Commission des affaires sociales

Réunion du mardi 22 février 2022 à 21h15

Résumé de la réunion

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  • ARS
  • EHPAD
  • domicile
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  • orpea
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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 22 février 2022

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.

Dans le cadre des auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea, la commission entend M. Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD‑PA) et M. Jean‑Pierre Riso, président, et Mme Annabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (FNADEPA).

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Les directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont en première ligne face à l'onde de choc suscitée par l'ouvrage de M. Castanet – dont je répète qu'il ne doit pas nous conduire à considérer que les pratiques qui y sont dénoncées sont représentatives de l'ensemble des établissements. Reste, monsieur Champvert, que vous avez déclaré dans un récent article de presse : « Bien entendu que les directeurs subissent des pressions, que l'on nous demande de nous taire et de ne pas nous plaindre », tout en relevant l'augmentation du nombre de directeurs en congé maladie et les burn‑out.

Nous sommes donc très désireux d'avoir l'éclairage des uns et des autres sur la crise qui secoue actuellement les EHPAD, sur le rôle des directeurs d'établissement, les difficultés qu'ils rencontrent et les voies d'amélioration à explorer – je crois savoir que l'AD‑PA a présenté de nombreuses propositions pour mieux prendre en charge le grand âge.

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Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD

PA). L'AD‑PA représente, dans toute la France, 2 000 directeurs d'établissement mais aussi de services à domicile, dont il ne faut pas oublier qu'ils font aussi partie du problème.

À l'AD‑PA, nous considérons qu'il y a des maltraitances d'ordre individuel ou organisationnel. Si les faits révélés par Victor Castanet sont avérés dans le groupe Orpea, certaines relèvent clairement de la seconde catégorie, et donc de la police, des inspections générales et de la justice.

Nous les distinguons de la maltraitance systémique, qui existe dans l'ensemble de notre société envers les personnes âgées vulnérables, qu'elles vivent à domicile ou en établissement. Clairement, les recommandations, bonnes pratiques et procédures instaurées par les différents gouvernements depuis la canicule de 2003 ne sont pas entièrement respectées. Cela tient à plusieurs éléments.

Premièrement, à la discrimination par l'âge. À l'analyse, l'affaire Orpea, et globalement la situation de nos aînés vulnérables, ne se comprend que par l'âgisme qui marque notre société, au point qu'elle ne repère pas les discriminations par l'âge comme elle le fait pour la couleur de peau, l'homophobie ou le sexisme. L'excellent rapport d'Audrey Dufeu en démontre très bien le fonctionnement et comporte des propositions tout à fait intéressantes.

L'âgisme, c'est la dévalorisation des plus vieux que nous, qui conduit à considérer que leurs besoins, leurs attentes, leurs vies même, ne sont pas aussi importants que les nôtres, qu'au fond, il vaut mieux qu'ils soient invisibles – et c'est plus encore le cas à domicile qu'en établissement.

Parler des vieux, cela fait peur ; ce n'est vendeur ni auprès des lecteurs, ni auprès des auditeurs, ni auprès des électeurs. Cela explique ce système global dans lequel peuvent émerger des îlots de maltraitance individuelle ou organisationnelle, que nous avons laissé trop longtemps perdurer. De grâce, profitez des prochaines campagnes électorales pour appeler l'attention des Français et de la société sur ce sujet, afin qu'il soit traité au cours de la prochaine législature.

En dehors de l'affaire Orpea, l'AD‑PA vient de publier la synthèse de travaux qu'elle avait engagés depuis fort longtemps. Elle y fait des propositions très concrètes, par exemple pour ne plus avoir à attacher ou enfermer nos aînés, que ce soit à domicile ou en établissement – on fait à des personnes innocentes de tout crime ce qu'on ne fait pas aux prisonniers ! –, pour passer plus de temps auprès d'eux, pour mieux les respecter. Le bébé est une personne, disait Françoise Dolto ; soyons conscients que le « pépé » et la « mémé » le sont aussi.

Deuxièmement, plutôt que contrôler, il faut financer : quand ma voiture est en panne, j'ai besoin non pas d'un contrôle technique mais d'un bon garagiste. Lorsqu'il était directeur général d'une agence régionale de santé (ARS), Claude Évin disait que les contrôles ne régleraient pas grand‑chose. Il avait raison, sauf en cas de soupçons, comme ceux qui pèsent dans l'affaire Orpea.

À côté des 20 % d'établissements commerciaux qui peuvent fixer leurs prix librement – et Orpea ne s'en privait pas –, 80 % sont publics ou associatifs et leurs tarifs sont fixés par l'État et par les départements. Dans ces établissements ou services, que vont contrôler l'ARS ou le département ? Qu'il y manque les personnels qu'ils n'ont pas donnés et que donc l'on n'y applique pas les réglementations ou les recommandations de bonnes pratiques – ARS et départements ne contrôlent donc pas. Ainsi, l'absence de contrôle tient également à la conscience que, dans 80 % des cas, le contrôle ne présente pas d'intérêt.

Troisièmement, l'accent mis sur les établissements renforce l'invisibilité des personnes aidées vulnérables qui vivent à leur domicile, comme celle de leurs familles et des professionnels qui les accompagnent. Sur ce sujet, je vous renvoie au rapport de Bruno Bonnell et François Ruffin. Pierre Czernichow, responsable d'Allô maltraitance et président de la Fédération 3977, vous a indiqué lors de son audition que 75 % des maltraitances sont commises à domicile.

Quelles solutions peut‑on mettre en œuvre pour les établissements ? Le point important qui ressort tant du rapport de Monique Iborra et Caroline Fiat, que de ceux de Dominique Libault et de Myriam El Khomri, c'est la nécessité d'augmenter le nombre de professionnels. En 2006, le Premier ministre Dominique de Villepin prévoyait un ratio de huit pour dix dans les établissements ; on en est aujourd'hui à peine à six pour dix. L'affaire Orpea n'aurait pas pu exister dans le secteur de la petite enfance, où coexistent aussi des structures publiques, associatives et commerciales, parce que toutes sont astreintes à un ratio en matière de personnel. Instaurez, au cours de la prochaine législature, des ratios minimaux de personnel et des situations comme celle d'Orpea ne pourront plus se produire.

