Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Réunion du mercredi 2 mars 2022 à 8h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo, rapporteure :

Certains constats, certaines propositions se recoupent déjà et se recouperont certainement encore au fil des conclusions des travaux des différentes missions. C'est une preuve de plus de l'urgence à trouver des solutions satisfaisantes dans l'intérêt de nos aînés. Parallèlement à la question du respect des droits fondamentaux des personnes, il est essentiel d'interroger notre modèle : la France est un des pays d'Europe qui compte la proportion la plus importante de personnes en situation de dépendance accueillies en établissement.

Néanmoins, tout ne va pas mal dans les EHPAD en France. Le livre de Victor Castanet ou l'émission d'Élise Lucet ne doivent pas jeter l'opprobre sur un secteur qui œuvre au quotidien avec les moyens dont il dispose pour accompagner au mieux nos parents ou grands‑parents. S'il est nécessaire de revoir des procédures ou de créer des outils, ce n'est pas tant que rien ne va, c'est plutôt qu'il faut rationaliser et informer. Le dernier point de nos réflexions a porté sur la prévention des événements indésirables et leur gestion entre les proches des résidents et les EHPAD, ainsi que les difficultés d'identifier les interlocuteurs ou les voies de recours.

Depuis quelques années, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge ou la Commission nationale pour la prévention de la maltraitance et la promotion de la bientraitance, notamment, insistent régulièrement sur la nécessité de promouvoir la bientraitance. Or les nombreuses auditions conduites par notre mission ont mis en exergue le manque d'instances collégiales efficaces permettant d'établir un dialogue entre les établissements et les familles, dans un souci de transparence et de pédagogie, face au risque de maltraitance, afin d'encourager à la bientraitance. Ainsi nous est‑il apparu essentiel de reconnaître par voie réglementaire les missions propres aux infirmières coordinatrices et, plus largement, de renforcer la formation des personnels à la bientraitance. Toutefois, cette culture partagée ne pourra s'ancrer, compte tenu des disparités territoriales, qu'à la condition que soit mis en place, comme le préconise la Défenseure des droits, un outil de mesure et d'information fiable et partagé par l'ensemble des autorités de régulation et de contrôle au niveau national, qui permettrait d'évaluer et de référencer les différentes situations de maltraitance. Pour pallier les difficultés relatives à la communication entre les établissements et les familles, une commission de la bientraitance pourrait être utilement mise en place dans les établissements.

Dans le cadre de la refonte des CVS, la création d'un « ambassadeur des familles » semble opportune. Sans préjudice de l'ajout d'un « usager‑exper »t, ce référent des familles pourrait participer aux CVS ès qualités, être l'interlocuteur privilégié des familles et de ce fait recueillir les informations préoccupantes.

Une fois les personnels mieux formés au risque de maltraitance et les instances de veille et d'enregistrement créées pour mieux en appréhender la nature et procéder aux corrections nécessaires, nous devons faire de l'information des familles une obligation absolue. Il n'y a pas de meilleure prévention que la transparence. Dès l'entrée en EHPAD, les familles doivent connaître les outils qui sont à leur disposition si elles observent des manquements. L'obligation d'informer les familles, par l'affichage des numéros d'urgence, comme le 3977, et des voies de recours au sein des établissements, est la clef de voûte de l'ensemble du dispositif. J'ai pu mesurer récemment l'efficacité des outils d'affichage. Les EHPAD ne connaissent pas tous des dysfonctionnements ; la plupart d'entre eux tentent d'entretenir un lien entre les résidents et leurs familles en communiquant, par exemple, sur les chartes de signalement ou en indiquant les numéros utiles. Pourquoi ne pas s'inspirer de ce qui fonctionne et étendre à l'ensemble des établissements les obligations d'affichage ?

À la méconnaissance de ce qui constitue un acte de maltraitance et à l'absence de sanction en cas de manquement à l'obligation de signalement s'ajoute la complexité de la procédure même de signalement, qui mobilise une multitude d'acteurs potentiels, pas toujours connus des familles ou des résidents. Peuvent également interférer le conflit de loyauté, la crainte de représailles de la part de la hiérarchie ou des pairs ainsi que la peur de perdre son emploi, pour les personnels soignants.

