Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 9h05

Résumé de la réunion

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  • EHPAD
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  • orpea
  • résident
  • syndicale

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 23 février 2022

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

Dans le cadre des auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea, la commission organise une table ronde réunissant les participants suivants :

– Confédération française démocratique du travail (CFDT) Fédération Santé Sociaux : M. Loïc Le Noc, secrétaire national, et M. Fabien Hallet, secrétaire national

– Confédération générale du travail (CGT) Santé Action Sociale : Mme Mireille Stivala, secrétaire générale de la fédération CGT de la santé et de l'action sociale, M. Dominique Chave, secrétaire général de l'union fédérale de la santé privé, et M. Guillaume Gobet, membre du bureau de l'union fédérale de la santé privé, pilote du collectif Orpea

– Fédération Force ouvrière des personnels des services publics et des services de santé (FOSPSS) : M. Johann Laurency, secrétaire fédéral branche public, et M. Gilles Gadier, secrétaire fédéral branche santé

– Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Santé et Sociaux : M. Yann Le Baron, secrétaire national, et M. Éric Boucharel, secrétaire départemental Val‑d'Oise

– Fédération SUD Santé Sociaux : Mme Anissa Amini, secrétaire fédéral référente grand âge, et Mme Audrey Padelli, secrétaire adjointe de section

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous auditionnons cette semaine les personnels des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Dans ce cadre, nous recevons ce matin les représentants des organisations syndicales de salariés, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation.

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Loïc Le Noc, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)‑Fédération santé sociaux

La CFDT‑Fédération santé sociaux, forte de ses 86 000 adhérents, que nous représentons devant vous, remercie la commission des auditions qu'elle a entreprises et interpelle ses membres pour que, comme au Sénat, une commission d'enquête parlementaire soit créée malgré les difficultés de calendrier que l'on connaît.

Que dire d'Orpea ?

Tout d'abord, il faut féliciter Victor Castanet de la qualité de ses investigations, qui fait honneur au journalisme français, et d'avoir résisté aux pressions et aux tentatives de corruption à 15 millions d'euros. Tout notre respect va aux témoins qui vont permettre que la peur change de camp dans ce groupe international – il était temps.

Depuis des années, des adhérents démissionnent à la suite de pressions exercées par le management. Lors des dernières élections au comité social et économique (CSE), nombre de salariés nous ayant donné un accord de principe pour figurer sur nos listes ont finalement refusé d'y être, avant de se murer dans un silence gêné. On peut dire que nous avons été victimes d'une escroquerie en bande organisée lors de ces élections. Camille Lamarche et d'autres attestent que nos professions de foi ont disparu des enveloppes destinées aux électeurs et que bon nombre de salariés devant voter par correspondance ont été privés de cette possibilité par diverses manœuvres. L'ouvrage Les Fossoyeurs nous permet d'apporter des preuves là où nous avions des interrogations et des doutes.

J'ai encore en tête une réunion au siège du groupe où devait être négocié un accord sur le dialogue social. J'étais accompagné par Mme Villain, secrétaire nationale de la CFDT‑Fédération santé sociaux, et par Mmes Kumer et Mansard, déléguées syndicales CFDT pour Clinea et Orpea. Étaient également présents, de mémoire, FO et la CGT. Cette réunion intervenait plusieurs mois après un courrier dans lequel nous avions demandé l'ouverture de négociations sur le sujet. Nous avons été reçus par M. Desriaux, directeur des ressources humaines, et par son adjointe, Mme Coffre. Nous nous sommes d'abord étonnés de l'absence du syndicat « maison », Arc‑en‑Ciel. La direction nous a instantanément répondu qu'ils estimaient ne rien avoir à gagner à un tel accord. Le groupe a présenté un projet qui tenait sur un Post‑it, puis le DRH s'est levé, annonçant à la cantonade l'attribution de 3 000 euros à chaque organisation signataire. Il a été très surpris de la verdeur de notre réaction, qui consistait à dire qu'un juge pourrait qualifier son comportement de tentative de corruption.

À la suite de la publication de l'ouvrage, nous avons appelé nos adhérents à nous transmettre des éléments. Hélas, trop souvent encore, par peur des représailles, ils ne veulent pas signer leur déclaration. La semaine dernière, nous avons obtenu un témoignage assez révélateur de l'ambiance qui règne en ce moment au sein du groupe. Celui‑ci a lancé des enquêtes de satisfaction des salariés, que ses représentants vous ont servies ici pour vous montrer que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes Orpea. Une salariée nous explique comment les choses se passent : « Je reçois mon questionnaire de satisfaction. Je vais dans le bureau du directeur, qui me pose les questions, et je réponds, et lui coche. Une collègue a essayé de faire autrement, avec son ordi perso, à la maison ; sauf qu'au bout d'un moment, vous tombez sur un bug informatique et vous ne pouvez pas valider votre questionnaire. »

Le management par la terreur est à l'œuvre à tous les étages. Il nous reste en tout et pour tout deux élus au CSE. Récemment, ils ont eu le courage de faire valoir leur droit d'alerte, dont la mise en œuvre a été rejetée par la direction et Arc‑en‑Ciel. Les faits : un directeur d'EHPAD en Île‑de‑France convoque une salariée en contrat à durée déterminée (CDD) pour lui demander d'établir une attestation à charge contre une autre salariée, en contrat à durée indéterminée (CDI), qui, elle, refuse de signer une attestation à charge contre une salariée que la direction a décidé de dégager. Ce que ce directeur ne savait pas, c'est que la salariée en question, se doutant de ce qui l'attendait, a tout enregistré. Les propos tenus par le directeur sont tout simplement lamentables. Tout cela a eu pour conséquence que la collègue en CDD qui a refusé de faire un faux témoignage n'a plus de travail. Mais la Sainte‑Alliance formée par Orpea et Arc‑en‑Ciel a refusé que le sujet soit inscrit à l'ordre du jour, arguant que les salariées concernées n'étaient plus membres du groupe – forcément...

Notre syndicat de directeurs, le Syndicat des cadres de direction, médecins, chirurgiens‑dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (SYNCASS), accompagne régulièrement des directeurs victimes de licenciements abusifs au sein du groupe.

Pas plus tard que la semaine dernière, nos camarades de la CGT ont déposé en vue du CSE une demande d'expertise judiciaire ; vote majoritaire contre, de la direction et d'Arc‑en‑Ciel. Il en a été de même de toutes les demandes d'expertise déposées par la CGT ce jour‑là.

Pour le prochain CSE, les deux élus CFDT ont déposé la totalité des questions posées par Victor Castanet à la fin de son ouvrage et auxquelles le groupe s'est toujours refusé à répondre. La direction a accepté d'en inscrire certaines à l'ordre du jour, mais surtout pas toutes. À notre avis, il y a des questions qui gênent et il est exclu de donner aux salariés les réponses que nous sommes en droit d'attendre.

Il y a quelques années, quand nous bénéficiions encore d'une représentativité au sein du groupe, le conjoint d'une militante y faisait des remplacements. On lui a murmuré à l'oreille que l'engagement syndical de sa femme était un obstacle à son éventuelle embauche.

Le pire, c'est que ce groupe exporte à l'étranger son management par la terreur. En ce moment même, en Allemagne, une collègue de la centrale syndicale ver.di est assignée en justice par Orpea – nous en avons été alertés par nos homologues au sein de l'Union européenne.

Demain matin, à 10 heures, à notre siège, nous organisons avec la CGT et le centre de recherche international CICTAR (Centre for International Corporate Tax Accountability and Research) une conférence de presse sur la structuration financière du groupe Orpea en France et à l'étranger. Nous vous invitons à y participer.

Comme l'a dit notre secrétaire général, Laurent Berger, il faudra que justice passe et qu'elle fasse payer les « salopards ». En ce qui nous concerne, nous déposerons deux plaintes, au pénal et au civil.

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Mireille Stivala, secrétaire générale de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale

La Fédération CGT de la santé et de l'action sociale n'emboîtera pas le pas à ceux qui font mine de découvrir le scandale des grands groupes du secteur privé lucratif qui agissent au sein des EHPAD et des établissements de soins. Nos militants et nos élus n'ont eu de cesse de dénoncer un système dont ils constataient au quotidien les effets de maltraitance des résidents, comme ils voyaient les manœuvres destinées à cacher cette maltraitance aux familles et la dangereuse dégradation des conditions de travail du personnel. Malheureusement, ces mêmes délégués devenaient vite les cibles à abattre. Vous imaginez aisément le climat de peur, pour ne pas dire de terreur, qui régnait au sein du groupe et avait été instauré pour éviter un dialogue social réel et sincère.

Mais, même pour les relations sociales, de tels groupes savent se façonner des syndicats à leurs ordres, qui n'existent parfois que dans certains groupes, comme Arc‑en‑Ciel chez Orpea. Dociles et peu loquaces, ils sont eux aussi coupables d'avoir continué à empêcher la manifestation de la vérité. Tout s'achète quand on a les moyens et la toute‑puissance.

Cette toute‑puissance, mesdames et messieurs les élus de la nation, c'est le système existant qui l'a permise, faute de moyens, de contrôles inopinés et d'écoute. Les alertes ont été très nombreuses, qu'elles viennent des familles, des élus au sein des instances, du personnel, des organisations syndicales en général ou de notre fédération, qui y a grandement contribué, la plupart du temps avec peu de succès. Orpea représente le paroxysme d'un système qui a pu continuer en toute impunité à se développer et à enrichir ses actionnaires tout en maltraitant ses pensionnaires et ses salariés. Mais on se tromperait en considérant qu'Orpea est le seul groupe du secteur lucratif dont on doive se préoccuper. Dans les autres groupes lucratifs du soin et de la prise en charge de la personne âgée, la recherche d'économies et la bonne cotation en bourse sont les objectifs obsessionnels auxquels sont quotidiennement sacrifiés nos aînés et nos personnels, qui sont en grande souffrance, contraints et contraintes – les femmes y sont d'ailleurs majoritaires – d'obéir ou de déguerpir.

L'orientation majeure votée lors de notre dernier congrès et que nous demandons depuis de nombreuses années est un grand service public de la santé, du social et du médico‑social. Il y a urgence à en finir avec ce système commercial ; en attendant, dans l'immédiat, il faut lui imposer des contraintes fortes et des ratios de personnel suffisants, un niveau élevé de dépenses pour les soins des résidents et le contrôle de chaque dotation publique accordée.

Je reprendrai pour finir l'une des observations formulées par la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel, à propos des décès survenus dans les EHPAD lors de la crise sanitaire : « les EHPAD les plus touchés sont ceux dont la proportion d'équivalents temps plein (ETP) de personnel paramédical, d'infirmiers ou de médecins coordonnateurs était plus basse ». Or c'est bien sûr dans les établissements du secteur privé lucratif que les ratios sont les plus bas.

Mesdames et messieurs les députés, il n'est plus possible de dire « nous ne savons pas ». Maintenant, tout le monde est parfaitement au courant des agissements coupables de ces groupes lucratifs. Il ne reste plus qu'à agir, au nom de la dignité humaine. La CGT, avec d'autres organisations et acteurs de la société civile, réaffirme dans une tribune parue dans Le Monde la nécessité d'une commission d'enquête parlementaire sur le sujet. Comme la CFDT, notre organisation a déposé plusieurs plaintes et s'associe à la conférence de demain sur les montages financiers du groupe.

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Dominique Chave, secrétaire général de l'Union fédérale de la santé privée (CGT)

Nous sommes régulièrement contactés et sollicités par nos délégués, qui, comme c'est leur rôle, nous informent de dysfonctionnements allant de la maltraitance institutionnelle de résidents accueillis dans les structures Orpea à la maltraitance du personnel, en passant par celle des syndicats et par la discrimination syndicale envers nos élus et mandatés, dignes représentants du personnel.