Deuxième solution, qui ne coûte rien : la comparabilité de l'offre. Avec un système d'étoiles comme celui qui existe dans l'hôtellerie, il n'y aurait pas eu non plus d'affaire Orpea. Un hôtel à 1 000 ou 2 000 euros la nuit ne peut pas proposer les prestations d'un hôtel Formule 1 : d'une part, il n'aurait pas de clients ; d'autre part, l'État et la profession se sont mis d'accord pour définir des normes minimales correspondant au prix payé.

Enfin, nous pensons qu'il faut abandonner le modèle hypersécuritaire et hypersanitaire de l'EHPAD qui, au fond, n'a pas été créé pour les personnes âgées et ne s'appuie pas sur leur parole. Depuis vingt‑cinq ans, l'AD‑PA soutient une démarche, Citoyennage, à l'écoute des personnes âgées vulnérables qui vivent en établissement ou qui sont aidées à domicile. Ce qu'elles demandent, c'est un peu de sécurité, bien sûr, mais d'abord beaucoup de liberté et le respect de ce qu'elles sont – de ce que nous‑mêmes serons dans un futur plus ou moins proche. Sous quelque nom qu'on l'appelle, l'« écoute client » ou l'« empouvoirement », l'appui sur la parole des personnes est essentiel, ainsi que l'a montré Denis Piveteau, ancien directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), dans un excellent rapport. Pour notre part, nous proposons d'expérimenter la transformation d'établissements en domiciles regroupés, à l'image de ce que font les Danois depuis une vingtaine d'années.

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Jean

Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (FNADEPA). Je vous remercie de donner la parole aux 1 350 adhérents de la FNADEPA.

Ces directrices et directeurs d'établissements et de services pour personnes âgées sont d'abord horrifiés par les révélations de Victor Castanet. Si ce qu'il décrit est la vérité, ces faits sont totalement en contradiction avec ce qu'eux‑mêmes tentent de mettre en œuvre, même si cela ne signifie pas que tout est parfait dans leurs établissements ou dans leurs services, avec des moyens humains en nombre suffisant ou un accompagnement au niveau de ce qu'il devrait être.

La crise des EHPAD ne date pas de ces révélations. Depuis de nombreuses années, la FNADEPA appelle l'attention des pouvoirs publics sur les difficultés structurelles de nos établissements, qui ne sont en aucun cas comparables au système décrit dans le livre de Victor Castanet. Dans ce système, on n'aurait plus besoin des directeurs d'établissement, alors que leur place y est essentielle. Nous pensons, au contraire, qu'ils sont nécessaires, qu'ils doivent avoir des responsabilités et qu'ils doivent pouvoir les assumer, étant entendu qu'ils ne peuvent être tenus à l'impossible selon les moyens dont ils disposent.

À cet égard, les ressources humaines et les conditions de travail sont les questions fondamentales à traiter, faute de quoi il ne peut y avoir d'amélioration de l'accompagnement de nos aînés. Y participent aussi la place accordée aux directeurs, les formes d'organisation, la taille et l'implantation des établissements dans les territoires. Grandeur et puissance ne constituent pas forcément la réponse à ce qu'attendent les personnes âgées, auxquelles on doit proposer un parcours correspondant à leurs besoins. Selon la FNADEPA, la taille efficace est celle qui permet de vivre chez soi, où que se trouve ce chez‑soi.

L'approche domiciliaire est en effet un enjeu fondamental de la transformation des EHPAD, car la question du lieu de vie emporte avec elle celle du lieu de soin. Il faut construire différents types de structures qui permettent d'accompagner les personnes en fonction de leur évolution. C'est la question du parcours, qui doit guider l'action des directrices et directeurs, sans considération de rétrocommissions ou rationnements – cela, c'est l'affaire Orpea qui ressortit aux autorités compétentes. L'affaire de tous les établissements de France, qui nous concerne tous, c'est l'évolution de notre modèle d'accompagnement rendue nécessaire par le virage démographique en cours. On voit bien à quel point celui‑ci appelle une loi structurante, programmatique et ambitieuse pour réorganiser ce secteur.

Au sein de notre réseau, des inquiétudes se sont exprimées, touchant à la structuration même des 1 350 directeurs et directrices dont la majorité appartient à la fonction publique territoriale et dirige, pour le compte de centres communaux d'action sociale ou de centres intercommunaux d'action sociale gérés par des élus, des établissements souvent de petite taille. Le nouveau modèle d'accompagnement de nos aînés dépendra aussi de l'attitude des maires et des élus qui, compte tenu des difficultés de fonctionnement de ces établissements, pourraient être tentés de les laisser à d'autres.

Un chiffre est important, celui des équivalents temps plein : le ratio est de 69 pour 100 résidents dans le service public, contre 51 dans le privé commercial. Même s'il n'est pas le seul à concourir à l'accompagnement, il est clair pour nous que l'établissement dans lequel on accompagne mieux est celui qui compte le plus de personnel. Si l'on ne met pas plus de personnel formé, qualifié et valorisé, les directeurs perdront ce qui fait leur métier.

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Annabelle Vêques, directrice de la FNADEPA

À court terme, cette affaire doit trouver un règlement judiciaire et politique. À moyen terme, le nombre des personnels accompagnant les résidents doit effectivement être la première des préoccupations. À domicile comme en établissement, les personnes âgées veulent avoir plus de personnels au quotidien auprès d'elles – les familles et les professionnels demandent la même chose. L'écart relevé peut effectivement questionner.

À moyen terme également doit être envisagée la réforme en profondeur du secteur, car c'est un fait, nos établissements manquent cruellement de moyens, l'offre étant à 75 % publique ou privée non lucrative. Selon les chiffres de la CNSA, l'offre a évolué entre 2007 et 2017 : le taux des places publiques est passé de 55 % à 49 %, celui des places associatives de 26 % à 29 % quand celui de l'offre commerciale a crû de 19 % à 22 %. Le secteur public a donc reculé de 6 points et le secteur privé augmenté d'autant.

