Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 2 mars 2022 à 8h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CVS
  • EHPAD
  • lucratif
  • résident
  • soignant
  • âgée

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 2 mars 2022

La séance est ouverte à huit heures trente.

La commission entend la communication de Mmes Gisèle Biémouret, Agnès Firmin Le Bodo et Valérie Six sur le rôle des proches dans la vie des EHPAD.

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Devant l'onde de choc déclenchée par la publication du livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, notre commission ne pouvait rester sans réaction. La gravité des faits relatés appelait à faire la transparence très vite, afin d'apporter à nos concitoyens les réponses qu'ils sont en droit d'attendre.

J'ai pris l'initiative de lancer un cycle d'auditions, commencé dès le 2 février. Pendant un total de plus de vingt‑six heures, nous avons entendu les principaux dirigeants, anciens ou actuels, des groupes Orpea et Korian, mais aussi les familles des résidents, leurs avocats, les représentants de tous ceux qui travaillent dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les autorités chargées du contrôle – agences régionales de santé (ARS) et départements.

Les auditions des dirigeants du groupe Orpea ont été très décevantes. Les réponses apportées à nos questions n'ont fait qu'accentuer notre inquiétude et notre volonté de faire toute la lumière sur cette affaire. En revanche, les témoignages des familles de résidents d'établissements du groupe Orpea, comme ceux d'anciens salariés du groupe, ont constitué des moments très forts. Non seulement ils ont apporté la confirmation de certains faits rapportés dans l'ouvrage, mais ont permis d'en apprendre davantage, en particulier sur les conditions du dialogue social, souvent difficile. Ce cycle d'auditions a donc été à la fois complet et très éclairant, même s'il reste des interrogations.

Au cours de sa réunion du 9 février, le bureau de la commission a décidé de lancer parallèlement quatre missions « flash », chacune confiée à trois rapporteurs issus de tous les groupes politiques. Le calendrier était certes très tendu mais, outre la nécessité de réagir rapidement, notre commission avait déjà beaucoup réfléchi à la question, notamment au travers du rapport présenté en 2018 par Monique Iborra et Caroline Fiat. Je remercie tous les groupes politiques et nos douze rapporteurs d'avoir relevé le défi. Les thèmes choisis pour ces missions « flash », liés à des problématiques soulevées dans le livre de M. Castanet, ont également permis d'apporter des éclairages sur des aspects que nos précédents travaux n'avaient pas particulièrement approfondis. En quelques jours, les rapporteurs ont rencontré près de cent quarante personnes. Les deux premières missions sont en mesure de nous présenter leurs conclusions et propositions dès ce matin ; les deux autres feront de même mardi prochain dans l'après‑midi. La ministre Brigitte Bourguignon, que nous entendrons à 21 heures 30 pour faire le point sur les décisions et perspectives du Gouvernement, pourra ainsi prendre connaissance de nos travaux.

Depuis un mois, l'activité de la commission a donc été considérable. Elle la poursuivra jusqu'à l'achèvement de ses travaux, tout en gardant à l'esprit l'actualité internationale dramatique. Compte tenu de l'urgence, et hors de tout esprit polémique, le travail qu'elle a accompli est incontestablement plus utile et efficace que la solution retenue par le Sénat, dont les travaux consacrés à la situation dans certains EHPAD n'ont pas encore commencé et porteront sur le seul aspect des contrôles.

L'intégralité de nos travaux fera l'objet d'une publication mi‑mars, qui comprendra les communications des quatre missions « flash », les contributions des groupes politiques et les comptes rendus de toutes les auditions et réunions de la commission.

Je précise que nous attendons une réponse de M. Yves Le Masne, ancien directeur général d'Orpea, que j'ai invité mercredi prochain à 10 heures.

La commission entend la communication de Mmes Gisèle Biémouret, Agnès Firmin Le Bodo et Valérie Six sur le rôle des proches dans la vie des EHPAD.

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En dix‑neuf auditions et tables rondes, nous avons auditionné quarante‑sept personnes issues de divers horizons gravitant autour du monde de l'EHPAD. Je les remercie de leur disponibilité et de leur implication dans les travaux de la représentation nationale.

Des éléments remontés, nous avons dégagé trois axes de travail : l'orientation vers un établissement et l'entrée en EHPAD ; le rôle des proches pendant la vie de la personne âgée au sein de l'EHPAD ; la prévention des conflits entre les proches et l'EHPAD.

D'emblée, nous avons à cœur de signaler deux éléments. Le premier est qu'il existe des EHPAD, heureusement nombreux, où les choses se passent bien – je salue toutes les personnes qui travaillent chaque jour aux côtés de nos aînés. Le second, confirmé cette semaine par la Cour des comptes, est que les difficultés rencontrées dépassent largement le caractère public ou privé de la structure. Nos constats et recommandations ne concernent donc pas seulement les EHPAD privés ou les établissements publics ; le bien‑être des personnes âgées doit dépasser ce clivage.

Il me revient de vous présenter nos conclusions concernant la phase d'orientation vers l'EHPAD, depuis la perte d'autonomie jusqu'au choix d'un établissement adapté.

L'entrée en établissement, parce qu'elle emporte des aspects à la fois émotionnels, pratiques et financiers, est une perspective qu'on envisage trop tardivement. L'acceptation de la perte d'autonomie par la personne directement concernée et par son entourage n'est pas chose facile, et s'accompagne d'un fort sentiment de culpabilité de « placer son parent ». Pour que l'EHPAD ne fasse plus peur, pour qu'il soit associé non plus à une fin ou à un deuil mais plutôt à une continuité de vie, à une nouvelle étape, le monde de l'EHPAD ne doit plus être clos ; il doit s'ouvrir sur son environnement et le monde extérieur doit pouvoir venir à sa rencontre.

L'entrée en EHPAD est très souvent brutale alors que des moyens existent pour ménager une transition douce – par exemple, en ouvrant des activités se déroulant en leur sein aux personnes extérieures ou en y offrant la possibilité de courts séjours. Des solutions d'hébergement temporaire peuvent à la fois offrir un temps de répit aux proches aidants très impliqués au quotidien, et permettre à la personne âgée de prendre des habitudes en dehors du domicile initial, et d'avoir une vision de ce qu'est un établissement s'il fallait un jour y envisager une admission pérenne.

Lorsque le maintien à domicile n'est plus possible, l'alternative à favoriser est celle des résidences autonomie, un modèle dont certains éléments pourraient être repris dans les EHPAD. Par exemple, la possibilité de recevoir sa famille pour un repas, dans un espace privatisé, concourt au maintien du lien social et de l'intimité du résident.

Un autre moyen de limiter le bouleversement que constitue l'entrée en institution est la poursuite du suivi médical par les professionnels de santé qui assuraient les soins à domicile. C'est déjà le cas pour les médecins traitants ; cela pourrait aussi l'être pour les infirmiers, les kinésithérapeutes ou les dentistes.

La plus grande vigilance doit être accordée à ce que les personnes âgées peu entourées ou n'ayant plus de famille bénéficient également de toute l'attention dont elles ont besoin. Les intervenants à domicile, les professionnels au sein de l'EHPAD et les bénévoles jouent un rôle important dans l'accompagnement de ces personnes et dans la prévention de l'isolement.

En somme, les moyens existent pour ne pas se retrouver au pied du mur au moment de choisir un établissement et pour que la transition se fasse en douceur.

La difficile question du libre choix du lieu de vie par les résidents a été soulevée au cours des auditions. L'EHPAD est encore largement un choix par défaut ou dicté par l'urgence. La personne concernée n'est pas toujours au centre du processus de décision, et il n'est pas évident pour les proches de comparer les offres existantes avec la proximité géographique comme premier critère de choix. La plateforme en ligne www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, lancée en 2015, mettant à disposition un annuaire des établissements et un simulateur de reste à charge, a amélioré la visibilité et la transparence financière de l'offre. Toutefois, le faisceau d'indices permettant de trouver un EHPAD adapté aux besoins d'un parent pourrait être utilement complété avec des indicateurs objectifs de qualité de la prise en charge.

Une fois l'établissement choisi, un véritable lien de confiance doit être instauré entre les proches et l'équipe médico‑soignante. Les documents remis lors de l'admission – contrat de séjour, charte des droits et libertés du résident, projet d'accompagnement – doivent faire l'objet d'une meilleure appropriation et de davantage de réciprocité ; ils doivent être expliqués et ne pas rester lettre morte. Que contiennent les clauses du contrat, quels sont les droits de la personne âgée et ceux de ses proches, quelles sont les obligations à respecter pour permettre la vie en communauté ? La coconstruction du projet de vie du résident est essentielle pour appréhender l'EHPAD comme un lieu de vie de plein exercice, et non seulement comme un établissement de soins. La connaissance de l'histoire de la personne âgée, celle de son entourage, de ses loisirs et de ses goûts sont autant d'éléments qui permettent l'individualisation indispensable de son parcours au sein de l'établissement. Pour qu'elle s'y sente vraiment chez elle, la programmation d'un entretien un mois après son entrée permettrait de faire le point avec elle et ses proches sur son intégration dans la structure et sur les adaptations possibles.

On ne doit plus entendre ce qu'on nous a dit lors de nos auditions, que l'EHPAD, ça ressemble au mieux à un hôpital, au pire à une prison !

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« La prise en charge de nos aînés nous ramène à notre propre humanité », a écrit Victor Castanet dans son livre. Cette humanité a été mise à mal par ses récentes révélations, ainsi que par celles du reportage de Cash Investigation sur la situation dans certains EHPAD.

En tant que parlementaire, je me sens frustrée de ce que nous n'avons pas eu la possibilité de présenter un rapport plus étoffé que ces quelques préconisations, alors qu'une loi sur le grand âge et l'autonomie devra être l'une des priorités du prochain mandat. Dans le temps contraint qui nous a été imparti, nous avons tenu à auditionner tous les acteurs intervenant dans les établissements, à confronter la parole des associations de bénévoles et de familles avec celle des personnels des établissements, soignants et non soignants, ainsi que celle des tutelles et des ministères.

Chaque âge de la vie mérite l'accompagnement le plus adapté, sans stigmatisation ni hiérarchisation. Si la crise sanitaire a obligé de nombreux établissements à se refermer pour protéger leurs résidents, si elle a justifié certaines restrictions, celles‑ci ne sont désormais plus de mise. La Défenseure des droits l'a relevé dans son rapport de mai 2021, le choix des horaires de repas ou les difficultés liées à l'insuffisance de personnels ne sauraient justifier une restriction du droit de visite des résidents, qui relève de la Constitution et du droit fondamental européen. La liberté de recevoir des visites et celle de rendre visite doivent être la règle. C'est d'autant plus nécessaire qu'une augmentation du syndrome de glissement, attestée par plusieurs rapports issus d'institutions de contrôle, a eu des effets concrets sur la mortalité au sein des établissements. Ces deux libertés de visite sont directement liées à l'EHPAD conçu comme une maison, et non comme un hôpital. L'EHPAD doit être considéré comme le lieu de résidence de la personne âgée ; la chambre doit devenir le logement, et le résident, l'habitant. Toutes les libertés qui ne portent pas atteinte au bon fonctionnement de la vie en communauté doivent pouvoir être pleinement exercées. Les familles doivent disposer de toutes les informations nécessaires pour s'assurer de la qualité de séjour de leurs proches.

