Intervention de Annabelle Vêques

Réunion du mardi 22 février 2022 à 21h15
Commission des affaires sociales

Annabelle Vêques, directrice de la FNADEPA :

Le système qui est dénoncé pousse à l'extrême un modèle de rentabilité. Les personnes âgées sont considérées comme des biens de consommation : c'est extrêmement choquant. C'est ce système‑là qu'il faut arriver à enrayer.

Tous nos établissements, tous nos professionnels, tous les résidents souhaitent disposer de davantage de personnel. Les pratiques qui sont décrites, si elles sont avérées, révèlent que, même avec des ratios aussi faibles, certains parviennent encore à détourner des fonds publics. Rien ne sert d'augmenter les moyens si on ne contrôle pas ces dispositifs ni l'effectivité de la présence du personnel dans les structures.

La FNADEPA apporte son plein soutien à tous les directeurs et à toutes leurs équipes, qui font un travail incroyable. La crainte des familles et des gens qui ne connaissent pas notre secteur est que cela se passe ainsi dans tous les établissements ; or ce n'est pas le cas. Il est extrêmement dur, alors que nous sommes déjà confrontés à des difficultés d'attractivité, de continuer à faire ce métier en s'entendant dire que nous le faisons mal.

Comment sortir du modèle industriel de la gestion des EHPAD tel qu'il a été décrit ? Les contrôles sont indispensables – leur nombre s'est effondré pendant la pandémie –, tout comme le renforcement des dispositifs qualité. Des contrôles inopinés sont certes nécessaires mais ils doivent être menés de façon responsable. Certains de nos adhérents nous ont informés qu'on leur demandait de produire, du jour au lendemain, une soixantaine de documents. On peut le comprendre lorsqu'on lit que certaines structures sont capables de transformer des documents en un temps record, mais s'il n'y avait pas eu cette affaire dans un groupe particulier, on n'aurait jamais lancé tous ces contrôles, alors que 75 % des structures sont non lucratives et ne peuvent donc pas détourner d'argent public. Il faut rechercher les responsabilités là où elles se trouvent, et non mettre en place un dispositif qui ne sera sans doute pas efficient.

Par ailleurs, l'État réfléchit à faire évoluer le contrôle qualité. Il faudra veiller à ne pas procéder à des évaluations trop fréquentes – tous les trois ans, par exemple – car cela serait intenable pour les équipes. Ce serait peut‑être une bonne chose en termes d'affichage politique, mais cela n'empêcherait en rien de telles dérives systémiques.

Nous devons travailler avec les ARS et avec les conseils départementaux mais leurs moyens sont très faibles. Les niveaux de rémunération proposés, très bas, ne permettent de recruter que des juniors, qui n'ont pas suffisamment d'expérience pour pouvoir imaginer de telles pratiques. Cela fait douze ans que je travaille dans ce secteur et, sincèrement, je suis tombée de ma chaise en lisant les pratiques dénoncées dans ce livre – il en va de même de très nombreux directeurs d'établissement qui, pourtant, connaissent bien le fonctionnement des structures. On a pu entendre des rumeurs ici ou là, mais jamais je n'aurais pu concevoir le quart de ce que j'ai lu dans cet ouvrage.

Si rien n'a fuité pendant toutes ces années, c'est parce que le système en cause a été élaboré au siège. Bien sûr, les établissements sont contrôlés, mais il va falloir envisager de contrôler aussi les sièges, de façon régulière mais aussi inopinée. Les organisations déviantes existent mais elles ne constituent pas la majorité des structures. Des inspections sont diligentées dans les établissements pour lesquels des événements indésirables graves ont été signalés aux ARS ou lorsque l'on reçoit des plaintes des familles.

Le remplissage des indicateurs financiers est une vraie question. Au nom du secret des affaires, les données liées à l'hébergement ne sont pas transmises, alors que cela représente 70 % du budget des établissements dans le secteur privé commercial, d'après le patron d'Orpea. Cette affaire, si les faits sont avérés, montre qu'il y a une totale porosité et que l'argent public pourrait circuler : les fonds dédiés aux soins ne serviraient pas forcément aux soins, tout comme les fonds dédiés à la dépendance ne serviraient pas nécessairement à la dépendance. Dans la mesure où il est question de personnes vulnérables et d'argent public, doit‑on laisser le secret des affaires l'emporter ?

