludique. Il suffit désormais de prendre une photo en un clic et de la placer dans le bon dossier, alors que le document intégrait précédemment un dossier fourre‑tout inexploitable. Grâce au tableau de bord sur les accès, la personne peut masquer et bloquer un professionnel de santé très facilement. Cette refonte de l'ergonomie et du design de Mon Espace Santé est importante. Au‑delà de la partie émergée de l'iceberg, un travail de fond a été entrepris sur les fondations de la maison, et sur la connexion de tous les logiciels des paramédicaux, du sanitaire, de l'hôpital, au dossier médical et à la messagerie sécurisée. De cette façon, les professionnels de santé peuvent alimenter le dossier médical en zéro clic, sans aucune double saisie, pour regagner du temps médical. Grâce au Ségur, l'alimentation du dossier médical sera quasiment invisible, sauf si le professionnel de santé veut retenir un document, et automatique. La messagerie sécurisée sera utilisable de manière fluide. Il suffira de cliquer pour envoyer un message au citoyen.

La seconde différence, que vous avez votée par amendement en 2019, est le mécanisme d' opt‑out. La santé numérique est confrontée à un cercle vicieux depuis des années. Les hôpitaux n'alimentent pas le DMP, car ils estiment que les citoyens n'en ont pas ou qu'ils ne l'utilisent pas. Cette ouverture facilitée permettra de rompre ce cercle vicieux et d'enclencher un cercle vertueux. Elle contribuera aussi à répondre à la problématique de la fracture numérique. L'une des critiques adressées au DMP était que les personnes ayant réalisé la démarche d'ouvrir leur DMP étaient mieux soignées. En effet, leurs professionnels de santé pouvaient se coordonner. Ici, le mécanisme d' opt‑out, sachant qu'il est possible de s'y opposer, permet à tous, même aux plus éloignés du numérique, de bénéficier de ce service de manière fluide. L' opt‑out permet de rompre le cercle vicieux. Dans les trois départements pilotes, les hôpitaux savaient que quasiment tous les patients avaient un dossier médical, car le taux d'opposition était de moins de 1 %. Ils alimentaient donc toujours le dossier. Lorsqu'ils recevaient une notification les informant qu'un document avait été ajouté à leur espace santé, les patients se connectaient et le complétaient eux‑mêmes de leur côté.

S'agissant de la fracture numérique, qui ne concerne pas que la santé, nous travaillons en interministériel. Des actions sont menées avec volontarisme par le secrétariat d'État au numérique, par l'Agence nationale de la cohésion des territoires, par les collectivités territoriales et par les élus. Nous avons rencontré toutes les forces vives, comme les maires de France, les départements et les élus locaux. Mon Espace Santé est un projet clef pour que les personnes soient mieux soignées demain. La pandémie nous a rappelé à quel point cela était essentiel. La fracture sanitaire ne doit par conséquent pas se superposer à la fracture numérique. Nous mènerons des efforts conséquents pour faire monter en compétence un réseau d'accompagnants numériques.

Au sujet des professions intégrées, nous travaillons avec les plus gros producteurs de documents, soit tout d'abord les médecins traitants, qui renseignent le dossier de synthèse médical, avec les allergies, les antécédents, et qui envoient les ordonnances. Les hôpitaux, les biologistes et les cabinets de radiologie produisent également un grand nombre de documents. Fin 2023, nous aurons des pointeurs vers les IRM et radios dans Mon Espace Santé. Le fait de collecter ces informations les rend plus accessibles à toutes les professions paramédicales qui en ont besoin pour assurer le suivi du patient. Je pense aux infirmières à domicile, qui s'appuient sur le dossier de synthèse médicale, ou aux kinésithérapeutes, auxquels un compte rendu d'hospitalisation peut être très utile. Ces données sont également nécessaires aux professions médicales. Nous avons choisi de commencer par ces professions. Les professions paramédicales ont également besoin des canaux tels que la messagerie sécurisée, qui sera sans doute presque plus utile aux professions paramédicales que médicales. Comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, la planification des travaux est en cours pour les autres professions médicales et paramédicales. Cela représente un travail très important. Nous avons mis à jour tous les logiciels de France en un an. Comme nous nous y étions engagés, à la fin du premier trimestre, nous déterminerons quelles professions se verront ouvrir ces canaux. Je rappelle que des crédits sont réservés pour ces professions.

