Intervention de Thomas Fatome

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 11h30
Commission des affaires sociales

Thomas Fatome, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) :

Merci, Madame la Présidente. Je transmettrai vos remerciements aux équipes, qui ont été très mobilisées pour répondre à ces situations parfois dramatiques et pour accompagner ces personnes dans leurs bilans dentaires et dans la prise en charge de soins exceptionnels. Merci de me donner l'occasion d'échanger avec vous sur notre système de santé. Je centrerai mon propos sur les principaux chantiers que l'Assurance maladie a engagés et sur lesquels elle est encore engagée autour de la transformation de notre système de santé. Je ne couvrirai sans doute pas l'ensemble des sujets, mais je tâcherai de centrer mon propos sur des thématiques importantes.

Comme vous l'avez dit, la crise sanitaire a à la fois ralenti des projets, les professionnels de santé étant en ville comme à l'hôpital fortement mobilisés par le Covid, mais elle a aussi démontré la vertu ou l'opportunité de plusieurs transformations. Je commencerai par l'exercice coordonné, pour lequel l'Assurance maladie accompagne de son mieux les projets des professionnels de santé de ville. La France était historiquement en retard sur ces sujets, alors même que l'exercice coordonné est attendu à la fois par les professionnels, en termes de conditions de travail, et par les patients, qui y trouvent une façon de recourir aux soins avec une coordination pluridisciplinaire. Cet exercice représente aussi une façon de consolider l'offre de soins dans certains territoires, notamment dans les régions sous-denses. C'est la raison pour laquelle ce point faisait partie des priorités du programme d'action Ma santé 2022 et de plusieurs négociations et actions engagées par l'Assurance maladie depuis plusieurs années. De ce point de vue, une dynamique très significative s'est engagée à deux niveaux.

Tout d'abord, au niveau « micro », l'exercice coordonné prend différentes formes, comme les maisons de santé, les centres de santé ou les études de soins. Sur le territoire, des projets multiples se déploient. Près de 1 470 maisons de santé sont adhérentes à l'accord conventionnel au 31 janvier 2022, ce qui montre une dynamique très forte par rapport à 2017. Le soutien de l'Assurance maladie à ce titre est significatif, avec près de 72 millions d'euros venant soutenir ces maisons de santé, et quasiment 5 000 médecins généralistes et 17 500 professionnels de santé libéraux qui y sont installés. Cette dynamique ne faiblit pas et nous souhaitons encore l'accompagner. Nous finalisons actuellement un avenant à cet accord interprofessionnel. Il prévoit d'augmenter de l'ordre de 25 % le soutien de l'Assurance maladie à ces maisons de santé, en tirant les enseignements de la crise sanitaire, en soutenant leur rôle sur la préparation, l'anticipation et la réaction aux crises sanitaires, en appuyant leur action sur les soins non programmés, et enfin en insistant sur leur action dans la qualité et la prise en charge des parcours de soins. La dynamique est identique pour les centres de santé, qui posent parfois certaines questions, comme vous l'avez indiqué, mais qui représentent une forme d'exercice coordonné que nous devons soutenir. Ils offrent parfois dans certains territoires et pour certaines populations un accès aux soins bien identifié. Nous savons qu'une proportion des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire et de l'aide médicale d'État se rend plus facilement dans des centres de santé. Nous finalisons également en ce moment un accord avec les représentants des centres de santé, pour amplifier, avec le même ordre de grandeur, notre soutien financier à la structuration de ces prises en charge.

Au niveau « macro », une dynamique se dessine autour des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui bénéficient de soutiens financiers des agences régionales de santé (ARS) et du réseau de l'Assurance maladie, au travers d'un accord interprofessionnel, signé par une très large majorité d'organisations syndicales. L'avenant à l'accord sur les CPTS a été signé il y a quelques semaines. Il nous permettra d'amplifier le soutien financier et l'engager plus tôt, dès le début du projet. Certains porteurs de projets de CPTS nous confient qu'ils aimeraient entamer la démarche, mais qu'elle leur paraît trop compliquée. Nous sommes là pour les accompagner en ingénierie et en financement. La dynamique est là aussi significative puisque nous comptions début février 243 contrats CPTS signés. Pour la seule année 2021, près de 137 contrats ont été signés. La dynamique est donc réellement forte. Aujourd'hui, les CPTS couvrent environ un tiers de la population d'assurés sociaux en France, et 400 à 500 projets devraient être montés dans les prochains mois ou les deux prochaines années. Ce maillage territorial a pris un peu de retard en 2020 notamment, compte tenu de l'ampleur de la crise sanitaire, mais il en sort renforcé. En effet, dans beaucoup de territoires, les CPTS ont été actives, à la fois dans la première partie de la crise concernant les centres Covid de prise en charge des tests et d'accompagnement, puis dans un deuxième temps sur la vaccination. Souvent, les CPTS ont fédéré les professionnels libéraux autour des centres de vaccination. La CPTS s'est imposée dans la crise comme une façon pour les professionnels de santé libéraux de s'organiser entre eux, d'organiser le dialogue avec l'hôpital, le secteur médico-social, les collectivités territoriales, l'Assurance maladie et les services de l'État. Petit à petit, nous soutenons ce déploiement territorial, et je pense que la dynamique va se poursuivre.

