Intervention de Didier Martin

Réunion du mardi 8 mars 2022 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Martin, rapporteur :

Les conclusions de notre mission « flash » sont très complémentaires de celles qui viennent d'être présentées. Nous nous retrouvons largement sur le constat qui a été dressé et sur de nombreuses préconisations. Il sera intéressant de confronter les résultats de nos travaux et les conclusions des inspections diligentées par le Gouvernement, sur les finances, d'une part, et sur les conditions de travail et la gestion des ressources humaines au sein des EHPAD, d'autre part.

Bouleversés et scandalisés par l'affaire Orpea, nous avons mené cette mission « flash » avec une détermination sans faille. Voilà plusieurs années que les métiers du grand âge, en général, et le secteur des EHPAD en particulier connaissent une situation difficile. Effectifs insuffisants, absentéisme, turnover élevé : les EHPAD, dans lesquels résident quelque 600 000 personnes fragiles, souvent en perte d'autonomie, peinent, pour la plupart d'entre eux, à garantir aux personnes âgées un accompagnement adapté à leurs besoins.

Face à cette situation, le Gouvernement a pris des mesures fortes afin d'accroître l'attractivité des métiers : création de postes, hausse des rémunérations – de la prime « grand âge » aux revalorisations salariales décidées à l'occasion du Ségur de la santé –, ouverture de nouveaux parcours de formation, déploiement d'un programme de lutte contre la sinistralité et d'amélioration de la qualité de vie au travail, investissements massifs – 1,5 milliard d'euros – dans la rénovation et la numérisation des établissements, etc.

Cependant, de l'avis de tous, la gestion des ressources humaines doit encore progresser dans les EHPAD. Notre mission formule treize propositions pour améliorer les conditions de travail des professionnels et la qualité de la prise en charge des résidents. Je centrerai mon propos sur les conditions de travail, ce qui impose de dire un mot, au préalable, de l'évolution du profil des pensionnaires.

Toutes les études l'indiquent, tous nos interlocuteurs nous l'ont confirmé, les résidents sont non seulement de plus en plus nombreux mais également de plus en plus âgés et de plus en plus dépendants, et cette tendance devrait se poursuivre. On le sait, une part significative des résidents souffrent de pathologies lourdes : 70 à 80 % d'entre eux seraient atteints de troubles cognitifs et près de 60 % seraient touchés par des maladies neuro‑évolutives.

Cette situation a des conséquences directes sur la charge de travail des personnels. Les soins, les gestes techniques, les toilettes, les tâches répétitives, prennent une place toujours plus importante dans les missions des soignants, au détriment, hélas, de l'accompagnement et du maintien des capacités des pensionnaires. Les soignants déplorent cet état de fait et nous ont fait part de leur souffrance. Le raccourcissement de la durée de séjour alourdit encore la charge de travail des équipes, ce qui nuit à la qualité de l'accueil et à l'accompagnement de la fin de vie, qui requiert attention et compassion.

La modification du profil des résidents n'explique toutefois pas à elle seule la détérioration du cadre de travail dans les EHPAD. Elle aggrave en réalité une situation déjà dégradée, à propos de laquelle les acteurs de terrain nous ont déjà alertés.

Médecins coordonnateurs, infirmiers, aides‑soignants le disent sans détour : l'insuffisance des moyens humains pour répondre aux besoins et aux attentes des personnes âgées constitue, à l'heure actuelle, la principale difficulté.

Les personnels sont trop souvent soumis à des rythmes harassants, à des cadences difficilement tenables, la pression de la pendule faisant perdre son sens à l'action de femmes et d'hommes soucieux du bien‑être de nos aînés. Que le travail soit accompli de façon continue, parfois jusqu'à douze heures par jour, ou sur un autre rythme – les deux schémas présentant des avantages et des inconvénients –, il est source d'une fatigue et d'un stress importants.

Conséquence du manque d'effectifs, le taux d'encadrement des résidents s'avère trop faible, dans le secteur privé commercial plus que dans le secteur public.

La situation dans les EHPAD est d'autant plus compliquée que l'absentéisme pour raisons de santé y est particulièrement élevé.

En définitive, la situation actuelle conduit à une forme de maltraitance institutionnelle, selon l'expression des professionnels eux‑mêmes. Il n'est donc pas surprenant que les EHPAD soient confrontés à un turnover élevé et à de sérieuses difficultés de recrutement, l'instabilité des équipes rendant difficile la formation et la montée en compétences des personnels.

Ces constats appellent des réponses fortes, concrètes, dans la lignée de celles apportées par l'actuelle majorité présidentielle. La première consiste sans doute dans le prolongement de l'effort en faveur des recrutements. Durant le quinquennat, 10 000 postes de soignants ont été créés dans les EHPAD et 10 000 postes supplémentaires ont été budgétés d'ici 2024. En outre, pour faire face aux effets de la crise sanitaire, le Gouvernement a lancé une campagne de recrutement d'urgence qui aura concerné près de 40 000 professionnels entre octobre 2020 et septembre 2021. Cet effort devra être poursuivi dans les années à venir. C'est notre proposition n° 1.

Nous souhaitons également, c'est notre proposition n° 2, qu'un ratio minimal opposable de personnels au chevet des résidents soit défini. Il s'agit d'infirmiers et d'aides‑soignants, bref de postes au contact des personnes âgées. C'est la condition sine qua non de l'amélioration de la qualité de la prise en charge, de jour comme de nuit. Dans le même ordre d'idées, la proposition n° 3 vise à garantir une présence de personnels en nombre suffisant aux moments clés de la journée – lever, toilettes, repas, coucher.

Avec la proposition n° 4, nous appelons de nos vœux la poursuite du processus de hausse des rémunérations des personnels, enclenché au début de l'année 2020, afin que leur engagement au service des personnes âgées soit plus justement récompensé.

En complément, un certain nombre de mesures pourraient donner un coup de pouce financier supplémentaire aux personnels – aide au logement, attribution facilitée de logements sociaux à proximité du lieu de travail, augmentation des indemnités de résidence.

Pour conclure, nous aurions souhaité avoir le temps d'aborder d'autres sujets au cours de nos travaux, à commencer par celui du dialogue social dans les EHPAD. Pour résumer les choses, il nous apparaît trop peu développé, en particulier dans le secteur privé lucratif. Or, ce n'est pas sans conséquence sur les conditions de travail : leur amélioration exige en effet, outre bien d'autres choses, un dialogue social structuré et dynamique entre employeurs et représentants des salariés. Il faudra y revenir de manière approfondie.

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