Le groupe Orpea agit de manière très violente envers celles et ceux qui œuvrent au quotidien pour la prise en charge de nos aînés et pour que les conditions de travail des salariés soient vertueuses et respectueuses de la dignité humaine. Nos délégués n'ont eu et n'ont de cesse, malgré des moyens qui, vous l'imaginez bien, sont très limités, de dénoncer les agissements de ce groupe au sein des instances représentatives du personnel – ce que l'on appelle aujourd'hui le CSE –, et auprès de l'inspection du travail comme des agences régionales de santé (ARS), mais nos demandes restent depuis des années sans réponse. À croire que ce groupe peut continuer en toute impunité de s'engraisser sur le dos de ses salariés et de ses résidents.

Le fonctionnement des instances représentatives du personnel est depuis plus de dix ans sous le contrôle d'un syndicat « maison », Arc‑en‑Ciel, monté de toutes pièces par la direction d'Orpea afin de discréditer les autres centrales syndicales tout en paraphant des accords minimaux pour les salariés, ce qui dégrade toujours plus leurs conditions de travail et, in fine, la prise en charge des résidents. Lors des dernières élections professionnelles, en 2019, le paysage syndical a encore évolué avec l'éviction des deux grosses centrales que sont la CFDT et Force ouvrière, passées sous la barre fatidique des 10 % qui détermine la représentativité, tandis que la CGT restait sous perfusion, à quelque 14 %.

Comment expliquer que les trois plus grosses centrales syndicales soient devenues quasi inexistantes au profit d'Arc‑en‑Ciel et d'une autre organisation qui, à elles deux, pèsent près de 72 %, à moins de soupçonner une fraude électorale ? Un recours a été déposé en référé au tribunal de Puteaux par les trois organisations syndicales concernées ; nous attendons la date de jugement.

Les nombreux éléments publiés dans l'ouvrage de Victor Castanet et les investigations menées par la CGT ne font que corroborer ce que nous supputions depuis bien longtemps. Depuis 2019, nos élus tentent de poser leurs questions au CSE de l'unité économique et sociale (UES) Orpea, mais en vain, car elles ne sont jamais prises en compte par la majorité « syndicale » commanditée par la direction. Par exemple, la CGT a déposé cinq droits d'alerte pour danger grave et imminent pendant la première phase de la crise sanitaire ; ils ont été rejetés en bloc par le CSE sans qu'aucune des infractions dénoncées soit prise en considération, qu'il s'agisse de l'état des stocks, des équipements de protection individuelle, de l'état des lieux dans les résidences touchées par le covid ou des problèmes relevés concernant les insuffisances d'effectifs.

Que dire de la politique managériale de ce groupe, qui, outre la violence qu'il inflige à ses salariés, se permet de falsifier les contrats de travail pour générer toujours plus de profit sur le dos du contribuable ?

L'UES Orpea est composée de 220 établissements et 13 000 salariés. Le CSE y constitue une instance unique, nationale, centralisée, de trente‑cinq membres : comment pourrait‑il traiter les problèmes de chacun de ces établissements depuis l'autre bout de la France ? En 2019, les résultats pour la CGT étaient les suivants : cinq membres titulaires élus CSE, six suppléants élus CSE, cinq délégués syndicaux dits nationaux et un représentant syndical, soit dix‑sept élus et mandatés en tout. En 2022, il reste douze élus, dont cinq sont menacés de sanctions disciplinaires avec demande de licenciement. Et la casse continue. Orpea n'a pas tiré de leçons de ce qui se passe et a même mis un petit coup d'accélérateur aux licenciements pour écarter ceux qui voudraient prendre la parole pour dénoncer les faits.

Dans la même veine, la négociation sur la création, à notre demande, d'un comité d'entreprise européen n'a cessé d'être entravée et a abouti à un accord minimal, bien en deçà des attentes de l'ensemble des organisations syndicales européennes, en avril 2021. Depuis, Orpea a entrepris de licencier la secrétaire de cette instance européenne, une élue allemande – la CFDT y a fait référence.

Il aura donc fallu la sortie de l'ouvrage et notre propre investigation pour que nous disposions enfin d'assez d'éléments pour engager plusieurs contentieux, au civil comme au pénal, afin que les salariés élus et mandatés puissent retrouver leur dignité.

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Gilles Gadier, secrétaire fédéral de la branche santé de la Fédération Force ouvrière des personnels des services publics et des services de santé (FO‑SPSS)

L'affaire Orpea n'est que le résultat des modalités de l'agrément accordé aux gestionnaires des EHPAD. Faut‑il s'étonner de ce qui se passe ensuite quand on donne un agrément à un groupe détenu par des fonds de pension canadiens, par des actionnaires qui exigent des dividendes et exercent pour les obtenir une pression financière sans limites ? On a parlé du prix des repas ; nous sommes là pour évoquer plus largement les conditions de vie des résidents, mais aussi les conditions de travail dans les EHPAD.

Le problème est connu. Je revois d'ailleurs parmi vous des députés qui m'ont précédemment auditionné à ce sujet. On ne va pas reparler du rapport Libault, de la mission d'information de Mmes Fiat et Iborra ni du rapport de Mme El Khomri sur les métiers du grand âge. Je ne reviens pas non plus sur le plan Solidarité grand âge, de 2007 à 2012. Ce n'est pas parce qu'on remplit un constat d'accident que la voiture est réparée. Tout s'est passé comme avec une voiture qu'on ne répare pas après un accident. Les constats, ça suffit : il faut véritablement changer de paradigme, en modifiant les modalités d'agrément. La maltraitance est systémique, institutionnelle, organisée. Personne ne peut l'ignorer. Il faut donc des normes, sans quoi la situation perdurera, car il n'y aura aucune raison qu'elle change.

Les normes, ce serait, quand un promoteur vient présenter un dossier pour obtenir un agrément, qu'il indique le nombre de résidents et leur taux de dépendance, ainsi que le nombre de salariés et leur qualification. À partir de là, on pourrait savoir si sont réunies les conditions... je ne dirai pas de la bientraitance, car on n'emploie ce terme que parce qu'il existe de la maltraitance : de fait, nous sommes là pour bien traiter les gens, cela va de soi.

Le manque d'effectifs fait de nos établissements des fabriques de grabataires. Je peux vous le démontrer très facilement. Un résident se déplace à son rythme ; il a besoin de temps. Mais nous n'avons pas le temps de le lui accorder. Alors que se passe‑t‑il ? S'il a du mal à marcher, comme on n'a pas le temps de l'accompagner jusqu'au bout du couloir vers la salle à manger, on le met dans un fauteuil roulant pour l'y emmener. Cela entraîne une atrophie musculaire, et la personne perd le degré d'autonomie qu'elle avait encore lorsqu'on nous l'a confiée. Ce n'est pas pour cela que nous sommes là : nous sommes des stimulateurs d'énergie. Ainsi, pendant une toilette ou un soin de nursing, nous sommes censés décrire les zones de contact et stimuler la personne encore capable de faire des mouvements pour qu'elle se lave seule. Mais là, on prend le gant, avec lequel on fait la toilette complète, et la dégradation du schéma corporel liée à l'âge s'aggrave encore. Il y a donc une rupture totale entre, d'une part, ce que l'on nous demande de faire, ce qu'il faudrait que nous fassions, et, d'autre part, ce que nous faisons réellement.

Il faut aussi permettre la traçabilité des financements. La journée de solidarité instituée en 2004, à la suite de la canicule de 2003, rapporte 2,4 à 3 milliards d'euros par an, ce qui représente plus de 35 milliards à ce jour. Ces sommes sont destinées au handicap et à la dépendance, mais on peut imaginer qu'elles ont été détournées de leur objet, car on n'a observé aucune évolution positive au sein des structures. En outre, tout le monde s'accorde à dire qu'il faudra 9 milliards de plus en 2030, à ratio constant, alors que l'effectif est insuffisant.

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Catherine Rochard, secrétaire générale adjointe de l'Union nationale des syndicats Force ouvrière de la santé privée

Merci de nous donner la parole et de nous permettre de témoigner de ce que nous avons vécu et vivons encore au sein du groupe Orpea.

Notre organisation syndicale y a été largement majoritaire jusqu'en 2004. Nous étions présents au début de la structuration du groupe. Parce que nous avons refusé, en 2004, de signer un accord d'entreprise qui, de notre point de vue, ne répondait pas à nos revendications ni aux besoins des salariés, nous avons été victimes d'une mise à l'écart, d'une discrimination. Nous avons refusé – j'ose le dire – la compromission de nos délégués syndicaux. Nous avons donc retiré leurs mandats et, à partir de là, une véritable cabale a été lancée contre notre organisation, qui, comme l'ont dit nos camarades, n'est plus représentative au sein du groupe. Lors des dernières élections, en 2019, mais aussi des précédentes, nous avons présenté des candidats qui ont été qualifiés de « rouges » – nous disposons de témoignages en ce sens – et, tous ou presque, réprimés au point de préférer retirer leur candidature.

Les discriminations et violences verbales envers nos élus et envers les salariés se poursuivent, au point que les salariés n'osent plus témoigner de ce qu'ils ont vécu et vivent au quotidien, même ceux qui ont quitté le groupe, par peur des représailles, y compris chez leur nouvel employeur.

Face à cette situation, il faut que le ministère du travail s'engage fermement à protéger les salariés et les élus du personnel dans les établissements. Nous avons engagé une procédure judiciaire pour contester les élections et nous travaillons à une éventuelle procédure pénale.

J'espère que votre commission ira jusqu'au bout, car la situation que le travail du journaliste Victor Castanet, que nous saluons à notre tour, a mise en avant chez Orpea se retrouve à peu près à l'identique dans d'autres groupes d'EHPAD du secteur privé commercial ; je peux en témoigner. Nous l'avons dénoncée pendant des années aux différents ministres de la santé ; nous avons été reçus à plusieurs reprises ; nous avons exprimé notre désarroi et fait part de la maltraitance subie par les salariés, les élus et les résidents. Chaque fois, on nous a répondu qu'il s'agissait d'une propriété privée et que l'État n'avait pas à intervenir. Peut‑être la parution du livre permettra‑t‑elle que cette « propriété privée » soit contrôlée à l'instar de tous les EHPAD du pays. Ça suffit ! Il est grand temps que les pouvoirs publics prennent la mesure de la situation, pour qu'enfin nos aînés soient pris en charge, et que les conditions de travail et la dignité des salariés soient respectées.

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Yann Le Baron, secrétaire national de la Fédération UNSA Santé et sociaux public et privé

Vous nous demandez de venir vous parler d'une situation que vous connaissez tous, puisqu'elle est sur la place publique depuis bien longtemps. Sans doute y avez‑vous été confrontés à titre personnel, par l'intermédiaire de vos aînés, ou en avez‑vous été saisis dans les territoires que vous représentez.

Concernant le cas spécifique d'Orpea, la justice passera ; la Fédération UNSA Santé et sociaux public et privé souhaite qu'elle passe largement et que les éventuelles compromissions, d'où qu'elles viennent, soient lourdement sanctionnées. Mais, qu'il s'agisse d'Orpea, de Korian, de DomusVi ou d'autres, y compris dans les secteurs privé non lucratif et public, la question est bien celle de la prise en charge de nos aînés et les moyens que nous voulons y investir. Combien de soignants met‑on au lit des résidents ? Aujourd'hui, on en est en moyenne à 0,3. Il y a dix ans, le ratio de 1 pour 1 était recommandé ; il n'a pas été instauré ; pourtant, de l'argent public a été dépensé : la nation, unie dans un seul et même corps, la République, a mis les moyens. Cette question des moyens est première, quasi aristotélicienne. Qu'a‑t‑on vraiment fait initialement pour tenter de résoudre le problème ?

Dans la situation actuelle d'urgence, on va s'interroger sur les accréditations, les modalités de contrôle, le degré d'autonomie que l'on donne à celles et ceux qui contrôlent. Est‑il légitime que le renouvellement de l'accréditation passe par des audits privés ? Cela devrait conduire à s'interroger sur la relation entre client et fournisseur, donc sur l'autonomie des contrôles effectués.

