Intervention de Laurent Garcia

Réunion du mardi 22 février 2022 à 17h10
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Garcia, ancien cadre infirmier du groupe Orpea :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de cette invitation. Je dois avouer que je n'aurais jamais imaginé me retrouver un jour devant vous. L'EHPAD des Quatre saisons, où je travaille en qualité de cadre de santé, ou d'« ambianceur », comme j'aime à le dire, et qui est situé en Seine‑Saint‑Denis, me paraît parfois si loin de vous ! Nos voix semblent parfois se perdre dans les méandres d'une administration où les interlocuteurs sont trop nombreux et où chacun semble renvoyer à la responsabilité à un autre. Nous sommes tous responsables.

Depuis plusieurs semaines, le sujet des EHPAD, et plus largement de la prise en charge de nos aînés, est au cœur de l'actualité. Nous ne pouvons que tristement nous en féliciter. Je souhaite qu'il le reste, et qu'il soit pris à bras‑le‑corps. J'ose espérer que les candidats à l'élection présidentielle s'en saisiront, sans faux‑semblants, sans fausse promesse.

Si la maltraitance a déjà été au cœur de l'actualité, elle a toujours été appréhendée de façon ponctuelle, en rapport avec un établissement ou une personnalité, comme autant de phénomènes isolés. Le livre de Victor Castanet a permis de dépasser le simple constat pour engager une réflexion plus large. Nous devons réfléchir à ce que signifie « vivre avec nos vieux » et à la façon dont nous voulons vivre notre vieillesse, car aucun de nous n'y échappera.

La question du grand âge est une des interrogations dont personne ne peut être exclu. Rendue visible par la crise sanitaire et les restrictions dont les résidents et leurs familles ont fait l'objet, ainsi que par le courage, voire l'abnégation dont les soignants ont fait preuve, la prise en charge des aînés ne peut être mise de côté, ni la réflexion renvoyée à plus tard. Il faut agir, ici et maintenant.

Réfléchir à l'EHPAD de demain suppose de réfléchir à celui d'aujourd'hui. Le nombre de personnes dont nous devrons nous occuper ne fera qu'augmenter. La crise sanitaire et le choc provoqué par la publication du livre Les fossoyeurs ont démontré que nous avons pris un chemin qui n'est pas le bon. Attention, n'entendez pas dans mes mots un simple « EHPAD bashing ». Les postes que j'ai occupés, dans les secteurs associatifs privé et public, m'ont également permis d'être témoin de magnifiques projets et de réflexions porteuses d'espoir.

Comment ne pas être enthousiaste en voyant les résidents de l'EHPAD des Quatre saisons participer à un projet d'opéra, en lien avec le Théâtre des Bouffes du Nord ? En les accompagnant dans les processus de Citoyennage, qui interdisent de réfléchir à la place des résidents mais les placent au cœur des initiatives ?

Comment ne pas être admiratif devant ces dizaines de résidents d'EHPAD venus des quatre coins de la France pour réfléchir à ce qu'ils veulent et à la façon dont ils souhaitent être acteurs de la société à laquelle ils appartiennent pleinement ?

Comment ne pas s'enthousiasmer sur les réflexions autour de l'architecture et plus largement l'environnement des lieux d'accueil ?

S'il s'agit de protéger les résidents, il ne s'agit pas de les isoler. La seule protection que nous leur devons est celle exigible par chaque citoyen. L'EHPAD doit être, non plus jamais un lieu caché, mais un lieu dans la cité. Les murs doivent tomber.

Une réflexion sur la prise en charge des aînés doit passer par un triple prisme : l'EHPAD est un lieu de vie, un lieu de soins et un lieu de travail. Ce n'est qu'au prix de cette lecture que nous pourrons créer un avenir désirable.

Un lieu de vie car il est rappelé à chaque résident admis en EHPAD que la chambre est sa chambre et l'EHPAD sa maison. Mais voudriez‑vous d'une maison où, dès votre entrée, on vous prend vos titres d'identité et vos moyens de paiement ? Où votre rythme de vie s'efface au profit de celui de la collectivité, ou plutôt celui des contraintes horaires imposées aux équipes soignantes ? Un lieu de vie est un lieu où l'on vous permet d'être vous‑même, et où aucun de vos droits ne peut être limité.

