‑ Claude Marian, président d'honneur du groupe Orpea. Madame la présidente, permettez‑moi tout d'abord d'apporter une petite correction à la présentation que vous avez faite : c'est en mars 2013 que j'ai quitté la direction générale d'Orpea, c'est‑à‑dire toutes mes fonctions opérationnelles, et c'est en 2017, à 78 ans, que j'ai quitté la présidence du groupe.
Mesdames, messieurs les députés, avant toute chose, je veux vous dire que je partage pleinement l'émotion collective suscitée dans notre pays par le livre de Victor Castanet. Mon premier message, je veux l'adresser, au travers de la représentation nationale, à l'ensemble des résidents et des familles qui ont pu, à un moment ou à un autre, être victimes d'erreurs ou de dysfonctionnements. Le livre de Victor Castanet donne la parole à des personnes qui, pour des raisons diverses, témoignent de leur souffrance et de leur colère. À ces résidents, à ces familles de résidents et aux salariés, je veux exprimer mes plus profonds regrets. J'ai 82 ans. J'ai passé ma vie entière à tenter de faire mon métier le mieux possible. À la lecture de ce livre, j'ai été profondément touché, démuni même, car je suis désormais dans l'impossibilité d'agir.
Je ne suis pas venu vous dire qu'Orpea a toujours eu raison et que M. Victor Castanet a systématiquement tort, mais je ne vous dirai pas l'inverse non plus. L'ouvrage a le mérite d'avoir mis la question des EHPAD en général, et des EHPAD privés en particulier, au cœur du débat public. Dans quelques semaines, la mission que le Gouvernement a confiée à l'Inspection générale des affaires sociales et à l'Inspection générale des finances apportera, à son tour, sa part de vérité. J'ai l'espoir que le tableau qui en résultera sera moins sombre que celui qu'en a fait M. Castanet. Vous conviendrez que son livre est à charge ; sur ce point, au moins, il a atteint son objectif.
Je veux aussi redire avec force devant vous qu'il n'existe pas de « système Orpea ». Il y a un système des EHPAD en général, qui est à perfectionner. Nous avons le choix entre deux méthodes : celle où l'invective et la colère tiennent lieu de raisonnement ; celle qui consiste à chercher ensemble une vérité qui, dans ce domaine, est particulièrement complexe.
Permettez‑moi de revenir sur mon parcours, celui d'un homme qui a passé une grande partie de sa vie à accompagner des situations humaines difficiles. Après un cursus médical de base, que j'ai terminé à l'âge de 22 ans, j'ai entamé une spécialisation en psychiatrie. J'ai alors pu mesurer ce que représentait la prise en charge de pathologies mentales lourdes dans des établissements spécialisés. J'étais donc très jeune quand la question de la dépendance est devenue le cœur de mes préoccupations professionnelles. J'ai nourri ma réflexion avec les pratiques de pays précurseurs en matière de traitement psychiatrique et de dépendance : je suis allé aux États‑Unis et en Europe du Nord, notamment en Suède, pour compléter ma formation et m'enquérir de ce qui pouvait être transposé en France. C'était dans les années 1970. J'ai alors abandonné la pratique médicale pour me consacrer à l'ingénierie hospitalière. J'ai créé un bureau d'études, qui avait pour mission de repenser et de moderniser les établissements de soins : je peux vous assurer qu'ils ne ressemblaient pas à ceux d'aujourd'hui. Je pense avoir œuvré à l'amélioration du cadre de vie des patients, et je crois avoir été fidèle toute ma vie à cette philosophie de la médecine.
À l'âge de 49 ans, j'étais doté d'une solide expérience, et non « parti de rien », comme s'aventure à me dépeindre M. Castanet. En 1988, le sénateur‑maire de Saujon, en Charente‑Maritime, nous a sollicités, mon associé de l'époque Pierre Maillard et moi‑même, pour le tirer d'une difficulté : la société des HLM de La Rochelle allait lui livrer une maison de retraite qui devait ouvrir ses portes et être opérationnelle dans un délai de trois mois. Il nous a demandé d'en assurer l'ouverture, puis la gestion. L'ouverture de cette maison de retraite s'est passée dans d'excellentes conditions et, quelques mois plus tard, c'est le sénateur‑maire de Saint‑Clair‑sur‑Epte, dans le Val‑d'Oise, qui nous a sollicités à son tour. C'est ainsi, et pas autrement, qu'est né Orpea. Mon engagement a commencé de cette manière et non, comme M. Castanet le prétend, parce que j'aurais très tôt senti que ce secteur était rentable.