Le rôle de la FNADEPA n'est pas de dire qui, du secteur public ou du secteur privé, doit l'emporter ; ce qu'elle soulève, c'est la question fondamentale du reste à charge. Le coût moyen d'un EHPAD privé commercial est de 2 700 euros et celui d'un EHPAD public autour de 2 000 euros. Un certain nombre de nos concitoyens peut se payer un établissement onéreux, pour avoir des prestations supérieures – on a vu qu'ils ne les ont pas toujours. Quel modèle voulons‑nous pour demain ? Nos concitoyens pourront‑ils tous se payer des établissements à 2 700 euros par mois ? Méritent‑ils un reste à charge qui soit tenable pour eux et leur famille ? C'est là un des axes qui doit être abordé dans la future réforme du grand âge.

Le modèle doit également évoluer du point de vue, tout aussi fondamental, de la procédure des appels à projets. Si le secteur public recule depuis dix ans, c'est notamment parce que celle‑ci favorise très clairement, par sa technicité et par ses délais très serrés, les groupes privés, associatifs ou commerciaux. Pour la seule année 2016, 31 % des places créées l'ont été dans le secteur public et 39 % dans le secteur privé commercial ; et cette transformation s'accélère. C'est donc bien le modèle, propice à la poursuite de cette évolution de l'offre dans les années à venir, qui est en question ici, ce n'est pas seulement une affaire de contrôles. Nous ne manquerons pas de vous transmettre nos propositions au fil de l'eau.

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Toute ma compassion et toute ma solidarité vont aux résidents et à leurs familles ainsi qu'à l'ensemble des personnels travaillant en EHPAD, y compris dans les établissements du groupe Orpea. Nous savons que, dans leur majorité, ils font preuve chaque jour de beaucoup d'abnégation et de dignité dans l'accomplissement de leurs tâches et l'accompagnement des personnes âgées. Il ne faut donc pas généraliser les situations décrites dans le livre de M. Castanet.

Les faits qui sont évoqués dans ce livre sont graves et intolérables. Du rationnement des couches et de la nourriture au non‑remplacement de personnels, la liste des reproches à l'encontre du groupe Orpea est longue, et la commission des affaires sociales souhaite faire toute la lumière sur ces allégations.

Avez‑vous déjà reçu, de la part de directeurs d'établissements, des alertes de maltraitance ou des situations de défaillances caractérisées concernant des établissements du groupe Orpea ? Si oui, combien de situations vous ont été remontées ?

Avez‑vous déjà été en contact avec des responsables du groupe Orpea au sujet de ces situations ? Quelles ont été, le cas échéant, leurs réactions et leurs positions ?

Quelles seraient vos principales propositions pour remédier à ces situations et faire qu'elles n'adviennent plus à l'avenir ?

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L'évolution du modèle est effectivement une question qui se pose à nous, à la fois sur le plan national et local.

Dans le département des Landes, dont je suis élu, le taux d'encadrement est de 76 %, donc plus élevé que la moyenne nationale, et le reste à charge, assez faible puisque le conseil départemental prend sa part. C'est donc également une question de choix politiques faits localement.

Avez‑vous parmi vos adhérents des directeurs d'établissements du groupe Orpea ? Dans l'affirmative, ont‑ils demandé des conseils ou appelé à l'aide pour des pressions qu'ils auraient subies ? De quelle manière vos associations ont‑elles réagi ?

Le système Orpea nie la strate du directeur d'établissement. Qu'en pensez‑vous ? L'une des maltraitances organisationnelles peut‑elle relever de son organisation même ?

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Monsieur Champvert, vous semblez convaincu que le ratio serait la seule cause des problèmes dans les EHPAD. Êtes‑vous sûr que s'il était plus élevé, l'affaire Orpea aurait pu être évitée ?

Visiblement, le métier de directeur dans un EHPAD Orpea n'est pas tout à fait le même que dans les établissements publics. Les directeurs d'EHPAD privés et publics échangent‑ils sur leur expérience ?

Y a‑t‑il de nouveaux métiers à inventer pour faire évoluer le modèle des EHPAD ou améliorer le modèle existant ?

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Valérie Six (UDI

I). S'agissant des contrôles, dont nous sommes nombreux à souligner l'importance, les réponses varient selon les personnes auditionnées. En votre qualité de directeur, vous êtes le premier contrôleur des pratiques dans votre établissement et vous êtes en première ligne lors des contrôles effectués par l'ARS ou le département. Quelle est la fréquence de ces contrôles extérieurs ? Comment se déroulent‑ils ? Sont‑ils inopinés ou êtes‑vous prévenus ?

Nous avons entendu des témoignages très touchants de familles de résidents d'EHPAD. Le manque d'écoute semble à l'origine de la détresse qu'elles ont exprimée et de la maltraitance qu'elles ont décrite. Que faire pour mieux prendre en considération l'avis des familles ?

De nombreuses familles se sont plaintes des horaires de visite qui leur sont imposés. Ne faudrait‑il pas faire de l'EHPAD un lieu de vie ouvert où les familles pourraient venir toute la journée ?

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L'électrochoc créé par le livre est‑il suffisant pour que les moyens du secteur médico‑social en faveur des personnes âgées s'accroissent enfin ? Le Gouvernement vous a‑t‑il contacté et fait des propositions depuis sa publication ?

Quelles sont vos préconisations pour améliorer la transparence, le contrôle et la gestion des budgets des EHPAD ? On sait que la section tarifaire « hébergement » ne fait l'objet d'aucun contrôle dans les établissements privés. Que pensez‑vous de la fusion des sections « soins » et « dépendance » ? Que recommandez‑vous pour diminuer le reste à charge des résidents, sujet qui n'a toujours pas été traité malgré la création du cadre financier de la cinquième branche de la sécurité sociale ?

Pouvez‑vous nous en dire plus sur la suggestion de l'AD‑PA d'un classement des établissements sur le modèle des étoiles attribuées aux hôtels ?

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Le livre montre à quel point les directeurs d'établissement sont inhibés, ce qui reflète, finalement, la déshumanisation qui y est dénoncée. Les décisions sont prises ailleurs, par des personnes qui ne sont pas des professionnels du grand âge, sans voir les résidents ni les locaux, et sur la base de fichiers Excel, semble‑t‑il. Il importe de replacer les directeurs au cœur du dispositif.