Le conseil de la vie sociale (CVS) est censé remplir cette fonction. Or, avec un CVS sur cinquante qui fonctionne correctement, l'institution a besoin d'être profondément rénovée. Ce qui était une obligation innovante dans la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico‑sociale est devenu trop souvent une coquille vide, quand il est mis en place.

Du point de vue de sa composition, le CVS constitue déjà un espace dans lequel sont représentés les résidents et les familles. Or 10 % à 20 % de résidents n'ont aucune famille proche et ne sont donc plus entendus dans les établissements. Il faudrait étendre leur représentation aux associations de bénévoles qui s'occupent d'eux. On pourrait même envisager la présence de représentants d'associations de quartier ou d'élus locaux chargés de la vie de la cité, afin d'encourager un lien entre les résidents et la vie locale. Le personnel aussi est représenté dans le CVS. L'instance pourrait donc utilement contribuer au renforcement du dialogue entre les familles et les soignants. C'est pourquoi nous proposons qu'un représentant des soignants soit obligatoirement intégré dans chaque CVS.

Du point de vue de son fonctionnement, le CVS n'a qu'un rôle consultatif. Sans sanction ni contrôle, il est rarement mis en place. Nous souhaitons que ces conseils deviennent des instances de concertation, avec obligation d'examiner certains points annuellement – projet d'établissement, lutte contre la maltraitance, promotion de la bientraitance, par exemple. Sur le modèle du conseil social et économique (CSE) des entreprises, le CVS participerait ainsi à la gouvernance de l'établissement. Il serait également pertinent de permettre aux CVS d'allouer une part du budget de l'établissement à des activités culturelles, de stimulation intellectuelle ou de renforcement du lien social.

Ce rôle renforcé appellerait une modernisation de la formation et de l'information concernant le CVS. Les associations représentant les aidants l'ont souligné, cette instance est souvent découverte par hasard, au cours des échanges entre les résidents et les familles. Il faut absolument informer de son existence dès l'entrée en EHPAD, par le biais d'affiches par exemple. Ce rôle nouveau appellerait également une formation accrue des participants. Comme dans les CSE, des sessions de formation à destination des représentants des familles et du personnel pourraient leur rappeler le rôle de l'instance, les droits fondamentaux dont disposent les résidents et leurs familles, ainsi que leur droit à l'information sur ce qui se passe dans l'établissement.

Pour dessiner une perspective d'amélioration concrète de la vie des résidents, nous sommes parties du principe que la sociabilité est unanimement reconnue comme l'une de leurs principales sources de joie. Nous avons repris à notre compte les propositions visant à lutter contre l'isolement par l'ouverture des EHPAD sur leur environnement immédiat. Sur le modèle des tiers‑lieux que propose la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), certains établissements pourraient accueillir des crèches, intégrer des activités ouvertes aux personnes extérieures...

Ce sont là quelques pistes d'améliorations concrètes et immédiates, dans l'attente d'une réforme structurelle de la prise en charge de nos aînés.

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Certains constats, certaines propositions se recoupent déjà et se recouperont certainement encore au fil des conclusions des travaux des différentes missions. C'est une preuve de plus de l'urgence à trouver des solutions satisfaisantes dans l'intérêt de nos aînés. Parallèlement à la question du respect des droits fondamentaux des personnes, il est essentiel d'interroger notre modèle : la France est un des pays d'Europe qui compte la proportion la plus importante de personnes en situation de dépendance accueillies en établissement.

Néanmoins, tout ne va pas mal dans les EHPAD en France. Le livre de Victor Castanet ou l'émission d'Élise Lucet ne doivent pas jeter l'opprobre sur un secteur qui œuvre au quotidien avec les moyens dont il dispose pour accompagner au mieux nos parents ou grands‑parents. S'il est nécessaire de revoir des procédures ou de créer des outils, ce n'est pas tant que rien ne va, c'est plutôt qu'il faut rationaliser et informer. Le dernier point de nos réflexions a porté sur la prévention des événements indésirables et leur gestion entre les proches des résidents et les EHPAD, ainsi que les difficultés d'identifier les interlocuteurs ou les voies de recours.

Depuis quelques années, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge ou la Commission nationale pour la prévention de la maltraitance et la promotion de la bientraitance, notamment, insistent régulièrement sur la nécessité de promouvoir la bientraitance. Or les nombreuses auditions conduites par notre mission ont mis en exergue le manque d'instances collégiales efficaces permettant d'établir un dialogue entre les établissements et les familles, dans un souci de transparence et de pédagogie, face au risque de maltraitance, afin d'encourager à la bientraitance. Ainsi nous est‑il apparu essentiel de reconnaître par voie réglementaire les missions propres aux infirmières coordinatrices et, plus largement, de renforcer la formation des personnels à la bientraitance. Toutefois, cette culture partagée ne pourra s'ancrer, compte tenu des disparités territoriales, qu'à la condition que soit mis en place, comme le préconise la Défenseure des droits, un outil de mesure et d'information fiable et partagé par l'ensemble des autorités de régulation et de contrôle au niveau national, qui permettrait d'évaluer et de référencer les différentes situations de maltraitance. Pour pallier les difficultés relatives à la communication entre les établissements et les familles, une commission de la bientraitance pourrait être utilement mise en place dans les établissements.

Dans le cadre de la refonte des CVS, la création d'un « ambassadeur des familles » semble opportune. Sans préjudice de l'ajout d'un « usager‑exper »t, ce référent des familles pourrait participer aux CVS ès qualités, être l'interlocuteur privilégié des familles et de ce fait recueillir les informations préoccupantes.

Une fois les personnels mieux formés au risque de maltraitance et les instances de veille et d'enregistrement créées pour mieux en appréhender la nature et procéder aux corrections nécessaires, nous devons faire de l'information des familles une obligation absolue. Il n'y a pas de meilleure prévention que la transparence. Dès l'entrée en EHPAD, les familles doivent connaître les outils qui sont à leur disposition si elles observent des manquements. L'obligation d'informer les familles, par l'affichage des numéros d'urgence, comme le 3977, et des voies de recours au sein des établissements, est la clef de voûte de l'ensemble du dispositif. J'ai pu mesurer récemment l'efficacité des outils d'affichage. Les EHPAD ne connaissent pas tous des dysfonctionnements ; la plupart d'entre eux tentent d'entretenir un lien entre les résidents et leurs familles en communiquant, par exemple, sur les chartes de signalement ou en indiquant les numéros utiles. Pourquoi ne pas s'inspirer de ce qui fonctionne et étendre à l'ensemble des établissements les obligations d'affichage ?

À la méconnaissance de ce qui constitue un acte de maltraitance et à l'absence de sanction en cas de manquement à l'obligation de signalement s'ajoute la complexité de la procédure même de signalement, qui mobilise une multitude d'acteurs potentiels, pas toujours connus des familles ou des résidents. Peuvent également interférer le conflit de loyauté, la crainte de représailles de la part de la hiérarchie ou des pairs ainsi que la peur de perdre son emploi, pour les personnels soignants.

Le manque de formalisme ou de précision des protocoles et des outils destinés à traiter les événements indésirables est régulièrement pointé du doigt. Ce constat est d'autant plus préoccupant que les signalements de maltraitance en établissement ont augmenté de 37 % en 2021 par rapport à 2020 ; ils représentent 27 % de l'ensemble des signalements enregistrés par la fédération 3977. Les signalements peuvent être effectués auprès du 3977, des ARS, des conseils départementaux et du Défenseur des droits, du procureur de la République ou du juge de la protection. Le traitement de ces signalements et, par conséquent, la visibilité globale du phénomène de la maltraitance sont obscurcis par l'absence d'instance centralisant les alertes. Il semble essentiel d'améliorer les conditions du signalement, ce qui peut passer par des mesures très simples, telles que la mise à disposition dans les EHPAD de recueils accessibles aux résidents, aux personnels ou aux familles. Plus généralement, il faut aller vers une institutionnalisation de l'enregistrement des alertes en créant un réseau public national chargé de les recueillir. Cette première étape ne sera efficace que si elle est accompagnée du renforcement du contrôle des établissements par le biais d'audits flash, sur le modèle de ce que font les ARS pour les établissements de santé. Ceux‑ci permettraient une réaction immédiate et un accompagnement de l'établissement au sein duquel des difficultés sont observées.

À plus long terme, il serait utile de créer un organisme de contrôle indépendant afin de faire remonter les alertes et d'instaurer des conseils d'établissement dans tous les EHPAD privés, calqués sur le modèle des conseils d'administration des EHPAD publics.

Fragiles parmi les plus fragiles, les personnes placées sous tutelle représentent 28 % des résidents des EHPAD ; elles ne doivent pas être oubliées. Les auditions des représentants des mandataires judiciaires libéraux ou de Mme l'avocate générale Anne Caron‑Déglise amènent à plaider pour un renforcement du rôle d'alerte des mandataires judiciaires. Il serait d'ailleurs opportun que ces derniers, lorsqu'ils l'estiment nécessaire, puissent être membres des CVS.

À force d'hésiter entre le modèle de l'hôtel et celui de l'hôpital, l'EHPAD a finalement perdu toute identité positive pour ne plus incarner que l'enfermement et la fin de vie, et devenir un endroit où plus personne ne veut aller vivre ni travailler. Il faut changer le regard sur ces établissements pour qu'ils ne soient plus associés au maintien en vie, mais au maintien dans la vie. L'EHPAD doit être un domicile pour le résident, un lieu au sein duquel chacun trouve sa place.

Enfin, sans préjudice des constats et préconisations de la mission sur l'EHPAD de demain, j'approuve entièrement l'observation de M. Luc Broussy que nous avons auditionné : lorsque l'on arrive en EHPAD la formule d'accueil ne doit plus être « bienvenue chez nous » mais plutôt « bienvenue chez vous ». Pour accompagner le changement de regard sur les établissements et aider le public à ne plus penser l'EHPAD comme un hôpital mais véritablement comme un domicile, il faudrait certainement en modifier le nom. Mais n'oublions pas non plus de redonner aux personnes la possibilité de choisir et permettons‑leur de se faire entendre au sein d'un Conseil national consultatif des personnes âgées, comme il existe le Conseil national consultatif des personnes handicapées.

La particularité de notre mission, qui est aussi sa force, tient à ce que la quasi‑totalité de nos propositions consistent en l'amélioration des dispositifs existants, donc ne nécessitent ni de mobiliser le législateur, ni d'engager de dépenses supplémentaires. À partir de l'existant, grâce à la force de nos recommandations inspirées par une multitude d'acteurs que nous avons consciencieusement auditionnés, et en laissant évidemment la part belle aux initiatives individuelles au sein des EHPAD, tout est prêt pour que, avant l'EHPAD de demain, celui d'aujourd'hui soit véritablement le domicile de ceux qui ne peuvent plus se maintenir dans le leur.