Peut‑on se contenter d'un modèle de cet ordre ? Peut‑on continuer à ne pas investir dans ce qui est le pivot de la prise en charge de la dépendance, de quelque nature qu'elle soit, à savoir l'aide‑soignante ? Est‑il légitime que dans les structures dont nous parlons, qui sont subventionnées, en tout cas pour la part dépendance, des collègues exercent cette profession sans en avoir les qualités, ce qui les met en danger et dans une situation d'insécurité permanente ? Est‑il légitime que les lanceurs d'alerte, d'où qu'ils viennent et quoi qu'ils représentent, soient menacés, intimidés, et ne bénéficient pas d'un statut protégé, y compris nos collègues des organisations syndicales qui se sont exprimés avant moi ?

Peut‑être faudrait‑il imaginer un changement de paradigme complet, qui commencerait par l'installation d'une autorité de contrôle indépendante relocalisée. Peut‑on se satisfaire, en effet, de l'action des ARS, qui pilotent mais refusent l'interaction en matière de ressources humaines, considérant que ce domaine n'est pas de leur responsabilité ? De qui d'autre est‑ce donc la responsabilité ? Tout de même pas les soignants qui, tous les jours, se battent pour maintenir la qualité de prise en charge ! En moyenne, une toilette, c'est 7 minutes – quand on est large ! Imaginez‑vous qu'une personne de 85 ans, avec ses raideurs articulaires, puisse supporter une toilette en 7 minutes ? C'est une maltraitance institutionnalisée, architecturale.

Il faut donc en premier lieu renforcer le contrôle, les éléments qui permettent de faire la lumière sur les maltraitances, mais la question immédiate que nous devons nous poser, que vous, représentation nationale, devez vous poser, est celle des moyens que l'on engage véritablement, au cœur du système – non pour dégager des dividendes grâce à de l'argent public, mais pour renforcer le personnel et refaire de l'aide‑soignante la cheville ouvrière de la prise en charge. Les collègues infirmières, lorsqu'elles sont présentes, ont à peine le temps de dispenser les médicaments et les soins ; comment voulez‑vous qu'elles assurent une prise en charge humaine ? Combien de recrutements est‑on prêt à s'accorder ? Quelle place pour la reconnaissance du diplôme d'aide‑soignant ? Comment rendre nos métiers attractifs ? Plus personne ne veut les faire ; pourquoi ?

La réponse, vous l'avez déjà tous. Cette mission est la énième. Les constats sont largement connus. La seule question qui doit prévaloir est la suivante : que faire immédiatement, concrètement, de manière audible pour tous mais centrée sur le terrain ? Nous pourrons tous parler beaucoup, faire tous les constats possibles, mais on tombe toujours du côté où l'on penche, et on ne penche pas du bon côté. Nos collègues attendent des réponses sur le terrain, les moyens d'une prise en charge de qualité et de la bientraitance.

Orpea est un révélateur ; tant mieux ! L'affaire attire à nouveau l'attention sur la prise en charge de la personne âgée. Mais le problème va au‑delà d'Orpea. Si on le limite à ce cas, on passe à côté du sujet. Il importe de revoir l'architecture financière, l'architecture des ressources humaines et d'instaurer les éléments du contrôle : c'est ce qui est attendu sur le terrain, c'est la réponse que vous devez, que nous devons collégialement apporter pour refaire la lumière, accroître la transparence et remettre des soignants au cœur du système au lieu de placer uniquement au sein des EHPAD des gestionnaires – pour ne pas le dire moins élégamment – qui travaillent à partir de tableaux de bord. Ce métier est un métier de l'humain, et l'humain passe par le soignant au cœur du réacteur. C'est lui qui manque. Sans ratios opposables, contraignants, nous n'obtiendrons pas de résultats. Souvenez‑vous de la création, il y a quelques années, de ratios contraignants d'infirmiers anesthésistes diplômés d'État au bloc opératoire : ô miracle, tout à coup, il y en a eu dans tous les blocs opératoires. Voilà ce qui est attendu.

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Anissa Amini, secrétaire fédérale référente grand âge de la Fédération SUD

Santé sociaux. La Fédération SUD‑Santé sociaux apporte tout son soutien aux familles de résidents pris en charge dans les EHPAD et aux salariés qui travaillent dans ces structures, qu'elles soient privées à but lucratif, associatives ou publiques.

Par ses révélations, le livre Les Fossoyeurs divulgue enfin à nos concitoyens la maltraitance institutionnelle subie par les personnes âgées ainsi que par les salariés de structures dont l'humanité a depuis longtemps disparu au bénéfice d'une course au profit et d'une abjecte chasse aux coûts. Ces faits sont pourtant dénoncés depuis des années par notre syndicat et par certaines autres organisations syndicales, dans le désert médiatique auquel s'ajoute le mépris coupable des pouvoirs publics.

Il est heureux que la représentation nationale prête enfin attention à cette situation qui fait honte à notre pays. La Fédération SUD‑Santé sociaux encourage la commission à s'attarder sur les causes du scandale, car mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde, comme le disait Albert Camus. Il apparaît nécessaire de mettre un terme au détournement de l'argent public méticuleusement organisé par les pompes à fric qui prospèrent dans les mines tant convoitées de l'or gris. La puissance publique doit siffler la fin de la récréation et affirmer l'interdiction de faire du profit sur l'accompagnement et la prise en charge des personnes âgées dépendantes et vulnérables.

La mascarade de ces prétendus établissements de haut standing, faisant miroiter monts et merveilles à des familles déjà culpabilisées de placer un parent en EHPAD, est désormais découverte dans toute son horreur. La réalité est tout autre. Les salariés qui travaillent dans ces structures – des femmes, pour la plupart – se trouvent confrontés à des conditions de travail atroces : toujours en sous‑effectif, avec du personnel non qualifié, manquant de matériel, de temps, soumis à des protocoles abscons et inapplicables, livrés à eux‑mêmes. C'est exactement ce que l'on vit sur le terrain : moi‑même aide‑soignante en EHPAD, je sais de quoi je parle. L'humanité a disparu de ces métiers, jadis à vocation : travailler avec des personnes fragiles et dépendantes exige une sensibilité particulière. Travailler en EHPAD, si ce n'est pas un choix pour tous, doit être gratifiant et gratifié.

Plusieurs salariés lanceurs d'alerte tentent depuis longtemps de briser l'omerta qui règne dans certaines de ces structures. Ils ont tout risqué en prévenant les ARS, l'inspection du travail et même le Gouvernement des dysfonctionnements, de la déshumanisation et des maltraitances constatées et subies dans le secteur privé, mais aussi public. Mais le chemin est long et semé d'embûches, de harcèlements et de sanctions pour ces lanceurs d'alerte et pour certaines familles.

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Audrey Padelli, secrétaire adjointe de section de la Fédération SUD

Santé sociaux. Comment en est‑on est arrivé là ? Parce qu'une succession de gouvernements a préféré fermer les yeux plutôt que de mettre en œuvre une vraie politique en faveur du grand âge pour protéger nos aînés. Le laxisme ainsi installé a été dévoilé par la crise sanitaire.

Une autre cause de la situation est la chasse aux sorcières contre tous les lanceurs d'alerte.

Il y a aussi un problème d'embauche : il y a eu des embauches, mais, dans les EHPAD, on recrute beaucoup dans les corps directionnels alors que l'on manque de bras soignants. Le recours aux contrats précaires arrange bien la direction. Il induit un harcèlement sournois, très difficile à identifier en tant que tel et qui entraîne un turnover néfaste pour les résidents, fragiles et en manque de repères, mais aussi pour les soignants, privés de l'esprit d'équipe dont ils ont besoin pour assurer une prise en charge correcte.

Et puis, il y a ce qu'on appelle en novlangue le lean management : on fait appliquer à l'hôpital un management prévu pour le secteur industriel. Mais nos aînés ne sont pas des marchandises, ni des pièces de voiture. Ce lean management que tous les directeurs d'hôpital et d'EHPAD ont à la bouche, lancé chez Toyota, a été appliqué chez Orange : on a vu le résultat.

Tous ces problèmes ont entraîné une véritable fuite des soignants et une perte du sens de leur travail. Personnellement, quand je vois que, dans l'institut de formation en soins infirmiers et de formation d'aides‑soignants où je travaille, on n'arrive plus à boucler des sessions d'aides‑soignants et qu'on est obligé de rappeler des personnes qui sont sur liste complémentaire ou qui n'ont même pas réussi le concours en leur disant « s'il vous plaît, venez, dans tous les cas vous aurez votre diplôme parce qu'on a besoin d'aides‑soignants », j'ai peur pour la prise en charge de demain et je n'aimerais pas être malade à l'avenir !

Pour tous ces problèmes, nous avons des solutions. Cela fait des années qu'on vous les donne. Alors on les redonne une fois de plus, en espérant que vous allez nous écouter, mais surtout nous entendre.

Il faut un plan d'embauche massif de soignants réellement formés, pour atteindre un ratio de 1 pour 1 – un ratio de soignants, pas d'administratifs. Le soignant doit faire son métier de soin, pas passer du temps devant un ordinateur. Qu'on ne lui reproche pas de ne pas avoir transmis : ce n'est pas son rôle.

Il faut aussi une véritable revalorisation salariale de tous les acteurs de la santé, pas seulement les soignants, mais aussi toutes les personnes qui permettent la prise en charge. On a de plus en plus de mal à trouver des personnes qui veulent venir travailler à l'hôpital ou en EHPAD.

Il faut également que tout le personnel accède à des formations qualifiantes et diplômantes, qui, bien souvent, sont réservées aux catégories A dans le secteur public.

Nous voudrions une reconnaissance de la pénibilité du métier de soignant. Il n'est pas normal que nos collègues proches de l'âge de la retraite doivent s'occuper de personnes invalides, grabataires. Cela résulte des différentes réformes du financement des EHPAD. Il faut donc arrêter de tirer profit des EHPAD, qui devraient être pris en charge à 100 % par l'État. Inspirons‑nous d'autres pays où les aînés n'ont pas à verser un centime pour bénéficier d'une prise en charge correcte.

La Fédération SUD‑Santé sociaux remercie Victor Castanet de son travail et de son courage, mais aussi tous les acteurs qui ont permis de rendre enfin visible notre quotidien.

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Merci à toutes et tous de vos témoignages empreints d'émotion et de colère – certaines colères sont très saines. Nous vous écoutons, et vous serez entendus : nous comptons bien, tous bords politiques confondus, que cela cesse.

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Lecocq (LaREM). Merci de vos témoignages. Je veux d'abord adresser un message de soutien à l'ensemble des professionnels confrontés aux pratiques managériales dénoncées dans le livre et qui nous ont profondément choqués. Nous avons bien entendu votre émotion.

Nous distinguerons au cours de l'audition le sujet Orpea, car c'est le fil conducteur de notre cycle d'auditions et de missions « flash », mais la représentation nationale travaille beaucoup sur la question du grand âge et nous sommes vraiment prêts à lancer une réforme en matière de grand âge et d'autonomie ; nous la souhaitons tous, sur tous les bancs de l'Assemblée. Nous avons tout à fait conscience des points que vous avez soulignés et des actions ont déjà été engagées en matière de rémunération et d'effectifs ; nous savons qu'il faut recruter davantage et c'est ce que nous voulons faire, ainsi que valoriser les métiers. La situation révélée à propos d'Orpea nous touche profondément ; nous voulons faire toute la lumière sur elle et, surtout, faire le nécessaire pour éviter que se reproduise un tel système – plus que dysfonctionnel, mais que je ne qualifierai pas, car nous ne sommes pas juges. La lumière viendra des enquêtes en cours et, bien sûr, de la justice.

Quelle connaissance aviez‑vous des pratiques managériales et des contournements des organisations syndicales, notamment par le syndicat « maison » Arc‑en‑Ciel ? Quelles alertes ont été lancées et comment ont‑elles été traitées ? L'inspection du travail est‑elle intervenue ? De manière générale, quel est l'état du dialogue social dans la branche, en particulier dans les établissements privés à but lucratif ?

