Intervention de Isabelle Valentin

Réunion du mercredi 2 mars 2022 à 8h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Valentin, rapporteure :

Depuis plusieurs semaines, notre commission conduit des auditions, nécessaires et utiles, pour mieux comprendre les défaillances révélées par le scandale Orpea. Notre objectif étant d'éviter que ces défaillances ne se reproduisent, le sujet de l'EHPAD de demain est nécessairement lié à ce scandale, qui avait été précédé de nombreuses alertes, la question ayant été abondamment étudiée au cours de la législature. Néanmoins, le sujet est plus large : il s'agit non seulement de corriger les faiblesses du système, mais aussi d'inventer et de mettre en place l'EHPAD de demain, dans lequel il fera bon vieillir. Je crois que c'est un objectif que nous partageons tous.

Le manque de personnel est un des aspects majeurs. Je souscris aux propos de mes collègues sur la nécessité, à court terme, de former et de recruter davantage de personnels en EHPAD, d'accroître significativement les financements publics, de renforcer et d'améliorer les contrôles. Je souhaite insister sur un certain nombre de points qui me tiennent à cœur.

Premier point : la prévention. L'EHPAD de demain doit être un lieu de vie pour chaque résident ; un lieu de vie où l'on soigne, non un lien de soins où l'on vit – je le souligne à mon tour.

Nous devons renforcer toutes nos politiques de prévention. Des dispositifs ont été mis en place, à l'instar des conférences des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées, mais ils sont grandement insuffisants. La prévention devrait mobiliser toute la société, de l'entreprise à l'ensemble des politiques publiques. Or elle n'est pas suffisamment intégrée dans les politiques de l'autonomie et de l'habitat. Les rares actions de prévention sont difficilement lisibles et peu évaluées. Surtout, les acteurs ne sont pas coordonnés.

Nous l'avons entendu lors de nombreuses auditions : il faut déployer en France, notamment en EHPAD, l'approche dite ICOPE (Integrated Care for Older People), conçue par l'Organisation mondiale de la santé, qui consiste à surveiller et maintenir les cinq fonctions essentielles, à savoir la locomotion, la cognition, le sensoriel, le psycho‑social et la vitalité. Je rappelle qu'un renforcement de la prévention nous permettrait de réaliser des économies importantes – hospitalisations et consultations évitées, médicaments non consommés –, qui pourraient être utilement redirigées vers le financement des EHPAD de demain. Je suis convaincue qu'il faut réussir à casser le fonctionnement en silo des professionnels du grand âge, qui ont tous un rôle à jouer en matière de prévention. Nous devons également réfléchir à de nouvelles modalités de financement de la prévention, notamment en EHPAD, grâce à une réforme de la tarification.

Deuxième point sur lequel je souhaite insister : les professionnels du grand âge, plus spécifiquement ceux qui travaillent en EHPAD. J'estime moi aussi nécessaire, bien évidemment, d'améliorer leurs conditions de travail et leur rémunération. Je pense qu'il faut en outre recruter un certain nombre de professionnels qui manquent cruellement dans les structures actuelles, notamment des aides médico‑psychologiques (AMP), des orthophonistes et des ergothérapeutes – cela rejoint la question de la prévention. Sans doute faut‑il augmenter les capacités de formation dans chacun de ces métiers.

Par ailleurs, il est nécessaire de faire évoluer la formation des directeurs d'EHPAD. Nous l'avons bien vu avec le scandale Orpea : les directeurs d'EHPAD sont de très bons gestionnaires, et c'est important, mais on ne demande pas uniquement à un directeur de savoir bien gérer et administrer un établissement. Il faut donc qu'au cours de leur formation, les directeurs soient bien davantage sensibilisés aux dimensions humaine, éthique et relationnelle de leur métier.

Troisième point sur lequel je souhaite insister : le financement de l'EHPAD de demain, notamment la question du reste à charge. Vous le savez, le coût de l'EHPAD est de plus en plus important pour le retraité, qui dispose souvent de faibles revenus, notamment dans les territoires ruraux. La question cruciale est la suivante : qui va pouvoir payer l'EHPAD de demain, lequel nécessitera des investissements importants ? Le groupe Les Républicains, auquel j'appartiens, avait déposé il y a quelques années une proposition de loi visant à accorder un crédit d'impôt aux familles qui financent en partie la prise en charge d'un de leurs parents en EHPAD. Nous n'avons pas eu le temps de creuser ce sujet essentiel dans le cadre de notre mission « flash », mais il faudra à l'évidence le traiter.

Nous insistons dans notre rapport sur un aspect majeur : l'évolution du modèle de l'EHPAD. Selon nous, je tiens à le préciser, il n'y a pas de modèle unique d'EHPAD à privilégier ; il faut de la souplesse. Vous le savez, le vieillissement de la population affecte différemment les territoires : les départements peu denses accueillent une forte proportion de populations âgées. L'enjeu est d'adapter les structures de prise en charge aux réalités des territoires.

S'il n'y a pas de modèle unique à privilégier, l'EHPAD de demain devra, où qu'il se trouve, être ouvert sur son environnement. En d'autres termes, nous pourrions envisager que, demain, tout EHPAD doive accueillir des projets destinés à la population environnante. De tels projets sont importants, car ils permettent d'ouvrir les résidents des EHPAD à la vie sociale de leur territoire et de renforcer les solidarités entre générations. Selon moi, ils peuvent aussi être un vecteur de revitalisation de certains territoires, notamment ruraux. Quelques EHPAD hébergent déjà des salles communales, des salles de spectacle ou des tiers‑lieux tels que des microbrasseries ou des microcrèches. Il faut désormais généraliser ces expériences.

L'ouverture des EHPAD passe également par un renforcement des liens avec les acteurs de la santé. Je pense aux communautés professionnelles territoriales de santé et aux groupements hospitaliers de territoire. Les acteurs que nous avons auditionnés ont tous appelé de leurs vœux davantage de places d'hébergement temporaire en sortie d'hospitalisation dans les EHPAD. On l'a fait pendant la crise ; nous savons donc que c'est possible. Nous devons nous en donner les moyens.

L'EHPAD de demain doit également assurer un continuum entre les acteurs du grand âge. Il doit être non pas « l'endroit où l'on va une fois que l'on a tout essayé », mais d'abord un lieu qui offre un soutien pour le maintien au domicile. L'hébergement temporaire devrait être renforcé, notamment l'EHPAD de nuit. Néanmoins, cela suppose de régler les problèmes de transport, en particulier dans les territoires ruraux, l'EHPAD n'étant pas nécessairement situé à côté du domicile.

Je remercie l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées : elles se sont rendues disponibles dans un laps de temps très court et ont apporté beaucoup d'éléments à notre réflexion. Nous insistons dans notre rapport sur ce qui nous semble être les grandes priorités pour l'EHPAD de demain. Bien évidemment, nous ne prétendons pas avoir fait le tour du sujet en une semaine. Nous appelons de nos vœux une loi « grand âge et autonomie » construite en concertation avec les acteurs de terrain et permettant à l'EHPAD de demain d'advenir enfin.

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