Intervention de Pierre Dharréville

Réunion du mardi 8 mars 2022 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville, rapporteur :

Je profiterai de cette journée internationale des droits des femmes pour rendre hommage à toutes celles, nombreuses, qui ont choisi les métiers de l'humain et prennent soin de nos anciens, et qui méritent beaucoup plus de reconnaissance.

On le sait, la situation est critique. Le secteur de l'autonomie manque de financements, ce qui a d'ailleurs incité à ouvrir plus largement la porte au domaine privé à but lucratif. Le nombre d'EHPAD mercantiles croît tandis que l'offre publique se tarit. L'offre privée lucrative représente un peu plus de 20 % des EHPAD de l'ensemble de la France, mais est devenue prépondérante dans certaines régions. Ainsi, en Provence‑Alpes‑Côte d'Azur (Paca), elle constitue la moitié des établissements.

La montée en puissance du secteur privé lucratif au détriment des autres modes d'accueil ne peut nous laisser indifférents, du fait du reste à charge bien plus élevé pour les familles. Alors qu'un EHPAD privé commercial coûte en moyenne 2 700 euros par mois, un EHPAD public tourne autour de 1 900 euros par mois, soit un écart de 40 % alors que le taux d'encadrement est inférieur de 40 % dans le secteur lucratif. C'est le monde à l'envers !

Parallèlement, nous assistons à une financiarisation galopante du secteur. En France, cinq groupes – Orpea, Korian, DomusVi, Colisée et Domidep – se partagent désormais la moitié de l'offre commerciale, contre dix en 2011. L'introduction de plusieurs groupes en bourse conduit au versement de montants très importants de dividendes. Le gouffre qui s'est creusé depuis plusieurs années entre, d'une part, les bénéfices générés par certains groupes et les rémunérations astronomiques de leurs dirigeants, et d'autre part les salaires proposés à des personnels dont les conditions de travail sont de plus en plus difficiles, pose question.

Les auditions ont mis en évidence des zones grises. La coexistence de trois forfaits dans le budget des EHPAD permet à certains établissements de maximiser les dépenses prises en charge par les pouvoirs publics avec les forfaits soins et dépendance afin de minimiser celles qui sont imputées sur le forfait hébergement, et d'accroître ainsi leurs bénéfices. Ainsi, des personnels non diplômés font fonction d'aides‑soignants, bien souvent de manière permanente. Il conviendra de mieux encadrer l'imputation des dépenses de personnels sur les différentes sections tarifaires en fonction de leur finalité. Nous proposons également de fusionner les forfaits soin et dépendance.

Les auditions ont confirmé la pratique des remises de fin d'année, parfois très importantes, évoquées par Victor Castanet. Il n'est pas admissible que des groupes privatisent des remises obtenues sur des produits financés par des dotations publiques : ces dernières ont vocation à bénéficier directement aux résidents. Ce mode de fonctionnement peut dégrader la qualité des produits achetés, alors que les remises consenties devraient contribuer à améliorer la qualité de la prise en charge. Nous proposons, par conséquent, de faire apparaître dans les comptes des EHPAD et de leurs groupes les remises sur les achats et de les obliger à les réinvestir dans l'amélioration de la prise en charge des résidents, à due concurrence des achats réalisés.

De façon générale, les comptes de tous les EHPAD, publics, associatifs ou commerciaux, et le cas échéant ceux des groupes auxquels ils appartiennent, doivent être transparents sans que le secret des affaires puisse être invoqué.

Les auditions ont permis de lever le voile sur des pratiques d'ingénierie financière et de spéculation sur le parc immobilier. La revente d'établissements à des investisseurs en quête de rentabilité peut aboutir à l'augmentation des loyers et, par conséquent, des prix de journée, tout en déconnectant les intérêts des bailleurs de l'entretien des locaux. Ces pratiques nécessitent des montages financiers complexes dans lesquels interviennent des sociétés de capital‑investissement.

Nous devrons réfléchir de manière globale à plusieurs sujets. D'abord, les modalités de gestion du parc immobilier des EHPAD doivent être passées en revue et évaluées afin que les coûts, et par conséquent le tarif hébergement facturé aux résidents, soient mieux maîtrisés.

Nous devrons également évaluer les effets d'une régulation des tarifs d'hébergement et fixer, le cas échéant, un tarif plafond. Nous pourrions demander aux EHPAD commerciaux de verser une redevance en contrepartie de l'autorisation qui leur est délivrée en cas de maintien de la liberté tarifaire.

Pour éviter certaines dérives spéculatives, il faudra revoir le régime des autorisations des EHPAD, notamment en cas de revente de tout ou partie des établissements. Les ARS et les départements devraient au moins être informés du changement de propriétaire quand un groupe revend des parts d'EHPAD à des particuliers.

Les dispositifs de défiscalisation qui encouragent cette financiarisation ne devraient‑ils pas être supprimés ? Qui sont les actionnaires, du reste ? Ce sont souvent des fonds de pension mais il arrive qu'il s'agisse de sociétés semi‑publiques, qui encouragent le système. Et il conviendrait encore de veiller à ce que l'argent ne soit pas détourné vers des paradis fiscaux.

Enfin, la crise actuelle pose la question de l'intérêt des EHPAD commerciaux pour notre société. La quête insatiable de profits par des entreprises cotées en bourse, même si leur fonctionnement est régulé, est‑elle compatible avec la prise en charge de nos aînés les plus fragiles ? Quel est l'impact de l'existence des EHPAD commerciaux sur l'ensemble de l'écosystème de l'autonomie ?

Nous devrons engager une réflexion approfondie sur la pertinence de ce modèle. En attendant, est‑il opportun de délivrer de nouvelles autorisations à des EHPAD commerciaux tant que toutes les leçons de la crise actuelle n'auront pas été tirées ?

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