Je voulais souligner la dynamique très forte, foisonnante et sans doute insuffisamment visible, mais réelle, autour de cet exercice coordonné et des expérimentations dites « article 51 » - par référence à l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018. Des expérimentations, notamment sur de nouveaux modes de financement, permettent de soutenir ces exercices coordonnés. Il s'agit par exemple de financements supplémentaires pour des groupements de professionnels de santé, ou bien des financements remplaçant pour certains des mécanismes de financement à l'acte, tels que le paiement forfaitaire en équipe de professionnels de santé (PEPS) et l'incitation à une prise en charge partagée (IPEP). Elles sont assez bien connues et participent à une meilleure respiration du système, elles apportent aux acteurs des innovations dans le financement et l'organisation. Nous pourrons dans les mois à venir tirer les enseignements de ces expérimentations et voir dans quelle mesure les généraliser pour proposer aux professionnels de santé qui le souhaitent de s'emparer de ces nouveaux modes de financement. Nous constatons sur le terrain cette dynamique, avec une forte mobilisation de la part de l'Assurance maladie. Nous avons créé des accélérateurs, c'est-à-dire une offre de services pour le professionnel qui souhaite créer sa maison de santé, construire une CPTS, afin d'appuyer sa démarche et lui fournir une aide. Les soignants sont là pour soigner, et non pour écrire un texte juridique ou pour construire des financements. Nous sommes présents pour les accompagner.

Le deuxième axe qui mobilise l'Assurance maladie et participe à la transformation de notre système de santé, est constitué par les dispositifs qui permettent de dégager du temps médical, de changer l'organisation et rendre plus facile l'accès aux soins. Les assistants médicaux sont pour nous un sujet crucial. La dynamique a été un peu freinée par la crise, mais semaine après semaine, des médecins intègrent cette démarche. L'objectif pour fin 2022 s'élève à 4 000 contrats d'assistants médicaux signés. Ils sont aujourd'hui au nombre de 2 700. Chaque semaine environ 50 médecins, le plus souvent généralistes, signent des contrats d'assistants médicaux. Ainsi, 500 000 patients supplémentaires retrouvent l'équivalent d'un médecin traitant, ce qui représente, en file active, un peu plus d'un million de patients supplémentaires susceptibles d'être pris en charge. Ce dispositif répond à une attente et à un certain nombre de problématiques, notamment en zones sous-denses. Nous avons encore besoin d'amplifier nos efforts de pédagogie et d'explication. Ses deux limites sont les suivantes : tout d'abord, les locaux représentent un défi réel. Sur le terrain, nous avons rencontré des professionnels qui avaient accepté ou refusé ce dispositif afin de comprendre les raisons de leur choix. La plupart souligne le problème du logement de l'assistant médical. Nous y réfléchissons avec les collectivités territoriales. Le deuxième frein est la peur de l'embauche. Les médecins libéraux n'ont pas forcément envie de devenir employeurs. Des formules, comme des groupements d'employeurs, sont en train de se déployer pour répondre à cette angoisse de l'embauche. Telles sont les deux principales limites au déploiement plus massif de l'assistant médical, au-delà des efforts de pédagogie, de communication et d'information qui continuent d'être mis en œuvre.