Le sujet de la prévention et du lien avec la médecine et les infirmiers scolaires est en effet essentiel. Un accouchement prématuré peut par exemple expliquer l'asthme de l'enfant. Le parcours doit être pensé dès le plus jeune âge, avant et pendant l'école, en lien avec la protection maternelle et infantile et les infirmiers scolaires. Les logiciels ESCULAPE, SAGESSE et Horus doivent pouvoir se connecter à Mon Espace santé, y envoyer des documents et récupérer ceux dont ils ont besoin pour leur travail de prévention, de soin et de diagnostic. Une réunion avec la direction du numérique pour l'éducation a eu lieu hier à ce sujet. Les logiciels ESCULAPE et Horus sont par ailleurs en cours d'évolution. En outre, Mon Espace Santé augmente le carnet de santé de l'enfant. Le lien avec ces professions est en cours.

Je rappelle qu'en 2022, outre le dossier, seront mis en place la messagerie, l'agenda et le catalogue. L'agenda offre une vue consolidée des rendez‑vous pris sur différentes plateformes, ce qui évite les positions de monopole et permet le décloisonnement. L'agenda est également essentiel pour la prévention personnalisée. C'est une avancée par rapport à la version papier. Les informations sur l'âge ou le sexe de la personne permettent d'informer sur le dépistage ou la vaccination.

Le référencement au catalogue de services est ouvert depuis décembre. Tous les industriels de vos territoires doivent être renvoyés vers le guichet national de l'innovation et des usages en e‑santé (G_NIUS). Il s'agit d'un site en ligne, expliquant les modalités pour postuler au catalogue de Mon Espace Santé. Différents critères sont proposés, selon que l'application a vocation à échanger des données, ce qui implique le respect de critères renforcés d'interopérabilité et de sécurité, ou que ce n'est pas le cas, comme cela m'a été demandé. Les critères sont alors simplifiés. Si toutes les cases sont cochées, l'application est référencée dans le catalogue. Nous incitons parmi ces services au développement d'applications d'éducation en ligne, assurant la prévention pour les jeunes. Le catalogue permet de vérifier que les services respectent les fondations de la maison, mais il favorise également leur émergence. Il suit la stratégie d'accélération de santé numérique. En effet, nous travaillons à tous les stades de vie d'une start‑up pour débloquer les différents verrous auxquels elle est confrontée.

Pour répondre à la question sur la prescription, je rappelle tout d'abord l'implication collective de tous les acteurs, mus par l'intérêt général qui nous tient tous à cœur. L'une des difficultés que nous rencontrons est que nous peinons à agir sur un mode dégradé. Nous avons compris que nous devons cesser de viser le Graal. L'interopérabilité sémantique parfaite dans les documents ne fonctionnera jamais à court terme. Depuis trois ans, nous défendons par conséquent une logique de petits pas rapides. Ainsi, concernant la messagerie sécurisée, nous commençons par mettre en place l'envoi de messages par ce canal, puis nous intégrerons l'INS, les métadonnées, et nous procéderons de manière de plus en plus détaillée.

Ainsi, sur la prescription, Mon Espace Santé propose dès à présent une avancée. Aujourd'hui, l'ordonnance est délivrée au format papier ou envoyée par un canal non sécurisé. En pharmacie, si le patient ne dispose pas de son ordonnance papier, il peut l'envoyer par un canal non sécurisé. Avec Mon Espace Santé, à la suite d'une consultation physique ou d'une téléconsultation, le médecin peut envoyer la prescription par messagerie sécurisée. Le patient peut demander au pharmacien pharmacie de se rendre dans son dossier médical ou lui envoyer la prescription par messagerie sécurisée. La deuxième étape à déployer est la e‑prescription unifiée. Elle fait partie du cahier des charges du Ségur et du déploiement de la première vague, tant du côté des médecins que des pharmaciens. Les éditeurs ont jusqu'à mai pour installer des logiciels conformes à la e‑prescription, puis jusqu'au premier trimestre 2023 pour détailler la e‑prescription unifiée. Cette innovation sera disponible dans les six à vingt‑quatre prochains mois.

