Intervention de Caroline Fiat

Réunion du mercredi 2 mars 2022 à 8h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat, rapporteure :

On a promis 20 000 soignants supplémentaires sur dix ans, mais le ratio de soignants par résident continue de se dégrader, compte tenu des évolutions démographiques. La pédagogie étant affaire de répétition, je ne désespère pas que le prochain gouvernement et la prochaine assemblée se donnent enfin les moyens de ces ambitions.

Le présent rapport, écrit avec Mmes Hammerer et Valentin, pose les bases des mesures qu'il faudra mettre en œuvre pour qu'adviennent les EHPAD de demain. Très concis, il est le condensé de ce qui a été décrit plus largement dans notre rapport de 2018. Il s'appuie sur des éléments issus des auditions que nous avons menées, dans un temps malheureusement très contraint.

Nous devons remettre l'humain au centre du fonctionnement des EHPAD. Notre première préconisation est, sans surprise, comme dans le rapport de 2018, de définir un ratio minimal obligatoire de personnel soignant « au chevet » des résidents, ce qui reviendrait à doubler sans délai les effectifs dans nos EHPAD. C'est la seule manière de mettre fin à la maltraitance, pour les résidents comme pour les personnels, qui sont les victimes collatérales.

Remettre l'humain au centre, c'est aussi maintenir autant que possible l'autonomie des résidents. La bientraitance tient non pas au nombre de protections – on pourrait aller jusqu'à dix, onze ou douze par jour, tant qu'on y est –, mais tout simplement au fait d'avoir le temps d'accompagner le résident aux toilettes chaque fois qu'il en a besoin, auquel cas il n'est pas nécessaire de lui poser une protection.

L'EHPAD de demain doit être un lieu de vie où l'on est soigné, non un lieu de soins où l'on vit. Dans notre rapport de 2018, nous demandions déjà la généralisation d'établissements qui recréent pour le résident la sensation d'être au domicile et sont orientés vers le respect de sa citoyenneté. Pourtant, depuis nos alertes, les choses ne se sont pas améliorées. La gestion de la pandémie dans les EHPAD a même donné lieu à des privations inhumaines de liberté et de contacts sociaux, ce que la Défenseure des droits a longuement rappelé dans son rapport de 2021.

Le résident est un citoyen, un individu qui a un parcours de vie et des particularités. Dans l'EHPAD de demain, les résidents devront pouvoir choisir comment ils veulent vivre les dernières années de leur vie. Ils devront se sentir chez eux : sonnette à l'entrée des chambres ; choix des meubles, de la décoration, des objets, de l'aménagement. Les personnels devront avoir le temps de s'intéresser à chaque résident, de connaître leur histoire, ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas. En deux mots, il faut remettre au centre l'humain et l'accompagnement, retenir le concept d'humanitude plutôt que l'approche strictement médicale et médicamenteuse.

Monique Iborra et moi l'avions écrit dans notre rapport : le droit au beau existe ; il est essentiel et doit s'appliquer dès la construction des EHPAD, pour que les résidents s'y sentent chez eux. Personne n'a envie d'habiter dans un endroit qui ressemble à un hôpital.

N'oublions pas non plus le droit au bon. Une émission de Cash Investigation vient de révéler le prix maximal par résident de la nourriture et des boissons chez Korian : 4,35 euros par jour. C'est abject, inadmissible. Il doit à nouveau être possible de bien manger en EHPAD, car c'est le premier plaisir du quotidien.

Quand je décris l'EHPAD du futur, je parle souvent du modèle néerlandais. C'est effectivement un exemple, en particulier pour la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, qui seront 2,5 millions en France en 2050. À Hogeweyk, où je suis allée, il y a un vrai quartier, avec de petites maisons personnalisées. Il y a un restaurant, un théâtre, un supermarché. Les résidents participent au choix des menus. Il y a deux infirmières ou aides‑soignantes pour chaque maison, c'est‑à‑dire pour six résidents. Les résidents paient entre 0 et 2 400 euros par mois, en fonction de leurs revenus. Voilà un lieu où le résident se sent chez lui.

Pour ces lieux, on pourrait d'ailleurs inventer un nouveau nom : « maisons collectives pour seniors » par exemple, comme nous l'avions proposé. Il faut bannir le mot « EHPAD », connoté de manière beaucoup très négative.

Véronique Hammerer vient d'en parler, les contrôles doivent être rénovés. Ils doivent permettre de vérifier que les résidents sont traités avec humanité. Il faut en finir avec les contrôles auxquels les établissements obtiennent des notes excellentes parce qu'ils cochent toutes les cases d'une grille qui n'a rien à voir avec la vie des résidents, ni avec leur bien‑être. Les contrôles sur place doivent être faits de manière inopinée et porter sur la manière dont les résidents vivent concrètement et dont ils sont traités. Cela nécessite sans aucun doute davantage de moyens humains. Quant aux évaluations externes, elles doivent revenir dans le giron du secteur public et être réalisées en toute indépendance.

Il convient de protéger toutes les personnes qui dénoncent les maltraitances, en particulier les familles. Ce sont des lanceurs d'alerte. Elles ne doivent plus être seules face au pouvoir des grands groupes. À cet égard, il apparaît indispensable de renforcer les prérogatives des CVS.

Pour bien traiter les résidents dans nos EHPAD, il faut bien évidemment s'en donner les moyens budgétaires. Cessons de nous cacher derrière notre petit doigt dès que la question est évoquée ! Compte tenu de la maltraitance actuelle et des évolutions démographiques, il est nécessaire d'y consacrer au minimum 1 point de produit intérieure brut (PIB) supplémentaire – c'est chiffré. D'autres pays allouent encore davantage de moyens. Vous trouverez les détails dans le rapport Fiat‑Iborra de 2018.

Pour que cet argent public ne soit pas gaspillé par des groupes privés à but lucratif, il faut à tout le moins savoir ce qu'il devient lorsqu'il leur est distribué. Mais, si nous voulons une véritable réforme qui porte ses fruits, nous devons aller plus loin : plus jamais une entreprise ne doit dégager de dividendes sur la maltraitance de nos aînés. Il faut donc se poser, une fois pour toutes, la question de l'existence d'un secteur privé à but lucratif. Pour ma part, j'estime qu'il faut y mettre fin, qu'il faut faire cesser le business de l'« or gris ». Véronique Hammerer a évoqué la proposition de faire de ces groupes des sociétés à mission. Je pense sincèrement que cela ne suffira pas. D'ailleurs, quand je parle de ce modèle privé lucratif à nos voisins européens, par exemple au Danemark, mes interlocuteurs sont très surpris, voire choqués, qu'un tel système puisse exister.

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