Intervention de Yves Le Masne

Réunion du mercredi 9 mars 2022 à 10h00
Commission des affaires sociales

Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea :

Je vous remercie tout d'abord d'avoir bien voulu accepter de décaler cet entretien. Je n'ai en effet pas pu me présenter devant vous plus tôt car, sous le choc des récents événements, je n'en étais pas capable mentalement et médicalement.

Il y a moins de deux mois, je dirigeais un groupe international de la prise en charge de la dépendance reconnu comme une référence. Dans chaque pays où nous sommes présents, il a même été considéré comme le plus qualitatif et, pendant la crise sanitaire que nous venons de traverser, le meilleur protecteur de ses résidents.

À la fin de la troisième semaine de janvier, nous avons appris la parution prochaine d'un ouvrage potentiellement à charge contre Orpea. Nous avons travaillé durant le week‑end avec nos conseils pour évaluer les risques et préparer les éléments de réponse. Nous avons prévenu le président du groupe le dimanche soir et le conseil d'administration le lundi matin. Alors qu'il nous était toujours impossible de nous procurer l'ouvrage, nous avons été stupéfiés par l'article de deux pages publié sur le site du Monde puis par son retentissement médiatique. Pour mes collaborateurs et moi, ce fut un choc.

Nous sommes alors entrés dans une séquence de folie médiatique qui devait durer plusieurs semaines. Alors qu'en vingt‑huit ans de vie professionnelle, je ne compte que quelques demi‑journées d'absence pour raisons médicales, j'ai dû être hospitalisé quelques jours plus tard. À peine arrivé à l'hôpital, j'ai appris ma révocation sine die et mes affaires devaient être récupérées dès le lendemain. Imaginez mon incompréhension et ma sidération face à la liquidation de vingt‑huit ans de carrière, dont j'étais et demeure fier, et ma mise en pâture dans les médias en quelques jours, pour ne pas dire en quelques heures !

Nous étions très loin d'imaginer que derrière une personne alors inconnue, dont nous avions à peine quelques échos tous les six mois, se cachait une puissante et outrancière opération de déstabilisation visant à recueillir systématiquement les reproches de salariés qui avaient quitté le groupe dans des conditions difficiles et nourrissaient quelques rancœurs envers lui, ce que je peux comprendre. Cette manœuvre, totalement souterraine et quasiment invisible à nos yeux, s'est montrée redoublement efficace.

En juillet 2021, le groupe avait reçu un questionnaire qui partait un peu dans toutes les directions, sans aucune ligne directrice, et qui ressemblait à un inventaire à la Prévert. Nous avons donc d'abord pensé à une nouvelle apparition semestrielle de ce serpent de mer, qui ne présentait pas de menace particulière pour nous – je m'en étais d'ailleurs ouvert auprès du président au mois de mai.

Ces questions portaient surtout sur des problématiques françaises et relevaient donc de la direction générale France, comme il est d'usage pour un groupe international, où tout ne peut être traité par le seul directeur général, lequel doit faire confiance à ses collaborateurs et à ses équipes. Ce sujet nous paraissant accessoire, nous n'avons pas jugé utile d'en informer officiellement le conseil d'administration, ce qui m'a d'ailleurs été reproché et ce qui, si je l'avais fait, m'aurait peut‑être permis d'être personnellement à l'abri.

Il importe de se replonger dans le contexte sanitaire de la mi‑2021, où nous devions gérer prioritairement des vagues épidémiques.

Je me remets à peine de ce choc et je suis toujours en convalescence – le médecin a même hésité pour m'autoriser à me présenter devant vous, mais je ne souhaitais évidemment pas donner le sentiment de me défiler. Je pense surtout à certains collaborateurs, encore hospitalisés ou en arrêt maladie pour des raisons très sérieuses.

Les Fossoyeurs me semble en complet décalage avec la réalité d'Orpea. Les cas cités remontent presque tous à une dizaine d'années environ. Pendant tout ce temps, Orpea n'aurait‑il donc pas pris en compte les faits afin d'améliorer socialement son activité ? Certes, tout ne peut pas être parfait mais, conformément à notre vocation, nous avons mis tous les moyens pour que la situation s'améliore.

J'ai eu du mal à lire l'intégralité de cet ouvrage tant j'ai été écœuré après quelques pages. Il est tellement loin de la réalité que nous avons vécue et de ce que nous avons partagé avec nos équipes que sa lecture m'a été insupportable et, comme vous, m'a révulsé !

Si les attaques portent principalement sur les dirigeants du groupe, c'est l'ensemble de nos collaborateurs qui en est victime, ce qui est à mes yeux injuste et insupportable. Auxiliaires de vie, aides‑soignantes, infirmières, encadrement – directeurs d'établissement et régionaux : ce sont des personnes dévouées qui mettent tout leur cœur et toute leur énergie au service des résidents. Je pense également aux familles, qui se sentent coupables d'abandon mais qui nous font toujours confiance car elles savent que sur le terrain, dans chaque établissement, leurs proches sont bien protégés.