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Le livre d'investigation de Victor Castanet a dévoilé dans certains établissements une maltraitance institutionnelle dont on n'imaginait ni l'ampleur ni les causes et, par voie de conséquence, l'étendue de la souffrance des résidents et de leurs familles. Quant à la crise sanitaire, elle a montré combien l'absence des proches était cruelle pour les résidents et délétère pour leur bien‑être et leur survie. L'éloignement des proches et l'isolement en chambre ont provoqué chez certains résidents des syndromes de glissement et de repli difficiles à enrayer pour un personnel surmené et lui‑même atteint par le covid‑19.

Votre rapport suggère des mesures d'ordre général intéressantes. Vous soulignez l'importance de la présence des proches pour rassurer le résident lors de son entrée dans l'établissement. Rares sont en effet les personnes âgées qui considèrent l'EHPAD comme un projet de vie. Pourtant, elles devront faire de l'établissement leur nouveau lieu de vie et y développer de nouveaux projets.

Vous insistez aussi sur l'amélioration de la qualité du dialogue entre les familles, les proches aidants et les responsables de l'EHPAD ainsi que sur la nécessaire concertation avec ces dernières au sein des CVS s'agissant de l'organisation de la vie des résidents. Vous allez même jusqu'à proposer leur collaboration active à l'animation des EHPAD.

Votre rapport envisage aussi des mesures individuelles : chaque famille se voit reconnaître un droit permanent à l'information sur l'état de santé physique et psychique du résident ainsi que le droit de proposer des améliorations aux conditions de vie.

Bref, vous mettez en avant la nécessité de remettre de l'humain, de la vie et de l'amour au sein des établissements grâce à l'implication des familles.

Dans quel calendrier vos recommandations pourraient‑elles s'appliquer ?

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Outre les liens que nous pouvons avoir avec les EHPAD dans nos circonscriptions, il est indispensable que nous entendions des dirigeants, des salariés et des familles pour obtenir des réponses et comprendre.

En creux, nous cherchons à construire l'EHPAD de demain. L'EHPAD tel que nous le connaissions est à bout de souffle pour de multiples raisons. Les dérives qui ont été révélées ne sont que le fruit d'un non‑choix politique : à force de négliger la dimension humaine et de s'appuyer sur des financements et des outils baroques, l'EHPAD a perdu toute identité, il est devenu un OVNI dans lequel sont placés des femmes et des hommes de plus en plus dépendants. L'électrochoc provoqué par le livre est à cet égard bienvenu.

La très grande majorité des EHPAD ne pose pas de difficultés : les dirigeants sont bienveillants, ils se démènent pour moderniser et maintenir de la chaleur humaine ; les personnels sont aux petits soins. Je ne nie pas la tension auxquels ils sont soumis mais il ne faut pas jeter l'opprobre sur ceux qui, pour la plupart, ont choisi cette profession.

J'ai relevé vingt‑sept propositions, ce qui laisse penser que les marges pour renforcer la place des proches et des familles dans les EHPAD sont énormes – vous n'auriez pas eu à multiplier les préconisations si la situation était satisfaisante.

Parmi les nombreuses pistes d'amélioration, trois me semblent essentielles : d'abord, il faut coûte que coûte respecter la dignité et les droits d'une personne – la perte d'autonomie n'autorise pas les entraves aux libertés et aux droits individuels. Ensuite, il faut autant que possible proposer à la personne un parcours individualisé au sein de la structure, un parcours qui lui corresponde. Enfin, il faut développer les liens avec l'extérieur pour éviter que l'EHPAD ne soit replié sur lui‑même.

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Sibille (Dem). La question que nous nous posons vaut aussi pour les crèches, les écoles ou les hôpitaux. Il s'agit à chaque fois de réfléchir au rôle de la famille pour accompagner une personne fragile placée dans une structure collective.

Les EHPAD sont la dernière étape d'une vie mais, jusqu'à son dernier jour, toute personne a besoin d'humanité, d'échanges, de présence, de sourires, de toucher, de gestes affectueux. La présence des familles, aux côtés des professionnels, dans les EHPAD est donc essentielle dès l'admission et tout au long du séjour du résident.

Nous le savons tous d'expérience, le bon fonctionnement d'un EHPAD dépend principalement de la qualité du directeur et de son équipe. C'est lui qui échange avec les familles et assure le bon fonctionnement du CVS.

L'existence d'un CVS au sein de l'établissement doit être une priorité – de nombreux EHPAD n'en ont pas, c'est effarant – et son animation, une exigence.

Au terme d'« ambassadeur des familles » je préférerais celui de « médiateur », car c'est souvent la communication entre le personnel et les familles qui pèche. Certaines familles peuvent être trop exigeantes, d'autres, trop peu présentes.

Je n'oublie pas les résidents les plus isolés, ceux qui n'ont ni famille ni proche pour leur rendre visite.

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Que recouvre la notion de proches du résident ? Désigne‑t‑elle seulement la famille ou aussi les amis, ce qui n'est pas sans difficulté ?

Avez‑vous abordé la question de la place des familles dans la fin de vie ?

Comment envisagez‑vous le répit pour les familles dans la vie quotidienne et pendant les vacances ? Dans le département des Landes, après le village landais Alzheimer, nous lançons une expérimentation sur un village de répit pour les personnes âgées dépendantes et leurs proches aidants.

De manière plus générale, malgré les raisons sanitaires qui les justifiaient, l'isolement des personnes âgées et l'interdiction parfois faite aux familles de voir leur proche ont été vécus comme une atteinte aux libertés mais aussi au bien‑être des résidents.

Avez‑vous porté une attention particulière à ceux qui n'ont pas de proche et ont malgré tout besoin d'une vie sociale et affective ?

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Tout ne va pas mal, dites‑vous. Je comprends que chacun ait à cœur de redonner le moral à tout le monde, mais faire une toilette en cinq minutes ou mettre une protection pour ne pas avoir à accompagner la personne aux toilettes, malgré tout l'amour et l'empathie qu'on y apporte, est le signe que cela va mal.

Certains établissements cherchent des solutions pour pallier ces mauvais traitements mais la maltraitance est institutionnelle. Ce n'est pas jeter l'opprobre sur les soignants que de le dire ; cette maltraitance est, au contraire, sans doute l'une des raisons pour lesquelles ils sont si nombreux à démissionner.

Vous préconisez de faire de la chambre en EHPAD le domicile, mais c'est déjà le cas. Pourtant, faute de temps, les soignants oublient de fermer la porte ; pour rappeler qu'il faut frapper avant d'entrer, certains établissements ont installé des sonnettes sur les portes.

S'agissant de la formation, le groupe Korian est le meilleur client du Réseau Humanitude. Tous les personnels y suivent une formation, mais ensuite, on ne leur laisse pas le temps d'appliquer ce qu'ils ont appris. Le recours à la formation n'est pas la solution miracle d'autant que cela laisse penser que les soignants ne sont pas capables de s'occuper des résidents.

Je n'ai rien noté dans votre rapport sur les directives anticipées. J'ai souvent été choquée de voir les familles réfléchir et décider à la place des résidents. Les directives anticipées ne devraient‑elles pas être établies lors de l'admission afin que les résidents, qui ont un cerveau, prennent une décision pour eux‑mêmes ?

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J'ai été surprise de lire au début du rapport que « le manque d'explication et de communication engendre une méfiance de la part des familles ». La question que nous devons nous poser est la suivante : pourquoi la réglementation n'est‑elle pas appliquée ?

L'entrée d'une personne âgée dans un établissement est précédée d'un entretien de préadmission, souvent en présence de la famille, destiné à apprécier le consentement du futur résident. En outre, parmi les documents qui sont remis lors de l'admission, figurent le règlement de fonctionnement et le livret d'accueil. Je n'ai pas trouvé trace de ces formalités dans votre rapport. Est‑ce à dire qu'elles ne sont pas appropriées ni effectuées ?

Vous évoquez l'établissement d'un projet de vie auquel les familles seraient associées, le cas échéant. Mais selon les textes actuels, la famille doit être est associée aussi bien à l'élaboration qu'au suivi du projet.

Une autre piste mériterait d'être explorée : l'aide‑soignant référent qui fait le lien entre le résident et la famille. Son intervention est souvent très utile notamment pour désamorcer les conflits qui sont fréquents, en particulier autour du linge.

Quant au CVS, il est très judicieux d'ajouter à leur composition les mandataires judiciaires. En revanche, que peut apporter l'usager expert par rapport aux représentants des usagers et des familles ?

Avez‑vous une explication à l'inobservation des règles existantes, qui reste la vraie question ?

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Le lien avec les familles est en effet primordial, comme nous avons pu aussi le constater lors des auditions consacrées à la situation dans certains établissements du groupe Orpea et, hier soir encore, lors de l'émission Cash Investigation.

Outre qu'il n'est pas toujours possible de choisir son établissement, le premier rendez‑vous, en particulier, est très important. Celui auquel j'ai participé s'est résumé à : « Cela vous coûtera tant, le résident a droit à ceci, etc. ». Au‑delà de son aspect administratif, il conviendrait donc de le sanctuariser et que la direction, les soignants, le médecin coordonnateur puissent y jouer pleinement leur rôle d'accompagnement.

Je suis globalement d'accord avec vos propositions mais je m'interroge : pourquoi le CVS ne fonctionne‑t‑il pas ? Faut‑il, dans ces conditions, y intégrer des membres supplémentaires ?

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Je souscris également aux propositions qui ont été formulées, en particulier s'agissant du renforcement du rôle du CVS, mais pourquoi ne fonctionne‑t‑il pas, en effet ? Est‑il possible de l'associer au conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie ? Au‑delà, quelle est la place des départements dans l'accompagnement des résidents ?

J'ai également été sensible à vos propos sur la nécessité de préparer l'entrée en EHPAD. Sur le plan réglementaire, quelles bonnes pratiques pourraient‑elles être appliquées à très court terme ?

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L'entrée en EHPAD est toujours précipitée et, souvent, les familles éprouvent un sentiment de culpabilité au point parfois de ne pas pouvoir entendre les messages qui leur sont délivrés.

Leurs liens avec d'autres structures font également défaut, même si les choses sont sans doute plus faciles lorsque les centres communaux d'action sociale et les centres intercommunaux d'action sociale gèrent les soins à domicile et qu'ils sont en relation avec les départements – lesquels, je le rappelle, délivrent l'allocation personnalisée d'autonomie. En amont, il importe également que les familles puissent nouer des liens avec les EHPAD.

Enfin, comme nous l'avons constaté, les préconisations et les réglementations de base ne sont pas appliquées, sans doute en raison d'un manque de personnels. Nous avons, quant à nous, essayé de faire une meilleure place aux familles et de faire en sorte que les résidents puissent continuer à avoir une vie sociale, à peu près comme s'ils étaient chez eux – notion pas toujours mise en pratique dans les EHPAD.

