Intervention de Pierre Czernichow

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 10h25
Commission des affaires sociales

Pierre Czernichow, président de la Fédération 3977 :

Merci pour votre invitation, qui nous touche.

La Fédération 3977 est un dispositif associatif composé, d'une part, d'une plateforme téléphonique nationale, avec un numéro unique accessible tous les jours, d'autre part, d'un réseau associatif d'une cinquantaine de centres répartis sur le territoire national, chacun d'entre eux couvrant au moins un département. Pourquoi cette organisation duale ? Parce que c'est une chose de recevoir des alertes concernant d'éventuelles situations de maltraitance – je ne vous dirais pas la vérité si j'affirmais que tous les appels correspondent à de telles situations –, c'en est une autre de rechercher des réponses sur le terrain. Il faut, pour cela, non seulement analyser la situation, mais aussi écouter et soutenir les familles – et vous savez, pour les avoir reçues, leur souffrance, leur peine et les difficultés qu'elles rencontrent –, ce qui nécessite temps et proximité. Ce n'est pas de Paris, par téléphone, que l'on trouvera une solution à un problème local, en Bretagne, en Aquitaine ou ailleurs.

On estime, sur le plan international – nous n'avons pas de chiffres pour la France – qu'au moins 95 % des situations de maltraitance avérées demeurent méconnues. Personne n'en entend parler, pas davantage notre fédération que la justice, les forces de l'ordre, les conseils départementaux, le Défenseur des droits ou les autres instances compétentes. Se pose donc la question de la révélation des maltraitances, dont nous ne voyons qu'un fragment, qui plus est probablement déformé.

Quelle est la situation ordinaire, celle que nous connaissons depuis que la plateforme fonctionne sur le modèle actuel, avec son réseau de centres, c'est‑à‑dire depuis 2015 ? Sur les 35 000 appels que nous avons reçus l'an passé, nous avons – pardonnez‑moi cette expression, que j'abhorre – ouvert 7 000 dossiers, sachant que nous ouvrons un dossier lorsque nous disposons d'éléments suffisamment tangibles pour nous convaincre qu'il y a lieu d'aller plus loin. Tous ces dossiers ont fait l'objet d'un recueil d'informations et, surtout, des suites leur ont été données par nos centres départementaux. Que l'on soit victime ou témoin – proche ou professionnel – d'une situation de maltraitance, en parler prend du temps et nécessite de la confiance. De fait, ce n'est pas quelque chose que l'on met facilement sur la table : il s'agit de situations parfois intimes ou qui mettent en difficulté les uns et les autres.

Les trois quarts de ces 7 000 dossiers concernent des situations de maltraitance à domicile, le dernier quart a trait à des personnes qui résident en établissement, au sens large. Il s'agit, pour la plupart, d'établissements médico‑sociaux, lesquels ne sont pas tous des EHPAD puisque le périmètre de notre fédération inclut l'ensemble des adultes vulnérables, notamment les personnes en situation de handicap. Ce dont nous pouvons témoigner, s'agissant de ces établissements, c'est la diversité de leurs statuts. Je ne peux pas citer de chiffres, car il se trouve que le statut des établissements ne figure pas parmi les données traitées de manière systématique par la fédération au niveau national, mais il est très clair que les situations de maltraitance portées à notre connaissance – encore une fois, il s'agit d'une toute petite partie de la réalité – ont pour cadre des établissements privés commerciaux, certes – et pas seulement ceux du groupe Orpea –, mais aussi des établissements privés à but non lucratif et des établissements publics.

On ne se donnerait pas les moyens de remédier efficacement aux situations de maltraitance en établissement si l'on réduisait les mécanismes générateurs de ces situations à un seul facteur : pour qu'il y ait maltraitance, il faut une conjonction de facteurs. On peut citer notamment des problèmes liés aux ressources professionnelles, qu'il s'agisse de leur nombre ou du niveau de leur qualification. On observe en effet souvent, dans les établissements en difficulté, des glissements de tâches : faute de professionnels, des tâches qui nécessitent un certain niveau de qualification sont remplies – quand elles le sont – par une personne qui n'est pas qualifiée. Je pense également à des difficultés liées aux conditions de travail – des professionnels en souffrance ne peuvent pas, on le sait, faire correctement leur travail –, au management – il est essentiel que le travail en équipe soit organisé de manière à permettre aux professionnels d'avoir des temps d'échanges sur les personnes dont ils ont la charge – et à des directives inappropriées.

Celles‑ci peuvent émaner d'un groupe privé – c'est ce que M. Castanet a très bien documenté dans son ouvrage – mais aussi d'une collectivité territoriale ou d'une ARS. Ainsi, pendant l'épidémie de covid‑19, des directives à caractère sanitaire ont été appliquées de manière mécanique à l'ensemble des résidents d'un même établissement et à leurs familles, alors qu'on aurait pu faire du sur‑mesure – bien entendu, cela coûte plus cher.

Pour conclure, la situation des deux ou trois dernières semaines est différente. Nous avons observé, ces derniers jours, un afflux d'alertes, dont le nombre dépasse de très loin ce que nous connaissions jusqu'à présent. Cet afflux n'est peut‑être pas très durable, mais les situations de maltraitance en établissement y sont surreprésentées de manière très importante au regard de ce que nous observions ces dernières années.

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