Concernant les usages secondaires liés à la recherche et au Health Data Hub, je ne souhaite pas botter la question en touche, toutefois la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) est davantage en charge de ce sujet. Je ne pourrai répondre à toutes vos questions. Sur l'innovation, des actions en lien avec ce sujet ont été menées. Le deuxième pilier est lié à la recherche. Un appel à programmes et équipements prioritaires de recherche exploratoires a été lancé sur les jumeaux numériques. Nous travaillons en lien étroit avec le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation pour aligner nos intérêts. Nous réfléchissons également conjointement à la formation, ce qui était moins le cas auparavant. Cela fait partie de la stratégie d'accélération. Une action est en cours de cadrage sur le financement des entrepôts de données de santé hospitaliers.

La question du partage de la valeur des données reste complexe. Cette action est en cours de structuration et suit une ambition européenne. L'utilisation secondaire des données de santé, notamment lorsque ces dernières sont rares, est essentielle. Dans le cadre de l'espace européen des données de santé, je vous ai rapidement donné quelques cas d'usage d'utilisation primaire des données, pour le soin. Ainsi, le médecin allemand soignant un Français inconscient hospitalisé aux urgences en Allemagne aura accès à son dossier de synthèse médical. Cependant, les cas d'usage secondaire des données sont immenses. Nous voulons faire avancer la recherche, par exemple l'intelligence artificielle. Plus encore, nous créons un digital single market européen pour unifier le marché grâce à la standardisation technique. Aujourd'hui, les industriels ont trop souvent tendance à considérer qu'un dépôt de dossier est compliqué en Europe, parce que le fonctionnement diffère d'un État membre à un autre, et se tournent vers la Chine ou les États‑Unis. Cette standardisation de l'accès au marché répond à cette problématique. C'est à nouveau la logique de petits pas rapides que nous défendons. Nous avons annoncé l'adoption de la SNOMED CT (Systematized Nomenclature of Medicine Clinical Terms). Il s'agissait d'un serpent de mer depuis dix ans. Nous l'adoptons, tout en garantissant un poids dans la gouvernance de l'organisation SNOMED International. Nous bénéficions de la majorité des voix à l'association et nous pourrons donc jouer un véritable rôle. Certes, nous travaillons aux fondations de la maison, mais il ne s'agit pas seulement de rattraper notre retard. Nous tenons à nous projeter dans l'avenir.

Concernant l'accès aux urgences et l'accès aux données de Mon Espace Santé, il faut en permanence trouver le juste milieu entre la protection des données et l'usage. La protection des données renverrait à une forme de coffre‑fort, qui resterait inaccessible aux professionnels de santé. La promesse de Mon Espace Santé, qui est celle d'une meilleure prise en charge et d'un meilleur diagnostic par l'équipe de soins, n'est alors pas remplie. C'est un extrême. L'autre extrême consiste à dire que tous les professionnels peuvent avoir besoin des données de santé à tout moment, et qu'il faut laisser les vannes ouvertes. Il faut trouver un juste milieu. D'un point de vue méthodologique, nous sommes en tout cas convaincus que ces discussions sont tellement importantes qu'elles doivent donner lieu à un débat public. Elles ne peuvent avoir lieu en chambre. Ces discussions voient en effet s'affronter deux intérêts généraux. Nous en parlons avec vous lors des débats parlementaires. Ce sujet a également été abordé par le comité citoyen. Nous avons fait intervenir différentes parties prenantes qui ont rendu leur avis sur la question. C'est enfin un sujet de concertation avec toutes les parties prenantes. Ce qui est prévu, et qui était déjà prévu dans le DMP dont l'ergonomie a été simplifiée, est que le professionnel de santé doit demander son accord à la personne avant d'accéder à ses données. J'ai évoqué les surcouches de protection, mais un dernier mécanisme existe : si la personne est inconsciente, l'urgentiste peut demander sans accord préalable l'accès au dossier. Ce mécanisme peut être décoché par la personne, mais en connaissance de cause. Par ailleurs, cet accès est toujours tracé. Le patient peut a posteriori voir l'accès dans l'historique et bloquer le document.

