Intervention de Pascal Champvert

Réunion du mardi 22 février 2022 à 21h15
Commission des affaires sociales

Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD :

Madame Peyron, il n'est évidemment pas question de généraliser les affirmations de Victor Castanet.

Vous soulignez la dignité et l'abnégation des professionnels. J'irai plus loin – pardon d'être aussi cru –, le système de l'aide aux personnes âgées vulnérables en France, en établissement comme à domicile, ne tient que grâce à cette abnégation, au‑delà du raisonnable. Dans son rapport, Myriam El Khomri, reprenant ce que répète la Caisse nationale de l'assurance maladie année après année, indique que les métiers du grand âge sont ceux dans lesquels les accidents du travail et les maladies professionnelles sont les plus nombreux – deux ou trois fois plus que la moyenne, plus que le bâtiment et les travaux publics –, et les chiffres ne cessent d'augmenter.

Parmi nos propositions, je citerai le système d'étoiles auquel Mme Dubié a fait référence. Nous avons beaucoup travaillé avec les organisations de consommateurs, qui pointent la difficulté à comparer les offres dans ce secteur. Les faits sont avérés, la famille de Françoise Dorin l'accompagne pour entrer dans un établissement où elle croit qu'à 10 000 ou 12 000 euros par mois, celle‑ci bénéficiera de prestations de qualité mais il n'en est rien. Il n'y a aucune transparence. Cette mesure doit être instaurée rapidement : elle ne coûte rien et elle permettra des progrès considérables.

Madame Firmin Le Bodo, dans un monde parfait, le taux d'encadrement n'est pas le seul levier. Mais aujourd'hui, alors que tout le monde s'accorde sur le manque de professionnels à domicile et en établissement, y compris la Cour des comptes – c'est dire ! –, le ratio de huit pour dix que recommande la Défenseure des droits doit devenir la norme. Nous ne sommes pas très exigeants puisque c'est ce que l'État avait promis en 2006. Bien entendu, cela coûtera un peu d'argent, mais je préfère 300 000 chômeurs de moins et 300 000 aides à domicile ou en établissement auprès de nos aînés en plus.

Ensuite, il faut lutter contre l'âgisme – je pense au rapport de Mme Dufeu sur le sujet – et écouter les personnes.

Monsieur Vallaud, l'AD‑PA compte peu d'adhérents parmi les directeurs du groupe Orpea. Ce n'est pas un hasard, car la démarche leur était, semble‑t‑il, déconseillée, ce qui n'est pas le cas dans d'autres groupes.

Il faut toujours être prudent tant que les faits ne sont pas établis pour éviter les procès en diffamation, mais selon l'enquête de Victor Castanet, les directeurs d'Orpea subissaient des pressions majeures. En toute franchise, les pressions s'exercent aussi sur les directeurs des établissements publics et associatifs et elles émanent de l'État et des départements. Certains fonctionnaires sont exemplaires mais, dans de nombreux départements et ARS, la règle est de donner deux à un directeur qui demande cinq et d'inciter ce dernier à reformuler sa requête pour faire croire qu'elle a été pleinement satisfaite. Si le directeur n'obtempère pas, les autorités disposent de moyens de pression. Puisque c'est l'ARS qui l'évalue, il a plutôt intérêt à faire ce qu'on lui dit et à affirmer que tout va bien.

C'est là que la maltraitance systémique commence. La maltraitance, ce n'est pas seulement ce que dénonce Victor Castanet ; c'est de ne pas pouvoir donner une douche ou un bain aux résidents tous les jours ; c'est de répéter sans cesse à des personnes âgées qui n'en ont pas la capacité d'aller plus vite ; c'est de ne pas avoir le temps de parler avec une personne âgée qui en a envie. Ces situations de maltraitance se répètent si souvent que ni la société ni les professionnels ne les voient plus – pour eux, elles sont invivables.

Alors, oui, même s'il y a d'autres mesures, la première chose à faire pour lutter contre la maltraitance systémique est d'augmenter le nombre de professionnels. Notre ratio est inférieur à celui de tous nos voisins européens ; il faut en faire la priorité.

Les questions du sens et de l'écoute des personnes âgées viennent ensuite. Lorsque nous aurons atteint un ratio de huit pour dix et un tarif de 30 euros de l'heure pour les aides à domicile, nous pourrons nous interroger sur ce qu'un directeur doit faire des moyens que la République lui donne. Il faudra travailler sur le sens, ce que nous sommes nombreux à faire d'ores et déjà.

Certains départements invitent les directeurs d'établissement à s'inspirer du modèle Buurtzorg venu des Pays‑Bas, qui repose sur la participation des salariés : très bonne idée mais avec quels moyens ? Les professionnels sont déjà en nombre insuffisant pour s'occuper correctement des personnes âgées et il faudrait en retirer encore pour organiser des réunions qui seraient pourtant très importantes. La plupart des directeurs ont salué l'idée tout en expliquant qu'ils ne pouvaient pas la mettre en œuvre.

