Intervention de Véronique Hammerer

Réunion du mercredi 2 mars 2022 à 8h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Hammerer, rapporteure :

Le scandale Orpea et les nombreux rapports antérieurs – je pense en particulier à deux rapports parlementaires, celui présenté par Caroline Fiat et Monique Iborra en 2018, et l'excellent rapport d'Audrey Dufeu consacré à l'âgisme – nous obligent désormais à proposer ensemble un nouveau modèle pour les EHPAD.

Les EHPAD n'attirent plus ni les personnels, ni les familles, ni les résidents : ce choix est parfois subi. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de cette situation. La France compte environ 7 000 EHPAD, tous statuts confondus, qui accueillent plus de 600 000 résidents. En 2030, la génération du « baby‑boom » atteindra 85 ans ; il y aura alors 108 000 seniors supplémentaires en EHPAD si les pratiques restent inchangées. En 2050, plus de 25 millions de personnes auront 60 ans ou plus. Il est donc urgent d'agir pour assurer la bientraitance et le bien vieillir de nos aînés.

Mes collègues et moi nous sommes efforcées d'entendre le maximum d'acteurs dans le temps qui nous était imparti : des directeurs d'EHPAD, des syndicats, des gériatres, les ARS, la CNSA, le ministère des solidarités et de la santé – notamment la direction générale de la cohésion sociale –, les départements, des associations engagées sur cette question. De chaque audition il ressort qu'un changement de modèle s'impose à nous, en lien avec un changement de regard sur nos aînés.

Pour tenter de dessiner ce que pourrait être l'EHPAD de demain, nous avons choisi de définir des axes de travail à court, moyen et long termes. Face au scandale qui a été révélé, des actions immédiates doivent être entreprises. Nous détenons les constats ; le temps est désormais à l'action. Chacune d'entre nous va vous présenter les points qui lui paraissent les plus importants.

Pour ma part, je souhaite commencer par la question de la gouvernance et des contrôles, dont les insuffisances ont été dénoncées dans le livre de M. Castanet. La gouvernance locale est actuellement partagée entre les ARS – pour l'aspect « soins », par l'intermédiaire de l'assurance maladie – et les conseils départementaux – pour une partie des aspects « dépendance » et « hébergement ». Cette gestion duale pose d'immenses problèmes de coordination ; une clarification s'impose.

Dans notre rapport, nous ne tranchons pas le point de savoir s'il faut confier la gestion des EHPAD à une seule entité. Ce que nous croyons, c'est que les acteurs ne se parlent pas suffisamment, voire pas du tout dans certains territoires. Il est urgent que la transversalité devienne la règle dans notre pays !

Cette gestion a des conséquences sur les contrôles. Réalisés en théorie par les ARS et les départements, ils ne sont pas toujours efficients – nous l'avons bien vu. Dans certains cas, ils sont annoncés à l'avance. La plupart du temps, ils se concentrent sur des aspects comptables par établissement. Du point de vue purement technique, les ARS ne disposent pas de compétences suffisantes pour contrôler correctement les groupes privés.

Il convient donc de revoir la manière dont les contrôles sont effectués. Il faut bannir les contrôles prévus à l'avance. Il est impératif de généraliser les contrôles inopinés, seuls à même de révéler la situation réelle des établissements. De plus, les contrôles doivent se concentrer aussi et surtout sur les aspects humains ; la bienveillance et la bientraitance doivent en être les indicateurs incontournables.

Il faut en outre nous demander qui doit réaliser ces contrôles. Plusieurs solutions sont possibles.

Première solution : les ARS et les départements pourraient organiser des programmes de contrôles communs, ce qui implique qu'ils harmonisent leurs indicateurs. Il leur faudrait travailler à la mutualisation des moyens, notamment à la création d'équipes de contrôle pluridisciplinaires. Selon moi, l'intégration de professionnels tels que des infirmières et des aides‑soignantes serait judicieuse pour envisager tous les aspects de la vie en EHPAD.

Deuxième option : la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes seraient tout à fait qualifiées pour effectuer des contrôles si des compétences supplémentaires leur étaient accordées, notamment pour auditer les comptes des grands groupes.

Pour ma part, je souhaite insister sur une autre proposition. Le scandale Orpea soulève clairement la question du statut des EHPAD. En France, les EHPAD sont à 40 % des établissements publics, à 33 % des établissements privés à but non lucratif et à 27 % des établissements privés à but lucratif. Durant nos auditions, il nous a été indiqué qu'environ 10 % de l'ensemble des établissements dépendaient de groupes cotés en bourse.

La question qui se pose est de savoir ce que nous faisons des établissements privés à but lucratif, notamment de ceux qui sont rattachés à des groupes cotés en bourse. Dans un premier temps, nous devons absolument harmoniser les obligations des EHPAD publics et celles des EHPAD privés. Aujourd'hui, les groupes privés n'ont pas les mêmes obligations devant les tutelles, notamment pour la présentation de leurs comptes, exception qu'ils ont obtenue au titre du secret des affaires. Nous voyons bien que ce n'est plus acceptable. La transparence est un impératif ; nous la devons à nos aînés et à leurs familles. Elle doit devenir obligatoire et effective.

Je soutiens la proposition qui consisterait à obliger les groupes gérant des établissements privés à but lucratif à adopter le statut de société à mission créé par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »). Je suis bien consciente que cela ne résoudra pas tous les problèmes ; c'est simplement une piste de réflexion. Je souligne néanmoins que, si une entreprise s'est déclarée « société à mission », elle doit notamment définir, dans sa raison d'être, des objectifs sociaux, dont le respect est contrôlé par un organisme tiers indépendant, une première fois dans les dix‑huit mois, puis tous les deux ans. Ce contrôle s'ajouterait aux contrôles existants.

Telles sont les quelques pistes que je souhaitais vous présenter pour contribuer à la modification du modèle de l'EHPAD d'aujourd'hui et de demain.

Il nous faut, en urgence, des contrôles mieux organisés et mieux ciblés, ainsi qu'une gouvernance clarifiée entre les ARS et les départements. Nous devons aussi réfléchir au statut des EHPAD. Nous ne pouvons pas en rester à la situation actuelle, où les autorités compétentes ne dialoguent pas suffisamment et où les groupes privés à but lucratifs, notamment ceux qui sont cotés en bourse, ne sont pas assez transparents sur leur fonctionnement et sur leurs comptes.

Le grand âge ne doit plus être considéré comme un business. Par respect pour les soignants, les familles et nos aînés, nous, responsables politiques, devons être les garants de l'éthique, accompagner le changement de regard sur nos aînés et imposer un nouveau modèle de prise en charge.

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