Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 9 mars 2022 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 9 mars 2022

La séance est ouverte à dix heures.

La commission auditionne M. Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea.

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Notre cycle d'auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea se termine avec celle de M. Yves Le Masne, qui en a été le directeur général entre 2011 et le 30 janvier 2022, date à laquelle le conseil d'administration du groupe a mis fin à ses fonctions, quelques jours après la publication de l'ouvrage de M. Victor Castanet Les Fossoyeurs.

Monsieur Le Masne, vous avez commencé votre carrière chez Orpea en 1993 en tant que contrôleur de gestion et vous êtes devenu directeur administratif et financier du groupe en 1998.

J'espère que vous êtes rétabli suite aux problèmes de santé que vous avez eus en février.

Après la publication du livre de M. Castanet, notre commission s'est montrée particulièrement réactive puisque nous avons procédé à plus de trente heures d'auditions. Hier soir, la ministre déléguée chargée de l'autonomie nous a présenté les nouvelles mesures proposées par le Gouvernement en faveur du « bien vieillir à domicile et en établissement », dont certaines font directement écho aux préconisations formulées par les rapporteurs des quatre missions « flash » que nous avons lancées, ce dont nous nous réjouissons.

Les auditions que nous avons menées se sont révélées très instructives et ont d'ailleurs confirmé plusieurs faits rapportés dans l'ouvrage de M. Castanet. Nous en avons même appris davantage, notamment s'agissant du « dialogue social » au sein d'Orpea – si l'on peut user de ces termes – tel que les organisations syndicales le décrivent.

En revanche – je pense être ainsi fidèle au point de vue de la commission –, les auditions des anciens et des actuels dirigeants d'Orpea ont été très décevantes, qu'il s'agisse de MM. Charrier et Romersi, de M. Brdenk, ancien directeur général délégué en charge de l'exploitation, ou du docteur Marian, fondateur du groupe. À nos questions, précises, il n'a été que vaguement voire pas du tout répondu et nous avons ressenti une certaine désinvolture, parfois teintée d'arrogance. Ainsi, pour réfuter les accusations de rationnement des repas, M. Brdenk nous a tout de même expliqué que « si l'on réduit le nombre de résidents en ne leur donnant pas à manger, on réduit le chiffre d'affaires ». Vous en conviendrez, ce n'est pas un argument particulièrement convaincant et encore moins décent.

Les Fossoyeurs décrit une organisation du groupe fondée sur la compression des coûts et l'optimisation des profits au détriment de la qualité de la prise en charge des résidents. M. Castanet fait état du rationnement des repas et des protections – y compris dans des établissements dont les tarifs sont très élevés –, d'une gestion axée sur le seul taux d'occupation (TO), de marges arrières réalisées sur des produits financés par de l'argent public, d'un système de droits d'entrée pour les laboratoires d'analyses et les kinésithérapeutes, d'un très fort turnover des personnels, d'un soutien de la direction au syndicat « maison ».

Nous souhaiterions donc avoir votre éclairage sur ces assertions, sur les conséquences de ce livre et sur les débats qu'il a suscités.

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Je vous remercie tout d'abord d'avoir bien voulu accepter de décaler cet entretien. Je n'ai en effet pas pu me présenter devant vous plus tôt car, sous le choc des récents événements, je n'en étais pas capable mentalement et médicalement.

Il y a moins de deux mois, je dirigeais un groupe international de la prise en charge de la dépendance reconnu comme une référence. Dans chaque pays où nous sommes présents, il a même été considéré comme le plus qualitatif et, pendant la crise sanitaire que nous venons de traverser, le meilleur protecteur de ses résidents.

À la fin de la troisième semaine de janvier, nous avons appris la parution prochaine d'un ouvrage potentiellement à charge contre Orpea. Nous avons travaillé durant le week‑end avec nos conseils pour évaluer les risques et préparer les éléments de réponse. Nous avons prévenu le président du groupe le dimanche soir et le conseil d'administration le lundi matin. Alors qu'il nous était toujours impossible de nous procurer l'ouvrage, nous avons été stupéfiés par l'article de deux pages publié sur le site du Monde puis par son retentissement médiatique. Pour mes collaborateurs et moi, ce fut un choc.

Nous sommes alors entrés dans une séquence de folie médiatique qui devait durer plusieurs semaines. Alors qu'en vingt‑huit ans de vie professionnelle, je ne compte que quelques demi‑journées d'absence pour raisons médicales, j'ai dû être hospitalisé quelques jours plus tard. À peine arrivé à l'hôpital, j'ai appris ma révocation sine die et mes affaires devaient être récupérées dès le lendemain. Imaginez mon incompréhension et ma sidération face à la liquidation de vingt‑huit ans de carrière, dont j'étais et demeure fier, et ma mise en pâture dans les médias en quelques jours, pour ne pas dire en quelques heures !

Nous étions très loin d'imaginer que derrière une personne alors inconnue, dont nous avions à peine quelques échos tous les six mois, se cachait une puissante et outrancière opération de déstabilisation visant à recueillir systématiquement les reproches de salariés qui avaient quitté le groupe dans des conditions difficiles et nourrissaient quelques rancœurs envers lui, ce que je peux comprendre. Cette manœuvre, totalement souterraine et quasiment invisible à nos yeux, s'est montrée redoublement efficace.

En juillet 2021, le groupe avait reçu un questionnaire qui partait un peu dans toutes les directions, sans aucune ligne directrice, et qui ressemblait à un inventaire à la Prévert. Nous avons donc d'abord pensé à une nouvelle apparition semestrielle de ce serpent de mer, qui ne présentait pas de menace particulière pour nous – je m'en étais d'ailleurs ouvert auprès du président au mois de mai.

Ces questions portaient surtout sur des problématiques françaises et relevaient donc de la direction générale France, comme il est d'usage pour un groupe international, où tout ne peut être traité par le seul directeur général, lequel doit faire confiance à ses collaborateurs et à ses équipes. Ce sujet nous paraissant accessoire, nous n'avons pas jugé utile d'en informer officiellement le conseil d'administration, ce qui m'a d'ailleurs été reproché et ce qui, si je l'avais fait, m'aurait peut‑être permis d'être personnellement à l'abri.

Il importe de se replonger dans le contexte sanitaire de la mi‑2021, où nous devions gérer prioritairement des vagues épidémiques.

Je me remets à peine de ce choc et je suis toujours en convalescence – le médecin a même hésité pour m'autoriser à me présenter devant vous, mais je ne souhaitais évidemment pas donner le sentiment de me défiler. Je pense surtout à certains collaborateurs, encore hospitalisés ou en arrêt maladie pour des raisons très sérieuses.

Les Fossoyeurs me semble en complet décalage avec la réalité d'Orpea. Les cas cités remontent presque tous à une dizaine d'années environ. Pendant tout ce temps, Orpea n'aurait‑il donc pas pris en compte les faits afin d'améliorer socialement son activité ? Certes, tout ne peut pas être parfait mais, conformément à notre vocation, nous avons mis tous les moyens pour que la situation s'améliore.

J'ai eu du mal à lire l'intégralité de cet ouvrage tant j'ai été écœuré après quelques pages. Il est tellement loin de la réalité que nous avons vécue et de ce que nous avons partagé avec nos équipes que sa lecture m'a été insupportable et, comme vous, m'a révulsé !

Si les attaques portent principalement sur les dirigeants du groupe, c'est l'ensemble de nos collaborateurs qui en est victime, ce qui est à mes yeux injuste et insupportable. Auxiliaires de vie, aides‑soignantes, infirmières, encadrement – directeurs d'établissement et régionaux : ce sont des personnes dévouées qui mettent tout leur cœur et toute leur énergie au service des résidents. Je pense également aux familles, qui se sentent coupables d'abandon mais qui nous font toujours confiance car elles savent que sur le terrain, dans chaque établissement, leurs proches sont bien protégés.

