Intervention de Mariya Gabriel

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Mariya Gabriel, commissaire européenne :

L'idéal européen en matière de recherche et d'innovation souffre aujourd'hui d'un manque de cohérence, dans la mesure où, malgré les annonces présentant la recherche et l'innovation comme des éléments essentiels de la résilience et de la relance européenne, le budget originellement prévu a été réduit. De manière surprenante, cette décision ne provient pas des États membres auxquels on aurait immédiatement pensé. Ce sont les pays de l'Est et l'Autriche qui se sont élevés en faveur de l'innovation. Malheureusement, aucun leader n'a appuyé de manière claire le budget du programme Horizon Europe.

Durant les six derniers mois, l'Union européenne a massivement investi dans la recherche et l'innovation. Elle a été particulièrement rapide dans sa réaction à la crise sanitaire puisque les premiers projets de recherche d'un vaccin anti-covid ont débuté le 30 janvier. L'Europe a investi 1,4 milliard d'euros dans la lutte contre l'épidémie. Un milliard provient du programme Horizon Europe. Ont été financés des instituts de recherche, des start-up, des entreprises…

Concernant le budget, l'Union européenne est en pleine période de préparation. Le Conseil a adopté il y a deux jours une position commune pour le programme Horizon Europe. Le budget du programme sera présenté au Parlement la semaine prochaine. Trois chapitres ne sont pas encore finalisés. Le programme doit débuter le 1er janvier 2021.

L'une des questions essentielles dans l'élaboration du programme Horizon Europe est celle des synergies. Cette question est évoquée depuis près de cinq ans mais aucune réunion n'a pour l'instant été organisée entre la direction générale et la direction recherche et innovation à ce sujet. On fait croire aux entreprises européennes que les régions et les États vont pouvoir les financer mais ce n'est pas encore le cas. Comment rassurer nos entreprises ? La question des synergies est prise en compte dans le programme Horizon Europe. Même si le budget alloué à ces dispositions a été réduit, le plan de relance, les fonds de développement régional et les fonds structurels permettront d'améliorer la situation.

Il est essentiel d'avoir un projet Horizon Europe opérationnel au 1er janvier 2021.

Les succès d'Horizon 2020 seront conservés. Horizon Europe continuera de soutenir la recherche fondamentale grâce au Conseil européen de la recherche. Ce conseil est devenu une véritable référence mondiale. Il est donc essentiel de continuer à soutenir nos chercheurs, notamment dans la frontier research, la recherche à la frontière de la connaissance.

Les différences avec Horizon 2020 seront importantes dans le deuxième pilier et le troisième pilier d'Horizon Europe. Le deuxième pilier est consacré à la compétitivité, aux partenariats avec l'industrie. Les crédits alloués à ce pilier seront réduits de moitié et orientés vers une nouvelle stratégie. L'approche ne sera plus ici de financer l'activité de manière générale mais de soutenir des projets spécifiques sélectionnés pour leur impact. Le nombre exact de projets soutenus est actuellement débattu. Il y aura très probablement un partenariat dans le domaine de la santé, dans le domaine des technologies de pointe comme l'intelligence artificielle (IA) ou les technologies de communication sans fil de sixième génération (6G). Mais l'important est ici d'évaluer la façon dont ces projets auront le plus d'impact possible. Il faut également éviter que ces partenariats ne se transforment en « clubs » privés. L'ouverture de ces nouveaux partenariats reste une question préoccupante.

La seconde grande nouveauté concerne l'approche par missions. Pour la première fois, un portefeuille d'actions portant sur cinq sujets choisis avec les États membres et le Parlement sera introduit. Les sujets ont été choisis en fonction de leur impact sur la vie quotidienne des citoyens. La première mission est dédiée à la lutte contre le cancer. Les autres missions seront dédiées à la lutte contre le changement climatique, aux eaux, océans et mers, aux villes intelligentes, à la santé des terres et à l'agriculture…

Cela fait plus d'un an que ces missions sont étudiées. Les premiers rapports ont été rendus le 1er juin. Ces rapports ont permis d'identifier des recommandations concrètes qui pourront être mises en œuvre dès l'année prochaine. Le cadre temporel des missions, de 2021 à 2024, est plus limité que le cadre temporel du programme Horizon Europe qui s'étend jusqu'à 2027.

Le Parlement a imposé deux conditions au développement de ces missions : la mesure de leur succès à l'aide d'indicateurs et la limitation de leur financement à 10 % du budget du deuxième pilier d'Horizon Europe.

Les premiers rapports rendus en juin ont été enrichis par l'étude de l'impact de la crise sanitaire et les échanges avec les citoyens européens. Les rapports finaux ont été rendus la semaine dernière. Les objectifs proposés par ces rapports sont particulièrement concrets : 3 millions de vies sauvées d'ici 2030 pour le cancer, 100 villes climatiquement neutres d'ici 2030, 200 régions européennes très avancées sur la neutralité climatique, 75 % de nos terres en bonne santé d'ici 2030… Ces actions doivent maintenant être mises en œuvre de manière opérationnelle.

