Intervention de Loïc Le Noc

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 9h05
Commission des affaires sociales

Loïc Le Noc, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)‑Fédération santé sociaux :

La place du secteur lucratif est effectivement liée au fait, d'une part, que la société avait des besoins énormes pour la prise en charge des personnes en situation de perte d'autonomie et que, d'autre part, les lenteurs administratives et les contraintes budgétaires ne permettaient aux structures publiques de déployer une offre à la hauteur de ces besoins. Certains acteurs se sont dits « Y'a bon, Mamie Nova » et se sont jetés là‑dessus comme des morts de faim. Ils envisagent aujourd'hui de se transformer en entreprises à mission, mais il ne faut pas se raconter d'histoires : pour nous, ils veulent se refaire une virginité, et ce n'est pas cela qui révolutionnera la situation. Tous les fondateurs des groupes d'EHPAD à but lucratif figurent dans le classement des grandes fortunes françaises. Leur niveau de revenu dépasse l'entendement.

Nous avons effectivement travaillé avec un organisme international, le CICTAR, qui est spécialisé dans la traque de l'optimisation fiscale – ce n'est pas notre spécialité, en tant que syndicalistes. Un rapport sera communiqué demain matin, lors de la conférence de presse que nous organisons avec la CGT. Je vous propose d'échanger par courriel à ce sujet, madame Dubié.

Un scandale aurait‑il pu être évité grâce à des ratios ? Il y aurait eu un scandale de moins à l'intérieur du mégascandale : la prise en charge des personnes aurait été davantage à la hauteur, avec un nombre plus important de salariés, mais cela n'aurait rien changé à l'industrialisation du système.

S'agissant des dépôts de plainte, nos instances ont pris position, lundi après‑midi, lors d'un conseil fédéral extraordinaire, qui est un peu le parlement de notre fédération. Deux résolutions visant à porter plainte ont été transmises à nos avocats.

Nos élus, quand nous en avions un certain nombre, et ceux de la CGT, n'ont eu de cesse d'alerter l'inspection du travail. Comme le siège d'Orpea se trouve à Puteaux, c'est l'inspecteur du travail de Puteaux qui est compétent pour les 220 établissements du groupe en France.

Cela a été dit, il n'existe qu'un seul CSE, au niveau central. Nous avons proposé hier, dans le cadre de la mission « flash » sur les conditions de travail et la gestion des ressources humaines en EHPAD, de modifier les ordonnances de 2017 pour rendre obligatoire une instance représentative du personnel au sein de chaque EHPAD. En effet, c'est sur le terrain qu'on peut apprécier et faire évoluer les conditions de travail.

J'en viens au dialogue social dans la branche. Ma première réaction, quand j'ai commencé à m'en occuper, a été de me demander s'il fallait en rire ou en pleurer. La convention collective n'a toujours pas été mise en conformité avec les ordonnances de 2017. Après avoir fait un état des lieux, au printemps, nous avons considéré que la plaisanterie avait assez duré. Il existe plusieurs fédérations d'employeurs au sein de la branche : la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), pour les cliniques, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA), pour les EHPAD – avec des incongruités : des associations sont membres du SYNERPA, alors qu'il est censé être la chambre des employeurs du lucratif –, et il y a aussi les établissements thermaux. Au sein de cette branche, trois conventions collectives et trois systèmes de classification existent ! Dans certaines entreprises, on ne peut pas changer d'établissement puisque ce ne sont pas les mêmes conventions qui s'appliquent, alors qu'il s'agit du même employeur. C'est un bazar sans nom !

Nous avons dit très clairement aux trois fédérations que si elles ne s'engageaient pas à faire un travail sérieux, digne du XXIe siècle, en matière de classifications et de rémunérations afin de restaurer l'attractivité des métiers de la santé, en particulier ceux du grand âge, nous boycotterions les commissions paritaires. Cette position a été fermement défendue et nous avons ainsi obtenu des trois fédérations, en septembre, qu'elles s'engagent à mener des négociations. Il a ensuite fallu que je pique une colère, il y a quelques jours, pour que les fédérations se réveillent : les trois chambres patronales considéraient qu'il était urgent d'attendre, parce que faire des classifications était compliqué... Or nous n'avons pas le temps. Sans nouvelles classifications et rémunérations dans la branche d'ici à cet été, les employeurs ne trouveront pas un nouveau salarié. Les promotions d'infirmières et d'aides‑soignantes sortent au mois de juin, et je ne crois pas que des collègues fraîchement diplômées souhaiteront travailler dans un secteur où les niveaux de rémunération sont inférieurs à tout ce qui se pratique ailleurs, y compris dans le public.

Nous savons qu'un texte visant à modifier les CVS est en cours de préparation. Nous souhaitons que tous les signalements d'événements indésirables soient transmis aux CVS et aux instances qui devraient, selon nous, reprendre les prérogatives des anciens comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHCST) au niveau de chaque EHPAD. Ceux qui connaissent le mieux le travail, ce sont celles et ceux qui le font. Or ils n'ont pas le droit de s'exprimer. Pour les collègues qui ont subi des pressions ou ont été licenciés, les problèmes ont souvent commencé par une fiche de signalement d'événement indésirable, lorsqu'ils devaient travailler de nuit tout le week‑end, par exemple, et qu'ils se rendaient compte dès le vendredi soir que le stock de protections ne suffirait même pas pour la première nuit.

Quand on fait une fiche de signalement d'événement indésirable, elle passe à la broyeuse à papier une fois sur deux, et si elle finit par atterrir où il faut, un témoin rouge s'affiche dans le logiciel de gestion des ressources humaines du groupe Orpea, pour signifier que vous êtes sur la liste de ceux qu'il faut dégommer. Beaucoup de collègues nous disent qu'ils savent qu'ils auraient dû s'exprimer, mais qu'ils ont eu peur. Quand ils m'en parlent, je leur réponds que je les comprends, que je ne peux pas les obliger à s'engager dans quelque chose de dangereux.

Le livre s'appelle Les Fossoyeurs, mais nous savons qu'un autre titre a été envisagé... Quand on est capable de mettre 15 millions d'euros sur la table pour faire taire un journaliste, vous imaginez bien tout ce qu'on peut faire au quotidien pour qu'une personne en CDD, qui n'est diplômée, qui a un temps partiel, qui est précaire, se taise. C'est ce système qu'il faut dénoncer.

Les instances du SYNERPA décident du dialogue social qui se déroule à ce niveau. Or qui était, il y a encore quelques semaines, le vice‑président du SYNERPA ? Le numéro 2 d'Orpea. Et le jour où il est parti, il a atterri chez Bastide, qui est, selon Victor Castanet, un des principaux groupes impliqués dans les rétrocommissions.

Vous avez raison de dire qu'on ne pourra pas modifier les choses par petites touches : il faut donner un grand coup de pied dans la fourmilière. Les plaintes que nous avons déposées y contribueront, et nous espérons que les rapports à venir, en particulier celui de l'Inspection générale des finances, feront le plus grand mal à ces acteurs, dont les victimes sont nombreuses. L'État en fait partie – il est même la première victime du comportement de ceux que Laurent Berger appelle les « salopards » d'Orpea.

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