Cet ouvrage constitue une véritable caricature du fonctionnement de notre groupe. En 2021, une enquête sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées (EHPAD) peut‑elle être jugée sérieuse sans qu'il soit aucunement fait allusion aux confinements, à la vaccination, aux consignes sanitaires ? Il n'y est question que de dissimulation de chiffres ! En pleine crise de la covid, nous nous devions donc de répondre immédiatement à un questionnaire comminatoire, comme s'il ne s'était rien passé depuis 2020, comme si aucune loi n'avait été votée ? Pas un mot non plus sur la protection sanitaire, sur le dévouement des équipes, sur la prime versée par Orpea à tous les salariés de terrain en plus des primes de l'État ! Pas un mot sur le respect des consignes gouvernementales ou sur l'état d'urgence sanitaire, rien, alors que ce secteur a été le premier et le plus durement touché et que ces problèmes, avec la covid, sont devenus encore plus sensibles pour les résidents et leurs familles en raison des souffrances endurées suite aux confinements et aux deuils !

Le livre évoque des centaines de témoignages mais qui sont le fait de personnes ayant quitté le groupe depuis plusieurs années. Les accusations principales sont le plus souvent portées par trois ou quatre personnes qui ont été licenciées.

De plus, la plupart de ces affirmations sont allusives et anonymes, ce qui interdit toute poursuite. Voilà sur quoi repose la véracité de cet ouvrage !

Si certains faits sont réels, ce livre procède à des interprétations et à des amalgames en laissant penser qu'un cas isolé et exceptionnel serait en fait la règle.

Après avoir enquêté plusieurs années dans nombre de nos résidences et au regard des milliers de résidents pris en charge, M. Castanet identifie huit cas – d'ailleurs intolérables s'ils étaient avérés – pour en conclure fallacieusement qu'Orpea aurait mis en danger des dizaines de milliers de personnes dépendantes et vulnérables. Quel amalgame !

Nos services d'accompagnement de femmes et d'hommes fragiles sont généralement reconnus comme étant de grande qualité, ainsi que l'attestent des enquêtes externes et indépendantes : pendant ces dernières années, le taux de satisfaction des résidents est passé de 93 % à 95 %. Il n'en reste pas moins que ces chiffres peuvent en effet cacher des manquements ou des défaillances qui ont pu toucher un ou plusieurs résidents, malgré nos efforts et en dépit du nombre de contrôles effectués par nos soins ou par l'État. Il serait en effet intolérable qu'un seul résident ne soit pas traité comme il doit l'être. Si tel a été le cas, au nom du groupe Orpea, je renouvelle mes excuses aux victimes. Comme nous l'avons toujours dit humblement : nous gérons l'imperfection.

Si j'excepte ma « rondeur rassurante », les rares passages du livre qui me décrivent et qui relatent mon action ne sont pas fidèles. Je suis en effet très loin du gérant cynique aux méthodes dénuées d'humanité dépeint par cet ouvrage. J'ai toujours dirigé le groupe en faisant preuve de la plus grande humanité possible ; dans le palmarès annuel des établissements, j'ai même décidé il y a quelques années d'insérer un Grand prix de l'âme, ce qui à mon sens va au‑delà des seuls critères liés à la qualité. J'ai toujours managé mes collaborateurs avec cœur. Je les aime et ils me manquent, comme je manque à beaucoup d'entre eux si j'en crois les très nombreux témoignages de soutien que j'ai reçus. Nous formions une très grande famille solidaire et je suis très triste d'en avoir été banni. J'ai toujours managé le groupe en pensant aux résidents, avec lesquels j'avais d'ailleurs passé plusieurs mois au début de ma carrière, en 1993, au sein d'un établissement parisien.

Je n'ai jamais donné un ordre, par courriel, oralement ou de toute autre manière, afin de réduire les services, les prestations ou les coûts, quels qu'ils soient. Personne ne pourra vous dire le contraire, pas même l'auteur du livre.

L'environnement direct du résident ou du patient est à mes yeux sanctuarisé : soins, dépendance, partie hôtelière. J'ai toujours demandé que l'on n'y touche pas – c'est d'ailleurs ce qui a fait la réputation de chaque établissement.

Nous adaptons en revanche les charges générales à la situation de chaque établissement, dont les loyers – le groupe tend d'ailleurs à être propriétaire plutôt que locataire –, les transports, les frais de siège, l'énergie, l'eau, les frais financiers, etc. Tout cela peut être discuté. Le succès du groupe a été bâti sur l'indépendance rigoureuse de ces deux piliers. Grâce à cette protection de l'environnement direct du résident, nous avons pu développer de nombreux établissements et, dans des périodes de chômage massif, créer des dizaines de milliers d'emplois. En vingt‑cinq ans, d'immenses progrès ont été réalisés dans la prise en charge, dont le secteur privé a été l'un des principaux vecteurs.

Pour les mêmes raisons, nous nous sommes développés à l'étranger, où les besoins étaient aussi urgents qu'en France dans les années 1980. Comment oublier les visites en République tchèque, où de nombreux résidents vivaient dans une même chambre, ou bien celle effectuée dans la capitale brésilienne, il y a à peine quatre ans, où six résidents vivaient dans une chambre de 20 mètres carrés, avec en son centre deux toilettes ouvertes ? Il est impossible d'être insensible à une telle misère et à de telles détresses, souvent cachées.

J'ai été le directeur général du groupe mais ma personne importe peu. Les personnes les plus importantes du groupe, ce sont les résidents et leurs entourages proches, leurs familles. Je pense également aux milliers de salariés du groupe et de ce secteur, qui ont été meurtris et à qui je demande de rester fiers de leurs missions.

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Nous ne cherchons pas, ici, à « jeter en pâture » qui que ce soit. Suite aux révélations de M. Castanet, nous souhaitons simplement comprendre ce qui s'est passé et faire en sorte de mieux protéger nos anciens, qui comptent parmi les personnes les plus vulnérables.

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Vous avez parlé de choc, d'une folie médiatique en décalage complet avec les pratiques d'Orpea, mais nous avons déjà entendu de nombreuses personnes. Des familles de résidents, des anciens salariés, des représentants des principaux syndicats nous ont fait part de l'existence de maltraitances et de violences à l'égard des résidents et des personnels afin d'optimiser les coûts de gestion et d'augmenter les marges.

Confirmez‑vous la faiblesse des coûts repas journaliers (CRJ) pour les résidents et le rationnement des protections, la réduction maximale des remplacements des personnels soignant, le recrutement de personnels faisant fonction pour réduire les coûts, l'existence de remises de fin d'année versées au groupe par les fournisseurs à partir d'enveloppes correspondant à de l'argent public non redistribué et destinées à des postes consacrés aux soins des résidents, la limitation des pouvoirs des directeurs et l'existence d'une pression permanente pour améliorer les marges ? Enfin, quid de la revente d'un tiers de vos actions, pour un montant de près de 600 000 euros, quelques semaines avant la parution du livre Les Fossoyeurs ?

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La publication du livre de Victor Castanet a mis en lumière des dysfonctionnements importants dans certains EHPAD du groupe privé Orpea.

Je note que vous êtes l'un des rares à avoir eu quelques mots de sympathie et de compassion pour les résidents ou... clients – je ne sais pas comment vous les considérez – à la différence de la plupart des cadres dirigeants de cette entreprise.

Même si les faits relatés dans le livre sont en effet anciens, les dysfonctionnements n'en demeurent pas moins.

Vous avez été débarqué, viré... Pourquoi servez‑vous de fusible ?

Nombre de directeurs nous ayant assuré qu'ils n'avaient quasiment aucune autonomie et que les décisions étaient prises par le siège, quel était exactement votre rôle ?

Depuis cinq ans, nous travaillons sur ces questions et nous savons combien la tâche est immense. Nous avons été choqués par les révélations qui ont été faites mais nous n'avons jamais montré du doigt les collaborateurs de quelque groupe que ce soit. Nous essayons de faire la lumière sur ce qui s'est passé afin que, demain, nous puissions voter des lois qui rendront de tels dysfonctionnements impossibles.