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Nous sommes complètement plongés dans l'univers des EHPAD depuis quelques semaines. Ce n'est pas que nous ne l'étions pas auparavant, car nous fréquentons ces établissements, tant les structures privées à but lucratif et non lucratif que les structures publiques, et nous étions conscients des réalités – le personnel en nombre insuffisant et la charge de travail toujours plus lourde auprès des personnes âgées et dépendantes. Nous savions donc que de telles situations pouvaient se produire. C'est d'ailleurs pourquoi tous les groupes politiques demandent, depuis un certain temps, une profonde réforme du grand âge. Cette question transcende tous les clivages : le défi du vieillissement est le plus important pour les années qui viennent – un merveilleux défi, à condition que nous puissions accueillir les personnes âgées dans des conditions respectueuses de leur dignité.

J'ai posé, il y a quinze jours, une question au Gouvernement à ce sujet et j'ai également déposé une proposition de loi visant à faire reconnaître la dignité des personnes âgées dépendantes comme « grande cause nationale ». Il s'agit d'instituer un fondement opposable à toutes les actions menées, à domicile ou dans les établissements, pour s'assurer que la dignité est respectée. Il faut, pour cela, que les établissements respectent des règles, contrairement à ceux aujourd'hui décriés, dont les techniques financières ont des conséquences, par le rationnement qui en résulte, sur la vie et l'épanouissement des personnes. Cela passe aussi par des moyens humains, et j'ai bien entendu ce que vous avez dit à ce propos, madame Padelli. On doit offrir aux hommes et aux femmes qui œuvrent au service de nos concitoyens et de nos aînés des perspectives de carrière, des rémunérations et des effectifs suffisants. Cela suppose enfin le respect de ratios, des contrôles de la part des ARS et des départements, et certainement une réforme très claire pour que nous puissions savoir qui est le pilote, le responsable, et comment les choses se passent.

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Nous ne découvrons rien. C'est le manque de courage politique, depuis des années, qui est en cause : une loi « autonomie et dépendance » avait pourtant été promise par Nicolas Sarkozy, puis par François Hollande, puis par Emmanuel Macron. On arrive à la fin de la législature sans qu'une telle loi ait été adoptée, tout simplement parce qu'on n'a pas eu le courage de mettre l'argent nécessaire. Les ressources sont le nœud de ce problème qui est sur la table depuis plus de quinze ans. Il faudrait exactement 9 milliards d'euros – de nombreux rapports sont en effet disponibles et nous savons ce qu'il faut faire. La solution passe d'abord par le nombre de soignants au pied du lit du résident. Cessons d'être schizophrènes, de vouloir réduire à tout prix les ressources, les cotisations sociales, alors qu'on sait qu'il faut des moyens pour mener la réforme.

Trois documentaires à charge contre des EHPAD privés ont été diffusés en 2018, dans le cadre des émissions « Zone interdite », « Pièces à conviction » et « Capital ». Vous les avez certainement vus, comme moi. Tous dénonçaient de la maltraitance, et j'ai posé une question au Gouvernement à la suite de ces documentaires. Malheureusement, nous en sommes toujours là.

La seule chose que j'ai apprise en lisant le livre de M. Castanet concerne l'institutionnalisation, l'industrialisation du phénomène. Je n'imaginais pas que le système était poussé aussi loin, par un rationnement à tous les niveaux. C'est cela que nous découvrons. En amont de l'agrément, du système mis en place pour l'obtenir, et jusqu'au bout de la chaîne, tout est conçu pour faire du profit. Avez‑vous des exemples d'autres groupes privés qu'Orpea qui appliqueraient des systèmes identiques ? La maltraitance existe aussi, vous l'avez dit, dans le secteur public. Elle est induite par le système : les personnels sont maltraitants malgré eux. Des résidents entrés dans un EHPAD en ayant encore un certain degré d'autonomie peuvent régresser en quelques semaines. Quels types de contrôles faudrait‑il pour lutter contre les dérives ?

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Ce sont des questions transpartisanes : nous pourrions tous dire la même chose. Par ailleurs, la faillite est collective, depuis des années – et j'irais peut‑être même plus loin que quinze ans en arrière.

Nous cherchons aussi à apporter des solutions à court terme pour que tout cela n'arrive plus jamais. Nous ne découvrons pas le problème des effectifs à travers ce livre. C'est l'existence d'un système que nous découvrons.

J'ai une première question brutale à vous poser : le simple respect du ratio prévu aurait‑il permis d'éviter ce scandale ? Je ne sous‑entends pas, naturellement, qu'il ne faut pas davantage de personnel, puisque nous savons tous que c'est nécessaire.

Faudrait‑il institutionnaliser, pour qu'il y ait au moins un contrôle, des conseils d'établissement – je ne parle pas de conseils d'administration, car ils sont implantés au niveau du siège des groupes – dans tous les établissements privés ?

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Valérie Six (UDI

I). La maltraitrance dans les EHPAD est à la fois connue par le personnel soignant, lequel lance des alertes depuis de nombreuses années, et subie par lui. Commettre dans son travail des actes que l'on réprouve moralement conduit à une véritable souffrance, théorisée en psychiatrie. Les cadences imposées et le manque de personnel, estimé à plus de 100 000 personnes en France, aboutissent au sentiment de mal faire son travail, malgré toute l'implication et la conscience professionnelle qui font que le système tient malgré tout.

Dans ce contexte, les syndicats ont un rôle crucial à jouer en tant que relais de la souffrance des salariés et des problèmes managériaux, et on peut se demander ce qui a empêché la dénonciation de certaines pratiques. Comment se déroule la remontée de l'information vers les syndicats ? À quel niveau se trouve le blocage ? Avez‑vous subi des pressions directes de la part des groupes concernés ? La CGT, la CFDT et FO ont récemment annoncé leur intention de porter plainte contre Orpea, qu'elles accusent de discrimination syndicale par la promotion d'Arc‑en‑Ciel. Certains témoignages font même état d'une fraude organisée lors des dernières élections syndicales, qui ont vu Arc‑en‑Ciel obtenir 60 % des suffrages, ce qui ne refléterait pas la réalité au sein de la branche « santé privée ». Dans quelle mesure l'ouvrage de Victor Castanet a‑t‑il été le déclencheur des nouvelles plaintes ? Enfin, quelles sont vos relations, en tant que syndicats, avec les médecins coordonnateurs ? Ont‑ils pu jouer un rôle dans la dénonciation des conditions de travail ?

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Nous entendons la colère, bien légitime, qui s'exprime. Je vais encore me faire des amis, mais je suis surprise quand on dit qu'on ne pouvait pas deviner ce qui se passait.

Nous avons déposé, en octobre dernier, un amendement visant à interdire les EHPAD privés lucratifs, et nous avons pris cher à cette époque : vous pourrez regarder les réactions lorsque nous avons expliqué pourquoi il fallait interdire ces structures – c'est dans ce secteur que le ratio entre les soignants et les résidents est le plus bas et qu'il y a du rationnement.

L'Assemblée nationale travaille effectivement sur cette question depuis 2017, des dénonciations sont intervenues, mais rien, à notre grand désespoir, n'en est sorti en cinq ans. Sachez tout de même que des amendements, bien qu'ils n'aient pas été adoptés, ont été déposés.

Il a été question des « faisant fonction ». Je sais de quoi il s'agit, mais il serait utile, pour éclairer notre assemblée, que vous l'expliquiez. C'est, par exemple, une plongeuse qui se retrouve à faire une toilette mortuaire. Les gens ont besoin de savoir ce que c'est réellement.

Vous avez parlé des contrats précaires, mais pas de ceux à la façon d'Orpea et de Korian. Pour ma part, je n'ai jamais eu de CDI : j'ai toujours eu la joie d'occuper des CDD – ainsi, on est viré dès qu'on l'ouvre. Les lanceurs d'alerte, comme Hella Kherief, perdent leur travail dès qu'ils sont reconnus.

J'aimerais savoir ce que vous entendez par un renforcement du contrôle. Je n'ai pas envie, personnellement, qu'il y ait un flic derrière chaque soignant. Faisons attention à ce que nous demandons.

Le secteur privé lucratif est vraiment bien organisé : je viens de recevoir un courriel me promettant, si j'investis, 80 euros et une rémunération comprise entre 10 % et 15 % ! Voilà le genre de publicité qu'on reçoit quand on tape un peu trop souvent « EHPAD privé lucratif » dans un moteur de recherche.

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Votre indignation, votre colère, votre exaspération sont tout à fait légitimes. Vous avez raison de secouer la représentation nationale. J'ai été élue députée pour la première fois en 2012 – j'étais directrice d'EHPAD jusque‑là – et je ne suis pas fière à l'issue de ces deux mandats parlementaires : dix années se sont écoulées et les problèmes n'ont fait que s'aggraver. Le besoin en personnel dans les établissements est toujours aussi criant – il s'est même renforcé, car les personnes accueillies sont toujours plus dépendantes et toujours plus malades, et de plus en plus nombreuses.

Nous sommes confrontés à un vrai problème sociétal. Les organisations de personnes âgées, comme l'Aide à domicile en milieu rural, la Fédération hospitalière de France et la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs, ont lancé, il y a dix jours, un « appel aux candidats et aux Français », sur change.org, qui demande l'adoption d'une loi « grand âge ». Cette pétition a fait aujourd'hui l'objet de 6 000 clics, contre 100 000 pour la pétition contre les poules en cage.

Combien les Français sont prêts à dépenser pour s'occuper correctement de leurs personnes âgées ? Voilà la question qu'il faut oser se poser. Sommes‑nous prêts à payer davantage et à assurer une meilleure répartition ?

J'ai reçu, comme d'autres, un courrier de Mme Évelyne Rescanières, secrétaire générale de la Fédération CFDT‑Santé sociaux, qui nous indique que vous vous êtes adjoint les services d'un organisme international de recherche pour travailler sur l'optimisation, voire la fraude fiscale de la part des multinationales de santé. Pourriez‑vous nous en dire davantage ? Cela fait‑il partie des mesures que vous allez présenter demain ? La mission « flash » sur la gestion financière des EHPAD, dont je suis corapporteure avec Pierre Dharréville et Caroline Janvier, s'intéresse naturellement au contrôle de la tarification.

Vous avez conjointement déclaré, le 4 février, que vous vouliez porter plainte pour discrimination syndicale. Où en êtes‑vous ?

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Je vous remercie d'être venus témoigner, à nouveau, de la réalité que vivent les personnels et les résidents dans les établissements. Vous la dénoncez depuis longtemps. Comment pourrait‑on être surpris par les révélations provenant du livre Les Fossoyeurs et des enquêtes de journalistes qui paraissent régulièrement ?

C'est un choix politique que nous devons faire : quelle société voulons‑nous construire ? Voulons‑nous véritablement accompagner les femmes et les hommes tout au long de leur vie ou est‑ce moins grave si, à certains moments, on ne le fait pas ? Je pense que nous avons besoin d'un haut niveau de protection sociale et d'un service public puissant.

La manière dont on s'organise est également importante. Vous avez parlé de maltraitance institutionnelle, dont il est question depuis un certain temps. Elle résulte des choix que nous faisons, du cadre général. Ce phénomène existe partout, mais j'ai tendance à penser que la situation est singulièrement aggravée par les logiques d'argent et de profit des grands groupes à but lucratif. Peut‑on se faire de l'argent sur le dos de nos anciens ?

Je partage ce que vous avez dit sur le caractère systémique du problème, qui ne me surprend pas vraiment : l'application des logiques capitalistes à de l'humain, et avec du mépris pour l'humain, n'a rien de nouveau. Je vois néanmoins que cela choque, ce qui me fait penser que les choses pourraient bouger. Et on ne pourra sans doute pas faire autrement. J'appelle de mes vœux d'autres choix politiques, en faveur des femmes et des hommes, quel que soit leur âge, et une véritable reconnaissance de ces métiers, qui ont été beaucoup méprisés.

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Nous appelons tous de nos vœux, en effet, un changement.