Le manque de formalisme ou de précision des protocoles et des outils destinés à traiter les événements indésirables est régulièrement pointé du doigt. Ce constat est d'autant plus préoccupant que les signalements de maltraitance en établissement ont augmenté de 37 % en 2021 par rapport à 2020 ; ils représentent 27 % de l'ensemble des signalements enregistrés par la fédération 3977. Les signalements peuvent être effectués auprès du 3977, des ARS, des conseils départementaux et du Défenseur des droits, du procureur de la République ou du juge de la protection. Le traitement de ces signalements et, par conséquent, la visibilité globale du phénomène de la maltraitance sont obscurcis par l'absence d'instance centralisant les alertes. Il semble essentiel d'améliorer les conditions du signalement, ce qui peut passer par des mesures très simples, telles que la mise à disposition dans les EHPAD de recueils accessibles aux résidents, aux personnels ou aux familles. Plus généralement, il faut aller vers une institutionnalisation de l'enregistrement des alertes en créant un réseau public national chargé de les recueillir. Cette première étape ne sera efficace que si elle est accompagnée du renforcement du contrôle des établissements par le biais d'audits flash, sur le modèle de ce que font les ARS pour les établissements de santé. Ceux‑ci permettraient une réaction immédiate et un accompagnement de l'établissement au sein duquel des difficultés sont observées.

À plus long terme, il serait utile de créer un organisme de contrôle indépendant afin de faire remonter les alertes et d'instaurer des conseils d'établissement dans tous les EHPAD privés, calqués sur le modèle des conseils d'administration des EHPAD publics.

Fragiles parmi les plus fragiles, les personnes placées sous tutelle représentent 28 % des résidents des EHPAD ; elles ne doivent pas être oubliées. Les auditions des représentants des mandataires judiciaires libéraux ou de Mme l'avocate générale Anne Caron‑Déglise amènent à plaider pour un renforcement du rôle d'alerte des mandataires judiciaires. Il serait d'ailleurs opportun que ces derniers, lorsqu'ils l'estiment nécessaire, puissent être membres des CVS.

À force d'hésiter entre le modèle de l'hôtel et celui de l'hôpital, l'EHPAD a finalement perdu toute identité positive pour ne plus incarner que l'enfermement et la fin de vie, et devenir un endroit où plus personne ne veut aller vivre ni travailler. Il faut changer le regard sur ces établissements pour qu'ils ne soient plus associés au maintien en vie, mais au maintien dans la vie. L'EHPAD doit être un domicile pour le résident, un lieu au sein duquel chacun trouve sa place.

Enfin, sans préjudice des constats et préconisations de la mission sur l'EHPAD de demain, j'approuve entièrement l'observation de M. Luc Broussy que nous avons auditionné : lorsque l'on arrive en EHPAD la formule d'accueil ne doit plus être « bienvenue chez nous » mais plutôt « bienvenue chez vous ». Pour accompagner le changement de regard sur les établissements et aider le public à ne plus penser l'EHPAD comme un hôpital mais véritablement comme un domicile, il faudrait certainement en modifier le nom. Mais n'oublions pas non plus de redonner aux personnes la possibilité de choisir et permettons‑leur de se faire entendre au sein d'un Conseil national consultatif des personnes âgées, comme il existe le Conseil national consultatif des personnes handicapées.

La particularité de notre mission, qui est aussi sa force, tient à ce que la quasi‑totalité de nos propositions consistent en l'amélioration des dispositifs existants, donc ne nécessitent ni de mobiliser le législateur, ni d'engager de dépenses supplémentaires. À partir de l'existant, grâce à la force de nos recommandations inspirées par une multitude d'acteurs que nous avons consciencieusement auditionnés, et en laissant évidemment la part belle aux initiatives individuelles au sein des EHPAD, tout est prêt pour que, avant l'EHPAD de demain, celui d'aujourd'hui soit véritablement le domicile de ceux qui ne peuvent plus se maintenir dans le leur.

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