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Sibille (Dem). Mon objectif n'est pas de vous accabler. Je ne suis ni policier, ni juge et je laisse le soin aux enquêtes administrative et financière lancées par la ministre déléguée Brigitte Bourguignon de déterminer le caractère avéré ou non des faits. Le rôle de la représentation nationale est de comprendre comment de tels dysfonctionnements, par hypothèse, ont été rendus possibles et comment y mettre un terme.

Co‑rapporteur, avec Didier Martin, Marine Brenier et Bernard Perrut, qui l'a suppléée, de la mission « flash » sur les conditions de travail et la gestion des ressources humaines en EHPAD, j'ai pu mesurer les difficultés auxquelles font face les personnels du secteur médico‑social et les maltraitances envers les résidents qui en découlent. Pourquoi une telle dérive du système ? L'avez‑vous vue venir ? Quelles leçons retenir et quelles recommandations feriez‑vous pour éviter de tels dysfonctionnements ?

Ces deux questions sont malheureusement superfétatoires car, à vous entendre, vous ne reconnaissez aucune dérive : nulle optimisation financière, nulle centralisation abusive qui déresponsabilise les directeurs d'établissement, leur rôle se limitant à veiller sur le fameux TO. Je ne peux que regretter une telle posture.

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Ce livre nous a tous choqués. Si les allégations qui y sont contenues sont avérées, nous serions face à un scandale.

Le groupe Orpea gonflerait les factures d'actes médicaux – chirurgie et obstétrique – envoyés à l'assurance maladie. Ainsi le groupe exagérerait‑il la gravité d'un accident vasculaire cérébral pour renchérir le coût de l'opération. Dix équivalents temps plein se consacreraient à cette tâche au siège. Que pensez‑vous de telles allégations ?

Selon M. Castanet, le groupe Orpea a organisé un système de rationnement des repas désigné sous l'acronyme CRJ et recourt à des compléments alimentaires pour pallier la dénutrition des résidents, qui frapperait un tiers d'entre eux au sein de vos établissements. Les allégations de rationnement portent également sur les produits de santé et de protection. Est‑ce le cas ?

Lors de son audition, M. Brdenk a évoqué des contrats de prestations spécifiques et a récusé le terme de marges arrières. Les sociétés Bastide et Hartmann reversaient‑elles en fin d'année des sommes d'argent à Orpea ?

Par ailleurs, un système d'information fournirait en temps réel un reporting des principaux indicateurs de chaque établissement – notamment, les TO. En aviez‑vous connaissance ?

Le Monde de ce 24 février fait état de pratiques d'optimisation fiscale à partir desquelles le groupe Orpea, notamment, aurait vendu des EHPAD à des filiales dont le siège serait à Luxembourg. Que pensez‑vous de ces allégations ?

Des hauts fonctionnaires des agences régionales de santé (ARS) sont‑ils salariés par le groupe Orpea et si oui, sont‑ils susceptibles d'avoir des conflits d'intérêts ?

Enfin, connaissiez‑vous l'emploi de « directeurs nettoyeurs » par votre groupe ? Avez‑vous fait appel à des sociétés de surveillance pour infiltrer vos salariés ou pour d'autres missions ?

Si vous répondez négativement à mes questions, pourquoi ne pas avoir porté plainte pour diffamation suite à la parution du livre ?

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Nous ne sommes en effet pas là pour juger mais pour comprendre.

Vous dites avoir été choqué mais, vous n'êtes pas le seul ! Je suis certaine que votre témoignage, en tant que directeur général et « pierre angulaire du groupe », pour reprendre la formule de M. Castanet, aurait été fort utile aux travaux des rapporteurs des missions « flash ».

Selon M. Castanet, « c'est Yves Le Masne, ce contrôleur de gestion discret, qui a véritablement industrialisé la prise en charge des personnes âgées. Lui qui a permis à la direction générale de devenir omnisciente, omniprésente et omnipotente. Lui qui a permis de limiter et contrôler la moindre action des directeurs d'établissement. Aujourd'hui, grâce à ce siège ultra‑performant et ces logiciels internes, il peut, depuis son bureau, piloter plus de 1 000 établissements à travers le monde et afficher, chaque année, des résultats hors normes » mais au prix d'une réduction drastique des coûts de fonctionnement de vos établissements, de restrictions dans l'usage des produits de santé et de protections pourtant essentiels, d'économies de bouts de chandelles sur les repas, de conditions de travail déplorables et d'une utilisation plus que discutable de l'argent public. Comment n'avez‑vous pas pu voir le dérapage d'une rationalisation qui tourne au rationnement ?

Comment concevez‑vous la rentabilité de ce type d'établissement ? Les méthodes de gestion et de management pratiquées dans d'autres secteurs marchands sont‑elles transposables ? Reconnaissez‑vous l'existence d'un système de marges arrières permettant de réaliser des marges sur des produits payés par l'assurance maladie ? Que pensez‑vous de la décision prise par votre ancien et principal concurrent Korian de se tourner vers l'économie sociale et solidaire en devenant une société à mission ?

Enfin, avec le recul, estimez‑vous avoir été un bon directeur général ? Vous semblez nier en bloc les accusations formulées dans Les Fossoyeurs alors qu'elles ont été corroborées par les nombreuses auditions que nous avons menées. Comment expliquez‑vous dès lors votre limogeage ?

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Envisagez‑vous de lancer une procédure pour licenciement abusif ?

Deux inspections, l'une de l'Inspection générale des finances (IGF) et l'autre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sont en cours, à quoi s'ajoute une enquête préliminaire à votre encontre pour délit d'initié. Elles nous éclaireront quant à la véracité des faits.

Co‑rapporteure, avec Caroline Janvier et Pierre Dharéville, de la mission « flash » sur la gestion financière des EHPAD, j'ai eu confirmation de l'existence de remises de fin d'année et de flux financiers entre les sections « hébergement », « soins » et « dépendance » mais aussi entre les établissements et le groupe. Confirmez‑vous l'existence de ces remises de fin d'année versées sur les comptes du siège et non sur ceux des établissements ?

D'où tirez‑vous des bénéfices aussi colossaux pour rémunérer vos actionnaires alors qu'à vous entendre, tout est fait dans l'intérêt des résidents ?

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Lors de leurs auditions, nous avons eu droit à un déni systématique de la part de la direction actuelle d'Orpea comme de ses anciens dirigeants : tout était faux, les faits rapportés étaient marginaux, relevaient d'erreurs humaines et non d'un système – or c'est bien cela, l'enjeu.

En 2017, j'ai posé au Gouvernement une question écrite – consultable sur le site internet de l'Assemblée nationale – faisant état de la situation dans un EHPAD de votre groupe. J'y décrivais ce qui a ensuite été documenté par ailleurs : l'optimisation maximale qui pèse sur le personnel et sur les résidents, les remplacements qui ne sont pas faits comme ils le devraient – « pour exemple, dans l'unité protégée, un des deux temps pleins de personnel de soins vient d'être remplacé par un poste d'auxiliaire de vie », « une auxiliaire de vie doit effectuer, après avoir assuré le petit déjeuner, le ménage dans trente‑trois chambres », etc.

J'aimerais donc savoir comment vous gériez le personnel et ce que vous répondez aux faits mis sur la table concernant une organisation où la précarité est partie intégrante du système et qui use des remplacements comme cela a été décrit, sachant que le taux d'encadrement en général est inférieur de 40 % dans l'ensemble du secteur à but lucratif.

Je m'interroge également sur les holdings, notamment luxembourgeoises, citées dans une étude rendue publique par deux organisations syndicales il y a quelques jours.

Enfin, je voudrais en savoir plus sur les raisons de votre départ. Vous reconnaîtrez que le business du grand âge est très lucratif pour les grands groupes, dont Orpea. D'où viennent les profits ? Quelle est la motivation des actionnaires, quelles exigences ont‑ils exprimées à votre égard ?

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Tout d'abord, comme l'ensemble de mes collègues, je renouvelle l'expression de toute ma compassion et de ma solidarité aux résidents et aux familles, mais également à l'ensemble du personnel des établissements du groupe. Nous leur devons de faire toute la lumière sur les allégations de Victor Castanet dans son livre. C'est la raison du cycle d'auditions que la commission des affaires sociales mène depuis début février. Soyez convaincu, monsieur Le Masne, de notre totale détermination.