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Cela fait désormais près d'un mois – depuis la publication du livre Les Fossoyeurs – que le groupe Orpea est au cœur d'un scandale. Victor Castanet a révélé dans cet ouvrage des maltraitances et des dérives qui seraient légion au sein de certains EHPAD de ce groupe. Peu à peu, le silence, l'omerta entourant le système Orpea se brisent : les plaintes affluent, de la part de résidents, de familles, de salariés, de directeurs d'établissement et d'organisations syndicales, qui corroborent indéniablement les faits allégués. Le 4 février dernier, certaines des organisations que vous représentez ont déclaré vouloir porter plainte pour discrimination syndicale et entrave à l'activité syndicale. La direction d'Orpea se serait appuyée sur un syndicat « maison », créé pour fonctionner à ses ordres et selon ses volontés.

Vous avez alors dit que vous soupçonniez depuis longtemps des agissements inacceptables de la part de la direction du groupe et que vos soupçons avaient été confortés par les témoignages figurant dans le livre de Victor Castanet. Ces révélations ont‑elles renforcé votre intention de porter plainte ? Vous envisagiez de le faire, par ailleurs, pour les faits de harcèlement dont auraient été victimes des élus de certains syndicats. Où en êtes‑vous ? Pourriez‑vous donner, comme vous avez commencé à le faire, des exemples concrets de pressions exercées, avant l'éclatement du scandale, par la direction d'Orpea sur vos organisations syndicales respectives ?

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Je rends hommage aux professionnels du secteur du grand âge. Nous avons le plus profond respect pour les métiers difficiles et ô combien utiles qu'ils exercent.

Si nous ne découvrons pas la situation dans les EHPAD, nous découvrons l'existence d'un véritable système visant à produire des profits toujours plus importants au détriment des résidents et des personnels.

Une mission permanente de lutte contre la maltraitance, chargée d'un travail d'identification, a été constituée à la demande d'Agnès Buzyn et de Sophie Cluzel au sein du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. Avez‑vous été amenés à faire des signalements dans le cadre de la plateforme 3977 ?

Pouvez‑vous nous expliquer comment a eu lieu la montée en puissance du syndicat Arc‑en‑Ciel au sein du groupe Orpea ?

Nous sommes bien d'accord sur la nécessité de renforcer les effectifs, mais il se trouve qu'au moins un ou deux postes sont vacants dans tous les EHPAD. Ces postes sont financés, mais il n'y a pas de candidats pour les occuper. Votre secteur n'est pas attractif : il subit un fort désamour. Quelles mesures faudrait‑il prendre pour attirer des gens, en particulier des jeunes, vers vos métiers ?

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Merci d'être là, de nouveau – ce n'est ni la première ni, probablement, la dernière fois que nous vous entendons. J'espère tout de même que vous aurez des choses différentes à nous dire la prochaine fois...

Le manque de courage politique des gouvernements qui se sont succédé a été évoqué. Il est consécutif au fait que tous ces gouvernements, quels qu'ils soient, sont allés chercher le secteur privé commercial pour construire des EHPAD, puisque le secteur public n'arrivait pas, a priori, à les financer. C'était un choix politique. Le secteur privé commercial avait aussi, et surtout, des relais particulièrement efficaces et écoutés. C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans la situation actuelle. Il faut arrêter de considérer la question uniquement sous l'angle du financement. Si on entre par cette porte, on ne s'en sortira pas.

Des normes sont absolument indispensables. Quand nous avons publié notre rapport, Caroline Fiat et moi, le secteur privé commercial a dit qu'il n'en voulait pas. Or le groupe Korian demande désormais des normes à cor et à cri. Sur ce plan, on peut donc considérer qu'on a avancé.

Un des actionnaires d'Orpea propose une modification des statuts pour permettre au groupe de devenir une entreprise à mission et d'accueillir des salariés au sein du conseil d'administration. Qu'en pensez‑vous ?

À titre personnel, je trouve qu'il faut arrêter d'aborder la politique du vieillissement en la prenant par petits bouts : c'est illisible et inefficace. Nous avons besoin d'une vraie réforme d'ampleur.

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Merci d'être venus témoigner devant nous d'une réalité que nous connaissions mais dont toute l'abjection a été révélée dans le cadre de ce qu'on appelle désormais le scandale Orpea. J'en profite pour remercier les personnels que vous représentez pour leur engagement quotidien auprès des résidents des établissements.

Au‑delà de l'existence d'un système qui sera examiné par la justice, il faut s'interroger sur la façon dont nous prenons soin de nos aînés. Une véritable réforme de notre politique du grand âge et de l'autonomie est urgente, et il faudra à l'évidence des financements supplémentaires pour la mener. Que veulent les Français pour leurs aînés ? Cette question doit faire partie des débats qui auront lieu pendant la campagne présidentielle.

Dans les mois qui viennent, le temps que cette réforme puisse voir le jour, quelles mesures faudrait‑il prendre, selon vous, pour commencer à enclencher un changement ? Je pense notamment aux conseils de la vie sociale (CVS), qui sont au plus près de la parole des patients, de leurs représentants, des représentants syndicaux et des médecins. Ces instances pourraient‑elles servir de leviers à court terme ?

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Pour qu'une transformation, une révolution culturelle puisse avoir lieu, il faudra d'abord une volonté politique, mais aussi une acceptation de la part de nos concitoyens, nous sommes tous d'accord sur ce point.

Ce que dénonce le livre de M. Castanet, c'est une gouvernance, un système lucratif avec une cotation en bourse. Sommes‑nous prêts à rendre ces structures compatibles avec les missions publiques que sont la santé et l'accompagnement de nos aînés ? Il me semble, en tant que rapporteure de la mission « flash » « L'EHPAD de demain : quels modèles ? », que c'est la question fondamentale qui se pose.

Le secteur privé représente à peu près 22 % du total des places, donc des milliers de résidents. Que pouvons‑nous proposer pour les nouveaux agréments ? La question de la création d'entreprises à mission se pose notamment, mais cela ne pourra pas être l'alpha et l'oméga : ce ne sera qu'un premier pas. Cela signifiera de la transparence, un affichage de la raison d'être, qui deviendra opposable et vérifiable. Une entreprise à mission, en effet, a une obligation juridique d'atteindre les objectifs sociaux, et éventuellement environnementaux, qui figurent dans les statuts, et un contrôle doit avoir lieu tous les deux ans. Actuellement, les évaluations externes des EHPAD interviennent tous les cinq ans, et l'autorisation qui leur est donnée doit être renouvelée tous les quinze ans. Ne faudrait‑il pas revoir ces dispositions ?

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Loïc Le Noc, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)‑Fédération santé sociaux

La place du secteur lucratif est effectivement liée au fait, d'une part, que la société avait des besoins énormes pour la prise en charge des personnes en situation de perte d'autonomie et que, d'autre part, les lenteurs administratives et les contraintes budgétaires ne permettaient aux structures publiques de déployer une offre à la hauteur de ces besoins. Certains acteurs se sont dits « Y'a bon, Mamie Nova » et se sont jetés là‑dessus comme des morts de faim. Ils envisagent aujourd'hui de se transformer en entreprises à mission, mais il ne faut pas se raconter d'histoires : pour nous, ils veulent se refaire une virginité, et ce n'est pas cela qui révolutionnera la situation. Tous les fondateurs des groupes d'EHPAD à but lucratif figurent dans le classement des grandes fortunes françaises. Leur niveau de revenu dépasse l'entendement.

Nous avons effectivement travaillé avec un organisme international, le CICTAR, qui est spécialisé dans la traque de l'optimisation fiscale – ce n'est pas notre spécialité, en tant que syndicalistes. Un rapport sera communiqué demain matin, lors de la conférence de presse que nous organisons avec la CGT. Je vous propose d'échanger par courriel à ce sujet, madame Dubié.

Un scandale aurait‑il pu être évité grâce à des ratios ? Il y aurait eu un scandale de moins à l'intérieur du mégascandale : la prise en charge des personnes aurait été davantage à la hauteur, avec un nombre plus important de salariés, mais cela n'aurait rien changé à l'industrialisation du système.

S'agissant des dépôts de plainte, nos instances ont pris position, lundi après‑midi, lors d'un conseil fédéral extraordinaire, qui est un peu le parlement de notre fédération. Deux résolutions visant à porter plainte ont été transmises à nos avocats.

Nos élus, quand nous en avions un certain nombre, et ceux de la CGT, n'ont eu de cesse d'alerter l'inspection du travail. Comme le siège d'Orpea se trouve à Puteaux, c'est l'inspecteur du travail de Puteaux qui est compétent pour les 220 établissements du groupe en France.

Cela a été dit, il n'existe qu'un seul CSE, au niveau central. Nous avons proposé hier, dans le cadre de la mission « flash » sur les conditions de travail et la gestion des ressources humaines en EHPAD, de modifier les ordonnances de 2017 pour rendre obligatoire une instance représentative du personnel au sein de chaque EHPAD. En effet, c'est sur le terrain qu'on peut apprécier et faire évoluer les conditions de travail.

J'en viens au dialogue social dans la branche. Ma première réaction, quand j'ai commencé à m'en occuper, a été de me demander s'il fallait en rire ou en pleurer. La convention collective n'a toujours pas été mise en conformité avec les ordonnances de 2017. Après avoir fait un état des lieux, au printemps, nous avons considéré que la plaisanterie avait assez duré. Il existe plusieurs fédérations d'employeurs au sein de la branche : la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), pour les cliniques, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA), pour les EHPAD – avec des incongruités : des associations sont membres du SYNERPA, alors qu'il est censé être la chambre des employeurs du lucratif –, et il y a aussi les établissements thermaux. Au sein de cette branche, trois conventions collectives et trois systèmes de classification existent ! Dans certaines entreprises, on ne peut pas changer d'établissement puisque ce ne sont pas les mêmes conventions qui s'appliquent, alors qu'il s'agit du même employeur. C'est un bazar sans nom !

Nous avons dit très clairement aux trois fédérations que si elles ne s'engageaient pas à faire un travail sérieux, digne du XXIe siècle, en matière de classifications et de rémunérations afin de restaurer l'attractivité des métiers de la santé, en particulier ceux du grand âge, nous boycotterions les commissions paritaires. Cette position a été fermement défendue et nous avons ainsi obtenu des trois fédérations, en septembre, qu'elles s'engagent à mener des négociations. Il a ensuite fallu que je pique une colère, il y a quelques jours, pour que les fédérations se réveillent : les trois chambres patronales considéraient qu'il était urgent d'attendre, parce que faire des classifications était compliqué... Or nous n'avons pas le temps. Sans nouvelles classifications et rémunérations dans la branche d'ici à cet été, les employeurs ne trouveront pas un nouveau salarié. Les promotions d'infirmières et d'aides‑soignantes sortent au mois de juin, et je ne crois pas que des collègues fraîchement diplômées souhaiteront travailler dans un secteur où les niveaux de rémunération sont inférieurs à tout ce qui se pratique ailleurs, y compris dans le public.

Nous savons qu'un texte visant à modifier les CVS est en cours de préparation. Nous souhaitons que tous les signalements d'événements indésirables soient transmis aux CVS et aux instances qui devraient, selon nous, reprendre les prérogatives des anciens comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHCST) au niveau de chaque EHPAD. Ceux qui connaissent le mieux le travail, ce sont celles et ceux qui le font. Or ils n'ont pas le droit de s'exprimer. Pour les collègues qui ont subi des pressions ou ont été licenciés, les problèmes ont souvent commencé par une fiche de signalement d'événement indésirable, lorsqu'ils devaient travailler de nuit tout le week‑end, par exemple, et qu'ils se rendaient compte dès le vendredi soir que le stock de protections ne suffirait même pas pour la première nuit.

Quand on fait une fiche de signalement d'événement indésirable, elle passe à la broyeuse à papier une fois sur deux, et si elle finit par atterrir où il faut, un témoin rouge s'affiche dans le logiciel de gestion des ressources humaines du groupe Orpea, pour signifier que vous êtes sur la liste de ceux qu'il faut dégommer. Beaucoup de collègues nous disent qu'ils savent qu'ils auraient dû s'exprimer, mais qu'ils ont eu peur. Quand ils m'en parlent, je leur réponds que je les comprends, que je ne peux pas les obliger à s'engager dans quelque chose de dangereux.