Cet ouvrage constitue une véritable caricature du fonctionnement de notre groupe. En 2021, une enquête sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées (EHPAD) peut‑elle être jugée sérieuse sans qu'il soit aucunement fait allusion aux confinements, à la vaccination, aux consignes sanitaires ? Il n'y est question que de dissimulation de chiffres ! En pleine crise de la covid, nous nous devions donc de répondre immédiatement à un questionnaire comminatoire, comme s'il ne s'était rien passé depuis 2020, comme si aucune loi n'avait été votée ? Pas un mot non plus sur la protection sanitaire, sur le dévouement des équipes, sur la prime versée par Orpea à tous les salariés de terrain en plus des primes de l'État ! Pas un mot sur le respect des consignes gouvernementales ou sur l'état d'urgence sanitaire, rien, alors que ce secteur a été le premier et le plus durement touché et que ces problèmes, avec la covid, sont devenus encore plus sensibles pour les résidents et leurs familles en raison des souffrances endurées suite aux confinements et aux deuils !

Le livre évoque des centaines de témoignages mais qui sont le fait de personnes ayant quitté le groupe depuis plusieurs années. Les accusations principales sont le plus souvent portées par trois ou quatre personnes qui ont été licenciées.

De plus, la plupart de ces affirmations sont allusives et anonymes, ce qui interdit toute poursuite. Voilà sur quoi repose la véracité de cet ouvrage !

Si certains faits sont réels, ce livre procède à des interprétations et à des amalgames en laissant penser qu'un cas isolé et exceptionnel serait en fait la règle.

Après avoir enquêté plusieurs années dans nombre de nos résidences et au regard des milliers de résidents pris en charge, M. Castanet identifie huit cas – d'ailleurs intolérables s'ils étaient avérés – pour en conclure fallacieusement qu'Orpea aurait mis en danger des dizaines de milliers de personnes dépendantes et vulnérables. Quel amalgame !

Nos services d'accompagnement de femmes et d'hommes fragiles sont généralement reconnus comme étant de grande qualité, ainsi que l'attestent des enquêtes externes et indépendantes : pendant ces dernières années, le taux de satisfaction des résidents est passé de 93 % à 95 %. Il n'en reste pas moins que ces chiffres peuvent en effet cacher des manquements ou des défaillances qui ont pu toucher un ou plusieurs résidents, malgré nos efforts et en dépit du nombre de contrôles effectués par nos soins ou par l'État. Il serait en effet intolérable qu'un seul résident ne soit pas traité comme il doit l'être. Si tel a été le cas, au nom du groupe Orpea, je renouvelle mes excuses aux victimes. Comme nous l'avons toujours dit humblement : nous gérons l'imperfection.

Si j'excepte ma « rondeur rassurante », les rares passages du livre qui me décrivent et qui relatent mon action ne sont pas fidèles. Je suis en effet très loin du gérant cynique aux méthodes dénuées d'humanité dépeint par cet ouvrage. J'ai toujours dirigé le groupe en faisant preuve de la plus grande humanité possible ; dans le palmarès annuel des établissements, j'ai même décidé il y a quelques années d'insérer un Grand prix de l'âme, ce qui à mon sens va au‑delà des seuls critères liés à la qualité. J'ai toujours managé mes collaborateurs avec cœur. Je les aime et ils me manquent, comme je manque à beaucoup d'entre eux si j'en crois les très nombreux témoignages de soutien que j'ai reçus. Nous formions une très grande famille solidaire et je suis très triste d'en avoir été banni. J'ai toujours managé le groupe en pensant aux résidents, avec lesquels j'avais d'ailleurs passé plusieurs mois au début de ma carrière, en 1993, au sein d'un établissement parisien.

Je n'ai jamais donné un ordre, par courriel, oralement ou de toute autre manière, afin de réduire les services, les prestations ou les coûts, quels qu'ils soient. Personne ne pourra vous dire le contraire, pas même l'auteur du livre.

L'environnement direct du résident ou du patient est à mes yeux sanctuarisé : soins, dépendance, partie hôtelière. J'ai toujours demandé que l'on n'y touche pas – c'est d'ailleurs ce qui a fait la réputation de chaque établissement.

Nous adaptons en revanche les charges générales à la situation de chaque établissement, dont les loyers – le groupe tend d'ailleurs à être propriétaire plutôt que locataire –, les transports, les frais de siège, l'énergie, l'eau, les frais financiers, etc. Tout cela peut être discuté. Le succès du groupe a été bâti sur l'indépendance rigoureuse de ces deux piliers. Grâce à cette protection de l'environnement direct du résident, nous avons pu développer de nombreux établissements et, dans des périodes de chômage massif, créer des dizaines de milliers d'emplois. En vingt‑cinq ans, d'immenses progrès ont été réalisés dans la prise en charge, dont le secteur privé a été l'un des principaux vecteurs.

Pour les mêmes raisons, nous nous sommes développés à l'étranger, où les besoins étaient aussi urgents qu'en France dans les années 1980. Comment oublier les visites en République tchèque, où de nombreux résidents vivaient dans une même chambre, ou bien celle effectuée dans la capitale brésilienne, il y a à peine quatre ans, où six résidents vivaient dans une chambre de 20 mètres carrés, avec en son centre deux toilettes ouvertes ? Il est impossible d'être insensible à une telle misère et à de telles détresses, souvent cachées.

J'ai été le directeur général du groupe mais ma personne importe peu. Les personnes les plus importantes du groupe, ce sont les résidents et leurs entourages proches, leurs familles. Je pense également aux milliers de salariés du groupe et de ce secteur, qui ont été meurtris et à qui je demande de rester fiers de leurs missions.

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