Je souhaite d'abord vous interroger sur l'opération boursière que vous avez réalisée en juillet 2021. Elle aurait eu lieu trois semaines après que la direction d'Orpea a été informée de la parution prochaine de l'ouvrage. Sachez qu'elle est apparue à l'opinion publique comme l'aveu cynique d'un échec total de votre part. Y a‑t‑il un lien entre cette opération et le fait que vous ayez su que l'enquête allait paraître ? Par ailleurs, si vous avez eu le temps de vendre vos actions, avez‑vous pris celui de lancer des enquêtes internes sur les faits gravissimes qui sont reprochés au groupe Orpea, donc indirectement à vous‑même ?

Dans l'attente des conclusions des différentes inspections dont le groupe fait l'objet, il ne nous appartient pas de dire si ces allégations sont fondées. Cependant, elles sont étayées par de nombreux témoignages de représentants de patients, du personnel et des syndicats, notamment les plus choquantes, qui concernent le rationnement en nourriture et en produits hygiéniques tels que les couches. Quelle était donc la politique d'Orpea en matière de nourriture et d'accès aux soins hygiéniques primaires ?

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Il faut tout d'abord expliquer une chose très importante. On me demande – ce n'est pas la première fois – pourquoi nos résultats étaient aussi bons par rapport à ceux de nos concurrents. Vous connaissez ceux de Korian, puisque l'entreprise est cotée en bourse, ce qui a l'avantage de permettre la transparence ; il y a aussi DomusVi et bien d'autres. La marge du résultat d'exploitation avant loyers – la plus proche du résident – était en 2018 de 26,2 % pour Korian et de 26,7 % pour nous, la légère différence s'expliquant notamment par le fait que nous avons des établissements en Suisse. En 2019, elle était à nouveau de 26,2 % pour Korian, contre 26,3 % pour nous, soit moins de 0,1 point d'écart – je ne fais pas là de publicité pour Korian... En 2020, la marge de Korian était de 25,2 %, la nôtre de 24,6 % – similaire, un peu inférieure. Cet ordre de grandeur vaut pour tous les groupes et ne veut pas dire qu'ils rationnent. Qu'est‑ce qui distingue Orpea d'autres groupes ? Notre bien meilleure cotation en bourse vient d'une raison très simple : nous négocions les charges de transport, d'énergie, d'eau et surtout de loyer – les charges financières. Un jeune a le choix entre louer toute sa vie et acheter un appartement : l'investissement financier paraît revenir au même, sauf qu'à la fin, dans un cas on possédera un bien, dans l'autre cas non. De même, comme nous avons monté beaucoup de crédits au départ – j'ai passé vingt‑huit ans dans la société, dont onze à la diriger –, nous avons aujourd'hui beaucoup moins de loyers à payer que nos concurrents. Ainsi, la marge avant loyer est la même dans tous les groupes, mais, après loyer, la nôtre est bien meilleure parce que nous avons conservé une grande partie de nos immeubles : nous sommes la seule société à en posséder plus de 50 %.

À ce propos, il existe certes une société au Luxembourg qui détient des immeubles, mais je pense sincèrement – je peux me tromper, car je n'ai plus accès aux comptes depuis deux mois et je n'avais pas consulté ces éléments auparavant – qu'il n'y a pas parmi eux d'immeubles français. En effet, il est plus simple pour les fonds d'investissement d'investir dans une société unique détenant des immeubles de plusieurs pays que d'investir dans chacun de ces pays.

En ce qui concerne les marges arrières, il n'y en a aucune sur tout ce qui est lié à l'État. Lorsque l'ouvrage a été préparé, les contrats de prestation de services étaient mal expliqués et mal rédigés. J'en ai un sous les yeux, très bien rédigé, lui, et qui montre que de véritables prestations sont effectuées dans le courant de l'année pour aider les fournisseurs, par exemple « prestation et développement informatiques afin d'informatiser la prise et le suivi des commandes », « prestation de logistique » réalisée par Orpea, « de formation à l'analyse de l'adéquation des dispositifs », etc. Grâce à ces services, les fournisseurs en question ont pu se développer à l'étranger et créer de nombreux emplois, y compris en France. Il n'y a donc aucune remise arrière dans ces domaines. Et même s'il y en avait, qu'est‑ce que cela représenterait ? 10 ou 20 % de ces éléments, c'est moins de 0,1 % de notre résultat d'exploitation. Cela n'a donc aucun impact sur nos comptes. Ce n'est pas de là que viennent nos résultats : je vous l'ai dit, nous les avons constitués à long terme en conservant nos immeubles et en négociant avec les banques et les transporteurs – Air France, la SNCF. Tout le reste demeure intouché.

Vous allez me dire que je ne reconnais pas les faits, mais ce n'est pas parce que je les reconnaîtrais que je vous répondrais correctement : je vous réponds avec sincérité, avec mon cœur. Ai‑je été un bon directeur général ? Je suis sûr, en tout cas, d'avoir été un directeur général humain. Quand je parle comme cela, je risque d'être submergé par l'émotion : je suis encore un peu fragile et je ne veux pas m'écrouler. Les personnes qui sont dans la société, je les aimais et je les aime encore, et je peux vous dire qu'ils m'apprécient. Vous n'imaginez pas le nombre de messages que je reçois de la part de gens qui ne comprennent pas pourquoi je suis parti alors qu'à l'époque où il a pu y avoir des remises arrières, il y a quelques années, j'ai remédié à ces dérives, dues au fait que les choses n'étaient pas suffisamment claires et formalisées et que ce qui était stipulé dans les contrats pouvait être considéré comme des remises, alors que ce n'était absolument pas le cas. J'ai aussi remédié à d'autres éléments concernant les conventions tripartites, qui ont laissé la place aux contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM). J'ai été humain, avec les salariés comme avec les résidents. Le livre ne remet d'ailleurs pas cela en cause, puisqu'il parle de « rondeur rassurante » : je suis – permettez‑moi de laisser de côté la rondeur – quelqu'un qui rassure et qui a toujours rassuré.

Il est tout à fait normal que nous ayons eu, sur ordinateur, une liste centralisée des données, comme dans tous les groupes, quel que soit leur domaine ; et heureusement que nous en disposions, car, pendant la crise sanitaire, on nous a demandé tous les jours des éléments sur le taux d'occupation, les décès, la manière dont ces derniers s'étaient produits. Il faut suivre ces éléments en permanence pour être sûr qu'il n'y a pas de problème, mais aussi pour s'assurer de la qualité. Quand on observe dans un établissement plusieurs départs en quelques semaines, on est tout de suite alerté : pourquoi ces personnes sont‑elles parties ? Est‑ce parce qu'elles ont déménagé ? On peut ainsi être averti d'un risque de maltraitance.

On dit que nous réfutons tout. Ce n'est absolument pas le cas. En 2020, la société elle‑même a signalé 292 cas d'événements indésirables, pour un total de plus de 25 000 personnes, soit 1 % ; parmi eux, 24, c'est‑à‑dire 0,1 % du total, correspondaient à des suspicions de maltraitance – je dis bien des suspicions. S'il n'y avait qu'une personne concernée, ce serait déjà inadmissible. Tous ces cas vont donc être étudiés. Mais s'ils ont existé, ce n'est pas parce qu'il y aurait un « système Orpea ». Le système Orpea, je vous l'ai dit, c'est le fait d'être propriétaire de ses immeubles. Ce n'est pas un grand secret ; on peut même le lire dans certains journaux. C'est notre stratégie.