Le livre s'appelle Les Fossoyeurs, mais nous savons qu'un autre titre a été envisagé... Quand on est capable de mettre 15 millions d'euros sur la table pour faire taire un journaliste, vous imaginez bien tout ce qu'on peut faire au quotidien pour qu'une personne en CDD, qui n'est diplômée, qui a un temps partiel, qui est précaire, se taise. C'est ce système qu'il faut dénoncer.

Les instances du SYNERPA décident du dialogue social qui se déroule à ce niveau. Or qui était, il y a encore quelques semaines, le vice‑président du SYNERPA ? Le numéro 2 d'Orpea. Et le jour où il est parti, il a atterri chez Bastide, qui est, selon Victor Castanet, un des principaux groupes impliqués dans les rétrocommissions.

Vous avez raison de dire qu'on ne pourra pas modifier les choses par petites touches : il faut donner un grand coup de pied dans la fourmilière. Les plaintes que nous avons déposées y contribueront, et nous espérons que les rapports à venir, en particulier celui de l'Inspection générale des finances, feront le plus grand mal à ces acteurs, dont les victimes sont nombreuses. L'État en fait partie – il est même la première victime du comportement de ceux que Laurent Berger appelle les « salopards » d'Orpea.

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Pourrons‑nous suivre la réunion prévue demain matin ? Les conclusions que vous présenterez sont essentielles pour nous.

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Fabien Hallet, secrétaire fédéral de la CFDT

Fédération Santé sociaux. Nous vous communiquerons un lien pour suivre la réunion sur Zoom.

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Dominique Chave, secrétaire général de l'Union fédérale de la santé privée (CGT)

Nous avons décidé, il y a environ douze mois, de travailler avec le CICTAR pour obtenir des éléments sur les flux financiers – comme l'a souligné M. Le Noc, cela ne fait pas vraiment partie de nos prérogatives quotidiennes.

S'agissant d'Orpea, les éléments qui en résultent sont à charge, mais il ne faut pas se leurrer : si ce groupe a poussé le système à l'extrême, tout un ensemble d'acteurs ont développé quasiment les mêmes pratiques. Je pense en particulier au groupe Bridge, qui se développe avec une violence managériale extrême. Dès qu'il rachète un établissement, il supprime presque 25 % des effectifs. Nous avons énormément de remontées au sujet de ce groupe, ce qui n'est probablement sans rapport avec l'affaire Orpea – les salariés d'autres structures osent parler un peu plus.

« Cash investigation » doit également diffuser, le 1er mars, une émission consacrée aux EHPAD qui écorche d'autres acteurs, comme Korian et DomusVi. La communication de façade de Korian ne doit pas faire croire que ce groupe n'est pas concerné, comme Orpea, par des dysfonctionnements. Même si la situation n'y est pas aussi extrême, Korian n'est pas pour rien le numéro 1 en France du point de vue des implantations.

Pour ce qui est d'Arc‑en‑Ciel, je tiens à saluer Camille Lamarche, qui a travaillé en tant que juriste en alternance au siège d'Orpea, à Puteaux, pendant onze mois, durant la période où étaient organisées les élections professionnelles. Elle nous a permis d'obtenir un grand nombre d'éléments qui alimenteront notre plainte au civil, puis celle au pénal. Je remercie cette jeune femme pour son courage : il n'était pas facile de s'exprimer.

Les rapports s'accumulent, mais rien n'avance. Combien de scandales faudra‑t‑il pour qu'on finisse par se dire que les entreprises marchandes, la profitabilité, la rentabilité n'ont rien à faire dans le secteur du soin ? Dès lors que la profitabilité et la rentabilité entrent en ligne de compte, cela affecte nécessairement les conditions de travail des salariés et, in fine, les conditions de prise en charge des résidents. Il n'est plus possible de continuer avec ce modèle : on va dans le mur.

Nous avons perdu la main sur les monstres – Orpea en est un – qui ont été construits depuis des années. Orpea a 222 établissements en France et des implantations dans vingt‑trois pays. De grands groupes tels que DomusVi, Korian et Orpea se donnent la main pour s'implanter en Asie, notamment en Chine, qui est pour eux un véritable Eldorado – en effet, la prise en charge des personnes âgées y est encore à peu près similaire à la nôtre durant les années 1960, quand papi et mamie habitaient encore chez leurs enfants, et la population concernée est immense. Que ce soit en Chine ou au Brésil, ce sont toujours des grands groupes français ayant largement profité de l'argent public qui s'implantent à l'étranger.

J'ajoute à ce qu'a dit M. Le Noc que les fortunes des dirigeants des groupes de maisons de retraite se sont constituées en relativement peu d'années. La création d'Orpea, par exemple, date de 1989.

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Guillaume Gobet, membre du bureau de l'Union fédérale de la santé privée (CGT), pilote du collectif Orpea

Je suis un ancien délégué syndical de la filiale EHPAD du groupe Orpea, où j'ai travaillé pendant dix‑huit ans. Tout ce que vous avez découvert dans le livre de Victor Castanet ou un peu avant, lors des auditions auxquelles j'ai participé à l'occasion de la crise du covid, était déjà assez largement connu. Ce que nous venons peut‑être de découvrir grâce au livre concerne le système, en particulier la façon dont il a vu le jour, la promiscuité entre les grands groupes du secteur et les pouvoirs publics, la porosité avec les services publics – je pense aux responsables qui viennent des ARS ou qui y partent ensuite. Ces grands groupes ont réussi à savoir, avec un temps d'avance sur tout le monde, comment le système fonctionne et comment on peut optimiser les choses. Nous dépendons essentiellement de l'argent public, pour les salaires et les dotations. Et pourtant, les financiers ne se comportent pas comme des gens qui reçoivent de l'argent public. Ils n'agissent pas pour le bien de la société mais pour celui des actionnaires et des personnes que ces derniers rémunèrent. La dimension humaine a ainsi complètement disparu.

Le dialogue social est devenu, au fil des années, complètement hallucinant. Nos interlocuteurs nous répondaient, nous donnaient des informations uniquement quand ils en avaient envie et ils s'affranchissaient des règles légales. Nous avons dû traîner le groupe Orpea devant les tribunaux un grand nombre de fois pour obtenir des documents qui devaient nous être communiqués. Environ soixante‑dix questions posées par les élus CGT depuis 2019 n'ont toujours pas été traitées par le CSE de l'UES Orpea, au niveau de la filiale EHPAD, et le même problème se pose dans les cliniques.

Le système Orpea est allé très loin : les dirigeants du groupe ont estimé que leurs salariés représentaient un risque et qu'ils devaient être contrôlés. Or comment contrôle‑t‑on les salariés d'une société privée ? On met la main sur les instances représentatives du personnel. Ainsi, en trente ans, le groupe Orpea n'a jamais été soumis à aucun contrôle : ni ses comptes, ni les risques psychosociaux ou les troubles musculo‑squelettiques auxquels sont exposés ses personnels – alors que le secteur est, on le sait, l'un des plus accidentogènes – n'ont fait l'objet de l'audit d'un cabinet d'expertise. De fait, les instances représentatives du personnel ont été neutralisées par la création de toutes pièces du syndicat Arc‑en‑Ciel, qui forme, avec l'UNSA – ainsi, le paysage ne paraît pas trop atypique –, la majorité du CSE. Selon les résultats des dernières élections professionnelles, intervenues en 2019, la représentation syndicale au sein du groupe Orpea – groupe international, je le rappelle, qui emploie environ 30 000 salariés en France – est composée du syndicat Arc‑en‑Ciel, que personne ne connaît, de l'UNSA et de la CGT. Cela n'existe dans aucune entreprise comparable ! Le groupe a poussé la logique de son système jusqu'à contrôler ses salariés.

Cinq élus de la CGT sont actuellement sous le coup d'une sanction disciplinaire qui peut aller jusqu'au licenciement. Il est urgent d'agir ! J'ai moi‑même été licencié l'année dernière. La machine à broyer ne s'est pas arrêtée. À l'heure où nous parlons, on range les dossiers ; l'ensemble des directeurs d'exploitation du groupe ont été contactés par la direction des ressources humaines et les services financiers, qui leur ont demandé de mettre à jour l'ensemble de leurs documents. Nous en avons les preuves : il y a une semaine, à 3 heures du matin, le directeur d'un EHPAD de Nancy était dans son bureau avec un responsable régional et les ressources humaines au téléphone : les classeurs étaient sortis et les ordinateurs en train de tourner. Le nettoyage est en cours.

Depuis trop longtemps, j'entends dire : « nous allons agir », « nous allons faire des rapports »... Des rapports, il en existe treize ! Les constats sont connus : la maltraitance institutionnelle ne fait plus de doute. Et, une fois encore, vous nous dites que vous allez prendre des mesures. Je vous le demande solennellement : quand ? Les salariés, les résidents et leurs familles veulent une date.

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Mireille Stivala, secrétaire générale de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale

Tout à l'heure, on a parlé de courage politique. Aujourd'hui, les familles, les organisations syndicales représentant les salariés – qui ont toujours dénoncé la situation, quelle que soit la couleur du Gouvernement –, demandent que des mesures soient prises immédiatement. La première d'entre elles consisterait à avoir le courage politique de condamner la complaisance dont ont parfois fait preuve la puissance publique et certains élus politiques et d'associer les organisations syndicales représentatives dans le secteur de la santé et de l'action sociale aux futures discussions. Car, pour le moment, notre ministère de tutelle, le ministère des solidarités et de la santé, ne les a toujours pas réunies pour évoquer ce dossier. Dans tous les autres pays, le rôle des organisations syndicales est considéré à sa juste valeur ; nous souhaitons qu'en France, elles occupent à nouveau une place centrale dans le dialogue social. Si elles ne sont pas prises en considération, les salariés, qu'elles représentent, ne sont pas reconnus.

La situation dont nous discutons, les salariés, les résidents et leurs familles la vivent au présent. Ils veulent des réponses immédiates, puisque le Gouvernement est encore en place pour quelques semaines. Nous espérons par ailleurs que les candidats à l'élection présidentielle s'empareront de l'enjeu majeur que sont le vieillissement de la population et la prise en charge des personnes âgées. Bien entendu, tout le monde l'a dit, il faut augmenter les effectifs, donc le ratio de personnel, dans les EHPAD. Cessons de parler de dépenses à ce propos : c'est une richesse pour la collectivité que d'investir dans ce secteur et, plus généralement, dans la santé – car l'hôpital public ne se porte pas beaucoup mieux que les EHPAD. C'est le tout qu'il faut revoir en profondeur.

À propos du dialogue social, je vais citer un exemple. Lorsqu'on a discuté des revalorisations salariales dans le cadre du Ségur de la santé, l'ensemble des organisations syndicales se sont émues du fait que le Gouvernement finance ces revalorisations dans le secteur privé lucratif, car les groupes concernés ont parfaitement les moyens de les financer eux‑mêmes. Comment ces groupes ne se sentiraient‑ils pas puissants ? Des gestes sont faits en leur faveur malgré l'opposition unanime des organisations syndicales ! Cela doit cesser. Nous sommes souvent écoutés, mais nous ne sommes pas entendus.

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Je tiens à préciser que Mme Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie, a diligenté deux enquêtes, confiées respectivement à l'Inspection générale des affaires sociales et à l'Inspection générale des finances. Elle sera elle‑même entendue par notre commission à la fin de ce cycle d'auditions, et il est probable qu'elle présente des propositions à cette occasion.

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Mireille Stivala, secrétaire générale de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale

Nous avons rencontré Mme Bourguignon, qui a effectivement réagi rapidement, mais ce n'est pas le cas de notre ministre.

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Elle travaille tout de même aux côtés du ministre des solidarités et de la santé.

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Dominique Chave, secrétaire général de l'Union fédérale de la santé privée (CGT)

Pourquoi, nous a‑t‑on demandé, les faits rapportés ne sont‑ils pas dénoncés par les salariés, notamment par les délégués et mandatés syndicaux ?