Nous avons besoin d'une instance extérieure, d'un observatoire qui, dans chaque département, pourrait contrôler l'effectivité de ces mesures.

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Il faut tout de même répéter que, dans la majorité des EHPAD, la situation est correcte. Même si le cœur du problème est en effet le manque de personnels, des mesures assez simples d'accompagnement permettraient toutefois de recréer des liens, dont les auditions des représentants des familles ont montré combien ils avaient été distendus par l'illisibilité d'un certain nombre de processus.

En effet, de nombreuses dispositions sont en vigueur mais très peu d'entre elles sont appliquées. Le manque d'informations est criant : combien de résidents ont un projet de vie ? Les admissions au sein des EHPAD sont si précipitées, combien d'entre eux signent bien le contrat de séjour ? La plupart du temps, ce sont les familles qui le font. Ce qui existe doit donc être absolument appliqué si l'on ne veut pas en rester à cet EHPAD « hybride » et dénué de sens que nous sommes collectivement responsables d'avoir laissé se développer.

S'agissant du rôle de référent, nous proposons de le mettre en valeur, avec une véritable feuille de route, et de le confier aux infirmières coordonnatrices plutôt qu'aux aides‑soignantes, qui n'ont pas toujours le temps d'assurer le lien. Pour la même raison, nous préférons évoquer un « ambassadeur des familles » plutôt qu'un « médiateur » parce que son rôle ne viserait pas à régler des conflits mais à éviter qu'ils surviennent, là encore, par le biais d'un travail de liaison régulier. Et puisque le nœud du problème se situe à l'entrée dans l'EHPAD, un entretien obligatoire dans le mois qui suit celle‑ci nous semblerait propice à faire le point et à éviter les cascades d'ennuis.

Seulement un CVS sur cinquante fonctionne, car les familles ne voient pas l'intérêt de s'y rendre pour discuter des plats ou de la couleur de la nappe pour le repas de Noël. Elles veulent participer à la vie sociale de l'établissement. De plus, la famille d'un résident décédé ne fait plus partie du CVS, ce qui interdit toute continuité alors que certaines familles souhaiteraient pouvoir encore s'y impliquer. Telle serait précisément la raison d'être de l'« usager‑expert ». Des associations extérieures, des bénévoles, doivent également pouvoir intégrer les CVS, à tout le moins entrer dans les EHPAD, et pas uniquement selon le bon vouloir du directeur d'établissement – qui parfois s'y refuse –, ne serait‑ce que pour rendre visite aux résidents, dont je rappelle que 27 % d'entre eux n'ont pas de famille.

Nous n'avons pas eu le temps de travailler aux questions liées à la fin de vie, mais la question des directives anticipées doit être abordée dès l'entrée en établissement, d'où l'importance du premier rendez‑vous et de l'entretien à l'issue du premier mois.

Tout ce qui pourra être fait rapidement sera bienvenu et sans doute les prochaines semaines seront‑elles l'occasion de faire valoir ces priorités, en attendant la loi sur le grand âge que nous appelons tous de nos vœux.

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Depuis le début de la législature, de nombreux rapports ont été consacrés à ces questions et nous sommes tous conscients qu'il convient de placer l'humain au cœur des structures qui accompagnent nos personnes âgées. Que nous achevions nos travaux sous cette législature sur ces mêmes questions montre à quel point notre commission s'est impliquée.

Tout est question de volonté politique. En l'occurrence, la mise en œuvre de nos vingt‑sept propositions, qui sont autant de marges de manœuvre pour accroître l'humanisation des EHPAD, serait d'autant plus aisée qu'elle ne requiert aucun budget.

Le projet de vie est au cœur du parcours individualisé lui‑même, défini à partir de ce que le résident a vécu – d'où la proposition d'un entretien un mois après son entrée, souvent trop précipitée, au sein de l'établissement.

Je ne suis pas certaine que le directeur d'établissement doive faire partie du CVS, dès lors que ce dernier est centré sur le lien social. Outre un représentant des soignants, il doit comprendre des représentants de la vie sociale, en particulier des familles. Il importe surtout que le CVS n'ait pas seulement un rôle consultatif. L'entretien un mois après l'entrée serait l'occasion de donner aux résidents des informations à son propos, en même temps que seraient complétées celles qui auraient manqué s'agissant de leurs droits et devoirs de citoyens ou de leur projet de vie.

Si nous avons parlé assez vaguement des « proches », c'est précisément pour éviter une limitation à la famille et pour faire entrer dans les CVS des bénévoles, des gens qui sont en rapport avec les personnes âgées et qui en connaissent les problématiques et les attentes.

Nous regrettons de ne pas avoir pu approfondir les questions liées à la fin de vie, mais cela faciliterait les choses si la directive anticipée était abordée dès l'entrée en établissement.

Les familles doivent également avoir des droits à la formation afin de connaître les droits du résident et, plus généralement, le fonctionnement des EHPAD.

Il ne nous appartenait pas d'évoquer le rôle des départements, mais je rappelle la plateforme mentionnée par Agnès Firmin Le Bodo, qui permet d'avoir connaissance de l'ensemble des possibilités d'hébergement selon le degré d'autonomie des personnes âgées.

Nous disposons maintenant de tous les éléments qui nous permettent d'avancer.

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Si l'on veut maintenir les liens, il importe de réaffirmer haut et fort que la liberté de visite est la règle et qu'elle ne saurait être entravée parce qu'un établissement ferme à 18 heures et qu'il n'a pas de digicode pour que les familles puissent rendre visite aux résidents plus tardivement. Des solutions techniques doivent être trouvées.

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Tous les EHPAD devraient veiller à se rapprocher des critères du label Humanitude. J'ai visité à Albi un établissement qui en dispose et qui accueille trente‑deux résidents : ils y vivent comme chez eux.

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L'examen consécutif des deux communications des missions « flash » me semble particulièrement heureux : l'humanité et l'ouverture que nous venons d'évoquer sont sans doute indispensables aux EHPAD de demain.

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Je vous remercie pour la qualité de votre travail. Au‑delà de nos divergences politiques, nous sommes tous d'accord pour avancer vers un accompagnement humain et respectueux de nos anciens. De ce point de vue, notre volonté politique est la même.

La commission entend ensuite la communication de Mmes Véronique Hammerer, Isabelle Valentin et Caroline Fiat, « L'EHPAD de demain : quels modèles ? ».

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Le scandale Orpea et les nombreux rapports antérieurs – je pense en particulier à deux rapports parlementaires, celui présenté par Caroline Fiat et Monique Iborra en 2018, et l'excellent rapport d'Audrey Dufeu consacré à l'âgisme – nous obligent désormais à proposer ensemble un nouveau modèle pour les EHPAD.

Les EHPAD n'attirent plus ni les personnels, ni les familles, ni les résidents : ce choix est parfois subi. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de cette situation. La France compte environ 7 000 EHPAD, tous statuts confondus, qui accueillent plus de 600 000 résidents. En 2030, la génération du « baby‑boom » atteindra 85 ans ; il y aura alors 108 000 seniors supplémentaires en EHPAD si les pratiques restent inchangées. En 2050, plus de 25 millions de personnes auront 60 ans ou plus. Il est donc urgent d'agir pour assurer la bientraitance et le bien vieillir de nos aînés.

Mes collègues et moi nous sommes efforcées d'entendre le maximum d'acteurs dans le temps qui nous était imparti : des directeurs d'EHPAD, des syndicats, des gériatres, les ARS, la CNSA, le ministère des solidarités et de la santé – notamment la direction générale de la cohésion sociale –, les départements, des associations engagées sur cette question. De chaque audition il ressort qu'un changement de modèle s'impose à nous, en lien avec un changement de regard sur nos aînés.

Pour tenter de dessiner ce que pourrait être l'EHPAD de demain, nous avons choisi de définir des axes de travail à court, moyen et long termes. Face au scandale qui a été révélé, des actions immédiates doivent être entreprises. Nous détenons les constats ; le temps est désormais à l'action. Chacune d'entre nous va vous présenter les points qui lui paraissent les plus importants.

Pour ma part, je souhaite commencer par la question de la gouvernance et des contrôles, dont les insuffisances ont été dénoncées dans le livre de M. Castanet. La gouvernance locale est actuellement partagée entre les ARS – pour l'aspect « soins », par l'intermédiaire de l'assurance maladie – et les conseils départementaux – pour une partie des aspects « dépendance » et « hébergement ». Cette gestion duale pose d'immenses problèmes de coordination ; une clarification s'impose.

Dans notre rapport, nous ne tranchons pas le point de savoir s'il faut confier la gestion des EHPAD à une seule entité. Ce que nous croyons, c'est que les acteurs ne se parlent pas suffisamment, voire pas du tout dans certains territoires. Il est urgent que la transversalité devienne la règle dans notre pays !

Cette gestion a des conséquences sur les contrôles. Réalisés en théorie par les ARS et les départements, ils ne sont pas toujours efficients – nous l'avons bien vu. Dans certains cas, ils sont annoncés à l'avance. La plupart du temps, ils se concentrent sur des aspects comptables par établissement. Du point de vue purement technique, les ARS ne disposent pas de compétences suffisantes pour contrôler correctement les groupes privés.

Il convient donc de revoir la manière dont les contrôles sont effectués. Il faut bannir les contrôles prévus à l'avance. Il est impératif de généraliser les contrôles inopinés, seuls à même de révéler la situation réelle des établissements. De plus, les contrôles doivent se concentrer aussi et surtout sur les aspects humains ; la bienveillance et la bientraitance doivent en être les indicateurs incontournables.

Il faut en outre nous demander qui doit réaliser ces contrôles. Plusieurs solutions sont possibles.

Première solution : les ARS et les départements pourraient organiser des programmes de contrôles communs, ce qui implique qu'ils harmonisent leurs indicateurs. Il leur faudrait travailler à la mutualisation des moyens, notamment à la création d'équipes de contrôle pluridisciplinaires. Selon moi, l'intégration de professionnels tels que des infirmières et des aides‑soignantes serait judicieuse pour envisager tous les aspects de la vie en EHPAD.

Deuxième option : la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes seraient tout à fait qualifiées pour effectuer des contrôles si des compétences supplémentaires leur étaient accordées, notamment pour auditer les comptes des grands groupes.

Pour ma part, je souhaite insister sur une autre proposition. Le scandale Orpea soulève clairement la question du statut des EHPAD. En France, les EHPAD sont à 40 % des établissements publics, à 33 % des établissements privés à but non lucratif et à 27 % des établissements privés à but lucratif. Durant nos auditions, il nous a été indiqué qu'environ 10 % de l'ensemble des établissements dépendaient de groupes cotés en bourse.