La maltraitance systémique des personnes âgées, dont les professionnels à tous les niveaux sont aussi victimes, a‑t‑elle cours dans d'autres établissements que ceux mentionnés dans le livre ? Comment combattre les discriminations liées à l'âge, qui sont à l'origine de nombreux maux ? Comment lutter contre la maltraitance institutionnelle ? Comment libérer la parole et renforcer l'écoute sur un phénomène qui touche les établissements mais aussi la prise en charge à domicile ? Faut‑il renforcer les mécanismes d'alerte ?

L'affaire Orpea, sur laquelle toute la lumière doit être faite, ne doit pas occulter le chantier du grand âge – il reste beaucoup à faire en la matière. D'ores et déjà, comment restaurer la confiance dans les établissements qui sont indistinctement victimes des récentes révélations ? Pour une personne qui doit accompagner un proche pour aller dans un établissement, la différence entre public, privé, à but lucratif ou non, n'est pas évidente.

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Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) tripartites qui sont signés par le siège et non par les établissements, n'encouragent‑ils pas, dans les établissements à but lucratif, les pratiques peu honorables qui sont décrites dans le livre ?

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Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD

Madame Peyron, il n'est évidemment pas question de généraliser les affirmations de Victor Castanet.

Vous soulignez la dignité et l'abnégation des professionnels. J'irai plus loin – pardon d'être aussi cru –, le système de l'aide aux personnes âgées vulnérables en France, en établissement comme à domicile, ne tient que grâce à cette abnégation, au‑delà du raisonnable. Dans son rapport, Myriam El Khomri, reprenant ce que répète la Caisse nationale de l'assurance maladie année après année, indique que les métiers du grand âge sont ceux dans lesquels les accidents du travail et les maladies professionnelles sont les plus nombreux – deux ou trois fois plus que la moyenne, plus que le bâtiment et les travaux publics –, et les chiffres ne cessent d'augmenter.

Parmi nos propositions, je citerai le système d'étoiles auquel Mme Dubié a fait référence. Nous avons beaucoup travaillé avec les organisations de consommateurs, qui pointent la difficulté à comparer les offres dans ce secteur. Les faits sont avérés, la famille de Françoise Dorin l'accompagne pour entrer dans un établissement où elle croit qu'à 10 000 ou 12 000 euros par mois, celle‑ci bénéficiera de prestations de qualité mais il n'en est rien. Il n'y a aucune transparence. Cette mesure doit être instaurée rapidement : elle ne coûte rien et elle permettra des progrès considérables.

Madame Firmin Le Bodo, dans un monde parfait, le taux d'encadrement n'est pas le seul levier. Mais aujourd'hui, alors que tout le monde s'accorde sur le manque de professionnels à domicile et en établissement, y compris la Cour des comptes – c'est dire ! –, le ratio de huit pour dix que recommande la Défenseure des droits doit devenir la norme. Nous ne sommes pas très exigeants puisque c'est ce que l'État avait promis en 2006. Bien entendu, cela coûtera un peu d'argent, mais je préfère 300 000 chômeurs de moins et 300 000 aides à domicile ou en établissement auprès de nos aînés en plus.

Ensuite, il faut lutter contre l'âgisme – je pense au rapport de Mme Dufeu sur le sujet – et écouter les personnes.

Monsieur Vallaud, l'AD‑PA compte peu d'adhérents parmi les directeurs du groupe Orpea. Ce n'est pas un hasard, car la démarche leur était, semble‑t‑il, déconseillée, ce qui n'est pas le cas dans d'autres groupes.

Il faut toujours être prudent tant que les faits ne sont pas établis pour éviter les procès en diffamation, mais selon l'enquête de Victor Castanet, les directeurs d'Orpea subissaient des pressions majeures. En toute franchise, les pressions s'exercent aussi sur les directeurs des établissements publics et associatifs et elles émanent de l'État et des départements. Certains fonctionnaires sont exemplaires mais, dans de nombreux départements et ARS, la règle est de donner deux à un directeur qui demande cinq et d'inciter ce dernier à reformuler sa requête pour faire croire qu'elle a été pleinement satisfaite. Si le directeur n'obtempère pas, les autorités disposent de moyens de pression. Puisque c'est l'ARS qui l'évalue, il a plutôt intérêt à faire ce qu'on lui dit et à affirmer que tout va bien.

C'est là que la maltraitance systémique commence. La maltraitance, ce n'est pas seulement ce que dénonce Victor Castanet ; c'est de ne pas pouvoir donner une douche ou un bain aux résidents tous les jours ; c'est de répéter sans cesse à des personnes âgées qui n'en ont pas la capacité d'aller plus vite ; c'est de ne pas avoir le temps de parler avec une personne âgée qui en a envie. Ces situations de maltraitance se répètent si souvent que ni la société ni les professionnels ne les voient plus – pour eux, elles sont invivables.

Alors, oui, même s'il y a d'autres mesures, la première chose à faire pour lutter contre la maltraitance systémique est d'augmenter le nombre de professionnels. Notre ratio est inférieur à celui de tous nos voisins européens ; il faut en faire la priorité.

Les questions du sens et de l'écoute des personnes âgées viennent ensuite. Lorsque nous aurons atteint un ratio de huit pour dix et un tarif de 30 euros de l'heure pour les aides à domicile, nous pourrons nous interroger sur ce qu'un directeur doit faire des moyens que la République lui donne. Il faudra travailler sur le sens, ce que nous sommes nombreux à faire d'ores et déjà.

Certains départements invitent les directeurs d'établissement à s'inspirer du modèle Buurtzorg venu des Pays‑Bas, qui repose sur la participation des salariés : très bonne idée mais avec quels moyens ? Les professionnels sont déjà en nombre insuffisant pour s'occuper correctement des personnes âgées et il faudrait en retirer encore pour organiser des réunions qui seraient pourtant très importantes. La plupart des directeurs ont salué l'idée tout en expliquant qu'ils ne pouvaient pas la mettre en œuvre.

Madame Six, en ce qui concerne les contrôles, je reprends mon image : quand ma voiture est en panne, je n'ai pas besoin d'un contrôle technique mais d'une réparation. Aujourd'hui, tout le secteur est, si ce n'est en panne, à la peine ; il a besoin de réparations. Quand la voiture aura été réparée, on fera des contrôles.