En 2018, Hella Kherief, alors salariée du groupe Korian, a été virée pour avoir dénoncé le manque de matériel, en particulier de couches – elle a écrit un ouvrage à ce sujet et est intervenue récemment dans les médias. Actuellement salariée du groupe ELSAN, elle travaille à la clinique Bonnefon, à Alès, dans le Gard. Désignée, il y a quelques semaines, représentante syndicale, elle se trouve de nouveau sous le coup d'un licenciement pour avoir dénoncé des dysfonctionnements. Son cas illustre ce qui se passe dans ces groupes marchands : dès lors que l'on décide de porter la voix des salariés, on est blacklisté, intimidé, puis visé par une procédure de licenciement.

Siham Touazi, déléguée syndicale à l'EHPAD de Château de Neuville – propriété du groupe privé à but lucratif Epinomis, membre du SYNERPA – est en grève depuis cinquante jours ; elle aussi est sous le coup d'une mesure de licenciement.

Enfin, mon homologue de la CFDT a rappelé que 15 millions d'euros avaient été proposés à Victor Castanet pour qu'il renonce à publier son ouvrage. En 2010, la CGT a été infiltrée par cinq salariés, embauchés par le groupe Orpea pour étudier la manière dont fonctionne notre organisation syndicale. L'un d'entre eux a réussi à se hisser jusqu'aux instances nationales du groupe en se faisant élire sur nos listes – nous nous sommes bien fait blouser ! Lorsque la CGT a décidé de porter plainte, le groupe Orpea a également tenté de nous acheter, en nous proposant la modique somme de 4,2 millions d'euros. Lorsqu'on se sent tout‑puissant et qu'on a les moyens, on est prêt à tout acheter...

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Gilles Gadier, secrétaire fédéral de la branche santé de la Fédération Force ouvrière des personnels des services publics et des services de santé (FO‑SPSS)

Vous nous avez demandé si nous avions d'autres exemples de maltraitance. Encore faut‑il la définir : où commence la maltraitance ? En quoi consiste‑t‑elle ? À quel niveau se situe‑t‑elle ? Vous savez, c'est très simple. Divisez la somme des temps de présence de l'ensemble des effectifs par le nombre de résidents, vous obtiendrez le temps consacré à chacun d'eux ; divisez‑le par le nombre de tâches à effectuer, et vous comprendrez immédiatement où se situe le problème – cela vaut pour n'importe quel EHPAD, qu'il soit public ou privé, qu'il appartienne à Orpea ou à un autre groupe. La maltraitance est institutionnelle, et même systémique : elle est inhérente au système de fonctionnement des établissements et à l'absence de normes.

Qu'en est‑il de l'attractivité ? Depuis 2016, le taux d'incidence dans le secteur des EHPAD dépasse celui qui prévaut dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Non seulement nos professions ne sont pas attractives, mais les salariés sont cassés, rendus malades par leur travail. Qui plus est, cela a un coût pour la société, notamment sur le plan de la formation, car il faut former d'autant plus de personnes que la durée de vie au travail diminue à cause des conditions de travail. Or, dans le même temps, je le rappelle, on supprime les CHSCT, que l'on remplace, dans la fonction publique, par une formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, laquelle n'est obligatoire qu'au‑delà d'un seuil d'effectifs fixé à deux cents agents, seuil que n'atteint aucun EHPAD de France. C'est une véritable anomalie ! Comment peut‑on considérer les EHPAD comme une structure comme une autre alors que, dans ce secteur, le taux d'incidence avoisine 40 % ? C'est dramatique.

J'en viens à la question des lanceurs d'alerte. Dans les établissements d'Orpea, on pourrait afficher le numéro 3977 sur tous les murs, cela ne servirait à rien : on sait le sort qui est réservé aux éventuels lanceurs d'alerte. La loi punit le fait de ne pas dénoncer une situation de maltraitance dont on a connaissance d'une peine de trois ans de prison et d'une amende de 45 000 euros. La coercition existe donc, mais force est de constater qu'elle ne fonctionne pas. Si je voulais être provocateur, je poserais la question : faut‑il condamner l'ensemble des salariés d'Orpea pour ne pas avoir dénoncé ce système ? Bien évidemment non : les salariés sont des victimes.

Quant aux « faisant fonction », ils coûtent moins cher. Non seulement ils assument des tâches qui ne sont pas les leurs, mais on a créé une validation des acquis de l'expérience professionnelle pour leur permettre d'obtenir un diplôme qu'ils n'ont pas, précisément parce qu'ils n'ont pas suivi la formation adéquate ! Cela démontre bien que personne n'ignore la manière dont le système est organisé.

S'agissant du secteur privé, ce qui se produit est suffisamment grave pour justifier la remise en cause des agréments. Je ne dis pas qu'il faut fermer les structures – nous en avons besoin –, mais il faut lier l'agrément au respect de nouvelles exigences et de nouvelles normes.

Enfin, on parle du statut d'entreprise à mission et de la place qui serait faite aux salariés. Si je voulais être encore une fois provocateur, je demanderais si ces salariés appartiennent à l'organisation syndicale Arc‑en‑Ciel... Tant que l'on ne mettra pas un coup de pied dans la fourmilière, nous n'avons aucune raison de penser que les choses changeront : on connaît le mode de financement et les exigences de rentabilité du système marchand.

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Johann Laurency, secrétaire fédéral de la branche public de la FO‑SPSS

De très nombreux « faisant fonction » sont employés dans la fonction publique territoriale : ils sont engagés en tant qu'agents sociaux mais ne sont pas rémunérés au même niveau que les aides‑soignants et aides‑soignantes, surtout depuis que ces derniers sont classés en catégorie B. Par ailleurs, des personnels sont recrutés sur des temps non complets – ce que l'on appelle le temps partiel subi dans le secteur privé. Ces collègues, qui gagnent 600 ou 700 euros par mois et ont des conditions de travail difficiles, ont tout intérêt à chercher un emploi ailleurs.

J'insiste également sur la suppression des CHSCT. Comme l'a dit Gilles Gadier, en deçà du seuil de deux cents agents, la formation spécialisée en matière de santé et de sécurité au travail n'est pas obligatoire.

Je conclurai par une question : si les nouveau‑nés étaient traités comme nos anciens, ne croyez‑vous pas que l'on aurait réagi depuis longtemps ?

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Catherine Rochard, secrétaire générale adjointe de l'Union nationale des syndicats Force ouvrière de la santé privée

Je souhaite apporter quelques précisions sur la situation des salariés et la représentation des personnels au sein du groupe Orpea.

Le problème réside dans le choix politique qui a été fait il y a plus de vingt ans, lorsque les pouvoirs publics ont décidé de confier la prise en charge de la dépendance au secteur libéral et commercial. Nous n'avons pas affaire à des philanthropes, mais à des financiers dont l'objectif est de réaliser des bénéfices et de satisfaire leurs actionnaires. Si l'on ne met pas un coup d'arrêt à leur intervention dans ce secteur, on n'en sortira jamais ! J'ajoute que la simplification du code du travail leur permet de réduire encore leurs coûts, donc d'augmenter leurs bénéfices, en leur permettant de recourir beaucoup plus facilement à des contrats précaires. Or, dans les EHPAD du secteur privé commercial, les contrats de ce type sont si nombreux que l'on peut s'interroger sur les conséquences d'une telle pratique sur la prise en charge des personnes âgées.

Autre point important : tant que la représentation syndicale sera verrouillée par l'employeur, il est vain de croire que le statut d'entreprise à mission et la présence de salariés dans les comités changeront quoi que ce soit. On l'a bien vu avec le comité d'entreprise européen d'Orpea : comme le syndicat Arc‑en‑Ciel n'en détient pas le secrétariat, il ne fonctionne pas. Dès lors que même les inspecteurs du travail ne peuvent pas remplir leur mission, comment voulez‑vous que les représentants du personnel soient protégés ?

Il y a plus de vingt ans, chaque établissement du groupe Orpea de plus de cinquante salariés comprenait un comité d'entreprise. Puis les dirigeants ont voulu créer des comités d'entreprise régionaux. Nous nous sommes prononcés contre ce projet – c'est la première bataille que nous avons menée –, mais ils se sont assis sur les décisions de justice et nous ont évincés les uns après les autres pour parvenir à leurs fins. Ils ont commencé par créer quatre comités d'entreprise régionaux pour n'en garder finalement qu'un seul. Alors, la boucle était bouclée : ils avaient supprimé toute représentation du personnel dans les établissements et pouvaient ainsi poursuivre leur management par la terreur. Or la question de la représentation du personnel est cruciale si l'on veut que les personnes âgées soient correctement prises en charge, que le travail des personnels soit reconnu et rémunéré à sa juste valeur.

L'amélioration de l'attractivité des métiers passera par une négociation collective avec le SYNERPA au sein de la FHP. Mais une telle négociation est compromise par le simple fait que la réalisation de bénéfices s'accommode mal du dialogue social et de l'amélioration des conditions de travail ainsi que des classifications dans la convention collective. Beaucoup de progrès restent donc à faire au sein de cette fédération en matière de dialogue social et de négociation collective.

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Yann Le Baron, secrétaire national de la Fédération UNSA Santé et sociaux public et privé

En tant que représentant de l'UNSA Santé et sociaux public et privé, je souscris aux propos de mes collègues.

Je précise, pour que ce soit clair pour tous – la structuration de l'UNSA ne facilite pas la compréhension –, que c'est l'UNSA Syndicat autonome métiers de la santé (SAMS), absent ce jour, qui siège au CSE d'Orpea ; notre fédération n'y est pas présente, hélas.

Le respect du taux d'encadrement n'aurait pas permis d'éviter le problème – il l'aurait limité –, en particulier au sein du groupe Orpea, où le management a un aspect systémique – mais c'est valable dans d'autres grands groupes privés à but lucratif. En revanche, dans d'autres établissements, il le pourrait. Il convient de ne pas l'oublier.

Qu'en est‑il des conseils d'établissement ? Plus on relocalise, plus on remet l'humain au centre des préoccupations et plus on est proche du terrain, plus c'est simple. La volonté des dirigeants d'Orpea d'éloigner systématiquement la représentation du personnel a favorisé la mise en place de son management, notamment en permettant de shunter les contrôles. En effet, comment ceux‑ci seraient‑ils possibles dès lors que l'inspecteur du travail du siège est seul compétent pour l'ensemble des sites et que les inspecteurs du travail sont de moins en moins nombreux ? L'une des solutions – elle n'est pas parfaite – consiste donc à inverser le processus et à relocaliser au plus près du terrain la représentation du personnel, de manière à la faire vivre dans un dialogue raisonné et raisonnable. Il convient également d'accroître la présence des formations spécialisées en matière de sécurité et de santé au travail, qui sont en mesure d'agir si on leur en donne les moyens.

Quant au 3977, il faut d'abord un affichage dans les établissements. Ce numéro a été si peu médiatisé que les acteurs du secteur eux‑mêmes ne le connaissent pas toujours. Son affichage est d'ailleurs sans doute l'un des indices de la qualité d'un établissement, de même que la publication des comptes rendus des réunions des différentes instances et l'existence d'un véritable dialogue social. Encore faut‑il que les salariés et leurs représentants puissent y avoir recours sans prendre le risque de subir les foudres de leur direction.

Les CVS existent depuis 2004. Fort bien, mais on y discute essentiellement des menus... Ces instances sont mal utilisées, mal dotées sur le plan réglementaire, n'ont aucun moyen véritable et la représentation du personnel y est limitée. Sans doute faut‑il donc revoir l'architecture de ces conseils, de manière qu'ils soient audibles et puissent agir, y compris à l'échelon local.