Le système Orpea, c'est précisément être proche des gens. Au début de ma carrière, j'ai travaillé plusieurs mois dans un établissement ; j'étais attaché aux résidents et je le suis toujours resté. C'est extraordinaire. Ceux d'entre vous qui sont entrés dans une maison de retraite, non pas simplement pour la visiter mais pour y passer du temps avec les personnes âgées, savent combien elles sont fabuleuses, parce qu'elles ont une histoire à raconter. À cette époque, j'ai passé plus de temps avec les résidents que dans les comptes ! Il est complètement faux de dire qu'Orpea n'est axé que sur les comptes. Je vous ai parlé du Prix de l'âme que j'ai inventé – tout le monde avait rigolé à l'époque. La qualité implique que, dans un établissement, tout soit propre, nickel, que les panneaux destinés aux salariés soient bien faits ; au directeur d'y veiller, et il aura ses primes si tous ces éléments sont réunis. L'idée du Prix de l'âme, c'est de voir si, dans les couloirs de l'établissement, les gens sont sereins, si le salarié lambda, l'aide‑soignante, l'homme d'entretien vous adressent un sourire qui ne soit pas commercial. Car si les salariés sont sereins, automatiquement, le site fonctionne bien, et on n'a pas besoin de travailler sur les coûts : si le site fonctionne bien, si le taux d'occupation est bon, si le directeur et les salariés ont l'air heureux, on n'aura même pas besoin de regarder les chiffres puisque, comme je l'ai expliqué, nous faisons notre résultat après, grâce à nos immeubles. Il n'y a donc pas, il n'y a jamais eu de limite de coûts concernant tout ce qui est proche du résident.

Je ne peux pas dire qu'il n'y en ait jamais eu nulle part, puisque nous avions plus de 1 000 établissements dans le monde : on ne peut pas être partout. Parmi vos questions, il y en a auxquelles je ne serai pas capable de répondre parce qu'elles concernent la France et que je me suis surtout occupé du volet international au cours des dernières années. Dans ce contexte, il faut pouvoir faire confiance à ses collaborateurs, donc avoir les meilleurs collaborateurs possibles. Or nous avons aujourd'hui des équipes d'un niveau bien supérieur à celui des années 2008‑2010 : nous avons formé des cadres, et d'anciens directeurs ou directeurs régionaux sont ainsi devenus directeurs pays.

En ce qui concerne mon cas personnel, je pense en effet avoir servi de fusible. Il en fallait un et celui‑là était assez simple à trouver. Philippe Charrier, le président‑directeur général, a expliqué les raisons pour lesquelles Orpea s'était séparé de moi, notamment la nécessité de garantir l'indépendance des enquêtes en cours. Je peux très bien le comprendre. Ce qui a été plus dur, c'est qu'on ne m'ait pas mis en retrait pour me laisser revenir éventuellement ensuite, au bout de quelques mois.

Mais ce que vous ne savez pas, peut‑être parce que Philippe Charrier a voulu me protéger, c'est que le choc que j'ai subi m'a mis dans un état dans lequel je n'avais jamais été, dans lequel je n'aurais jamais pensé me retrouver : dans un trou noir ; à terre, au sens propre. La semaine où l'article du Monde a été publié, juste avant la sortie du livre, a été tellement effroyable que je me suis même écroulé en conseil d'administration. Je ne pouvais donc plus assumer totalement mes fonctions.

La troisième raison qui peut expliquer que j'aie servi de fusible, c'est le fait que l'on ait pu me reprocher, au sein du conseil d'administration, de ne pas avoir parlé plus tôt du livre. Si je ne l'ai pas fait, c'est comme je vous l'ai dit, parce que nous avons été surpris.

Je ne vais donc pas me retourner contre Orpea. Ce serait me retourner contre une société que j'ai aimée pendant vingt‑huit ans : c'est tout simplement impossible intellectuellement. En revanche, il y a un contrat, et nous verrons bien ce qui se passera lors des décisions du conseil d'administration et de l'assemblée générale.

Venons‑en à la vente des actions. Si ce que j'ai fait est un délit d'initié, alors toute vente en constitue un. Ce n'est pas du déni : je me fonde sur les éléments factuels. Tout d'abord, j'ai toujours effectué mes ventes en dehors des périodes d'interdiction, de black‑out, qui durent environ trois semaines avant l'annonce des résultats – car nous pouvons alors être au courant d'une baisse du taux d'occupation ou d'un problème dans nos résultats sans que le marché le sache. Non seulement j'y ai toujours fait très attention, mais j'ai été encore beaucoup plus prudent. Le milieu de l'été est la période à laquelle je vends habituellement des actions : quand je l'ai fait en 2018 et 2019, c'était à la même date, à une semaine près. Je ne l'ai pas fait en 2020 en raison de la covid. J'ai bien sûr immédiatement déclaré la vente à l'Autorité des marchés financiers. En juillet 2021, j'avais vérifié si les comptes étaient conformes à ce qui était attendu par le marché, sinon il y a délit d'initié, et ils m'avaient semblé l'être.

Une chose que je n'ai peut‑être pas dite : j'ai conservé 65 % de mes actions. Vous dites que j'ai vendu mes actions : non, j'en ai vendu une petite partie, pas plus. Et je détiens toujours ces 65 %, malgré la baisse du cours que tout le monde a subie, moi le premier.

Ai‑je été inquiet à propos du livre ? Si j'ai quelque chose à me reprocher, c'est bien de ne pas l'avoir pris au sérieux dès le départ. Je l'ai dit, les questions qui nous avaient été envoyées ressemblaient à un inventaire à la Prévert, partant un peu dans tous les sens. Une seule me concernait : on me demandait si j'avais bien eu un rendez‑vous à l'Élysée en 2013, sans me reprocher quoi que ce soit, d'ailleurs. J'ai consulté mon agenda, je n'ai retrouvé aucune trace de ce rendez‑vous : je pense qu'il n'a pas eu lieu ; je peux me tromper. Mais, très franchement, savoir si j'étais ce jour‑là à l'Élysée pour un rendez‑vous, ça ne va pas très loin. Bref, il n'y avait strictement rien contre moi. Pour moi, comme tout avait été réglé, qu'il n'y avait plus de notion de marges arrières ni de choses de ce genre, il n'y avait aucun élément ; je ne me suis donc pas inquiété, à tel point que je n'en ai pas parlé au conseil. Quand il y a un problème à propos d'un article de Mediapart ou autre, cela entraîne des échanges de courriels par centaines. Savez‑vous combien j'ai envoyé de courriels au sujet du livre ? Un seul ! Il en existe toutes les traces et l'enquête le prouvera – je parle de l'enquête du conseil, car je ne pense pas qu'il y en ait une plus globale. Dans ce courriel, je disais simplement à la responsable de la communication en France que les réponses aux questions qu'elle avait préparées, au cas où, étaient plutôt positives. Si j'avais prévenu le conseil, cela nous aurait peut‑être permis de travailler sur l'ouvrage, mais, je le répète, nous ne savions pas du tout ce qu'il contenait : nous ne l'avons su qu'à sa sortie. Bravo – hélas pour nous – à l'auteur pour son organisation.

On me dit que j'ai vendu des actions quelques semaines avant la parution, mais je l'ai fait fin juillet et le livre est sorti fin janvier. On ne savait pas si ce livre allait sortir. Cela faisait deux ans qu'on savait que quelqu'un faisait des bouts d'enquête auprès de certaines personnes ; il n'y avait rien de plus, à part une liste de questions qui ne nous posait pas de problème, dont une seule me concernait et n'était même pas sensible. Je n'avais donc aucun élément.

Vous parlez de l'opinion publique, mais ce n'est pas l'opinion publique qui juge ; heureusement, il y a une justice dans ce pays. J'ai tout de même été mis au pilori un jour qui a été horrible pour ma famille et moi, et on a parlé de délit d'initié à propos de quelqu'un qui a toujours fait très attention, qui garde ses actions pendant des années, alors que certains les vendent immédiatement, et qui en détient encore 65 %. Il n'y a absolument rien qui puisse montrer qu'il y a délit d'initié, et si je dois répondre à d'autres, je le ferai évidemment en ce sens.