La question qui se pose est de savoir ce que nous faisons des établissements privés à but lucratif, notamment de ceux qui sont rattachés à des groupes cotés en bourse. Dans un premier temps, nous devons absolument harmoniser les obligations des EHPAD publics et celles des EHPAD privés. Aujourd'hui, les groupes privés n'ont pas les mêmes obligations devant les tutelles, notamment pour la présentation de leurs comptes, exception qu'ils ont obtenue au titre du secret des affaires. Nous voyons bien que ce n'est plus acceptable. La transparence est un impératif ; nous la devons à nos aînés et à leurs familles. Elle doit devenir obligatoire et effective.

Je soutiens la proposition qui consisterait à obliger les groupes gérant des établissements privés à but lucratif à adopter le statut de société à mission créé par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »). Je suis bien consciente que cela ne résoudra pas tous les problèmes ; c'est simplement une piste de réflexion. Je souligne néanmoins que, si une entreprise s'est déclarée « société à mission », elle doit notamment définir, dans sa raison d'être, des objectifs sociaux, dont le respect est contrôlé par un organisme tiers indépendant, une première fois dans les dix‑huit mois, puis tous les deux ans. Ce contrôle s'ajouterait aux contrôles existants.

Telles sont les quelques pistes que je souhaitais vous présenter pour contribuer à la modification du modèle de l'EHPAD d'aujourd'hui et de demain.

Il nous faut, en urgence, des contrôles mieux organisés et mieux ciblés, ainsi qu'une gouvernance clarifiée entre les ARS et les départements. Nous devons aussi réfléchir au statut des EHPAD. Nous ne pouvons pas en rester à la situation actuelle, où les autorités compétentes ne dialoguent pas suffisamment et où les groupes privés à but lucratifs, notamment ceux qui sont cotés en bourse, ne sont pas assez transparents sur leur fonctionnement et sur leurs comptes.

Le grand âge ne doit plus être considéré comme un business. Par respect pour les soignants, les familles et nos aînés, nous, responsables politiques, devons être les garants de l'éthique, accompagner le changement de regard sur nos aînés et imposer un nouveau modèle de prise en charge.

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Vous le savez, je connais les EHPAD de l'intérieur en tant qu'aide‑soignante. Je pense en ce jour aux résidents, aux familles et au personnel des EHPAD, qui souffrent des dérives du système actuel.

Pour être tout à fait honnête avec vous, je précise que j'ai beaucoup hésité à me lancer dans la présente mission « flash », qui fait suite aux révélations du livre de Victor Castanet. Dans mon premier discours à la tribune de nitre assemblée, le 19 juillet 2017, j'avais abordé la situation dans les EHPAD. Je termine mon mandat sur le même sujet ; ce n'est pas très glorieux. Le rapport que Mme Iborra et moi avons coécrit à ce sujet en 2018 décrivait déjà tous les faits accablants qui sont dénoncés dans le livre, ainsi que dans les récents reportages de Cash Investigation. Or aucun changement structurel n'a été réalisé durant ces cinq années de mandat présidentiel et législatif.

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Absolument ! Vous avez raison, madame Fiat. Je suis de votre côté.

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On a promis 20 000 soignants supplémentaires sur dix ans, mais le ratio de soignants par résident continue de se dégrader, compte tenu des évolutions démographiques. La pédagogie étant affaire de répétition, je ne désespère pas que le prochain gouvernement et la prochaine assemblée se donnent enfin les moyens de ces ambitions.

Le présent rapport, écrit avec Mmes Hammerer et Valentin, pose les bases des mesures qu'il faudra mettre en œuvre pour qu'adviennent les EHPAD de demain. Très concis, il est le condensé de ce qui a été décrit plus largement dans notre rapport de 2018. Il s'appuie sur des éléments issus des auditions que nous avons menées, dans un temps malheureusement très contraint.

Nous devons remettre l'humain au centre du fonctionnement des EHPAD. Notre première préconisation est, sans surprise, comme dans le rapport de 2018, de définir un ratio minimal obligatoire de personnel soignant « au chevet » des résidents, ce qui reviendrait à doubler sans délai les effectifs dans nos EHPAD. C'est la seule manière de mettre fin à la maltraitance, pour les résidents comme pour les personnels, qui sont les victimes collatérales.

Remettre l'humain au centre, c'est aussi maintenir autant que possible l'autonomie des résidents. La bientraitance tient non pas au nombre de protections – on pourrait aller jusqu'à dix, onze ou douze par jour, tant qu'on y est –, mais tout simplement au fait d'avoir le temps d'accompagner le résident aux toilettes chaque fois qu'il en a besoin, auquel cas il n'est pas nécessaire de lui poser une protection.

L'EHPAD de demain doit être un lieu de vie où l'on est soigné, non un lieu de soins où l'on vit. Dans notre rapport de 2018, nous demandions déjà la généralisation d'établissements qui recréent pour le résident la sensation d'être au domicile et sont orientés vers le respect de sa citoyenneté. Pourtant, depuis nos alertes, les choses ne se sont pas améliorées. La gestion de la pandémie dans les EHPAD a même donné lieu à des privations inhumaines de liberté et de contacts sociaux, ce que la Défenseure des droits a longuement rappelé dans son rapport de 2021.

Le résident est un citoyen, un individu qui a un parcours de vie et des particularités. Dans l'EHPAD de demain, les résidents devront pouvoir choisir comment ils veulent vivre les dernières années de leur vie. Ils devront se sentir chez eux : sonnette à l'entrée des chambres ; choix des meubles, de la décoration, des objets, de l'aménagement. Les personnels devront avoir le temps de s'intéresser à chaque résident, de connaître leur histoire, ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas. En deux mots, il faut remettre au centre l'humain et l'accompagnement, retenir le concept d'humanitude plutôt que l'approche strictement médicale et médicamenteuse.

Monique Iborra et moi l'avions écrit dans notre rapport : le droit au beau existe ; il est essentiel et doit s'appliquer dès la construction des EHPAD, pour que les résidents s'y sentent chez eux. Personne n'a envie d'habiter dans un endroit qui ressemble à un hôpital.

N'oublions pas non plus le droit au bon. Une émission de Cash Investigation vient de révéler le prix maximal par résident de la nourriture et des boissons chez Korian : 4,35 euros par jour. C'est abject, inadmissible. Il doit à nouveau être possible de bien manger en EHPAD, car c'est le premier plaisir du quotidien.

Quand je décris l'EHPAD du futur, je parle souvent du modèle néerlandais. C'est effectivement un exemple, en particulier pour la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, qui seront 2,5 millions en France en 2050. À Hogeweyk, où je suis allée, il y a un vrai quartier, avec de petites maisons personnalisées. Il y a un restaurant, un théâtre, un supermarché. Les résidents participent au choix des menus. Il y a deux infirmières ou aides‑soignantes pour chaque maison, c'est‑à‑dire pour six résidents. Les résidents paient entre 0 et 2 400 euros par mois, en fonction de leurs revenus. Voilà un lieu où le résident se sent chez lui.

Pour ces lieux, on pourrait d'ailleurs inventer un nouveau nom : « maisons collectives pour seniors » par exemple, comme nous l'avions proposé. Il faut bannir le mot « EHPAD », connoté de manière beaucoup très négative.

Véronique Hammerer vient d'en parler, les contrôles doivent être rénovés. Ils doivent permettre de vérifier que les résidents sont traités avec humanité. Il faut en finir avec les contrôles auxquels les établissements obtiennent des notes excellentes parce qu'ils cochent toutes les cases d'une grille qui n'a rien à voir avec la vie des résidents, ni avec leur bien‑être. Les contrôles sur place doivent être faits de manière inopinée et porter sur la manière dont les résidents vivent concrètement et dont ils sont traités. Cela nécessite sans aucun doute davantage de moyens humains. Quant aux évaluations externes, elles doivent revenir dans le giron du secteur public et être réalisées en toute indépendance.

Il convient de protéger toutes les personnes qui dénoncent les maltraitances, en particulier les familles. Ce sont des lanceurs d'alerte. Elles ne doivent plus être seules face au pouvoir des grands groupes. À cet égard, il apparaît indispensable de renforcer les prérogatives des CVS.

Pour bien traiter les résidents dans nos EHPAD, il faut bien évidemment s'en donner les moyens budgétaires. Cessons de nous cacher derrière notre petit doigt dès que la question est évoquée ! Compte tenu de la maltraitance actuelle et des évolutions démographiques, il est nécessaire d'y consacrer au minimum 1 point de produit intérieure brut (PIB) supplémentaire – c'est chiffré. D'autres pays allouent encore davantage de moyens. Vous trouverez les détails dans le rapport Fiat‑Iborra de 2018.

Pour que cet argent public ne soit pas gaspillé par des groupes privés à but lucratif, il faut à tout le moins savoir ce qu'il devient lorsqu'il leur est distribué. Mais, si nous voulons une véritable réforme qui porte ses fruits, nous devons aller plus loin : plus jamais une entreprise ne doit dégager de dividendes sur la maltraitance de nos aînés. Il faut donc se poser, une fois pour toutes, la question de l'existence d'un secteur privé à but lucratif. Pour ma part, j'estime qu'il faut y mettre fin, qu'il faut faire cesser le business de l'« or gris ». Véronique Hammerer a évoqué la proposition de faire de ces groupes des sociétés à mission. Je pense sincèrement que cela ne suffira pas. D'ailleurs, quand je parle de ce modèle privé lucratif à nos voisins européens, par exemple au Danemark, mes interlocuteurs sont très surpris, voire choqués, qu'un tel système puisse exister.

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Depuis plusieurs semaines, notre commission conduit des auditions, nécessaires et utiles, pour mieux comprendre les défaillances révélées par le scandale Orpea. Notre objectif étant d'éviter que ces défaillances ne se reproduisent, le sujet de l'EHPAD de demain est nécessairement lié à ce scandale, qui avait été précédé de nombreuses alertes, la question ayant été abondamment étudiée au cours de la législature. Néanmoins, le sujet est plus large : il s'agit non seulement de corriger les faiblesses du système, mais aussi d'inventer et de mettre en place l'EHPAD de demain, dans lequel il fera bon vieillir. Je crois que c'est un objectif que nous partageons tous.

Le manque de personnel est un des aspects majeurs. Je souscris aux propos de mes collègues sur la nécessité, à court terme, de former et de recruter davantage de personnels en EHPAD, d'accroître significativement les financements publics, de renforcer et d'améliorer les contrôles. Je souhaite insister sur un certain nombre de points qui me tiennent à cœur.

Premier point : la prévention. L'EHPAD de demain doit être un lieu de vie pour chaque résident ; un lieu de vie où l'on soigne, non un lien de soins où l'on vit – je le souligne à mon tour.

Nous devons renforcer toutes nos politiques de prévention. Des dispositifs ont été mis en place, à l'instar des conférences des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées, mais ils sont grandement insuffisants. La prévention devrait mobiliser toute la société, de l'entreprise à l'ensemble des politiques publiques. Or elle n'est pas suffisamment intégrée dans les politiques de l'autonomie et de l'habitat. Les rares actions de prévention sont difficilement lisibles et peu évaluées. Surtout, les acteurs ne sont pas coordonnés.