Madame Six, en ce qui concerne les contrôles, je reprends mon image : quand ma voiture est en panne, je n'ai pas besoin d'un contrôle technique mais d'une réparation. Aujourd'hui, tout le secteur est, si ce n'est en panne, à la peine ; il a besoin de réparations. Quand la voiture aura été réparée, on fera des contrôles.

Pourquoi les ARS et les départements font‑ils peu de contrôles ? Parce qu'ils constatent alors que ce qui n'est pas fait ne peut pas l'être. Une anecdote pour illustrer mon propos : des inspecteurs, sans doute inexpérimentés, ont fait une descente dans un établissement et ont dressé une liste de tout ce qui ne convenait pas ; le directeur, adhérent à l'AD‑PA, a répondu sur quelques points précis et ajouté que sur le reste, il fallait créer cinq postes. De son côté, le responsable départemental de l'AD‑PA a adressé un courrier au président du conseil département, dans lequel il indiquait le nombre de postes nécessaires dans chaque établissement – quarante au total – afin d'éviter à aux agents de perdre du temps dans des contrôles inutiles. Dans la réponse qu'il a finalement reçue, il était demandé au directeur concerné d'apporter des réponses aux quelques points précis qui pouvaient en recevoir et, pour le reste, de laisser tomber.

Il faut, bien sûr, écouter les familles. Ce qu'il s'est passé pendant la crise du covid‑19 était inacceptable. Quand, en 2020, tout le pays était confiné, il fallait évidemment boucler les établissements. Mais, à partir du début de l'année 2021, dès lors que les établissements étaient les endroits les plus sûrs de France puisque 95 % des résidents et 100 % des professionnels étaient vaccinés, le maintien des restrictions de visites n'avait pas de sens. C'est dans la logique hypersécuritaire et hypersanitaire de l'EHPAD, que ne connaissent pas les résidences services seniors, d'inciter les pouvoirs publics à imposer des restrictions. C'est la raison pour laquelle nous proposons, à titre expérimental, que les établissements se transforment en résidence services senior, dans le droit‑fil de la logique domiciliaire que suivent les caisses de la Mutualité sociale agricole.

Madame Dubié, l'électrochoc sera‑t‑il suffisant ? Cela dépend de vous : soyez les ambassadeurs des personnes âgées, vous avez le pouvoir de faire bouger les choses. Nous pouvons nous exprimer dans les médias et essayer de vous convaincre, mais aucun de nous n'est Président de la République, ni ministre, ni parlementaire.

S'agissant de la fusion des sections tarifaires, tout ce qui peut alléger l'effroyable bureaucratie est bienvenu. Contrairement aux apparences, le secteur est soumis à des règles kafkaïennes. Lorsque l'État n'a pas les moyens de sa politique, pour prétendre faire quelque chose, il multiplie les normes et ce faisant, il aggrave les difficultés.

En ce moment, les ARS procèdent à des contrôles et demandent, dans un délai de deux jours, de remplir des tableaux gigantesques. Nous conseillons à nos adhérents, qui nous ont saisis, de ne pas répondre puisque les trois quarts des données sont déjà connues des ARS, même si celles‑ci ne parviennent pas à remettre la main dessus. Pour le quart restant, la réunion des éléments peut demander un temps considérable. À cause de manquements graves, si les faits sont avérés, dans un groupe commercial, tous les établissements publics et associatifs, qui n'ont aucune marge de manœuvre dans la gestion de leur budget, vont être contrôlés : c'est insensé !

Madame Vidal, il est anormal de la part d'Orpea de prendre des décisions au niveau national sans voir les résidents. Oui, la maltraitance est systémique. Pour lutter contre l'âgisme, le rapport d'Audrey Dufeu est très riche en propositions. Il faut aussi absolument écouter les personnes âgées, même lorsqu'elles sont désorientées.

Vous avez employé une expression qui me touche : « pour une personne qui doit accompagner un proche pour aller dans un établissement ». Vous n'avez pas dit : « mettre en établissement » ou « placer en établissement ». Il faut accompagner la personne mais c'est toujours elle qui doit décider, même si elle a des troubles cognitifs. C'est la raison pour laquelle il faut l'écouter. La loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, qui avait été adoptée à une large majorité, précise que le fait d'être admis de force dans un établissement ou de se voir imposer une aide à domicile constitue une maltraitance. C'est certainement le principal levier pour faire évoluer le modèle hypersécuritaire et hypersanitaire des EHPAD : ne jamais faire entrer en EHPAD des gens qui ne le veulent pas. C'est possible.

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