Que veulent les citoyens ? Pour ma part, je sais plus ou moins ce que veulent les salariés, mais j'ignore ce que veulent les citoyens : c'est à vous de répondre à cette question. Je sais, en revanche, que, depuis trente ou quarante ans, on ne veut plus voir la mort et la maladie. On ignore ce qui se passe dans les EHPAD parce qu'on ne veut pas le savoir. Grâce au courage de Victor Castanet et de ceux de nos collègues qui travaillent au sein du groupe Orpea, le scandale a éclaté, mais les exemples sont nombreux : il suffit de fouiller un peu pour les découvrir. Par exemple, lorsqu'il n'y a que soixante‑dix biscottes pour quatre‑vingts résidents, vous êtes contraint de les couper. Si vous n'avez pas le temps de faire la toilette des résidents, vous en êtes réduit à faire de fausses toilettes en vous contentant de leur laver le visage et les mains. C'est une véritable maltraitance, mais elle est institutionnelle, liée au manque de moyens. Les personnels n'y sont pour rien. Ils sont plongés dans ce qui ressemble à l'expérience de Milgram, écrasés par le système.

Les grands groupes financiers ont des moyens colossaux, inimaginables – on le mesure lorsqu'on apprend, par exemple, que 4 millions d'euros ont été proposés à nos collègues de la CGT. Cela soulève la question du financement du système de santé privé à but lucratif. Imaginez que, demain, la sécurité sociale rembourse une salle de bains par an aux Français : les plombiers deviendraient une force financière colossale ! On peut faire du privé lucratif – c'est honorable, il faut des entrepreneurs –, mais pas avec de l'argent public. Réinvestissons plutôt celui‑ci dans le secteur public, ou alors donnons‑nous les moyens de soumettre ces grands groupes financiers au contrôle d'acteurs institutionnels indépendants. Pour l'instant, le système est totalement permissif, au point qu'il a permis à une véritable hydre de se développer grâce à l'argent public. Et, aujourd'hui, Korian ne jure que par l'entreprise à mission et plaide pour un ratio opposable ? Ne soyons pas dupes ! Ces demandes ont pour seul but de masquer l'impéritie de ces acteurs en matière de prise en charge. Lorsque la poussière sera retombée, on renouera avec les bonnes vieilles méthodes : on licenciera les personnels qu'on aura recrutés, et ce sera reparti pour un tour.

Il faut prendre le problème à sa source et se demander ce qu'il convient de faire pour changer le système de financement, pour le contrôler et pour faire en sorte que les moyens soient véritablement à la hauteur des besoins. Tous les contrôles qui étaient possibles ne le sont plus. Il faut donc faire machine arrière, pour les restaurer et réhabiliter l'exercice démocratique, syndical ou politique, au cœur d'un système qui nous en a privés.

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Anissa Amini, secrétaire fédérale référente grand âge de la Fédération SUD

Puisque nous savons ce qu'il en est du dialogue social au sein du groupe Orpea – à présent, c'est à la justice de faire son travail –, je souhaiterais évoquer la situation de Korian, dont vous avez auditionné la directrice générale, Mme Sophie Boissard. Au sein de ce groupe, les problèmes ne se posent peut‑être pas à la même échelle, mais Korian suivait un chemin qui, si l'affaire Orpea n'avait pas éclaté, aurait pu le conduire à la même situation. Dans certains établissements du groupe, le dialogue social est complètement rompu. Les organisations syndicales qui dérangent – SUD‑Santé sociaux et d'autres, représentées ici – sont marginalisées.

En ce qui concerne les contrats, nous demandons le recrutement en CDI de salariés formés – j'insiste sur ce terme – car, on l'a dit, la personne âgée est fragile ; elle a besoin d'une prise en charge spécifique. Pour l'instant, ce n'est pas le cas ; les directions nous disent qu'elles n'arrivent pas à recruter. Nos métiers, c'est vrai, ne sont plus attractifs, mais comment voulez‑vous que la personne qui postule dans un EHPAD ne renonce pas lorsqu'on lui communique la liste des tâches qu'elle devra accomplir en une journée ? Elle sera seule – ou, au mieux, accompagnée d'un collègue – pour s'occuper de vingt‑cinq résidents et notamment préparer le petit-déjeuner, les médicaments... À ce propos, vous nous avez interrogés sur les « faisant fonction ». Un agent hospitalier ou un auxiliaire de vie remplit le rôle d'une aide‑soignante diplômée pendant que celle‑ci se voit confier les tâches d'une infirmière. Ces « faisant fonction » se mettent en danger en faisant autre chose que ce pour quoi ils ont été formés et diplômés. Cela devrait au moins être encadré par la loi, mais la loi est bien souvent faite pour protéger les mauvaises personnes – c'est en tout cas ce que l'on ressent sur le terrain.

Toujours est‑il que la personne qui postule dans un établissement renonce quand on lui présente sa fiche de poste parce que ce n'est pas pour cela qu'elle a passé son diplôme. Elle a été formée pour prendre en charge une personne âgée, en prenant le temps de s'occuper d'elle, de la doucher, de lui faire son brushing, de papoter avec elle...

Ce ne sont pas les salariés qui doivent être contrôlés, mais les établissements privés à but lucratif. Vous rendez‑vous compte que les directions sont informées avant chaque contrôle ? Ceux‑ci devraient être inopinés. Si l'on n'a rien à cacher, cela ne devrait pas poser de problème. Et qu'on ne nous dise pas qu'il faut du temps pour préparer les dossiers : ce qui doit être contrôlé, c'est la manière dont les résidents sont pris en charge, les questions administratives passent après. Une salariée de Korian m'a raconté que, pendant son service, la directrice, informée d'un contrôle de l'ARS, lui avait demandé de ranger rapidement les lève‑malades, les verticalisateurs, pour qu'ils ne traînent pas dans le couloir. Elle lui a répondu : « Excusez‑nous, mais on travaille et, lorsqu'on travaille, oui, il y a des verticalisateurs et des chariots de nursing dans les couloirs ! » Avant chaque contrôle, les directions se rendent dans les services et répercutent sur les salariés la « pression », la peur qu'elles ressentent – on se demande pourquoi, d'ailleurs. Bizarrement, c'est assez drôle, le jour de la visite de l'ARS, la direction, les cadres de santé commencent à 6 heures du matin, à la même heure que les autres salariés.

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Audrey Padelli, secrétaire adjointe de section de la Fédération SUD

Quand j'entends dire qu'il ne s'agit pas seulement d'un problème de financement, je suis choquée. C'est ce que l'on nous rétorque toujours : « On n'a pas l'argent. » Lorsque j'étais agent des services hospitaliers – je faisais le ménage – et déléguée du personnel dans le privé associatif, c'est déjà ce qu'on me répondait quand je défendais mes collègues, dont les conditions de travail étaient très difficiles : « On n'a pas les budgets ! » Alors, à 33 ans, j'ai décidé de retourner à l'école, et je suis revenue dans le milieu hospitalier avec un diplôme de comptable sanitaire et social. Aujourd'hui, on ne peut plus me dire qu'on n'a pas les budgets : quand on voit où ils passent, à quels corps de métiers ils vont, il y a de quoi être révolté !

Lorsqu'il y a un contrôle, les plannings sont modifiés à la dernière minute, et on retrouve sur les lignes de planning des personnes retraitées ou en arrêt maladie, tout simplement pour faire croire qu'on a le personnel. Ce serait peut‑être difficile pour les membres du Gouvernement, mais je vous propose de tenter une immersion dans un EHPAD : vous constaterez les manquements par vous‑mêmes.

Enfin, juste un mot sur les CVS. Il faudrait qu'y siège une personne indépendante des familles et de l'établissement, dotée d'un réel statut et formée à cette tâche ; elle pourrait saisir les autorités lorsque c'est nécessaire, parce que les familles et les salariés ont peur de parler. Cela permettrait de délier les langues.

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Loïc Le Noc, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)‑Fédération santé sociaux

J'ai oublié de vous parler d'une spécificité de notre secteur : les bulletins de paie négatifs. Lorsqu'on est en arrêt de travail, on est indemnisé par la sécurité sociale et la prévoyance. Or tous les groupes ont externalisé la prévoyance, de sorte qu'entre l'arrêt maladie et le moment où l'on perçoit les indemnités journalières de prévoyance, il se passe des semaines, voire des mois. Je viens de recevoir un courriel d'une collègue salariée du groupe Ramsay, dont l'assureur, AGEO Assurances, refuse de lui verser ses indemnités journalières au motif qu'elle n'a pas transmis l'ensemble de ses résultats d'analyses biologiques et d'examen d'imagerie médicale attestant la nécessité de son arrêt de travail. Bien entendu, il n'a pas le droit ! Mais croyez‑vous qu'Orpea avait le droit de faire tout ce qu'il a fait ? C'est très révélateur du système.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En ce qui concerne les conditions de travail et la gestion du personnel, ma conviction est que le dialogue social est la véritable garantie du bien‑être et du confort des résidents ainsi que de la qualité du service. À partir du moment où le dialogue social a été dévoyé au sein du groupe Orpea, l'objet même des EHPAD a été remis en cause.

Vous avez eu des mots très forts : « discrimination », « chasse aux sorcières », « représailles », élections professionnelles « orientées », voire « truquées »... La représentation nationale vous demande de lui fournir des éléments formels qui étayent ces affirmations pour qu'elle puisse faire en sorte que cela change. Il est temps de maltraiter Orpea comme Orpea a maltraité le dialogue social car, dans ces conditions, c'est en définitive l'humain et la qualité de votre travail qui sont remis en cause.

Je vous demande donc d'adresser des éléments à notre commission. Nous avons besoin de ce diagnostic pour proposer des mesures fortes de nature à rétablir l'équilibre social et la démocratie au sein du groupe Orpea.

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Guillaume Gobet, membre du bureau de l'Union fédérale de la santé privée (CGT), pilote du collectif Orpea

Le dossier est prêt : nous disposons de tous les éléments, notamment des courriers qui ont été envoyés aux différentes tutelles, en particulier à l'inspection du travail et aux départements. Depuis dix ans que je suis délégué syndical, je monte des dossiers. Nous avons donc des éléments concernant certains établissements, sur la situation desquels nous avons lancé l'alerte. Ils nous seront utiles pour étayer nos dépôts de plainte au sujet des élections professionnelles – nous attendons la date de l'audience du référé.

S'agissant des discriminations syndicales, des affaires sont en cours : certains représentants ont déjà saisi le tribunal. Nous allons également monter un dossier collectif. Je rappelle que la CGT avait au moins cinquante‑six délégués du personnel dans le cadre de l'ancienne organisation ; nous n'en avons plus un seul : ils ont disparu ! Nous avons très peu de visibilité car, dans ce groupe, l'omerta règne partout et il est difficile de suivre les salariés. Lorsque j'habitais Clermont‑Ferrand et qu'un salarié était licencié à Nice, je m'y rendais par mes propres moyens, sans aucun soutien. Mais nous sommes très pugnaces, à la CGT.

Permalien
Dominique Chave, secrétaire général de l'Union fédérale de la santé privée (CGT)

Les éléments factuels concernant la fraude aux élections professionnelles, nous les avons, grâce à une personne qui travaillait à l'intérieur. Ils sont, pour l'instant, entre les mains de nos avocats – nous ne les avons même pas transmis à la CFDT et à FO, attendant que le mystère, qui n'en est plus un, soit éclairci. Un référé est en cours, dont nous devrions connaître la date de l'audience dans les jours à venir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie beaucoup pour vos éclairages et pour vos propositions qui, pour certaines d'entre elles, seront certainement reprises.

La séance est levée à onze heures quarante.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 9 heures

Présents. – M. Thibault Bazin, M. Belkhir Belhaddad, M. Julien Borowczyk, Mme Marine Brenier, M. Philippe Chalumeau, Mme Annie Chapelier, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Josiane Corneloup, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Catherine Fabre, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Véronique Hammerer, Mme Myriane Houplain, Mme Monique Iborra, Mme Fadila Khattabi, Mme Monique Limon, M. Sylvain Maillard, M. Didier Martin, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, Mme Claire Pitollat, Mme Valérie Six, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry

Excusés. – Mme Stéphanie Atger, Mme Justine Benin, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Marie‑Pierre Rixain, Mme Nicole Sanquer, M. Nicolas Turquois, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Assistait également à la réunion. – Mme Christine Pires Beaune