Si j'insiste sur la philosophie qui a toujours dirigé mes projets, c'est parce qu'elle est aux antipodes de celle qui m'est prêtée dans l'ouvrage. De tout temps, nos directeurs d'EHPAD m'ont entendu leur dire la même chose : « Je veux que vous gériez un EHPAD comme si vous deviez y accueillir votre mère ou votre père. » Vous comprendrez, dès lors, l'émotion qu'a pu susciter en moi la description d'un système cupide, cynique, tout entier tourné vers le profit. La description que M. Castanet fait du groupe et de ma personne, je la réfute. À le lire, j'aurais été le concepteur d'un monstre inhumain et froid, destiné à l'horrible fonction de « parcage des vieux ». Cette expression que l'auteur met dans ma bouche me fait autant horreur qu'à vous et heurte profondément toutes les valeurs qui sont les miennes.
Sous ma direction, notre mission consistait chaque jour à « gérer l'imperfection », comme j'avais coutume de le dire. Quel que soit le type d'établissement, nous devions chaque jour faire face à des êtres humains qui prenaient en charge d'autres êtres humains. Ces défaillances, ces imperfections, j'ai tenté, pendant trente ans, d'en limiter le nombre et l'impact. La Défenseure des droits, Mme Claire Hédon, a d'ailleurs estimé que le nombre de plaintes qu'elle recevait était proportionnel au nombre de lits dans les EHPAD publics ou privés.
Permettez‑moi de vous dire ma part de vérité. Dans les années 1990 et 2000, toutes les politiques publiques avaient pour but de « dépenser mieux » : dans le champ sanitaire, ce fut le fameux programme de médicalisation des systèmes d'information ; dans le champ des EHPAD, ce furent les conventions tripartites et la gestion, toujours serrée, des forfaits dépendance et soins. En 2009, le législateur a même créé l'Agence nationale d'appui à la performance. Cette rationalisation des coûts a‑t‑elle progressivement conduit à une forme d'optimisation qui a pu, ici ou là, mettre en question la qualité des prestations ? Franchement, je ne le crois pas, mais de nombreux exemples mentionnés dans le livre peuvent conduire à se poser la question, et je me la pose.
Je vous l'ai dit, il n'y a pas de « système Orpea ». Je ne crois pas non plus qu'il y ait quelque forme de rationnement. La question des repas et des couches ne me paraît pas traitée dans le livre de façon tout à fait honnête. Je n'ai aucune envie de me défausser, mais je veux aussi préciser que, dans la mesure où je n'ai plus de responsabilités opérationnelles au sein du groupe depuis 2013, il me sera peut‑être difficile de répondre à des questions qui porteraient sur les années récentes ou sur des indicateurs dont je n'ai pas la maîtrise.
Je veux aussi répondre aux attaques dont j'ai été nommément l'objet dans ce livre. Pour l'heure, ne pouvant m'exprimer sous serment, je peux et je veux jurer sur l'honneur que jamais de ma vie l'expression « parcage de vieux » n'est sortie de ma bouche. Elle est une insulte à toutes mes convictions. Je signale d'ailleurs que le directeur qui rapporte ces propos imaginaires dirigeait à Angers une clinique médicale, et non une maison de retraite. Jamais de ma vie je n'ai proposé, ni même envisagé une seule seconde de le faire, de l'argent à M. Victor Castanet pour qu'il cesse ses recherches. Je n'ai jamais mandaté quiconque dans cette perspective. Le chapitre qui raconte cette aventure est totalement hallucinant. Voilà donc un intermédiaire que je suis censé connaître, qui propose 15 millions à M. Castanet, mais qui nie absolument que j'en sois l'initiateur. Et pourtant, M. Castanet conclut qu'il aura toujours un doute sur mon implication, se rendant coupable, à mes yeux, d'une diffamation par insinuation.