Une société peut avoir un but social et environnemental au‑delà de l'aspect lucratif. Il est évident qu'Orpea va très bientôt se doter du même nouveau statut que Korian. Mais, pour moi, c'était déjà fait. Le fait que je sois devant vous pourrait démontrer le contraire, mais l'entreprise a toujours eu une dimension sociale. Il a été question du Prix de l'âme, de la prime que nous avons donnée à tous les salariés, mais je ne vous ai pas parlé des masques. Début 2020, l'État réquisitionne les masques, alors que nous avons besoin de masques pour nos résidences. Nous avons pu affréter un avion d'Air France pour faire venir des masques du bout du monde, achetés à un prix absurde : ces masques qui valent 5 centimes, nous les avons payés 50 centimes ou 1 euro, et même 2 euros pour les masques FFP2. Nous en avons eu pour des millions d'euros dont nous ne savions pas s'ils nous seraient remboursés. Quand on m'a demandé ça, vous croyez que je me suis soucié des marges ? Jamais : j'ai dit « pour les résidents, faites‑le tout de suite ». Si vous rencontrez des personnes travaillant dans l'entreprise, elles vous le confirmeront : nous avons toujours pensé aux résidents avant de penser aux résultats. Pourquoi ? Parce que si vous pensez aux résidents, les résultats viendront, alors que si vous n'y pensez pas, il n'y aura plus jamais de résultat : ce serait la politique de la terre brûlée, que nous n'appliquerons jamais.

Les trois dernières années, on ne m'a pas octroyé d'actions, alors qu'il y a des plans d'actions tous les ans, parce que le cours de bourse n'était pas au niveau attendu. Cela ne m'inquiétait pas : je savais que cela allait venir, car en faisant du bon travail à long terme, avec des loyers qui baissent, des salariés qui ont confiance, on y arrive. J'aurais pu faire en sorte d'obtenir des actions, très facilement, en réduisant les coûts, comme vous l'avez dit. Mais réduire les coûts, si on le fait une fois, deux fois, trois fois, on tue l'entreprise – en plus de tuer des personnes âgées, ce qui est bien pire, ou en tout cas de les mettre en état de faiblesse. J'ai préféré ne pas travailler dans mon intérêt personnel, mais pour l'entreprise. C'est ce que j'ai toujours fait, et c'est ce que vous diraient l'ensemble des salariés qui me connaissent – dans un groupe d'une dizaine de milliers de salariés, ils sont peu. Je parle toujours avec la même sincérité et la même franchise.

En ce qui concerne le rationnement des repas, il n'y en a absolument aucun. Une étude que je peux vous fournir montre que 62 % des résidents qui entrent chez nous sont dénutris et que les deux tiers retrouvent un poids normal et une alimentation normalisée en trois mois. C'est notre travail. Le tiers restant n'y parviendra pas pour des raisons médicales, du fait de polypathologies. De plus, vu le faible poids de ces coûts par rapport aux loyers, les réduire serait stupide, car anticommercial et nuisible à la réputation du groupe. Ils représentent en tout – denrées, compléments alimentaires, équipement et personnel, hors loyers, évidemment – 14,50 euros par jour, comme dans l'ensemble des groupes de la taille du nôtre. Il n'y a aucune limitation de coût à ce niveau : lors de l'établissement du budget du directeur, dont celui‑ci se charge lui‑même, et des discussions à ce sujet avec le directeur régional, il n'est jamais question des repas.

C'est vrai que les directeurs peuvent sembler ne pas avoir assez d'autonomie, parce que toute la partie qui n'est pas à leur charge – transports, loyers, etc. – est décidée au siège : par exemple, la question de savoir si l'immeuble va être vendu. Ils se sentent donc un peu limités dans leurs décisions, ce que je peux comprendre – vous voyez, je l'accepte. Mais ils ne sont pas privés d'autonomie pour autant : leur autonomie est totale pour tout ce qui concerne l'hôtellerie, les soins, évidemment, et, a fortiori, la dépendance.

Nous tentons toujours de remplacer les personnels, mais il est parfois très difficile de trouver des salariés. Nous n'avons aucun intérêt à ne pas les remplacer, car ce n'est pas nous qui prenons en charge et un salarié supplémentaire est synonyme de meilleure qualité. En outre, si nous ne dépensons pas l'enveloppe, c'est très simple, nous remboursons en fin d'année ! Nous ne sommes pas stupides, et ne faisons pas de choses absurdes !

Pour autant, en théorie, nous n'avons pas le droit de remplacer un poste vacant en contrat à durée indéterminée (CDI) par un contrat à durée déterminée (CDD). Nous sommes d'ailleurs le seul pays en Europe où l'employeur et l'employé n'ont pas le droit de contractualiser dans ce cas... C'est dommage et je crois que le Gouvernement est en train de revoir sa position.

Enfin, un remplacement en CDD coûte 10 % de plus, du fait de la précarité. C'est normal, mais cela explique aussi pourquoi certains salariés préfèrent les CDD, alors que nous les incitons à signer des CDI à temps plein, gages de stabilité et de fidélité, donc de qualité. Chez nous, 82 % des heures sont réalisées en CDI, 18 % en CDD ; c'est trop.

Nous rencontrons également des problèmes pour les remplacements en été. Nous avons des difficultés à trouver des personnels pour certains EHPAD. Ainsi, ne nous voilons pas la face, où habitent les aides‑soignantes ou les auxiliaires de vie qui travaillent à Neuilly‑sur‑Seine ou dans le 16e arrondissement de Paris ? Même si elles sont payées entre 10 et 20 % de plus que dans un établissement classique, il leur faut quand même une heure et demie matin et soir pour venir travailler si elles habitent en Seine‑Saint‑Denis ou dans le Val‑de‑Marne. Comment faire quand vous avez un enfant à l'école ou un bébé en crèche ? Si votre RER a 10 minutes de retard, vous pouvez retrouver votre enfant au commissariat. Quand ces personnes trouvent un emploi à 10 minutes de chez elles, même moins bien rémunéré, elles le privilégient et il faut, là encore, très rapidement trouver un CDD pour les remplacer.

Le problème est complexe et nous devons recruter des directeurs qui savent gérer. Ce n'est pas simple, mais nous faisons au mieux. Il est vrai qu'en 2015 et 2016, le taux de satisfaction de notre établissement de Neuilly‑sur‑Seine a baissé – à 77 %, contre les 95 % que j'évoquais précédemment. Il a fallu plusieurs années pour régler le problème car il n'est pas aisé de changer les équipes. À Neuilly‑sur‑Seine, durant ces deux années, nous avons failli, certes, mais cette défaillance ne doit pas remettre en cause le travail réalisé ailleurs.

J'aime les personnes âgées, je n'ai pas peur de le dire, et quand certaines ne sont peut‑être pas bien traitées, j'en ai honte, j'en suis désolé. Même s'il ne s'agit que d'un cas, c'est toujours un cas de trop. Mais comme le disait le président, nous gérons la perfection et on ne peut pas être parfait tout le temps, surtout sur les sites où le turnover est supérieur à la moyenne, ce qui peut engendrer une défaillance.

Je pense avoir traité toutes vos questions.

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Non, vous n'avez pas répondu à toutes nos questions. D'où tirez‑vous vos bénéfices colossaux ? J'ai dirigé une maison de retraite de quatre‑vingts lits, dotée d'un budget de 2 800 000 euros, toutes sections confondues, dont 1 700 000 pour la section hébergement, avec un prix de journée d'environ 47 euros. Nous arrivions, dans le meilleur des cas, à obtenir un excédent de 20 000 euros, soit moins de 2 %.

Vous êtes directeur général d'un groupe travaillant dans le secteur médico‑social, pas d'une entreprise où l'on entre des pièces détachées pour sortir des produits finis et faire de la marge ! Nous ne comprenons donc pas comment vous pouvez générer de tels bénéfices avec une activité médico‑sociale qui ne crée pas de valeur ajoutée. Comment financez‑vous votre siège et vos rémunérations ? Je ne fais pas partie de ceux qui plaident pour l'interdiction de cette activité au secteur commercial mais, quand on vous entend, on est tenté ! Votre discours vise les investisseurs, vous nous parlez de billets d'avion, de billets de train, de la SNCF, d'Air France, etc. Mais ce ne sont pas les résidents qui voyagent : donc qui est‑ce ?