J'en viens à l'évolution des métiers et tâches des différents professionnels de santé. Concernant les infirmiers, la dynamique des infirmiers relevant du dispositif Asalee (Actions de SAnté Libérale En Equipe) permet un accompagnement des médecins, notamment généralistes, autour de l'éducation thérapeutique, de la prise en charge de patients atteints de maladies chroniques, comme le diabète et autres. Ce mode d'exercice connaît une forte dynamique : 1 400 infirmiers libéraux ont été embauchés par le dispositif Asalee, qui est financé à 100 % par l'Assurance maladie. Ils étaient 700 en 2019 et 300 en 2018. La dynamique est donc exponentielle et positive, puisqu'elle montre une appétence des infirmiers pour ce mode d'exercice. Le duo associant médecin et infirmier Asalee fonctionne bien. Le dispositif des infirmiers en pratique avancée (IPA) se déploie aussi. Ce dispositif est beaucoup plus jeune, tandis qu'Asalee a presque une quinzaine d'années. Les chiffres sur les IPA en libéral, à ce stade, demeurent faibles. En effet, 110 infirmiers libéraux exercent l'activité à titre d'IPA en libéral. Nous avons engagé avec les syndicats d'infirmiers libéraux une renégociation des conditions économiques, ce qui doit permettre de mieux accompagner l'émergence de cette nouvelle activité.

Je souhaitais insister sur une autre avancée, pour appuyer les médecins généralistes dans l'exercice de leurs compétences, notamment pour la prise en charge de la santé mentale. La LFSS pour 2022 comporte un dispositif de prise en charge des psychologues dans un parcours de soins organisé autour des médecins généralistes. Nous sommes extrêmement mobilisés avec les équipes du ministère de la Santé, de M. Frank Bellivier et du ministre, pour mettre en œuvre ce dispositif, qui verra le jour dans les prochaines semaines. Ce dispositif est lié aux expérimentations lancées par la CNAM depuis plusieurs années. Nous pensons que cet appui des psychologues auprès des médecins généralistes sera extrêmement utile, y compris au regard des conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale. Nous avons partagé dans le rapport dit « Charges et Produits » nos inquiétudes à cet égard.

Enfin, mentionnons les différentes mesures, soit législatives, liées à l'expérimentation de l'accès direct à certains spécialistes, soit d'évolution des compétences elles-mêmes. Je pense notamment aux pharmaciens. Ces mesures participent de cette transformation. J'ai bon espoir d'achever la négociation de la nouvelle convention avec les pharmaciens libéraux dans les prochains jours. Elle permettra notamment de redonner davantage de compétences aux pharmaciens dans le cadre de la vaccination, non seulement contre le covid, mais également pour les rappels vaccinaux, et du dépistage.

Par ailleurs, nous sommes engagés dans une série d'actions visant à accompagner des parcours de soins de meilleure qualité, plus efficients et au bénéfice des patients. Nous avons négocié l'avenant 9 avec les médecins libéraux pour financer la régulation des soins non programmés. Le dispositif se met en place sous le pilotage de l'ARS, mais nous en avons assuré la valorisation. De même, un volet dans l'accord signé avec les CPTS prévoit qu'elles puissent appuyer la réponse aux soins non programmés.

Le domicile constitue le deuxième sujet important dans les parcours de soins et la prise en charge des patients. Le vieillissement de la population, l'augmentation des pathologies chroniques, ou encore la prise en charge des handicaps courts justifient une prise en charge renforcée à domicile. Je voulais souligner deux évolutions que l'Assurance maladie a mises en œuvre dans le cadre des orientations ministérielles. La première est la visite longue auprès des personnes âgées, mieux valorisée pour les médecins généralistes. Le doublement de la valeur de la visite permet tous les trimestres une visite longue auprès des personnes âgées, et participe d'un maintien à domicile. Le pendant en est le bilan de soins infirmiers. Nous avons consolidé avec les infirmiers libéraux un investissement significatif de l'Assurance maladie, pour que le bilan de soins infirmiers permette une meilleure prise en charge par les infirmiers libéraux à domicile des personnes âgées. Cela représente un investissement de plus de 400 millions d'euros de l'Assurance maladie entre 2021 et 2024, ce qui traduit la priorité forte accordée au maintien à domicile.

Le parcours de soins organisé et la qualité de la prise en charge représentent un troisième sujet. L'Assurance maladie est très impliquée dans l'organisation des parcours de soins, notamment de sortie de l'hôpital, comme le Programme d'accompagnement du retour à domicile (Prado) à la sortie de maternité, mais également des Prado pour d'autres types de pathologie ou de prises en charge. À la suite de notre rapport « Charges et Produits 2022 », nous mettons en œuvre autour de Prado un véritable parcours de prise en charge des personnes victimes d'insuffisance cardiaque, à la fois pour la prévention en amont par la médecine de ville, et pour l'accompagnement des sorties d'hôpital. Des millions de personnes sont concernées. La qualité de leur prise en charge peut être améliorée, y compris en matière d'efficience. L'Assurance maladie est partie prenante du dispositif d'incitation financière à l'amélioration de la qualité (IFAQ).