Nous l'avons entendu lors de nombreuses auditions : il faut déployer en France, notamment en EHPAD, l'approche dite ICOPE (Integrated Care for Older People), conçue par l'Organisation mondiale de la santé, qui consiste à surveiller et maintenir les cinq fonctions essentielles, à savoir la locomotion, la cognition, le sensoriel, le psycho‑social et la vitalité. Je rappelle qu'un renforcement de la prévention nous permettrait de réaliser des économies importantes – hospitalisations et consultations évitées, médicaments non consommés –, qui pourraient être utilement redirigées vers le financement des EHPAD de demain. Je suis convaincue qu'il faut réussir à casser le fonctionnement en silo des professionnels du grand âge, qui ont tous un rôle à jouer en matière de prévention. Nous devons également réfléchir à de nouvelles modalités de financement de la prévention, notamment en EHPAD, grâce à une réforme de la tarification.

Deuxième point sur lequel je souhaite insister : les professionnels du grand âge, plus spécifiquement ceux qui travaillent en EHPAD. J'estime moi aussi nécessaire, bien évidemment, d'améliorer leurs conditions de travail et leur rémunération. Je pense qu'il faut en outre recruter un certain nombre de professionnels qui manquent cruellement dans les structures actuelles, notamment des aides médico‑psychologiques (AMP), des orthophonistes et des ergothérapeutes – cela rejoint la question de la prévention. Sans doute faut‑il augmenter les capacités de formation dans chacun de ces métiers.

Par ailleurs, il est nécessaire de faire évoluer la formation des directeurs d'EHPAD. Nous l'avons bien vu avec le scandale Orpea : les directeurs d'EHPAD sont de très bons gestionnaires, et c'est important, mais on ne demande pas uniquement à un directeur de savoir bien gérer et administrer un établissement. Il faut donc qu'au cours de leur formation, les directeurs soient bien davantage sensibilisés aux dimensions humaine, éthique et relationnelle de leur métier.

Troisième point sur lequel je souhaite insister : le financement de l'EHPAD de demain, notamment la question du reste à charge. Vous le savez, le coût de l'EHPAD est de plus en plus important pour le retraité, qui dispose souvent de faibles revenus, notamment dans les territoires ruraux. La question cruciale est la suivante : qui va pouvoir payer l'EHPAD de demain, lequel nécessitera des investissements importants ? Le groupe Les Républicains, auquel j'appartiens, avait déposé il y a quelques années une proposition de loi visant à accorder un crédit d'impôt aux familles qui financent en partie la prise en charge d'un de leurs parents en EHPAD. Nous n'avons pas eu le temps de creuser ce sujet essentiel dans le cadre de notre mission « flash », mais il faudra à l'évidence le traiter.

Nous insistons dans notre rapport sur un aspect majeur : l'évolution du modèle de l'EHPAD. Selon nous, je tiens à le préciser, il n'y a pas de modèle unique d'EHPAD à privilégier ; il faut de la souplesse. Vous le savez, le vieillissement de la population affecte différemment les territoires : les départements peu denses accueillent une forte proportion de populations âgées. L'enjeu est d'adapter les structures de prise en charge aux réalités des territoires.

S'il n'y a pas de modèle unique à privilégier, l'EHPAD de demain devra, où qu'il se trouve, être ouvert sur son environnement. En d'autres termes, nous pourrions envisager que, demain, tout EHPAD doive accueillir des projets destinés à la population environnante. De tels projets sont importants, car ils permettent d'ouvrir les résidents des EHPAD à la vie sociale de leur territoire et de renforcer les solidarités entre générations. Selon moi, ils peuvent aussi être un vecteur de revitalisation de certains territoires, notamment ruraux. Quelques EHPAD hébergent déjà des salles communales, des salles de spectacle ou des tiers‑lieux tels que des microbrasseries ou des microcrèches. Il faut désormais généraliser ces expériences.

L'ouverture des EHPAD passe également par un renforcement des liens avec les acteurs de la santé. Je pense aux communautés professionnelles territoriales de santé et aux groupements hospitaliers de territoire. Les acteurs que nous avons auditionnés ont tous appelé de leurs vœux davantage de places d'hébergement temporaire en sortie d'hospitalisation dans les EHPAD. On l'a fait pendant la crise ; nous savons donc que c'est possible. Nous devons nous en donner les moyens.

L'EHPAD de demain doit également assurer un continuum entre les acteurs du grand âge. Il doit être non pas « l'endroit où l'on va une fois que l'on a tout essayé », mais d'abord un lieu qui offre un soutien pour le maintien au domicile. L'hébergement temporaire devrait être renforcé, notamment l'EHPAD de nuit. Néanmoins, cela suppose de régler les problèmes de transport, en particulier dans les territoires ruraux, l'EHPAD n'étant pas nécessairement situé à côté du domicile.

Je remercie l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées : elles se sont rendues disponibles dans un laps de temps très court et ont apporté beaucoup d'éléments à notre réflexion. Nous insistons dans notre rapport sur ce qui nous semble être les grandes priorités pour l'EHPAD de demain. Bien évidemment, nous ne prétendons pas avoir fait le tour du sujet en une semaine. Nous appelons de nos vœux une loi « grand âge et autonomie » construite en concertation avec les acteurs de terrain et permettant à l'EHPAD de demain d'advenir enfin.

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Mesdames les rapporteures, merci pour ce travail très riche et plein d'humanité.

Je veux souligner, pour ma part, les avancées de la loi de financement de la sécurité (LFSS) pour 2022, qui prévoit 250 millions d'euros pour le maintien à domicile, le tarif plancher à 22 euros, la création d'un service autonomie à domicile associant besoin de soin et besoin d'aide, et 20 millions pour le développement des EHPAD ressources facilitant l'interaction entre les établissements et leur environnement de proximité – intervenants sociaux, médico‑sociaux et sanitaires – ainsi que l'ouverture aux personnes extérieures.

Une réflexion s'impose cependant afin de rendre les EHPAD plus humains et plus proches des évolutions des résidents. J'approuve ainsi fortement la priorité donnée aux petites structures ainsi que la transformation des EHPAD en bouquets de services pour le maintien à domicile.

J'ai visité dans ma circonscription avec Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie, l'EHPAD Aulagnier à Asnières‑sur‑Seine, qui est intégré au dispositif innovant d'accompagnement et de maintien des personnes âgées dans leur maison (DIAPASON 92). Un coordinateur salarié de l'EHPAD y organise le service de soins, comprenant médecins, infirmiers, ergothérapeutes et orthophonistes, et répond à tous les autres besoins des résidents – livraison de repas, accès aux objets connectés, tapis antichute... J'ai rencontré à cette occasion une vieille dame et son fils, très satisfaits de ce dispositif.

Actuellement, la durée moyenne d'un séjour en EHPAD est de dix‑huit mois, avec des résidents de plus en plus dépendants physiquement, faisant souvent l'objet de troubles cognitifs et nécessitant des soins de plus en plus exigeants.

La crise sanitaire et les rapports précédents ont montré qu'il fallait donner la priorité à l'humain, aux liens avec la famille et avec l'extérieur. Vous évoquez aujourd'hui une révolution culturelle, avec le droit au beau, le droit au bon. La question de la fin de vie doit par ailleurs être mieux prise en compte avec les directives anticipées, les soins palliatifs, les rites funéraires et l'accompagnement des familles endeuillées.

Comment faire de l'EHPAD de demain un lieu de soins de plus en plus spécifiques et un lieu plus humain, où il sera possible de choisir le dispositif le plus adapté et où les résidents puissent se sentir bien ?

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Il faut à court terme plus de personnel, plus de financements, plus de contrôle et de temps, ainsi qu'une volonté politique. Mais celle‑ci est partagée par toute la commission ; nous l'avons montré dès le début de la législature, notamment avec le rapport de nos collègues Monique Iborra et Caroline Fiat. Après les élections, ce chantier sera le premier qu'il faudra mettre sur la table.

Je suis d'accord avec l'ensemble de vos propositions. Comment remplacer cependant le privé lucratif ? Il représente presque 30 % du secteur. Comment les pouvoirs publics répondront‑ils à des besoins que l'on sait grandissants ?

Oui, l'EHPAD doit être vraiment un lieu de vie et sa gouvernance doit être revue. Il est inadmissible que les contrôles soient annoncés.

Il faut harmoniser le public et le privé : tout le monde doit être traité de la même façon.

Je suis enfin assez sensible à l'EHPAD‑plateforme ou pôle de ressources. Le concept de la maison partagée me semble très bon. C'est peut‑être un idéal, mais il faut aussi avoir le droit de rêver pour nos anciens.

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Sibille (Dem). Si nous sommes tous d'accord sur le court terme, quid des moyen et long termes ? Face au mur démographique, devons‑nous accorder plus d'autorisations pour de nouveaux EHPAD ? Dans l'affirmative, faut‑il les donner au privé commercial, au privé non lucratif ou au public ? Encore faut‑il que celui‑ci ait les moyens de les financer.

Une réflexion doit effectivement être menée sur la réforme du statut des EHPAD, avec leur transformation en sociétés à mission, et la séparation entre la gestion immobilière et celle des établissements pour le secteur privé.

Il faut également s'intéresser au modèle des EHPAD associatifs, ou privés non lucratifs comme à celui des établissements de santé privé d'intérêt collectif.

Il importe bien évidemment de lier les EHPAD aux structures assumant les activités d'accompagnement du grand âge. À cet égard, les EHPAD‑plateformes sont très intéressants.

Le nombre de personnes très dépendantes va augmenter, ce qui va demander de fait plus de besoins, plus de moyens et donc de plus de soutien et soins mais aussi d'humanité. L'équation sera difficile.

Il y a vingt ans, nous parlions de maisons de retraite, nous sommes aujourd'hui confrontés aux nombreuses difficultés des EHPAD qui accueillent des personnes plus âgées et plus dépendantes, pour des séjours plus courts.

N'oublions pas non plus les familles qui ont du mal à trouver des places en EHPAD et à financer ce placement.

Face à ces enjeux, nous avons des choix important à faire pour trouver un modèle d'EHPAD qui répondent aux besoins des personnes âgées de demain : nous.

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Merci pour cet excellent rapport. Les trois scénarios proposés constituent cependant une façon de ne pas vraiment trancher. Pour moi, si l'on considère que la vieillesse n'est pas une marchandise, il ne peut y avoir d'EHPAD à but lucratif. Il en est ainsi dans les Landes.

Cela renvoie à des choix politiques : il faut beaucoup investir pour faire baisser les prix de journée. Il faut aussi faire en sorte qu'il n'y ait pas des EHPAD pour les riches et d'autres pour les pauvres : on a vécu ensemble et on vieillit ensemble. Dans les Landes, toutes les places sont éligibles à l'aide sociale.

Notre réflexion sur ce sujet n'est pas achevée – il n'y a du reste pas d'unanimité dans les familles politiques. Je voulais vous faire part de mon point de vue, qui pose une question ontologique, anthropologique et évidemment politique.