Je vais être respectueuse car je comprends que vous soyez bouleversé. Mais, enfin, de 1998 à 2006, vous avez été directeur administratif et financier du groupe. Vous ne pouvez donc pas nous dire que vous n'aviez pas connaissance des contrats de prestation de services. Il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles ! Un peu d'honnêteté tout de même !

Enfin, je souhaitais vous interroger sur les dispositifs de défiscalisation de vos constructions immobilières. Dans notre rapport, nous plaidons pour leur interdiction pour la construction d'EHPAD. Qu'en pensez‑vous ?

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Je vais revenir sur les marges arrières. Vous nous avez répondu qu'il n'y en avait pas à votre connaissance, ou qu'elles étaient minimes – 0,1 %. M. Castanet dénonce le fait qu'elles portent sur des produits ou services financés par l'argent public. Pourriez‑vous nous indiquer sur quelles prestations elles auraient été réalisées ? Ont‑elles été déclarées à l'autorité de contrôle ? Ont‑elles été reversées au siège, et non aux établissements concernés ? Le taux est‑il le même pour tous les produits ? Le livre évoque 28 % sur les protections.

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Sibille. Monsieur, je suis un peu déçu car vous ne reconnaissez aucune responsabilité, aucune dérive.

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

J'en ai reconnu !

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Sibille. Pourtant, tout responsable d'EHPAD sait qu'il est très difficile de bien faire avec des personnes âgées dépendantes, étant donné les conditions de travail des salariés, les difficultés de recrutement et les modalités de financement des établissements. Chez vous, Orpea, tout est parfait ! Je ne comprends pas.

Nous avons auditionné le syndicat « maison ». Êtes‑vous à l'origine de sa création ? Ils sont sympathiques mais, reconnaissez‑le, peu véhéments.

Je ne vous comprends pas plus quand vous indiquez que vous ne faites aucune marge arrière, puis que vous précisez que, même si elles existaient, elles ne seraient que de 0,1 %. Comment pouvez‑vous les chiffrer si elles n'existent pas ?

Concernant les CPOM, vous nous dites que les directeurs sont maîtres de leur budget et qu'ils ont une totale autonomie. Mais, alors, que fait le siège ? Vous avez un statut de cadre dirigeant et c'est donc vous qui êtes responsable, alors que vos directeurs, qui n'ont pas ce statut, ne le sont pas.

Quel est leur profil type ? Quelle est leur formation ? Sont‑ils choisis pour leurs qualités de gestionnaire ou leurs qualités humaines ? Comment sont‑ils évalués ?

Que pensez‑vous de l'évolution des conventions tripartites en CPOM ? La section hébergement devrait‑elle figurer dans les CPOM ?

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Avec MM. Marian et Brdenk, dans le livre de M. Castanet, vous constituez le trio diabolique à l'origine de l'industrialisation de l'accompagnement des personnes âgées en EHPAD, avec pour seul objectif le profit. C'est clair, et assez bien démontré.

Je voudrais vous entendre sur la gestion des personnels précaires – CDD, intérim – et sur la maltraitance que constitue le fait de les maintenir dans la précarité : CDD à répétition, voire abusifs, sans bénéfice de l'ancienneté, absence de formation et d'évolution dans leur parcours professionnel, etc. Le système a été mis au point, puis affiné, pour gérer tous les remplacements des absences des personnels en CDI, eux‑mêmes en situation de burn‑out du fait de l'excessive rotation salariale qui les oblige à accompagner chaque nouveau personnel.

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Je voudrais à mon tour, calmement, exprimer ma colère face à vos réponses. D'où vient l'argent ? Vous évoquez des marges identiques à celles de Korian, mais ce n'est pas la réponse à ma question. D'où viennent vos marges ? Pourquoi votre groupe est‑il aussi lucratif ? L'argent doit bien venir de quelque part.

Votre groupe poursuit deux objectifs, si je comprends bien : satisfaire les souhaits de rentabilité des actionnaires ; constituer un empire immobilier. Quelle stratégie économique et financière permet de dégager de telles marges ? Quelle rentabilité vous demandent les actionnaires ? Et, pour y répondre, que demandez‑vous aux établissements ?

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Vous évoquez une rentabilité de 2 %. C'est bien après loyer ?

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Il s'agissait d'un établissement associatif et l'association était propriétaire du bâtiment. J'évoquais le ratio entre mon excédent et le budget d'hébergement, d'environ 1,5 %. C'est pourquoi je n'arrive pas à comprendre vos marges à 26 % quand les secteurs associatif et public ont du mal à boucler leur budget !

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

La différence vient du prix de journée : notre moyenne est à 80 euros, quand vous évoquez environ 47 euros. Nos établissements sont bien localisés et le prix de journée, bien supérieur, nous permet de dégager une marge « honorable ». J'emploie ce terme car, en Europe, on considère que le bénéfice est honorable quand il atteint 10 %. En 2019, le taux de marge d'Orpea, après déduction des loyers et des autres frais, était de 6,2 % et, en 2020, de 4,1 %. Par rapport à d'autres secteurs, qui atteignent 20 à 30 %, notre marge reste vraiment très limitée.

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Si les résidents paient un service à 80 euros, c'est pour l'avoir !

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Mais ils l'ont, madame. Quand on dit que les maisons de retraite sont pleines, c'est faux. Les gens ne sont pas stupides ; quand ils paient un certain prix, c'est pour une qualité de service. Quand ils ne la trouvent pas, ils sont déçus et cela pose problème – on l'a vu à Neuilly‑sur‑Seine en 2015. Mais nous n'aurions pas 95 % des familles satisfaites si la qualité n'était pas là. Nous sommes à 95,3 % en 2020, 95,5 % en 2019, 94 % en 2018. Nous n'avons pas inventé ce baromètre puisque c'est une société externe qui demande aux familles si elles sont satisfaites. Bien sûr, cela signifie aussi que 5 % ne le sont pas.

Vous m'interrogez sur les aspects fiscaux – location en meublé professionnelle ou non professionnelle.

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Il y a aussi le dispositif « Censi‑Bouvard ».

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Oui, mais nous sommes surtout concernés par les deux premiers dispositifs, qui ont beaucoup aidé le groupe Orpea à se développer. Cela nous aiderait beaucoup moins si le système était supprimé. Ces dispositifs ont permis de créer les EHPAD – il faut beaucoup d'argent – et le système a permis au groupe de ne pas trop s'endetter et de vendre en respectant les investisseurs.

S'agissant des marges arrières déclarées au siège, je vous ai lu les clauses d'un contrat de prestation de services. Il ne s'agit en réalité pas de marges arrières, mais de services réels. Ainsi, en 2014, suite à un litige avec des laboratoires, la justice a débouté les syndicats des laboratoires et précisé qu'Orpea devait impérativement donner une valeur à chacun des services, ce que nous avons fait. Il n'y a donc aucune marge arrière sur les produits et prestations payés par l'État.

Vous m'accusez de ne reconnaître aucune erreur, mais j'ai accepté d'en reconnaître certaines, notamment les problèmes au sein de l'EHPAD de Neuilly‑sur‑Seine en 2015 et 2016, réglés depuis. Pour autant, je ne vais pas reconnaître des erreurs qui n'en sont pas.

Je le répète, les directeurs sont parfaitement autonomes dans leur domaine.

Les CPOM sont une très bonne chose. Sur ce point, je reconnais une deuxième erreur. En 2014‑2015, certains directeurs ont anticipé la réforme et se sont réparti des dotations plus globales afin de mieux équilibrer leurs besoins. Lorsque je l'ai constaté, j'ai demandé l'arrêt de ces pratiques. Depuis 2021 et l'entrée en vigueur des CPOM, ce très bon système nous donne plus de souplesse dans la gestion des professionnels de santé, en les répartissant dans les établissements selon les besoins fonctionnels, différents.

S'agissant des personnels précaires, monsieur, si nous n'avions que des CDI, nous serions les plus heureux du monde. Nous avons 12 % de CDD ; c'est problématique, également pour eux. Comment construire des projets d'avenir, acheter ou louer un bien immobilier sur le long terme avec un CDD ? Mais les salariés, notamment les nouvelles générations, veulent gérer leur emploi du temps comme ils le souhaitent. Dans un secteur, comme le nôtre, de plein emploi, si vous êtes infirmier ou aide‑soignant, vous pouvez vous permettre de lâcher un établissement. En outre, les personnels gagnent 10 % de plus et peuvent retrouver un emploi quand ils veulent.