L'éthique du numérique en santé nous tient à cœur avec Dominique Pon depuis le début. Nous le voyons comme un prérequis à tout ce qui suit. Nous voulons un numérique en santé éthique, humaniste et citoyen. Ce ne sont pas des mots en l'air. C'est une ambition très concrète. Nous considérons que la situation actuelle n'est pas éthique : désormais, les personnes auront accès à leurs données de santé, pourront demander un deuxième avis médical, se faire leur propre avis, ou encore ne pas perdre leurs documents. Avec le Ségur de la santé, nous portons une application réelle du RGPD et notamment en ce qui concerne la portabilité des données. Nous souhaitons que les textes deviennent une réalité. Cela fait partie de l'éthique. Il faut rendre leurs données aux gens.

La fracture numérique est un autre sujet de poids. Je vous ai présenté les dispositifs inédits en cours de montée en puissance. Leur mise en œuvre prendra du temps. Une réunion rassemblant 1 200 médiateurs numériques formés à Mon Espace Santé se tient cet après‑midi.

Le pan de l'écoresponsabilité nous tient également à cœur. Il est un peu plus innovant. Nous savons que le numérique a une réelle empreinte carbone. Si le numérique en santé détériore in fine la santé des populations, nous aurons échoué. Nous devons donc jouer notre rôle et imposer un recyclage des équipements informatiques, qui représentent le poste le plus énergivore, avant les data centers. Des règles de conception écologique by design à tous ceux qui offrent des services numériques doivent être mises en place. Concrètement, nous avons entrepris un premier rapport sur l'impact écologique du numérique en santé, avec de multiples associations. Nous proposons des écoscores qui seront affichés publiquement pour tous les services numériques référencés dans Mon Espace Santé.

Nous avons réussi à faire adopter ces principes à l'écehlon européen, en trois semaines seulement. La charte de l'éthique du numérique en santé est disponible publiquement. Elle a fait l'objet d'une conférence le 2 février 2022 avec la moitié des ministres de la santé européens, Mme Sandra Gallina, la directrice générale de la santé européenne, M. Roberto Viola, le directeur général européen Connect, M. Olivier Véran ou encore M. Adrien Taquet. Nous avons annoncé l'adoption de la charte, dont vous pouvez lire l'introduction et les quatre grands piliers, à savoir « inscrire le numérique en santé dans un cadre de valeurs humanistes » ; « donner la main aux personnes sur le numérique et leurs données de santé » ; « développer un numérique en santé inclusif » ; « mettre en œuvre un numérique en santé écoresponsable ».

La première dimension concerne les dérives du numérique en santé. Nous ne souhaitons pas remplacer le présentiel par la téléconsultation ni que des services numériques nous submergent de notifications, ou encore qu'une intelligence artificielle hors de contrôle propose des recommandations que nous ne saurions expliquer. Ces principes éthiques suivent une logique citoyenne et non « techno ». Nous avons écrit ces principes pour qu'ils soient compréhensibles par un enfant de 6 ans et qu'ils restent très simples. Chaque pilier comprend quatre critères. Chacun s'est engagé à se mettre en ordre de marche pour les respecter. D'ici la prochaine réunion début juin, nous réfléchissons à des engagements concrets de chacun des pays sur ces critères et à un mécanisme de transparence pour rendre des comptes publiquement sur leur mise en œuvre effective.

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