Pourquoi les ARS et les départements font‑ils peu de contrôles ? Parce qu'ils constatent alors que ce qui n'est pas fait ne peut pas l'être. Une anecdote pour illustrer mon propos : des inspecteurs, sans doute inexpérimentés, ont fait une descente dans un établissement et ont dressé une liste de tout ce qui ne convenait pas ; le directeur, adhérent à l'AD‑PA, a répondu sur quelques points précis et ajouté que sur le reste, il fallait créer cinq postes. De son côté, le responsable départemental de l'AD‑PA a adressé un courrier au président du conseil département, dans lequel il indiquait le nombre de postes nécessaires dans chaque établissement – quarante au total – afin d'éviter à aux agents de perdre du temps dans des contrôles inutiles. Dans la réponse qu'il a finalement reçue, il était demandé au directeur concerné d'apporter des réponses aux quelques points précis qui pouvaient en recevoir et, pour le reste, de laisser tomber.

Il faut, bien sûr, écouter les familles. Ce qu'il s'est passé pendant la crise du covid‑19 était inacceptable. Quand, en 2020, tout le pays était confiné, il fallait évidemment boucler les établissements. Mais, à partir du début de l'année 2021, dès lors que les établissements étaient les endroits les plus sûrs de France puisque 95 % des résidents et 100 % des professionnels étaient vaccinés, le maintien des restrictions de visites n'avait pas de sens. C'est dans la logique hypersécuritaire et hypersanitaire de l'EHPAD, que ne connaissent pas les résidences services seniors, d'inciter les pouvoirs publics à imposer des restrictions. C'est la raison pour laquelle nous proposons, à titre expérimental, que les établissements se transforment en résidence services senior, dans le droit‑fil de la logique domiciliaire que suivent les caisses de la Mutualité sociale agricole.

Madame Dubié, l'électrochoc sera‑t‑il suffisant ? Cela dépend de vous : soyez les ambassadeurs des personnes âgées, vous avez le pouvoir de faire bouger les choses. Nous pouvons nous exprimer dans les médias et essayer de vous convaincre, mais aucun de nous n'est Président de la République, ni ministre, ni parlementaire.

S'agissant de la fusion des sections tarifaires, tout ce qui peut alléger l'effroyable bureaucratie est bienvenu. Contrairement aux apparences, le secteur est soumis à des règles kafkaïennes. Lorsque l'État n'a pas les moyens de sa politique, pour prétendre faire quelque chose, il multiplie les normes et ce faisant, il aggrave les difficultés.

En ce moment, les ARS procèdent à des contrôles et demandent, dans un délai de deux jours, de remplir des tableaux gigantesques. Nous conseillons à nos adhérents, qui nous ont saisis, de ne pas répondre puisque les trois quarts des données sont déjà connues des ARS, même si celles‑ci ne parviennent pas à remettre la main dessus. Pour le quart restant, la réunion des éléments peut demander un temps considérable. À cause de manquements graves, si les faits sont avérés, dans un groupe commercial, tous les établissements publics et associatifs, qui n'ont aucune marge de manœuvre dans la gestion de leur budget, vont être contrôlés : c'est insensé !

Madame Vidal, il est anormal de la part d'Orpea de prendre des décisions au niveau national sans voir les résidents. Oui, la maltraitance est systémique. Pour lutter contre l'âgisme, le rapport d'Audrey Dufeu est très riche en propositions. Il faut aussi absolument écouter les personnes âgées, même lorsqu'elles sont désorientées.

Vous avez employé une expression qui me touche : « pour une personne qui doit accompagner un proche pour aller dans un établissement ». Vous n'avez pas dit : « mettre en établissement » ou « placer en établissement ». Il faut accompagner la personne mais c'est toujours elle qui doit décider, même si elle a des troubles cognitifs. C'est la raison pour laquelle il faut l'écouter. La loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, qui avait été adoptée à une large majorité, précise que le fait d'être admis de force dans un établissement ou de se voir imposer une aide à domicile constitue une maltraitance. C'est certainement le principal levier pour faire évoluer le modèle hypersécuritaire et hypersanitaire des EHPAD : ne jamais faire entrer en EHPAD des gens qui ne le veulent pas. C'est possible.

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Jean

Pierre Riso. Madame Peyron, je vous remercie d'exprimer votre solidarité à l'égard de celles et ceux qui travaillent et qui souffrent aussi de la réalité.

Madame Vidal, restaurer la confiance, c'est bien une nécessité avec tout ce qui est écrit, qui va de l'amalgame jusqu'aux appels à la délation dans la presse. Les signalements ont toujours existé. Ils ont souvent été tus, ne sont pas toujours parvenus jusqu'aux personnes capables de leur donner des suites. La libération de la parole entraîne une prise de conscience. Bien sûr, il y a dans les établissements des actes de maltraitance qui doivent être condamnés mais aussi exploités. Nombre de signalements ne vont jamais au‑delà du directeur et ne sont pas traités – c'était le cas avant l'affaire Orpea –, contrairement à ceux qui concernent des enfants. Qui peut donner des suites aux signalements dans les EHPAD et qui peut contrôler ?

Les contrôles ont évidemment été trop peu nombreux jusqu'à présent. Ceux qui sont menés actuellement, que Pascal Champvert a évoqués, sont inacceptables : ils ajoutent de la difficulté à la difficulté. L'émotion, certes compréhensible, ne peut pas justifier une telle démarche ; ce n'est pas la bonne réponse. Pour l'instant, les initiatives de l'État sont embryonnaires. On s'interroge ainsi sur l'évaluation, sans apporter de solutions.

Les contrôles ne peuvent pas être effectués n'importe comment. On ne peut pas nous demander de satisfaire à des exigences auxquelles nous n'avons pas les moyens de répondre. Si des documents sont demandés lors des contrôles, ils doivent ensuite être exploités, sinon c'est du temps perdu ; cela distrait les directeurs de leur mission. Le rôle d'un directeur est d'être présent dans les couloirs de son établissement, au contact de la vie, sinon le métier perd son sens. On éloigne les directeurs des décisions qu'ils sont pourtant les seuls à pouvoir prendre.

Monsieur Vallaud, vous avez raison, c'est une question de volonté politique. Dans certains départements, des choix forts ont été faits de privilégier le modèle public ou associatif. Demain, face à la part exponentielle du secteur privé commercial, l'État et la représentation nationale auront aussi à se prononcer sur la répartition entre les différents modèles pour les années à venir.