Comment l'EHPAD de demain pense‑t‑il l'articulation sociale, médico‑sociale et sanitaire ?

Par ailleurs, vous n'avez pas évoqué la question très spécifique de la prise en charge des maladies neuro‑dégénératives, et en particulier de la maladie d'Alzheimer, dans l'EHPAD de demain ou dans les structures susceptibles d'accueillir des personnes âgées en souffrant. Or il y a là une réflexion à conduire et des exemples à suivre.

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Je salue, moi aussi, la qualité du travail effectué, dans un temps très contraint. Vos réflexions sur le modèle de l'EHPAD de demain complètent celles des trois autres missions « flash » conduites par notre commission, à la suite de la déflagration provoquée par la publication du livre‑enquête Les Fossoyeurs de Victor Castanet, et des très nombreux travaux que nous avons menés depuis cinq ans.

Le groupe Agir ensemble se réjouit que notre commission se soit rapidement et pleinement emparée de ce sujet. Nous partageons tous ici, et depuis de trop nombreuses années, le constat que les EHPAD sont confrontés à une triple crise, celle des moyens, celle de l'attractivité et celle du cloisonnement.

Nous partageons tous ici votre volonté d'aller vers un modèle plus humain, davantage centré sur les besoins du résident et où le personnel serait plus nombreux, mieux formé et mieux rémunéré. L'EHPAD s'inscrirait, avec les autres secteurs du grand âge, dans un continuum du bien‑vieillir et interviendrait en dernier ressort, lorsque le maintien à domicile ne serait vraiment plus possible.

À court terme, vous préconisez un électrochoc au travers de la mobilisation de 1 point de PIB, soit l'équivalent d'un Ségur, pour le financement des EHPAD. À moyen et long termes, vous ouvrez la perspective d'en faire des lieux ouverts et transparents. L'objectif doit être le maintien dans la vie et non plus le maintien en vie.

Vous évoquez trois pistes pour la réforme du statut des EHPAD : l'interdiction du privé lucratif – je considère à titre personnel qu'il doit avoir sa place et que les contrôles sur les soins, relevant de financements publics, doivent être renforcés –, la séparation de la gestion immobilière et de l'activité d'accompagnement, ou encore la transformation en société à mission qu'a d'ailleurs annoncée le groupe Korian pour l'année prochaine. En quoi ce statut permettrait‑il d'atteindre la transparence, la qualité des soins, le bien‑être et le management humain que nous appelons tous de nos vœux ?

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Valérie Six (UDI

I). Certes, des propositions concrètes, à court et moyen termes, devront rapidement découler des conclusions des différentes missions « flash ». Nous ne pourrons cependant pas nous passer d'une réforme structurelle sur le grand âge. S'il a été fait état d'un système d'optimisation des coûts au sein du groupe Orpea, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réflexion plus large sur la prise en charge de la dépendance.

S'agissant de l'EHPAD de demain, je salue la proposition visant à introduire des normes – réclamées par tout le secteur – sur les taux d'encadrement, et je partage le constat sur la nécessité de recruter. Encore faut‑il avoir des candidats ! Comment rendre les professions concernées attractives et comment fidéliser ces personnels soignants ? Que proposez‑vous à cet égard hormis la gratuité des études d'aide‑soignante ?

S'agissant du financement de la prévention, que pensez‑vous des récentes propositions de la Cour des comptes, à savoir la généralisation du recours au tarif global dans les EHPAD, qui permet une meilleure prise en charge médicale, et le recrutement de médecins prescripteurs pour assurer le suivi des résidents ? Faire de l'EHPAD un lieu de vie passe par une véritable inclusion des professionnels, notamment de santé, en son sein.

Je m'interroge enfin sur les trois modèles proposés pour les établissements lucratifs : quel est celui qui présente, selon vous, les meilleures caractéristiques et la meilleure faisabilité dans les prochaines années ? Il faudra rapidement trancher.

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Le travail extrêmement intéressant de nos collègues reprend nombre des propositions du rapport Fiat‑Iborra, dont on peut regretter qu'il n'ait pas davantage été utilisé pour apporter des solutions.

Merci de souligner que le ratio important est celui du nombre d'infirmières et d'aides‑soignantes au chevet du résident. Vous proposez de le faire passer de 0,4 à 0,6, ce qui serait une excellente mesure.

Vous souhaitez rendre gratuite la formation de l'aide‑soignante. Pouvez‑vous nous en dire plus ? Nous savons tous que ces personnels sont essentiels dans les EHPAD car ce sont elles qui passent le plus de temps avec les résidents.

Vous jugez nécessaire une recette nouvelle dédiée. C'est en effet indispensable et je regrette que nous ne l'ayons pas prévu dans le cadre de la LFSS. En tout état de cause, nous n'y couperons pas.

Merci d'insister sur la prévention, et de rappeler que l'EHPAD doit rester un lieu de vie. Avez‑vous mené une réflexion particulière sur l'accueil des résidents atteints de maladies cognitives ou de troubles du comportement ? Pendant des années, la tentation a été de créer, dans les EHPAD, des milieux contenants, c'est‑à‑dire des unités dédiées : ne faudrait‑il pas plutôt prévoir des établissements dédiés ouverts sur l'extérieur ?

Enfin, je suis très sensible à votre proposition de séparer l'immobilier et la gestion des établissements : elle doit être creusée.

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Il a été fait beaucoup pour la perte d'autonomie au cours de cette législature : les travaux parlementaires, notamment ici en commission, le Ségur, le plan d'investissement pour la rénovation des EHPAD et la création de la cinquième branche avec un début de financement.

Quelles conséquences aurait l'interdiction des EHPAD à but lucratif, qui proposent un nombre de lits important ?

La séparation de l'investissement immobilier de la gestion se pratique déjà dans l'hôtellerie. Quid également des particuliers qui ont été spoliés par certains groupes gestionnaires de lits ?

Je m'interroge moi aussi sur la spécialisation de certaines unités ou de certains établissements dans la maladie d'Alzheimer ou dans la fin de vie.

Enfin, comment imaginez‑vous l'EHPAD hors les murs ?

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Il faut éviter la confusion entre maison de retraite et EHPAD, ce dernier prenant nécessairement en compte la dépendance.

S'agissant précisément de la dépendance, le rapport Jeandel‑Guérin a rappelé que les indicateurs GIR moyen pondéré et PATHOS moyen pondéré sont tendanciellement à la hausse depuis plusieurs années : le premier a ainsi augmenté de 48 points et le second est passé de 125 en 2001 à 213 en 2017. Cela traduit une plus forte dépendance des résidents, une prévalence croissante de morbidités chroniques ainsi qu'une source d'incapacité fonctionnelle plus importante.

Par‑delà la question des contrôles de la gouvernance, le seul vrai défi est celui du recrutement, et donc de l'attractivité des métiers : comment allez‑vous le relever ? Il serait logique, comme dans le domaine de la défense nationale, d'envisager une loi de programmation.

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Je rappelle que nous n'avons eu qu'une semaine pour travailler. Nous ne pourrons répondre à toutes vos questions, qui sont aussi les nôtres.

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L'EHPAD idéal de demain ne devra pas être un lieu de soins : les personnes devront y entrer autonomes, comme arrivaient auparavant, par choix, dans les maisons de retraite des femmes ou des hommes qui, par exemple, se retrouvaient seuls après un veuvage. Cela permettra aux soignants de connaître leurs goûts et leurs habitudes jusqu'à la fin de leur vie.

Une personne âgée est une personne. Comment en est‑on arrivé à calculer le nombre de protections quotidiennement nécessaires ? Qui, dans cette pièce, est prêt à accepter de perdre son autonomie, faute de personnel pour aller aux toilettes ? La grande majorité de nos aînés n'a pas besoin de protection, il suffit juste d'avoir le temps de les accompagner aux toilettes.

Comment faire pour interdire le privé lucratif ? Il faut simplement expliquer que les investissements seront toujours possibles, mais pas le rationnement visant à verser de l'argent aux actionnaires et à profiter de l'or gris. Il n'est pas acceptable que des gens puissent gagner de l'argent grâce à la fameuse silver économie en faisant des économies sur la bientraitance. Si les investisseurs ne sont pas d'accord, de nombreuses associations, qui ont été rachetées et se sont fait avoir, seront bien contentes de reprendre leurs EHPAD. Tout cela relève en effet d'un choix politique.

L'articulation entre le social, le médico‑social et le sanitaire se fait très simplement aux Pays‑Bas dans le village Alzheimer, où le dispensaire, qui regroupe tous les soignants, est ouvert à tout le monde. Ainsi, les personnes âgées font leur kiné avec des enfants, des adolescents ou des femmes qui viennent d'accoucher. Elles ne sont pas « entre vieux ». Soyons positifs ! Nous espérons tous devenirs vieux. C'est la vie et ce n'est pas grave si les personnes sont bien traitées.

En France, bizarrement, Alzheimer est une maladie très grave qui impose d'enfermer à double tour, notamment dans des unités de vie protégée, ceux qui en sont atteints. Or c'est la façon dont on les traite qui est grave. Je vous invite tous à aller visiter le village Alzheimer.

Pourquoi la formation d'aide‑soignante, qui coûte 15 000 euros, doit‑elle être gratuite ? Tout simplement pour éviter les montages improbables impliquant notamment Pôle emploi et pour remédier au manque cruel de soignants – j'en ai fait personnellement l'expérience.

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Nous avons essayé d'envisager ce que nous pourrions faire d'abord à court terme, puis à moyen et à long termes.

Le problème primordial dans les EHPAD est effectivement le manque de personnel. Augmenter les ratios est la première chose à faire pour rompre le cercle vicieux, le faible nombre d'aides‑soignantes et d'infirmières engendrant des conditions de travail déplorables, l'attractivité de ces métiers s'en trouve encore affaiblie.

Il faut rendre la formation d'aide‑soignante gratuite. Dans ma circonscription, j'en ai monté deux, sur la base de l'apprentissage, avec la région. Cela fonctionne même s'il reste compliqué de trouver des candidats. Ainsi, Pôle emploi a du mal à en proposer vingt‑quatre sur un bassin de 140 000 personnes ! Cela doit nous interroger.

On devient infirmière ou aide‑soignante parce qu'on aime les gens. Les stages doivent montrer qu'en aidant les personnes, on apporte de la bienveillance et de l'humain. C'est ainsi que nous rendrons ces métiers attractifs. Nous sortirons de ce cercle vicieux tous ensemble : élus locaux, régions, départements.

On manque également d'AMP, de psychomotriciens et d'ergothérapeutes. Ne commettons pas la même erreur qu'avec les médecins : il faut en former dès aujourd'hui car le nombre de malades d'Alzheimer va augmenter très rapidement dans les dix prochaines années.

Il faut également repenser l'architecture de l'EHPAD de demain. La disposition des locaux doit permettre aux résidents de déambuler en sécurité – sans pour autant qu'ils se perdent. Notre audition avec une architecte sur ce point fut très intéressante.