Quand on leur demande d'attester qu'on leur a proposé un CDI, ils refusent, par peur de perdre leurs allocations... C'est pourquoi le Gouvernement est en train de revoir le dispositif.

Trouvez‑moi un seul endroit en France où l'on ne préférerait pas embaucher des CDI ! Nous préférerions n'avoir que des personnels stables. Je le répète, la fidélité est gage de qualité. Je n'ai pas les derniers chiffres mais, si je ne me trompe pas, 55 % de nos salariés sont là depuis plus de dix ans. Cela illustre l'attachement à notre groupe, malgré ce qui s'est passé.

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Sibille. Qu'en est‑il du syndicat Arc‑en‑Ciel ?

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Il s'agit d'un syndicat créé par des salariés, à côté de la CFDT ou de l'UNSA par exemple. Il n'y a pas de « syndicat maison ». Peut‑être certains syndicats sont‑ils plus virulents que d'autres, comme dans toute entreprise. Je ne suis pas directement en charge de ce sujet, mais il s'agit d'une liberté classique.

Pour conclure, vous avez raison, je fais partie du triumvirat mis en cause dans l'ouvrage de M. Castanet mais, si vous l'avez lu, vous vous serez rendu compte que je ne suis pratiquement pas mis en cause personnellement, même si l'on m'associe au scandale. Je fais partie du passé. C'est peut‑être pour cela que j'ai joué le rôle de fusible. Mais j'espère que vous constatez que le livre ne me décrit pas tel que je suis.

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Nous avons auditionné les représentants du syndicat Arc‑en‑Ciel, que l'on peut sans aucun doute qualifier de « syndicat maison ». Le livre explique comment il est favorisé par la direction générale, en satisfaisant, par exemple, ses revendications immédiatement avant les élections.

S'agissant des remplacements, vous ne m'avez pas répondu. Dans les tableaux transmis, les taux de remplacement ne sont pas de 1 pour 1, mais de 0,2 à 0,6. Votre absence d'efforts – de volonté – de remplacer 1 pour 1 est manifeste. Cela explique pourquoi votre personnel soignant et accompagnant est épuisé. Vous les tenez avec la précarité. « C'est leur choix », nous dites‑vous. Votre discours libéral ne m'étonne pas, mais vous ne pouvez nier la pression – certains avocats que nous avons entendus peuvent l'attester. Je maintiens qu'on peut parler de maltraitance quand on impose des cadences humainement impossibles à supporter pour les résidents et les personnels.

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Si les allégations du livre sont fausses, le groupe a‑t‑il l'intention de porter plainte pour diffamation ?

De hauts fonctionnaires issus des ARS ont‑ils été recrutés par Orpea ? Il pourrait alors y avoir conflits d'intérêts.

Ma dernière réflexion est issue de mon expérience de terrain, au sein de ma circonscription, où se situe un de vos établissements. Quand les familles sont témoins de difficultés qui touchent la vie de leurs parents, elles n'arrivent jamais à se faire entendre, ni de l'ARS, ni d'Orpea, même avec dossiers, photos et explications à l'appui. C'est vraiment terrible. Même s'il s'agit de moins de 5 % des cas, cela reste insupportable. Comment faire si personne n'est responsable ? Pourquoi le système dysfonctionne‑t‑il ? Pourquoi les familles, en grande détresse, n'arrivent‑elles pas à faire entendre les souffrances de leurs parents ?

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Je vous transmettrai un message électronique, reçu le 13 février 2022, d'un monsieur dont la mère est résidente d'un établissement Orpea. Ce monsieur voulait que sa mère obtienne une procuration pour aller voter. « J'ai tâché de l'expliquer à cette directrice sans aucun succès. J'ai écrit trois fois à Yves le Masne et j'ai obtenu des réponses pleines de cynisme pur. Au mépris de la loi, Orpea s'arroge le droit de décider qui a, ou n'a pas, ses droits civiques. » Maintenant que vous avez un peu le temps, vous pourrez peut‑être répondre à ce monsieur...

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Je suis désolé d'entendre ce que vous rapportez au sujet des procurations. Les directeurs d'établissement s'en occupent bien habituellement. Le courriel étant daté de février 2022, le groupe cherche sans doute à répondre, de manière maladroite, à des courriers qui me sont adressés alors que je n'en fais plus partie.

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C'était pour les élections régionales.

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Laissez‑moi le document, je m'engage à m'en occuper personnellement.

Je m'étonne que les familles ne trouvent pas d'oreille attentive. Tout est pourtant organisé pour permettre aux uns et aux autres de s'exprimer. Vos propos révèlent un problème propre à la structure que vous mentionnez et une insatisfaction des résidents. Donnez‑moi le nom de l'établissement et je transmettrai à la direction du groupe, à moins qu'elle ne nous écoute et vous apporte une réponse directement.

Je conteste l'idée selon laquelle je tiens un discours libéral sur les CDD, d'autant que le paiement des 10 % supplémentaires correspondant à l'indemnité versée à la fin de tels contrats n'est pas pour lui plaire. Au contraire, je prends en considération les aspirations des nouvelles générations. Dans les secteurs qui connaissent une période de plein emploi, les salariés peuvent se permettre de prendre des décisions qui contrarient leur employeur.

La marge provient de la bonne gestion, je l'ai dit. Une seule personne au sein du siège du groupe établit 800 à 900 paies là où ailleurs une personne par établissement est nécessaire. Le siège centralise les éléments qui sont renseignés par chaque établissement.

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Ce sont les logiciels qui établissent les paies !

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Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea

Heureusement, les logiciels existent sinon il faudrait plusieurs centaines, et non dizaines, de salariés pour gérer les paies.

S'agissant d'une éventuelle plainte en diffamation, je ne peux malheureusement pas vous répondre n'étant plus à la tête du groupe. Lorsque nous avons appris la parution de l'ouvrage, nous avons eu cinq jours – quatre en ce qui me concerne car j'étais ensuite à l'hôpital – pour répondre à des allégations qui sont le fruit d'années de travail. Des enquêtes internes sont en cours. Il appartiendra au directeur général de prendre la décision mais il me semblerait normal qu'une plainte soit déposée sur plusieurs points qui ne correspondent pas à la réalité et faussent l'image du groupe Orpea.

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À l'issue des auditions des responsables d'Orpea, la représentation nationale reste pour le moins sur sa faim. Les députés sont quelque peu dépités. Après plus d'un mois d'investigation pour comprendre le système qui a été instauré, nous n'avons pas obtenu les réponses que nous attendions.

Nous sommes déterminés à améliorer le sort des résidents dans les EPHAD. Le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, et la ministre déléguée chargée de l'autonomie, Brigitte Bourguignon, ont annoncé hier une série de mesures. Nous espérons que les conclusions de la double enquête de l'IGAS et de l'IGF diligentée par Mme la ministre déléguée seront suivies de nouvelles décisions. Le Gouvernement ne manquera pas de mettre en œuvre toutes les mesures qui relèvent du domaine réglementaire. Ensuite, le législateur devra poursuivre son travail afin d'assurer l'accompagnement avec dignité et respect de nos anciens. À cet égard, je vous remercie, chers collègues pour votre mobilisation et votre assiduité tout au long de la législature.

La séance est levée à onze heures trente‑cinq.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 9 mars 2022 à 10 heures

Présents. – M. Belkhir Belhaddad, M. Sébastien Chenu, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Cyrille Isaac‑Sibille, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Martin, Mme Bénédicte Pételle, Mme Michèle Peyron, M. Alain Ramadier

Excusés. – M. Thibault Bazin, Mme Justine Benin, Mme Claire Guion‑Firmin, Mme Myriane Houplain, M. Thomas Mesnier, M. Jean‑Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean‑Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur‑Christophe, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vanceunebrock

Assistait également à la réunion. ‑ Mme Michèle Victory