La FNADEPA compte quatre adhérents d'Orpea – c'est très marginal – qui n'ont pas fait remonter d'informations.

Pour ce qui est de la place du directeur, elle ne peut être que centrale dans notre modèle d'accompagnement.

Je n'aimerais pas être directeur d'un EHPAD Orpea : cela ne me fait pas rêver au regard du sens que nous voulons donner à notre métier.

La FNADEPA considère qu'il faut faire évoluer et converger les métiers du soin et de l'animation, plus globalement de la vie sociale. Pendant la phase aiguë de la crise sanitaire, les soignants n'ont pas fait que du soin et les animateurs n'ont pas fait que de l'animation. Cette période a aussi révélé combien était nécessaire la présence d'un psychologue, d'un ergothérapeute, d'un psychomotricien, tous métiers qui ne sont pas habituels dans les EHPAD et qui, pourtant, amènent de la vie dans ces lieux où l'on soigne. Car les EHPAD sont à la fois des lieux de vie où l'on soigne et des lieux de soin où l'on vit.

La place des résidents et de leurs familles est sans doute à réinventer. Les directeurs sont les garants de la transparence dans les actes ; or c'est le manque de communication avec les familles qui a entraîné une perte de confiance. Il faut assurer l'information dans des occasions formelles, mais aussi par la voie des outils modernes, et le développement du numérique devrait nous y aider.

Les EHPAD ne sont plus fermés comme ils pouvaient l'être il y a une vingtaine d'années – sauf cas particulier, par exemple en cas de crise sanitaire. Ce sont des lieux déjà tournés vers l'extérieur, qui accueillent des intervenants de tous ordres – crèches, écoles, comités de quartier... Il faut sûrement aller plus loin, notamment sur la question de l'exercice de la citoyenneté, mais l'EHPAD ouvert existe : servons‑nous en pour construire l'EHPAD de demain.

L'électrochoc sera suffisant si nous veillons collectivement à ce que cela ne se reproduise pas. Une véritable transformation est nécessaire, et cela passe par davantage de personnel, une meilleure formation et une plus grande technicité des actes réalisés en établissement : c'est ainsi que l'on redonnera du sens au travail accompli par ces professionnels.

Le reste à charge est un sujet extrêmement important. On ne peut pas admettre que l'accès à un établissement soit réservé à une élite ou soumis à des critères d'aide sociale aussi inégaux d'un département à l'autre. L'effet pervers de cela, c'est que, dans certains départements, il peut y avoir renoncement à choisir librement son lieu de vie à cause des dispositifs liés à l'aide sociale. Ce sera un aspect fondamental de la gouvernance du secteur à traiter à l'avenir.

La fusion des sections « soins » et « dépendance » est un vieux serpent de mer. La FNADEPA y est favorable. Il faudra arbitrer entre les ARS et les conseils départementaux pour savoir qui financera – nous opterions plutôt pour des ARS rénovées.

Les conventions tripartites transformées en CPOM ont des effets pervers, car la porosité entre établissements d'un même groupe, par exemple, ou entre les sections peut entraîner des dérives, même si cela n'est pas systématique. De plus, nombre de nos adhérents se voient privés de ressources supplémentaires en raison de désaccords, sur certains territoires, entre ARS et conseils départementaux. Un CPOM non signé, ce sont des dizaines de milliers d'euros perdus et non transformés en aidants. Cela renvoie encore à la question de la gouvernance, que traitera sans doute la prochaine législature ; en tout cas, nous continuerons à militer en ce sens.

Madame Vidal, nul doute que des directeurs inhibés ne font pas du bon boulot, contrairement à des directeurs épanouis, qui trouvent du sens à leur travail. Notre système peut entraîner une forme de maltraitance institutionnelle parce que chaque directeur et directrice d'EHPAD a bien conscience que des moyens supplémentaires – en nombre, en qualifications et en reconnaissance – lui permettraient de prodiguer un accompagnement adapté aux besoins. N'oublions pas que le profil du résident d'EHPAD aujourd'hui n'est pas tout à fait le même que lorsque j'étais directeur d'une maison de retraite, en 1995. Il est indispensable de tenir compte de cette évolution pour accompagner correctement les personnes en établissement. L'idée est de faire en sorte que ces personnes soient chez elles partout. Nous sommes très attachés à l'approche domiciliaire.

Restaurer la confiance sera un travail de longue haleine, qui doit passer par des actes concrets et une loi forte : on ne pourra pas faire sans, chacun s'en rend compte.

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Combien de CPOM ne sont pas encore signés entre les ARS et les départements, et pour quelles raisons ?

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Jean

Pierre Riso. Nous n'en avons pas le nombre précis mais nous ferons un petit sondage parmi nos adhérents. Plusieurs d'entre eux nous ont dit que leur CPOM aurait dû être signé depuis deux ou trois ans. La pandémie n'explique pas tout. Du reste, ce qui importe dans le CPOM, ce n'est pas tant la signature que les moyens qui y sont affectés. Et il n'y a pas d'explication : c'est le règne de l'irrationnel auquel est propice la faiblesse dans la gouvernance. Ce secteur est la proie d'une suradministration forcenée, qui empêche les parties prenantes de prendre des initiatives.

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Annabelle Vêques, directrice de la FNADEPA

Le système qui est dénoncé pousse à l'extrême un modèle de rentabilité. Les personnes âgées sont considérées comme des biens de consommation : c'est extrêmement choquant. C'est ce système‑là qu'il faut arriver à enrayer.

Tous nos établissements, tous nos professionnels, tous les résidents souhaitent disposer de davantage de personnel. Les pratiques qui sont décrites, si elles sont avérées, révèlent que, même avec des ratios aussi faibles, certains parviennent encore à détourner des fonds publics. Rien ne sert d'augmenter les moyens si on ne contrôle pas ces dispositifs ni l'effectivité de la présence du personnel dans les structures.

La FNADEPA apporte son plein soutien à tous les directeurs et à toutes leurs équipes, qui font un travail incroyable. La crainte des familles et des gens qui ne connaissent pas notre secteur est que cela se passe ainsi dans tous les établissements ; or ce n'est pas le cas. Il est extrêmement dur, alors que nous sommes déjà confrontés à des difficultés d'attractivité, de continuer à faire ce métier en s'entendant dire que nous le faisons mal.