Faut‑il prévoir des petites unités pour prendre en charge les personnes souffrant de maladies neurodégénératives ? Un tel système fonctionnerait probablement dans les grandes métropoles, qui disposent de moyens. Ce serait beaucoup plus compliqué dans les territoires ruraux. Le nombre de ces unités y sera fatalement limité, avec peut‑être seulement une par département, ce qui présente le risque de déraciner encore davantage les résidents. L'opportunité d'une telle mesure et ses modalités d'application demeurent des questions ouvertes.

Le rapport précise qu'il est essentiel de ne pas s'orienter vers un modèle uniforme d'EHPAD, mais bien de mettre en place des solutions adaptées aux réalités locales.

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Un mot sur la gratuité de la formation. Il existe effectivement des inégalités territoriales. Lorsque j'étais vice‑présidente de la région Bourgogne en charge de la formation professionnelle, dès 2005 nous avions prévu la gratuité de la formation pour les aides‑soignants. Cela suppose que les régions signent des conventions avec Pôle emploi, mais c'est tout à fait possible. Peut‑être certaines régions devraient‑elles prendre davantage d'initiatives en la matière.

Le décret du 12 avril 2021 facilite le développement de l'apprentissage. Il faut que les instituts de formation en alternance se mobilisent. Beaucoup de jeunes souhaitent bénéficier d'un apprentissage en tant qu'aide‑soignant et il faut leur faciliter la tâche. C'est une question de volonté politique – je le dis aux régions.

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Madame Pételle, s'agissant de la conciliation entre soins et lieux de vie nous avons entendu les professeurs Claude Jeandel et Olivier Guérin, auteurs d'un rapport sur les EHPAD et les unités de soins de longue durée où il est proposé de renforcer ces dernières. Cela reste un débat. Je suis tout à fait d'accord avec Caroline Fiat : l'EHPAD doit être un lieu de vie avant d'être un lieu de soins. Il faut retarder le plus possible la perte d'autonomie.

En France, nous sommes très en retard en matière de prévention. Nous ne sommes pas bons. Il faut davantage de prévention et de considération. La société fait preuve d'âgisme et ne reconnaît pas la personne âgée comme un sujet. Le rapport de notre collègue Audrey Dufeu en tant que parlementaire en mission est éloquent. Il faut opérer une révolution culturelle. S'engager dans une dynamique de prévention beaucoup plus importante retardera les pertes d'autonomie.

M. Ramadier a évoqué les maisons partagées. Comme vous le savez, j'ai été travailleur social et j'en ai vu beaucoup être mises en place. Au départ, cela a été très difficile parce qu'elles ne disposaient pas d'un statut et sortaient des cadres habituels. En France, tout ce qui sort du cadre est compliqué. Les maisons d'accueil et de résidence pour l'autonomie âgées (MARPA) montrent depuis plus de vingt ans l'intérêt que présentent des structures alternatives, installées au cœur des villages et intégrées dans la vie associative. Il existe une seule MARPA‑école, c'est‑à‑dire située dans une école élémentaire. Les aînés y voient les enfants jouer dans la cour. Ces derniers apprennent le numérique aux anciens, qui, en retour, donnent des cours de cuisine, par exemple. Il faut davantage développer ce type d'initiatives, dont l'intérêt est de reculer autant que possible la perte d'autonomie.

M. Isaac‑Sibille a abordé la séparation de la gestion immobilière de celle du fonctionnement. C'est un point qui mérite d'être approfondi et qui a été évoqué à de nombreuses reprises lors des auditions. Je ne dispose pas encore de suffisamment d'éléments, mais cela pourrait être une manière de limiter les marges du secteur privé lucratif.

La question des EHPAD privés lucratifs est bien entendu d'ordre politique, monsieur Vallaud. Cela étant nous faisons face à une réalité démographique. Si l'on supprime le secteur privé lucratif, comment fait‑on ?

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Où trouve‑t‑on l'argent pour permettre l'accompagnement ? Il faut réfléchir. Parmi les EHPAD, 22 % relèvent du secteur privé lucratif et 9 % de sociétés cotées en bourse. Les effets du mouvement de privatisation sont revenus comme un boomerang et il faut encadrer ces établissements.

Une chose doit être bien claire : les sociétés à mission constituent une piste de travail qui doit être encore approfondie, mais elles ne sont pas l'alpha et l'oméga. Sans régler l'ensemble des problèmes, elles représentent une première étape. Ces entreprises doivent affirmer leur raison d'être dans les statuts et y faire figurer un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux. L'un des éléments les plus intéressants réside dans le fait qu'elles sont contrôlées par un organisme tiers indépendant, qui vérifie que l'activité correspond bien aux valeurs pour lesquelles elles se sont engagées. M. Vallaud n'a pas eu l'air convaincu, mais nous verrons quels seront les résultats.

En ce qui concerne le ratio de personnel soignant, je pense qu'il faut aller au‑delà de 0,6, madame Dubié. Comme l'a très bien expliqué Caroline Fiat, il faut du temps. On ne peut plus accepter que les professionnels de soins soient contraints de faire une toilette en cinq ou dix minutes – voire pas de toilette du tout parce qu'ils n'ont pas le temps. C'est pour cela que les personnels fuient les EHPAD. Ils ne peuvent plus faire leur métier correctement et ne supportent plus cette forme de maltraitance. L'urgence est là.

Je suis étonnée que personne n'ait posé de question sur les contrôles réalisés par les ARS et les départements, ainsi que sur leur mutualisation. Lorsque j'ai évoqué l'éventualité d'une telle démarche à l'occasion de l'audition des représentants des départements, j'ai recueilli un sourire. Mais je ne souris pas lorsque je lis le livre de M. Castanet ! J'ai demandé à l'ARS Île‑de‑France et au département des Hauts‑de‑Seine s'ils étaient entrés en relation lorsqu'ils avaient reçus des réclamations. Ils ne l'ont pas fait. C'est grave. On ne peut plus travailler en silo. Les gens doivent se parler et la transversalité doit être la règle. J'ai agi en faveur de cette transversalité pendant les vingt‑cinq années de ma vie professionnelle, mais nous en sommes toujours au même point. Les départements et les ARS disposent de personnels compétents. Pourquoi ne pas commencer à mutualiser ces services pour aboutir à un contrôle efficace ? Il s'agit, non pas de créer une nouvelle structure ou de réinventer la poudre, mais d'améliorer les procédures en apprenant aux gens à mieux travailler ensemble.

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Grâce à vos réponses, je comprends mieux ce que vous entendez par gratuité des formations. Il s'agit bien de la gratuité pour les personnes qui suivent une formation, le coût de celle‑ci étant pris en charge par la région.

Madame Hammerer, je saluais le fait que votre travail fasse référence à juste titre au ratio de personnel au chevet du résident. Le ratio de personnel se situe actuellement à 0,63 si l'on prend en considération l'ensemble des personnels des EHPAD, mais représente 0,4 pour ce qui concerne les personnels qui sont effectivement chargés des soins. Vous proposez dans votre rapport de porter ce dernier ratio à 0,6, ce qui correspond presque à un personnel pour un résident.

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Je considère que l'idée de recourir au statut de société à mission n'est pas convaincante. C'est un pis‑aller, qui permettra à un certain nombre de groupes de s'acheter une vertu à peu de frais. Toutes les conditions que vous avez rappelées s'agissant de la société à mission correspondent en réalité à l'objet même d'un projet d'établissement. Par ailleurs, on peut se réjouir d'un contrôle par un organisme indépendant, mais je préférerais que les ARS aient les moyens de contrôler et d'accompagner.

Ensuite, il ne s'agit pas de nationaliser les établissements qui dépendent du secteur privé lucratif, mais de mieux les contrôler. Si l'on rend les choses moins profitables, peut‑être le privé s'en détournera‑t‑il.

La nation doit se poser la question des moyens qu'elle souhaite consacrer à ses anciens et au service public. Ce sont des choix proprement politiques, et c'est le moment de les faire. On parle souvent de la dépense publique, mais il faut aussi aborder la question des recettes publiques – surtout quand on sait que des multinationales consolident 40 % de leur chiffre d'affaires dans les paradis fiscaux et qu'il manque de ce fait 20 % du produit de l'impôt sur les sociétés dans les États membres de l'Union européenne. Si l'on considère la structure des héritages et des grosses donations, on voit qu'un capital toujours plus important se concentre entre des mains toujours moins nombreuses. Il y a de l'argent. On peut organiser la solidarité nationale.

Pour ma part, je plaide pour une société dans laquelle les gens vivent ensemble – depuis l'école, dans la vie quotidienne et jusqu'au soir de leur vie. Cette mixité est au cœur du secteur non lucratif, afin qu'il n'y ait pas des établissements pour les pauvres et d'autres pour les riches. C'est un projet de société : nous voulons que chacun y ait une place, et non pas que chacun reste à sa place.

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Une aide‑soignante qui travaille et qui souhaite suivre une formation pour devenir infirmière doit faire face à une difficulté : elle ne touchera plus que 660 euros par mois. C'est l'un des points qu'il faut aussi améliorer. Si l'on veut que les gens continuent à travailler dans le secteur du soin, il faut leur donner des perspectives d'évolution. Il nous revient de réfléchir aux modalités de rémunération lors de la reprise d'une formation. Il est déjà difficile de le faire quand on a 30 ou 40 ans et une famille ; cela l'est encore plus si l'on est pénalisé financièrement.

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À l'heure actuelle, les personnels soignants disposent de 22 minutes au chevet d'un résident toutes les vingt‑quatre heures. Avec un ratio de 0,6 soignant par résident, on passerait à une heure trente, ce qui constitue le minimum vital pour mettre fin à la maltraitance. Avec une telle durée, on ne peut pas faire d'activité ni discuter, mais au moins les soignants ne seront‑ils plus amenés à maltraiter les résidents.

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Je vous remercie pour la qualité de vos travaux et vos propositions. Je remercie également les fonctionnaires qui vous ont accompagnées lors de cette mission et des précédentes. Les rapports de ces missions « flash » seront mis en ligne sur le site de l'Assemblée nationale, et ils seront en outre publiés au sein du rapport complet qui récapitulera l'ensemble des travaux de la commission.

La séance est levée à onze heures.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 2 mars 2022 à 8 heures 30

Présents. – Mme Stéphanie Atger, M. Belkhir Belhaddad, Mme Gisèle Biémouret, M. Sébastien Chenu, Mme Jeanine Dubié, Mme Catherine Fabre, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Véronique Hammerer, Mme Myriane Houplain, M. Cyrille Isaac‑Sibille, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Martin, M. Thierry Michels, Mme Bénédicte Pételle, M. Alain Ramadier, Mme Valérie Six, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, M. Stéphane Viry

Excusés. – M. Thibault Bazin, Mme Justine Benin, M. Paul Christophe, Mme Claire Guion‑Firmin, M. Thomas Mesnier, M. Jean‑Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean‑Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur‑Christophe

Assistaient également à la réunion. - M. Lionel Causse, M. Jacques Marilossian