Jamais de ma vie je n'ai eu recours ou même besoin d'avoir recours à des autorisations de complaisance pour diriger un groupe consacré à l'hébergement de personnes âgées fragiles. Le livre de M. Castanet explique à plusieurs reprises, de manière erronée, que nous aurions bénéficié de la bienveillance d'un ministre pour obtenir des autorisations. Je rappelle d'abord que, de 1988 à 2001, une maison de retraite n'était autorisée que par le président du conseil général, après avis des services concernés, dont la direction départementale des affaires sanitaires et sociales. Ce n'est qu'à partir de 2001, avec les fameuses conventions tripartites, que l'autorisation d'un EHPAD a nécessité l'accord du département et de l'État, avec les agences régionales de santé (ARS). S'agissant des cliniques, les autorisations étaient délivrées par les agences régionales de santé ; seuls les contentieux pouvaient remonter au ministère. Orpea, pour votre information, n'a jamais obtenu d'autorisation pour des cliniques dans l'Aisne.
Enfin, jamais de ma vie je n'ai partagé de repas en tête‑à‑tête avec Xavier Bertrand, encore moins à La Closerie des Lilas. Tout ce chapitre repose sur le témoignage d'un ancien salarié, que je réfute totalement. Xavier Bertrand n'a jamais été un proche. Je l'ai côtoyé dans le cadre de réunions avec des organismes professionnels dont je faisais partie, et quelquefois dans l'Aisne, puisque nous avions une résidence à Saint‑Quentin, ville dont il était devenu le maire. Les maisons de retraite que nous avons reprises dans ce département, dont celle de Saint‑Quentin, l'ont été entre 1990 et 1993. Or, en 1993, M. Bertrand avait 28 ans et était conseiller municipal d'opposition dans sa ville. Le développement du groupe s'est effectué dans la transparence, et sous le regard permanent et vigilant des autorités publiques.
Le groupe Orpea a été introduit en bourse en mars 2002. Notre volonté de poursuivre l'implantation internationale du groupe nécessitait des moyens financiers importants, qui se sont révélés bien plus simples à obtenir à compter de cette introduction.
La vente de mes actions au début de l'année 2020 n'a absolument aucun rapport avec l'apparition en Chine, à la même époque, du virus qui a fait tant de victimes depuis. À en croire le livre, j'aurais décidé en urgence, en janvier 2020, voyant le virus arriver, de vendre les 4 % d'actions qui me restaient. Je m'inscris en faux contre cette accusation absurde. J'ai donné mandat à la Banque Lazard en mai 2019 pour vendre ces actions et cette vente n'a été effective qu'en janvier 2020, par une cession directe en bourse.
Mesdames, messieurs, j'ai bien conscience d'avoir été très long, mais c'est l'œuvre d'une vie qui est mise en cause. J'ai construit pas à pas un groupe qui compte des centaines d'établissements partout dans le monde, qui emploie plus de 60 000 personnes, en France et à l'étranger. Ce développement international m'a d'ailleurs conduit à m'installer en Belgique dès 2007, avec toute ma famille, car c'est le pays étranger dans lequel nous nous sommes développés le plus rapidement. Si des résidents avaient été à ce point maltraités, ne croyez‑vous pas que les familles, les autorités, la justice se seraient depuis longtemps emparés du sujet ? Je peux parfaitement entendre que certains d'entre vous soient, par principe, hostiles à la gestion d'EHPAD par des groupes commerciaux. Mais tout le monde le sait, sans le concours du secteur privé, l'État aurait été dans l'incapacité de construire les 150 000 lits qui, sinon, auraient manqué à la France.
Je suis ici pour répondre à vos questions du mieux que je pourrai, étant entendu que j'ai quitté mes fonctions il y a neuf ans. Mais je viens aussi témoigner de mon émotion. Que l'on soit bien clair : si, dans l'établissement Les Bords de Seine ou ailleurs, des défaillances humaines ou médicales se sont produites, j'en suis aussi profondément ému que vous. Si certains des faits rapportés dans le livre sont avérés, et s'ils se sont produits durant mon mandat, je tiens à présenter mes excuses aux résidents et aux familles. Je tiens à affirmer que le modèle de l'entreprise que nous avons fondé ne ressemble en rien à la caricature qu'en a fait M. Castanet. Outre les excuses que les résidents et leurs familles seraient en droit d'attendre, et qui s'imposent si des cas de mauvaise prise en charge ont pu survenir durant mon mandat, je tiens à réaffirmer que ces dernières ne peuvent résulter d'un prétendu système que j'aurais mis en place. Il s'agit de défaillances que je me suis toujours employé à combattre.
Ma dernière phrase ira aux milliers de collaborateurs du groupe Orpea, qui doivent vivre très durement cette affaire depuis un mois. Je veux terminer cette intervention en leur rendant hommage une dernière fois et en saluant l'indispensable mission qui est la leur.