Comment sortir du modèle industriel de la gestion des EHPAD tel qu'il a été décrit ? Les contrôles sont indispensables – leur nombre s'est effondré pendant la pandémie –, tout comme le renforcement des dispositifs qualité. Des contrôles inopinés sont certes nécessaires mais ils doivent être menés de façon responsable. Certains de nos adhérents nous ont informés qu'on leur demandait de produire, du jour au lendemain, une soixantaine de documents. On peut le comprendre lorsqu'on lit que certaines structures sont capables de transformer des documents en un temps record, mais s'il n'y avait pas eu cette affaire dans un groupe particulier, on n'aurait jamais lancé tous ces contrôles, alors que 75 % des structures sont non lucratives et ne peuvent donc pas détourner d'argent public. Il faut rechercher les responsabilités là où elles se trouvent, et non mettre en place un dispositif qui ne sera sans doute pas efficient.

Par ailleurs, l'État réfléchit à faire évoluer le contrôle qualité. Il faudra veiller à ne pas procéder à des évaluations trop fréquentes – tous les trois ans, par exemple – car cela serait intenable pour les équipes. Ce serait peut‑être une bonne chose en termes d'affichage politique, mais cela n'empêcherait en rien de telles dérives systémiques.

Nous devons travailler avec les ARS et avec les conseils départementaux mais leurs moyens sont très faibles. Les niveaux de rémunération proposés, très bas, ne permettent de recruter que des juniors, qui n'ont pas suffisamment d'expérience pour pouvoir imaginer de telles pratiques. Cela fait douze ans que je travaille dans ce secteur et, sincèrement, je suis tombée de ma chaise en lisant les pratiques dénoncées dans ce livre – il en va de même de très nombreux directeurs d'établissement qui, pourtant, connaissent bien le fonctionnement des structures. On a pu entendre des rumeurs ici ou là, mais jamais je n'aurais pu concevoir le quart de ce que j'ai lu dans cet ouvrage.

Si rien n'a fuité pendant toutes ces années, c'est parce que le système en cause a été élaboré au siège. Bien sûr, les établissements sont contrôlés, mais il va falloir envisager de contrôler aussi les sièges, de façon régulière mais aussi inopinée. Les organisations déviantes existent mais elles ne constituent pas la majorité des structures. Des inspections sont diligentées dans les établissements pour lesquels des événements indésirables graves ont été signalés aux ARS ou lorsque l'on reçoit des plaintes des familles.

Le remplissage des indicateurs financiers est une vraie question. Au nom du secret des affaires, les données liées à l'hébergement ne sont pas transmises, alors que cela représente 70 % du budget des établissements dans le secteur privé commercial, d'après le patron d'Orpea. Cette affaire, si les faits sont avérés, montre qu'il y a une totale porosité et que l'argent public pourrait circuler : les fonds dédiés aux soins ne serviraient pas forcément aux soins, tout comme les fonds dédiés à la dépendance ne serviraient pas nécessairement à la dépendance. Dans la mesure où il est question de personnes vulnérables et d'argent public, doit‑on laisser le secret des affaires l'emporter ?

Les pratiques supposées de détournement de fonds publics soulèvent le problème des contrôles organisés par l'État. On parle de dizaines de millions d'euros : c'est considérable ! Les remises de fin d'année, particulièrement concernant les dispositifs financés par de l'argent public, sont interdites mais seraient pourtant pratiquées. Comment lutter contre cela ? Il faudrait n'autoriser les remises qu'au moment de la commande, comme pour tout fournisseur. Les autorités devraient aussi contrôler l'effectivité des contrats pour vérifier comment les relations sont régies. On nous opposera le secret des affaires, mais il ne s'agit pas d'un secteur comme les autres : nous devons rendre des comptes, non seulement parce que l'État en finance une part importante, mais aussi parce qu'il concerne des personnes vulnérables qui, parfois, n'ont pas de famille ni de proches pour les défendre.

Et que dire de l'optimisation fiscale dont font l'objet les personnes âgées ? Au lieu de consacrer des niches fiscales au financement des établissements privés, notamment commerciaux, pourquoi ne pas les transformer pour financer les établissements publics et associatifs ? L'État met certes au pot avec un plan d'aide à l'investissement rénové, mais est‑il acceptable de considérer les personnes âgées comme des biens optimisables fiscalement ? Je ne suis pas sûre que la même chose serait socialement acceptée si elle portait sur la construction de crèches pour nos enfants.

Les CPOM ont permis de mettre fin à l'étanchéité tarifaire. C'est une bonne chose pour les gestionnaires, qui retrouvent plus de souplesse, mais cela a conduit à de nouvelles dérives. L'auteur du livre, qui a déjà eu beaucoup de mal à comparer les chiffres déclarés et les chiffres avérés, n'aurait pas pu mener son enquête depuis la création des CPOM, car il aurait fallu vérifier les chiffres établissement par établissement. Cela pose la question de l'avenir de notre secteur : il est impératif de mettre fin à ces pratiques, car on ne pourra plus les mettre au jour si rien ne change.

Il ne faut toutefois pas mettre tout le monde dans le même panier : seuls 6 % des adhérents de la FNADEPA sont des établissements privés commerciaux. Dans l'immense majorité des cas, nos adhérents partagent les mêmes valeurs de respect et de qualité dans l'accompagnement. Si certains résidents peuvent se permettre de payer tous les mois davantage que dans un établissement public ou privé non lucratif, ce n'est pas choquant dans la mesure où ils reçoivent en contrepartie plus de prestations : on peut payer 1 000 euros de plus s'ils sont dédiés à la qualité, au nombre de professionnels ou à la qualité des repas. En revanche, payer plus pour avoir moins, c'est profondément choquant. L'État a créé un formidable portail, www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, qui comporte un certain nombre d'indicateurs sur les tarifs et sur les prestations. Une transmission des rapports d'évaluation permettrait également d'éclairer les familles : celles‑ci doivent être informées et associées au quotidien afin qu'elles se sentent davantage actrices du parcours de leurs proches.