La question du numérique a largement été abordée lors de l'audition précédente, je n'insisterai pas dessus. Je souhaitais souligner l'irruption de la téléconsultation, dont la part reste toutefois assez modeste en pourcentage. Elle concernerait environ 5 % des consultations de médecine générale, mais ce taux s'élevait à 0,5 % il y a deux ans. La téléconsultation s'est donc installée dans la pratique. L'avenant 9 a mis en place des conditions plus souples de recours à la téléconsultation, laquelle reste cependant intégrée à un parcours de soins, avec des exigences de qualité. Ainsi, le médecin libéral ne peut assurer plus de 20 % de ses consultations en téléconsultation.

La question des données est également importante. L'Assurance maladie est engagée dans l'utilisation de ces données pour mieux faire comprendre ce qui se passe dans le système de santé. Nous avons mis à disposition dans le cadre de la crise du Covid et de la vaccination toutes nos données en open data dans des conditions de sécurité et d'anonymisation totales. Data Vaccin Covid existe depuis plusieurs mois et fournit des informations sur l'âge, le type de vaccin, le département et l'intercommunalité des personnes vaccinées. D'intéressants travaux d'analyse en ont résulté. Cela nous a permis, ainsi qu'aux ARS et aux services de l'État, d'engager une série d'actions autour de l'aller vers. Nous sommes parties prenantes d'une ouverture de nos données, y compris vis-à-vis des communautés de chercheurs et des acteurs de la santé publique, dans le cadre du Health Data Hub et de ces dispositifs.

Madame la Présidente, je conclus ce propos par trois dernières idées. L'une des questions importantes qui se posent concerne l'équilibre entre la structuration de l'équipe de soins, autour du médecin traitant, et la dynamique de délégation de tâches. Comment parvenir à être ambitieux sur ces deux volets, dans une cohérence globale ? Ces sujets suscitent souvent l'inquiétude des professions, et en même temps, des attentes. Les modèles doivent évoluer. Les modèles d'équipes articulées autour du médecin traitant sont assez prometteurs pour améliorer la prise en charge des patients et pour permettre aux médecins traitants de suivre plus de patients. L'organisation de ces deux dynamiques est donc importante.

De plus, nous pensons que le numérique est un outil fondamental pour organiser les parcours de soins, permettre aux usagers d'être acteurs de leur santé et aux professionnels de santé de mieux s'organiser entre eux au sein de la ville et entre la ville et l'hôpital. De ce point de vue, la feuille de route du numérique en santé est extrêmement ambitieuse. Nous sommes en train de la déployer, et nous avons enfin dans notre pays à la fois une stratégie, des moyens et un déploiement. Je pense que le lancement de Mon Espace Santé, piloté par l'Assurance maladie, est la première brique de cette ambition, qui se traduira dans les prochains mois par un grand nombre d'innovations.

Enfin, la mise en œuvre des réformes est un sujet primordial. Comment arrivons-nous à accélérer les transformations de notre système de santé en accompagnant les professionnels de santé pour qu'ils en soient acteurs et qu'ils n'aient pas le sentiment de les subir ? C'est un sujet de préoccupation central pour l'Assurance maladie. Pour cette raison, nous rénovons progressivement notre offre d'accompagnement, y compris à l'aune de la crise. Auparavant, le délégué de l'Assurance maladie se rendait individuellement auprès du médecin avec son profil d'activité papier ; désormais, nous mettons en place une série de webinaires, afin de transformer nos modes de relation en utilisant nos données, pour les mettre à disposition des acteurs sous un format numérique. Nous élevons le niveau de compétences de nos agents, à la fois délégués de l'Assurance maladie et conseillers informatiques, pour garantir un meilleur accompagnement individuel et collectif.

Au niveau territorial, nous devons trouver les bons modes de dialogue et de décision entre les CPTS, les centres hospitaliers ou groupements hospitaliers de territoire (GHT), les ARS, les services de l'État et les caisses d'assurance maladie. Notre ambition est de proposer une organisation territoriale des soins plus efficace. Je n'ai pas de solution clé en main. Toutefois, je pense que cet enjeu sera important dans les prochains mois ou années, si nous voulons consolider les transformations engagées depuis plusieurs années.

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