Les pratiques supposées de détournement de fonds publics soulèvent le problème des contrôles organisés par l'État. On parle de dizaines de millions d'euros : c'est considérable ! Les remises de fin d'année, particulièrement concernant les dispositifs financés par de l'argent public, sont interdites mais seraient pourtant pratiquées. Comment lutter contre cela ? Il faudrait n'autoriser les remises qu'au moment de la commande, comme pour tout fournisseur. Les autorités devraient aussi contrôler l'effectivité des contrats pour vérifier comment les relations sont régies. On nous opposera le secret des affaires, mais il ne s'agit pas d'un secteur comme les autres : nous devons rendre des comptes, non seulement parce que l'État en finance une part importante, mais aussi parce qu'il concerne des personnes vulnérables qui, parfois, n'ont pas de famille ni de proches pour les défendre.

Et que dire de l'optimisation fiscale dont font l'objet les personnes âgées ? Au lieu de consacrer des niches fiscales au financement des établissements privés, notamment commerciaux, pourquoi ne pas les transformer pour financer les établissements publics et associatifs ? L'État met certes au pot avec un plan d'aide à l'investissement rénové, mais est‑il acceptable de considérer les personnes âgées comme des biens optimisables fiscalement ? Je ne suis pas sûre que la même chose serait socialement acceptée si elle portait sur la construction de crèches pour nos enfants.

Les CPOM ont permis de mettre fin à l'étanchéité tarifaire. C'est une bonne chose pour les gestionnaires, qui retrouvent plus de souplesse, mais cela a conduit à de nouvelles dérives. L'auteur du livre, qui a déjà eu beaucoup de mal à comparer les chiffres déclarés et les chiffres avérés, n'aurait pas pu mener son enquête depuis la création des CPOM, car il aurait fallu vérifier les chiffres établissement par établissement. Cela pose la question de l'avenir de notre secteur : il est impératif de mettre fin à ces pratiques, car on ne pourra plus les mettre au jour si rien ne change.

Il ne faut toutefois pas mettre tout le monde dans le même panier : seuls 6 % des adhérents de la FNADEPA sont des établissements privés commerciaux. Dans l'immense majorité des cas, nos adhérents partagent les mêmes valeurs de respect et de qualité dans l'accompagnement. Si certains résidents peuvent se permettre de payer tous les mois davantage que dans un établissement public ou privé non lucratif, ce n'est pas choquant dans la mesure où ils reçoivent en contrepartie plus de prestations : on peut payer 1 000 euros de plus s'ils sont dédiés à la qualité, au nombre de professionnels ou à la qualité des repas. En revanche, payer plus pour avoir moins, c'est profondément choquant. L'État a créé un formidable portail, www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, qui comporte un certain nombre d'indicateurs sur les tarifs et sur les prestations. Une transmission des rapports d'évaluation permettrait également d'éclairer les familles : celles‑ci doivent être informées et associées au quotidien afin qu'elles se sentent davantage actrices du parcours de leurs proches.

Enfin, le marché des cessions d'autorisations est très lucratif. La part du secteur public recule en France et certains établissements publics, faute de moyens, se sont fortement endettés, notamment pour financer des ressources humaines, qui coûtent très cher lorsqu'il faut faire appel à l'intérim. Ces structures ne trouvent comme repreneurs que des établissements privés, qui se battent très durement puisque peu d'autorisations nouvelles sont accordées. Cela met à mal la soutenabilité du reste à charge, car l'écart entre les tarifs du public et du privé est immense – 1 900 à 2 000 euros dans les établissements publics, environ 2 000 euros dans les établissements associatifs et 2 700 euros dans les établissements privés commerciaux. S'il faut laisser de la place pour tous les acteurs, maintenir une offre accessible financièrement pour nos concitoyens ne sera pas possible si on laisse le secteur commercial se développer bien au‑dessus de 25 %. C'est aux pouvoirs publics de décider s'il reste encore de la place, mais il faut veiller à maintenir un reste à charge soutenable.

Enfin, il est impératif d'adopter une loi sur le grand âge. Au‑delà de cette affaire, la question des ressources humaines est fondamentale. Nous aurons besoin d'environ 300 000 postes dans les cinq ans à venir et d'un soutien fort de l'État pour nous permettre d'améliorer durablement l'accompagnement de nos aînés.

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