C'est dans cet objectif d'opérationnalisation que la question des synergies apparaît comme essentielle. Le deuxième pilier du programme Horizon Europe représente aujourd'hui 52 milliards d'euros. La moitié de cette somme sera dédiée aux partenariats et 10 % seront distillés entre les différentes missions. Le budget d'Horizon Europe ne sera pas suffisant. C'est pour cette raison que le soutien des cinq missions se fera par la coopération avec d'autres commissaires européens. Huit commissaires ont été identifiés, comme les transports, l'environnement, la santé, le développement régional...

Un autre enjeu important est la reconnaissance des missions par l'ensemble des citoyens européens. Ces cinq missions sont ambitieuses. Sans cette reconnaissance il sera difficile de les mener à bien.

Le troisième pilier d'Horizon Europe se différencie également d'Horizon 2020 par la création d'un Conseil européen de l'innovation. Son ambition est de soutenir la création de licornes européennes en identifiant les start-up et petites et moyennes entreprises (PME) les plus prometteuses. Les start-up et PME seront directement financées dans leur phase de développement la plus risquée : le passage de la recherche à la commercialisation. Cette phase, incluant le passage du produit au marché et le déploiement industriel et commercial de prototypes, représente 70 % du budget total des start-up et PME. 100 milliards d'euros seront consacrés à ces aides. Le Conseil européen de l'innovation a déjà commencé à fonctionner : 5 000 entreprises ont déjà été soutenues pour un total de 4 milliards d'euros. Un enjeu important dans le développement du Conseil européen de l'innovation tient au soutien des États membres. Ces derniers viennent malheureusement de voter une coupe de son budget de 200 millions d'euros.

L'espace européen de la recherche doit également être redynamisé. L'Europe est toujours à moins de 3 % d'investissement dans la recherche et les chiffres sont encore plus faibles lorsqu'il s'agit d'investissements privés. Il faut prioriser ces investissements. Un cadre commun avec les États membres va être mis en place. Il est nécessaire de travailler à l'accès à l'excellence pour tous. 5,6 % du budget recherche du programme Horizon 2020 est allé vers les widening countries (pays de l'élargissement) et 94,6 % aux quinze autres pays. Ce n'est pas normal. Les « clubs » fermés sont à éviter. Une véritable stratégie commence à voir le jour : 3,3 % du budget d'Horizon Europe sera dédié aux widening countries. C'est à l'Union européenne de développer de tels mécanismes.

L'Europe doit également lutter contre le problème du brain drain, de l'exode des compétences . Nos talents ont besoin de se sentir soutenus. Il faut soutenir leurs idées. Pour la première fois, l'un des objectifs est de traduire rapidement les résultats de la recherche scientifique en innovation. L'Europe est riche en sciences, elle produit 20 % des publications scientifiques dans le monde. L'effort doit porter sur la traduction de cette recherche en innovation. Des feuilles de route technologiques avec le monde académique, la recherche et l'industrie ont été proposées. La coopération avec la stratégie européenne de l'industrie est aussi en cours de développement.

Concernant l'éducation, la formation et les compétences numériques, un plan actualisé de l'éducation numérique et la création d'un espace européen de l'éducation d'ici 2025 ont été proposés. Le premier plan pour l'éducation numérique datait de 2018 et était trop limité dans le temps. Le nouveau plan développe une stratégie de long terme de 2021 à 2027. Le premier plan était focalisé sur l'éducation formelle. Le nouveau plan inclut éducation non formelle et formation professionnelle.

Les leçons de la crise sanitaire ont fait apparaître le problème de la connectivité des zones rurales. Le plan de relance pourrait permettre de travailler sur cette question et de doter les États membres de nouveaux équipements.

La question du contenu en ligne de haute qualité doit également être abordée. Trois plateformes proposent aujourd'hui ce type de contenus, aucun d'entre elles n'est européenne. Ces plateformes totalisent 73 % des utilisateurs de ces contenus en ligne en Europe. Une plateforme européenne pourrait être mise en place. Cette idée peine encore à se faire accepter. Une étude de faisabilité est prévue pour l'année prochaine.

Pour développer l'éducation numérique en Europe, un projet de développement dans chaque État membre de « Digital Education Hubs » est en train de voir le jour. Ces lieux centraliseraient les informations sur l'éducation numérique, les compétences et la formation dans ce domaine. Les compétences numériques doivent être séparées entre compétences de base et compétences avancées. Seulement 36 % de la force de travail européenne maîtrise les compétences numériques de base, 44 % des citoyens européens les maîtrisent, tandis que 90 % des offres d'emplois les exigent. Un effort important est nécessaire. Concernant les compétences avancées, l'Europe manque de spécialistes en IA. Elle manque de 300 000 experts en cyber dès aujourd'hui et ce nombre ne cesse d'augmenter. Une augmentation de 70 000 emplois a été signalée récemment. Pour la première fois, grâce au projet Digital Europe, 700 millions d'euros seront dédiés aux compétences numériques avancées. Un accent particulier doit être porté sur l'IA. Cette technologie est le prochain « game changer », ce qui va permettre de changer la donne. L'Europe a besoin de spécialistes, de femmes notamment.

Sur la question de l'IA, il est important de développer une approche européenne de cette nouvelle technologie. Cette approche doit inclure des principes éthiques clairs qui permettent de prévenir les discriminations.

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