Un lieu de soins car nous ne saurions ignorer que l'entrée en EHPAD est de plus en plus tardive, ni que les résidents sont de plus en plus dépendants à leur entrée. Cette voie sur laquelle nous sommes engagés mériterait d'être repensée. Comment rendre attractive la venue en EHPAD pour que le lieu de vie ne s'efface pas au profit de celui du soin ? S'il s'agit de prendre soin, il ne s'agit pas de surprotéger, ni surtout d'isoler. Construire une réflexion sur le soin consiste aussi à accepter collectivement notre vulnérabilité. Dans les EHPAD, la mort est présente. Aucun soin n'empêchera le départ de ceux que l'on aime.

Un lieu de travail car un EHPAD ne peut fonctionner qu'avec la synergie de toutes ses composantes, de l'entretien à la cuisine, des toilettes à la prise en charge médicale, de la création de projet à la gestion de budget. Venir travailler en EHPAD à reculons ou y travailler avec le salaire pour seule ambition ne pourra jamais fonctionner. Il est temps de valoriser le travail de ceux qui prennent soin, non par une simple augmentation de salaire, mais par une augmentation du nombre de soignants et un regard bienveillant. Chaque résident est différent des autres et a des besoins spécifiques, comme moi, comme vous. Il faut que nous nous donnions les moyens d'adapter la prise en charge à chacun.

Si certains croient à l'industrialisation de la prise en charge, cette pensée est intimement liée à la velléité de réduire les coûts, coûte que coûte, pour que la silver economy soit l'une des plus lucratives qui soit, où les investisseurs affluent. Mais il s'agit de vos parents et de vos grands‑parents. Voulez‑vous réellement les penser comme un produit ? Je n'ai rien contre l'investissement privé, qui est certainement indispensable compte tenu du vieillissement de la population auquel nous devrons faire face. Au prix de restrictions sur le grammage de beurre et les protections urinaires ? Il s'agit ici de se dire que plus jamais la nourriture servie ne sera gonflée aux compléments alimentaires remboursés par les deniers publics, pour réduire les portions et augmenter les profits.

La verticalisation des prises de décisions au déprofit du terrain a permis toutes les dérives. Dans certains groupes, les décisions sont prises par des personnes qui ne connaissent aucun résident et ne savent pas qui ils sont, sur la seule base des courbes évolutives du taux d'occupation des établissements. Le soin ne peut être lié à une courbe. Les primes pleuvent pour ceux qui restreignent et économisent le plus. Le licenciement ou la mise au placard guettent ceux qui ne sont pas prêts à tout. Cela ne peut pas fonctionner. Nous parlons de personnes.

J'admets que les finances publiques ne sont pas un puits sans fond, mais elles ne doivent certainement pas servir de tremplin à la croissance des marges du secteur privé. La prise en charge des aînés doit être une priorité. L'investissement public doit être significatif, au profit de l'immobilier et de l'emploi. La mienne, en qualité de soignant, sera toujours le sourire du matin de Gaëlle, aide‑soignante, de Daniel, résident, et de tous les autres.

Si, notre vie entière, nous avons été des cœurs de cible pour quelques spécialistes du marketing, il est difficile d'admettre que notre vieillesse sera uniquement perçue comme une source de profit et un jouet pour cost killer. Vieillir ne peut pas être laissé à la réflexion de quelques entrepreneurs lobbyistes détenant le monopole de la gestion du vieillissement, que nous nous devons de rendre visible. Nous devons le regarder en face, et être là signifie que nous sommes prêts.

Aujourd'hui, nous pouvons parler. Nous sommes de ceux qui participent du début d'une grande réflexion. J'imagine sans mal que nous appelons à nous interroger collectivement sur la façon dont nous voulons vieillir ensemble. Le grand âge doit devenir une question prioritaire, car elle nous concerne tous.

En tant que personnel soignant, j'en appelle à une grande réflexion sur la prise en charge et les moyens que nous souhaitons allouer aux soins. En tant que président de l'Observatoire du grand âge, j'en appelle à un profond respect des droits et des libertés de nos aînés. En tant que citoyen, j'exhorte à la création d'une autorité administrative indépendante (AAI), seul organisme en mesure de contrôler non seulement le soin, mais aussi l'accueil, le lieu de vie, les conditions de travail et l'économie.

Mesdames et messieurs les députés, je compte sur vous. Grâce à vous tous, nous allons améliorer grandement la prise en charge de nos aînés, et de toutes les personnes vulnérables, notamment les jeunes enfants et les personnes souffrant de handicap. Une société qui fonctionne est une société qui n'oublie personne et qui est capable d'apprendre de ses erreurs. Il n'y aura plus de mur qui cache. Il y aura la seule volonté de rendre visible et de le rester.

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