Enfin, le marché des cessions d'autorisations est très lucratif. La part du secteur public recule en France et certains établissements publics, faute de moyens, se sont fortement endettés, notamment pour financer des ressources humaines, qui coûtent très cher lorsqu'il faut faire appel à l'intérim. Ces structures ne trouvent comme repreneurs que des établissements privés, qui se battent très durement puisque peu d'autorisations nouvelles sont accordées. Cela met à mal la soutenabilité du reste à charge, car l'écart entre les tarifs du public et du privé est immense – 1 900 à 2 000 euros dans les établissements publics, environ 2 000 euros dans les établissements associatifs et 2 700 euros dans les établissements privés commerciaux. S'il faut laisser de la place pour tous les acteurs, maintenir une offre accessible financièrement pour nos concitoyens ne sera pas possible si on laisse le secteur commercial se développer bien au‑dessus de 25 %. C'est aux pouvoirs publics de décider s'il reste encore de la place, mais il faut veiller à maintenir un reste à charge soutenable.

Enfin, il est impératif d'adopter une loi sur le grand âge. Au‑delà de cette affaire, la question des ressources humaines est fondamentale. Nous aurons besoin d'environ 300 000 postes dans les cinq ans à venir et d'un soutien fort de l'État pour nous permettre d'améliorer durablement l'accompagnement de nos aînés.

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Monsieur Champvert, je comprends bien le concept du « chez soi, où que l'on soit », mais ne pensez‑vous pas que certains résidents en EHPAD auraient davantage leur place dans des lieux relevant du sanitaire, de type unité de soins de longue durée (USLD) ?

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Les conventions tripartites signées en 2002 ont apporté un peu d'oxygène aux établissements et leur ont permis d'améliorer la qualité de l'accueil. Puis, arrivées à leur terme après cinq années, elles n'ont pas été renouvelées. Les prolongations d'année en année se font à moyens constants, alors que le PATHOS passe de 130 à 190 et le GIR moyen pondéré de 630 à 700 : voilà la réalité ! Le PATHOS permet de définir le niveau de soin requis. Mais quand un établissement procède à son évaluation, les ARS et les conseils départementaux lui demandent de le baisser parce que la moyenne départementale est à 140. Et cela dure depuis vingt ans !

Une petite musique laisse entendre que la transformation des établissements commerciaux en entreprises à mission permettrait une meilleure prise en compte des résidents. Je n'en suis pas certaine : que pensez‑vous de la responsabilité sociétale des entreprises ?

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Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD

L'AD‑PA estime que l'idée de structures à la fois médicalisées et lieux de vie ne peut pas fonctionner pour la simple raison que la culture sanitaire est toujours la plus forte. Après trente‑cinq ans d'expérience comme directeur d'établissement de services à domicile, vice‑président d'une association européenne, où j'ai pu comparer ce qui se fait dans de nombreux pays, et président d'une association nationale, j'en suis arrivé à la conclusion qu'on ne peut pas faire coexister les deux.

Faut‑il que les personnes âgées en état de grande fragilité vivent en USLD ? La moitié des personnes les plus vulnérables, celles qui sont classées en GIR 1 et GIR 2, vivent dans leur domicile historique. C'est pourquoi nous ne voyons pas d'incohérence à ce qu'elles soient hébergées dans des résidences services seniors, avec un nombre de professionnels adapté. L'opinion couramment admise serait que plus une personne est handicapée, plus on doit médicaliser la structure ; or ce n'est pas la bonne réponse. Cela fait longtemps que le secteur des personnes handicapées ne pratique plus ainsi. Il y a vraiment une réflexion de fond à mener sur ce sujet.

Ce ne sont pas les conventions tripartites et les CPOM qui ont donné de l'argent aux établissements ou aux services à domicile : c'est le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Lorsque j'étais président de la commission Normes et moyens à la CNSA, nous avions estimé qu'en l'absence de moyens supplémentaires, il fallait réduire les normes – les discours sur la simplification et la débureaucratisation des anciens présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande nous offraient un appui en ce sens. Malheureusement, cela n'a pas suffi : à défaut de lois sur le grand âge et sur l'autonomie, l'État ajoute de nouvelles normes pour tenter de régler les problèmes.

À quoi servent les CPOM ? À rien ! Les conventions tripartites devaient permettre de répartir l'argent, quand il y en avait. Mais quand il y a très peu de moyens supplémentaires, comme aujourd'hui, cela devient un exercice bureaucratique inutile, qui pose des difficultés et fait perdre un temps colossal au directeur. Quand on oblige ce dernier à appliquer une montagne de normes bureaucratiques, il n'a plus de temps à consacrer aux actions qui ont véritablement du sens. Tant qu'on n'aura pas atteint le ratio de huit pour dix, il sera inutile de signer des CPOM et des conventions tripartites, qui ne servent à rien, ou de procéder à des évaluations, qui ne servent pas à grand‑chose. Il n'y a pas d'argent, mais on continue à faire tourner la machine bureaucratique, on change la règle sans que cela produise de moyens supplémentaires. Quand il n'y a pas de moyens, il faut simplifier la vie !

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Jean

Pierre Riso. Nous sommes très sceptiques concernant les entreprises à mission, car elles ne nous semblent pas de nature à régler les déséquilibres fondamentaux de ce secteur d'activité. Cela risque en outre de masquer la réalité, alors qu'il existe d'autres enjeux – indicateurs, évaluation, règles communes...

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Madame Vêques, si vous êtes tombée de votre chaise en lisant les révélations de Victor Castanet, pour notre part, nous sommes tombés de l'armoire ! Toutes les auditions auxquelles nous procédons ont pour but de tenter de comprendre, sans pour autant tomber dans la paranoïa, et pour corriger, le cas échéant, le système. Nous sommes persuadés qu'il existe des dérives ; il faudra donc faire le tri et apporter des réponses claires.

La séance est levée à vingt-deux heures quarante-cinq.

Présences en réunion

Réunion du mardi 22 février 2022 à 21 heures

Présents. – Mme Jeanine Dubié, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Martin, Mme Michèle Peyron, Mme Valérie Six, M. Jean‑Louis Touraine, M. Boris Vallaud, Mme Annie Vidal

Excusés. – Mme Justine Benin, M. Jean‑Carles Grelier, Mme Claire Guion‑Firmin, M. Thomas Mesnier, M. Jean‑Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean‑Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur‑Christophe