Intervention de Yann Le Baron

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 9h05
Commission des affaires sociales

Yann Le Baron, secrétaire national de la Fédération UNSA Santé et sociaux public et privé :

Vous nous demandez de venir vous parler d'une situation que vous connaissez tous, puisqu'elle est sur la place publique depuis bien longtemps. Sans doute y avez‑vous été confrontés à titre personnel, par l'intermédiaire de vos aînés, ou en avez‑vous été saisis dans les territoires que vous représentez.

Concernant le cas spécifique d'Orpea, la justice passera ; la Fédération UNSA Santé et sociaux public et privé souhaite qu'elle passe largement et que les éventuelles compromissions, d'où qu'elles viennent, soient lourdement sanctionnées. Mais, qu'il s'agisse d'Orpea, de Korian, de DomusVi ou d'autres, y compris dans les secteurs privé non lucratif et public, la question est bien celle de la prise en charge de nos aînés et les moyens que nous voulons y investir. Combien de soignants met‑on au lit des résidents ? Aujourd'hui, on en est en moyenne à 0,3. Il y a dix ans, le ratio de 1 pour 1 était recommandé ; il n'a pas été instauré ; pourtant, de l'argent public a été dépensé : la nation, unie dans un seul et même corps, la République, a mis les moyens. Cette question des moyens est première, quasi aristotélicienne. Qu'a‑t‑on vraiment fait initialement pour tenter de résoudre le problème ?

Dans la situation actuelle d'urgence, on va s'interroger sur les accréditations, les modalités de contrôle, le degré d'autonomie que l'on donne à celles et ceux qui contrôlent. Est‑il légitime que le renouvellement de l'accréditation passe par des audits privés ? Cela devrait conduire à s'interroger sur la relation entre client et fournisseur, donc sur l'autonomie des contrôles effectués.

Peut‑on se contenter d'un modèle de cet ordre ? Peut‑on continuer à ne pas investir dans ce qui est le pivot de la prise en charge de la dépendance, de quelque nature qu'elle soit, à savoir l'aide‑soignante ? Est‑il légitime que dans les structures dont nous parlons, qui sont subventionnées, en tout cas pour la part dépendance, des collègues exercent cette profession sans en avoir les qualités, ce qui les met en danger et dans une situation d'insécurité permanente ? Est‑il légitime que les lanceurs d'alerte, d'où qu'ils viennent et quoi qu'ils représentent, soient menacés, intimidés, et ne bénéficient pas d'un statut protégé, y compris nos collègues des organisations syndicales qui se sont exprimés avant moi ?

Peut‑être faudrait‑il imaginer un changement de paradigme complet, qui commencerait par l'installation d'une autorité de contrôle indépendante relocalisée. Peut‑on se satisfaire, en effet, de l'action des ARS, qui pilotent mais refusent l'interaction en matière de ressources humaines, considérant que ce domaine n'est pas de leur responsabilité ? De qui d'autre est‑ce donc la responsabilité ? Tout de même pas les soignants qui, tous les jours, se battent pour maintenir la qualité de prise en charge ! En moyenne, une toilette, c'est 7 minutes – quand on est large ! Imaginez‑vous qu'une personne de 85 ans, avec ses raideurs articulaires, puisse supporter une toilette en 7 minutes ? C'est une maltraitance institutionnalisée, architecturale.

Il faut donc en premier lieu renforcer le contrôle, les éléments qui permettent de faire la lumière sur les maltraitances, mais la question immédiate que nous devons nous poser, que vous, représentation nationale, devez vous poser, est celle des moyens que l'on engage véritablement, au cœur du système – non pour dégager des dividendes grâce à de l'argent public, mais pour renforcer le personnel et refaire de l'aide‑soignante la cheville ouvrière de la prise en charge. Les collègues infirmières, lorsqu'elles sont présentes, ont à peine le temps de dispenser les médicaments et les soins ; comment voulez‑vous qu'elles assurent une prise en charge humaine ? Combien de recrutements est‑on prêt à s'accorder ? Quelle place pour la reconnaissance du diplôme d'aide‑soignant ? Comment rendre nos métiers attractifs ? Plus personne ne veut les faire ; pourquoi ?

La réponse, vous l'avez déjà tous. Cette mission est la énième. Les constats sont largement connus. La seule question qui doit prévaloir est la suivante : que faire immédiatement, concrètement, de manière audible pour tous mais centrée sur le terrain ? Nous pourrons tous parler beaucoup, faire tous les constats possibles, mais on tombe toujours du côté où l'on penche, et on ne penche pas du bon côté. Nos collègues attendent des réponses sur le terrain, les moyens d'une prise en charge de qualité et de la bientraitance.

Orpea est un révélateur ; tant mieux ! L'affaire attire à nouveau l'attention sur la prise en charge de la personne âgée. Mais le problème va au‑delà d'Orpea. Si on le limite à ce cas, on passe à côté du sujet. Il importe de revoir l'architecture financière, l'architecture des ressources humaines et d'instaurer les éléments du contrôle : c'est ce qui est attendu sur le terrain, c'est la réponse que vous devez, que nous devons collégialement apporter pour refaire la lumière, accroître la transparence et remettre des soignants au cœur du système au lieu de placer uniquement au sein des EHPAD des gestionnaires – pour ne pas le dire moins élégamment – qui travaillent à partir de tableaux de bord. Ce métier est un métier de l'humain, et l'humain passe par le soignant au cœur du réacteur. C'est lui qui manque. Sans ratios opposables, contraignants, nous n'obtiendrons pas de résultats. Souvenez‑vous de la création, il y a quelques années, de ratios contraignants d'infirmiers anesthésistes diplômés d'État au bloc opératoire : ô miracle, tout à coup, il y en a eu dans tous les blocs opératoires. Voilà ce qui est attendu.

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