‑ Claude Marian. Comment avons‑nous pu croître ? Effectivement en obtenant des autorisations et en rachetant des établissements.
Comment les choses se passaient‑elles ? Vous pourrez interroger d'autres personnes à ce sujet. Initialement, les autorisations dépendaient des présidents de département. Ensuite, c'est passé au niveau des ARS, c'est‑à‑dire des organisations très professionnelles, employant trente à cinquante personnes. Il y en avait alors six ou sept en France, qui couvraient plusieurs régions. Elles géraient les décisions de création de lits pour tous les secteurs, public, privé et associatif. Elles le faisaient de manière très professionnelle : elles analysaient les besoins et annonçaient, chaque année ou tous les deux ou trois ans, qu'il était nécessaire de créer un nombre déterminé de lits dans tel ou tel département. À ce moment‑là, toutes les structures, essentiellement privées mais parfois associatives, proposaient leur projet, qui était analysé, puis accepté ou refusé, en fonction de son contenu. Il n'y avait personne à qui s'adresser pour obtenir une autorisation contre de l'argent. C'est absurde de penser cela !
Il faut bien comprendre qu'il y a vingt ou trente ans, une partie importante des maisons de retraite existantes étaient très vétustes et mal organisées. Surtout, il y a une chose essentielle que vous ne savez pas si ce n'est pas votre métier : lorsqu'on a commencé notre activité en 1988, nos établissements ne recevaient presque aucune personne dépendante. À cette époque, il n'y avait pratiquement aucune aide à domicile. Les gens entraient donc relativement tôt en maison de retraite, et la durée moyenne de séjour était de trois à quatre ans. Nous n'avions absolument pas la possibilité d'accueillir des personnes dépendantes, car nous n'avions aucun service médical. Pendant toute une période, on a travaillé avec les infirmières libérales et les médecins personnels des personnes qui entraient.
Cela a duré jusqu'au début des années 2000. C'est en 2001 qu'ont été introduites les dotations de soins. Il a été décidé à l'époque de mettre fin au système des infirmières libérales et de recruter du personnel payé. Cela s'appelait la dotation minimale de convergence (DOMINIC). Des professionnels ont fixé l'effectif nécessaire d'infirmières et d'aides‑soignantes dans chaque établissement en fonction du nombre de résidents et de l'importance de la dépendance. Ce processus, conduit de manière très rationnelle, a concerné tous les acteurs. Progressivement, nous avons pris en charge des personnes de plus en plus dépendantes.
Il y a vingt ou vingt‑cinq ans, je l'ai dit, la durée moyenne de séjour était de trois à quatre ans, parce que les personnes entraient peu dépendantes. Désormais, dans l'ensemble des établissements – publics, associatifs, privés –, la moyenne d'âge est de 87 ans et, j'ai le regret de vous le dire, la durée moyenne de séjour est de dix‑huit mois. Et ce n'est pas parce qu'on ne s'occupe pas des gens ou qu'on ne leur donne pas de traitements ! Mais parce qu'ils sont très dépendants et présentent des comorbidités. Bien évidemment, il faut apporter tous les soins nécessaires, notamment traiter les escarres. Il peut y avoir des erreurs, et il y en a. Mais cela ne résulte jamais d'une volonté.
Comme tous nos confrères, Korian et les autres, nous avons donc racheté un certain nombre d'établissements, que nous rénovions ensuite. Beaucoup d'entre eux n'avaient pas la possibilité d'investir ; c'était souvent l'établissement d'un kinésithérapeute ou d'un médecin.
Pourquoi ai‑je vendu à des fonds étrangers ? En 2013, j'avais tout de même 74 ans, et j'étais conscient qu'aucun de mes deux fils n'avait une quelconque vocation à me succéder. J'ai donc vendu une partie de mes actions pour qu'Orpea continue à se développer – c'était la moindre des choses. J'étais très content, car l'acheteur était le plus gros fonds de retraite canadien, le Canada Pension Plan Investment Board (CPPIB) – l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada. Ils ont acheté pour environ 300 millions euros d'actions, soit 14 % du capital, après quoi il m'en est resté 8 %.
Croyez‑moi, pendant les six mois qui ont précédé, non seulement ils ont examiné les comptes en détail, mais ils sont allés beaucoup plus loin : ils ont engagé des sociétés de consultants très spécialisés, qui sont allés dans une vingtaine de villes tirées au sort interroger des médecins, des pharmaciens et des infirmières pour savoir si les établissements Orpea avaient une bonne réputation. Comprenez bien que jamais ces gens‑là ne seraient entrés au capital de notre groupe si tel n'avait pas été le cas. Je comprends l'amertume, la fureur que vous inspire ce qui est dit, mais en 2013 – et je ne me défausse nullement sur mes successeurs –, on a étudié ainsi pendant six mois notre façon de travailler.
Comment les bénéfices sont‑ils traités ? Sur le chiffre d'affaires, Orpea dégageait en général un bénéfice final situé entre 3 % et 5 %. Est‑ce criminel, est‑ce choquant qu'une société réalise un tel bénéfice ? Qui plus est, nous avons réinvesti ; pendant six, sept ou huit ans, je l'ai dit, nous n'avons pas distribué de dividendes.
J'en viens aux émoluments, sans me défausser, là non plus, d'une quelconque façon. Au maximum, j'ai touché 550 000 euros par an au total. Une partie m'était payée à l'étranger, en particulier en Belgique, puisque je travaillais directement là‑bas. C'est beaucoup d'argent. Cela étant, pour avoir des dirigeants, il faut les payer. Quand je suis parti, je n'ai perçu aucune indemnité de départ. Je ne dis évidemment pas cela pour me plaindre.
Comment suis‑je devenu riche ? Lorsqu'on a introduit la société en Bourse, le cours de l'action était très bas. Lorsque j'ai vendu, il avait pris beaucoup de valeur. En janvier 2020, j'ai touché 450 millions d'euros. C'est effectivement une somme considérable, même s'il y a toujours des dettes à régler – mais peu importe. C'est vrai que j'ai gagné beaucoup d'argent, mais j'ai tout de même l'impression d'avoir rendu service à beaucoup de gens.
Je ne suis absolument pas au courant des contrats de prestations avec Bastide ou Hartmann. Je voyais ces gens‑là lors de congrès annuels, mais je ne les connaissais pas. Vous pouvez comprendre que, dans une société où il y a un tas de gens qui s'occupent de plein de choses, ce n'était pas mon problème.
Vous me parlez aussi du syndicat. Vous allez me dire que, décidément, je n'étais au courant de rien...