Intervention de Pascal Champvert

Réunion du mardi 22 février 2022 à 21h15
Commission des affaires sociales

Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD :

PA). L'AD‑PA représente, dans toute la France, 2 000 directeurs d'établissement mais aussi de services à domicile, dont il ne faut pas oublier qu'ils font aussi partie du problème.

À l'AD‑PA, nous considérons qu'il y a des maltraitances d'ordre individuel ou organisationnel. Si les faits révélés par Victor Castanet sont avérés dans le groupe Orpea, certaines relèvent clairement de la seconde catégorie, et donc de la police, des inspections générales et de la justice.

Nous les distinguons de la maltraitance systémique, qui existe dans l'ensemble de notre société envers les personnes âgées vulnérables, qu'elles vivent à domicile ou en établissement. Clairement, les recommandations, bonnes pratiques et procédures instaurées par les différents gouvernements depuis la canicule de 2003 ne sont pas entièrement respectées. Cela tient à plusieurs éléments.

Premièrement, à la discrimination par l'âge. À l'analyse, l'affaire Orpea, et globalement la situation de nos aînés vulnérables, ne se comprend que par l'âgisme qui marque notre société, au point qu'elle ne repère pas les discriminations par l'âge comme elle le fait pour la couleur de peau, l'homophobie ou le sexisme. L'excellent rapport d'Audrey Dufeu en démontre très bien le fonctionnement et comporte des propositions tout à fait intéressantes.

L'âgisme, c'est la dévalorisation des plus vieux que nous, qui conduit à considérer que leurs besoins, leurs attentes, leurs vies même, ne sont pas aussi importants que les nôtres, qu'au fond, il vaut mieux qu'ils soient invisibles – et c'est plus encore le cas à domicile qu'en établissement.

Parler des vieux, cela fait peur ; ce n'est vendeur ni auprès des lecteurs, ni auprès des auditeurs, ni auprès des électeurs. Cela explique ce système global dans lequel peuvent émerger des îlots de maltraitance individuelle ou organisationnelle, que nous avons laissé trop longtemps perdurer. De grâce, profitez des prochaines campagnes électorales pour appeler l'attention des Français et de la société sur ce sujet, afin qu'il soit traité au cours de la prochaine législature.

En dehors de l'affaire Orpea, l'AD‑PA vient de publier la synthèse de travaux qu'elle avait engagés depuis fort longtemps. Elle y fait des propositions très concrètes, par exemple pour ne plus avoir à attacher ou enfermer nos aînés, que ce soit à domicile ou en établissement – on fait à des personnes innocentes de tout crime ce qu'on ne fait pas aux prisonniers ! –, pour passer plus de temps auprès d'eux, pour mieux les respecter. Le bébé est une personne, disait Françoise Dolto ; soyons conscients que le « pépé » et la « mémé » le sont aussi.

Deuxièmement, plutôt que contrôler, il faut financer : quand ma voiture est en panne, j'ai besoin non pas d'un contrôle technique mais d'un bon garagiste. Lorsqu'il était directeur général d'une agence régionale de santé (ARS), Claude Évin disait que les contrôles ne régleraient pas grand‑chose. Il avait raison, sauf en cas de soupçons, comme ceux qui pèsent dans l'affaire Orpea.

À côté des 20 % d'établissements commerciaux qui peuvent fixer leurs prix librement – et Orpea ne s'en privait pas –, 80 % sont publics ou associatifs et leurs tarifs sont fixés par l'État et par les départements. Dans ces établissements ou services, que vont contrôler l'ARS ou le département ? Qu'il y manque les personnels qu'ils n'ont pas donnés et que donc l'on n'y applique pas les réglementations ou les recommandations de bonnes pratiques – ARS et départements ne contrôlent donc pas. Ainsi, l'absence de contrôle tient également à la conscience que, dans 80 % des cas, le contrôle ne présente pas d'intérêt.

Troisièmement, l'accent mis sur les établissements renforce l'invisibilité des personnes aidées vulnérables qui vivent à leur domicile, comme celle de leurs familles et des professionnels qui les accompagnent. Sur ce sujet, je vous renvoie au rapport de Bruno Bonnell et François Ruffin. Pierre Czernichow, responsable d'Allô maltraitance et président de la Fédération 3977, vous a indiqué lors de son audition que 75 % des maltraitances sont commises à domicile.

Quelles solutions peut‑on mettre en œuvre pour les établissements ? Le point important qui ressort tant du rapport de Monique Iborra et Caroline Fiat, que de ceux de Dominique Libault et de Myriam El Khomri, c'est la nécessité d'augmenter le nombre de professionnels. En 2006, le Premier ministre Dominique de Villepin prévoyait un ratio de huit pour dix dans les établissements ; on en est aujourd'hui à peine à six pour dix. L'affaire Orpea n'aurait pas pu exister dans le secteur de la petite enfance, où coexistent aussi des structures publiques, associatives et commerciales, parce que toutes sont astreintes à un ratio en matière de personnel. Instaurez, au cours de la prochaine législature, des ratios minimaux de personnel et des situations comme celle d'Orpea ne pourront plus se produire.

Deuxième solution, qui ne coûte rien : la comparabilité de l'offre. Avec un système d'étoiles comme celui qui existe dans l'hôtellerie, il n'y aurait pas eu non plus d'affaire Orpea. Un hôtel à 1 000 ou 2 000 euros la nuit ne peut pas proposer les prestations d'un hôtel Formule 1 : d'une part, il n'aurait pas de clients ; d'autre part, l'État et la profession se sont mis d'accord pour définir des normes minimales correspondant au prix payé.

Enfin, nous pensons qu'il faut abandonner le modèle hypersécuritaire et hypersanitaire de l'EHPAD qui, au fond, n'a pas été créé pour les personnes âgées et ne s'appuie pas sur leur parole. Depuis vingt‑cinq ans, l'AD‑PA soutient une démarche, Citoyennage, à l'écoute des personnes âgées vulnérables qui vivent en établissement ou qui sont aidées à domicile. Ce qu'elles demandent, c'est un peu de sécurité, bien sûr, mais d'abord beaucoup de liberté et le respect de ce qu'elles sont – de ce que nous‑mêmes serons dans un futur plus ou moins proche. Sous quelque nom qu'on l'appelle, l'« écoute client » ou l'« empouvoirement », l'appui sur la parole des personnes est essentiel, ainsi que l'a montré Denis Piveteau, ancien directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), dans un excellent rapport. Pour notre part, nous proposons d'expérimenter la transformation d'établissements en domiciles regroupés, à l'image de ce que font les Danois depuis une vingtaine d'années.

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