Intervention de Cédric O

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 10h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Cédric O, secrétaire d'État :

Je ne pense pas que nous ayons perdu le match du cloud ou de l'intelligence artificielle. Nous avons perdu les deux premiers sets. La question fait certes débat et est l'objet de discussions répétées avec les industriels du secteur, clients et fournisseurs. La France et l'Europe ont-elles perdu le match du cloud et de l'intelligence artificielle ? Cela vaut-il encore le coup de le mener ? Ma conviction est que oui, cela vaut le coup. Je constate qu'une partie de l'écosystème estime le contraire, compte tenu des montants en jeu.

Les deux sujets sont un peu différents. Sur la question du cloud, nous avons perdu les deux premiers sets sur des scores très sévères. Je pense que le match peut encore être joué mais que cela nécessite des investissements et une volonté constante, au bon niveau, pour développer nos acteurs. Même ainsi, ce n'est pas certain que nous réussissions.

Je considère en revanche que nous avons, pour longtemps, perdu le match de l'intelligence artificielle appliquée aux données personnelles et aux consommateurs. Les bases de données constituées par les très grandes entreprises américaines ou chinoises, exponentiellement grandissantes, font que l'écart s'accroît chaque jour.

Il existe des domaines dans lesquels nous pouvons toutefois encore jouer, et même dans lesquels nous pouvons être parmi les meilleurs du monde. Cela concerne notamment les données industrielles et l'intelligence artificielle appliquée à certains secteurs du commerce interentreprises (B to B), tels que les domaines de la santé, des transports, de l'environnement, de l'énergie, de la cybersécurité. Partout où le savoir-faire français est extrêmement fort, avec des très grandes entreprises françaises et des lacs de données à la bonne taille, nous sommes capables de créer des savoir-faire parmi les meilleurs du monde parce que nous avons l'une des meilleures écoles du monde en mathématiques et en informatique.

Pour faire le lien avec le HDH, la création de l'entrepôt des données de santé a été décidée parce que nous avons un très fort savoir-faire en France en intelligence artificielle et sur la question médicale. Notre pays est particulièrement centralisé en termes de données médicales, ce qui est un avantage compétitif très important. Les bases de données françaises de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de l'assurance maladie sont parmi les cinq plus grosses bases de données de santé du monde. Nous avons donc intérêt, pour des raisons médicales et économiques, à connecter l'ensemble de ces bases de données afin de découvrir des interactions médicamenteuses, faire de la recherche, du suivi individualisé de patients, améliorer la qualité des soins, améliorer la vie des personnels de santé et faire émerger des champions français de la santé numérique ou développer le savoir-faire de nos entreprises.

Le HDH n'est qu'une surcouche. Les données de santé des Français ne sont, à 99 %, pas dans le HDH aujourd'hui. Elles sont stockées dans les data centers des différents hôpitaux, des laboratoires qui sont pour la plupart hébergés chez des Français. Nous avons voulu créer une surcouche qui, tout en respectant un processus extrêmement normé sur les questions de données personnelles et d'éthique, permette de connecter les données nécessaires pour faire fonctionner des algorithmes d'intelligence artificielle. L'objectif est de créer des champions de la santé numérique et d'améliorer la santé des Français.

Cette décision a été prise dans le cadre de la présentation par le Président dela République du plan sur l'intelligence artificielle en mars 2018. Elle a donné lieu à la consultation de dix-neuf entreprises sur l'outil mis à la disposition du HDH. La seule entreprise qui répondait début 2019 aux critères techniques de performance, de capacité à développer ces algorithmes, était Microsoft. Il a alors été décidé de démarrer tout de suite avec Microsoft une phase expérimentale de développement, parce que cette société était en avance dans le domaine de l'intelligence artificielle. D'ailleurs, si vous discutez aujourd'hui avec les entreprises de l'intelligence artificielle, elles vous feront toutes part de l'extrême avance des groupes américains.

Notre volonté est de faire émerger des champions européens capables de tenir tête à Microsoft Azure, à Google Cloud ou à Amazon Web Services (AWS). C'est bien sûr indispensable mais, à ce moment et sur cette question de la santé, Microsoft était le plus avancé. Il a donc été décidé de débuter avec lui une période probatoire. Nous avons pu ainsi, pendant la crise de la covid du début d'année, faire des découvertes extrêmement intéressantes sur des interactions médicamenteuses ou des facteurs de comorbidité. Très concrètement, si nous avions dû attendre un an ou un an et demi pour travailler avec un acteur français, nous ne l'aurions pas fait pendant la crise de la covid parce que nous n'aurions pas été prêts.

Voici donc la situation objective. J'ai toutefois été très clair lors d'une audition au Sénat. Notre volonté est de faire passer le HDH sur une infrastructure européenne, notamment pour une raison juridique. En effet, une décision de la Cour de justice de l'Union européenne a estimé juridiquement impossible que le HDH continue à être hébergé sur des infrastructures américaines à terme, le Conseil d'État ayant par ailleurs considéré qu'il n'y avait pas urgence. Notre volonté est donc de travailler à la transition vers une infrastructure européenne. En conséquence, nous devons être capables de mettre à jour nos capacités de traitement algorithmique. Dans le cas inverse, ce que nous aurons gagné en indépendance industrielle sera perdu en opportunités sanitaires. Juridiquement, les données étaient suffisamment protégées compte tenu des clauses contractuelles. Passer le HDH sur des infrastructures européennes n'est donc pas anodin.

Encore une fois, Amazon avec AWS investit 22 milliards de dollars par an en recherche et développement. La France tout entière investit un peu plus de 60 milliards par an dans l'ensemble de sa recherche. Sans géant du web européen, nous n'aurons pas de solution. Notre conviction est que nous devons faire en sorte que ces géants émergent, que ce soit dans le cloud, dans l'intelligence artificielle… mais cela prendra du temps. La Silicon Valley s'est créée à la fin des années 1950. Même si cela ne prend pas autant de temps, il en faut pour faire émerger ces acteurs. En ce qui concerne le HDH, la décision est claire ; il passera, dans les mois ou les années qui viennent, sur une infrastructure européenne.

Vous m'avez interrogé sur la possibilité de privilégier des solutions européennes. Je rappelle que la législation européenne, sauf pour ce qui concerne la défense nationale, ne nous permet pas de faire de différence entre une entreprise américaine ayant un siège en Europe et une entreprise européenne ayant un siège en Europe. Elles sont juridiquement à traiter de la même manière. Il existe une petite différence dans le cas du cloud : compte tenu de la législation extraterritoriale prise par les États-Unis, nous estimons que toutes les conditions juridiques de sécurité des données ne peuvent être remplies. C'est d'ailleurs le cœur de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne sur l'affaire Schrems II et l'invalidation du « Privacy Shield ». Pour les questions qui relèvent au sens large de la souveraineté mais qui n'en relèvent pas au sens juridique, il n'est pas possible de faire une différence entre une entreprise américaine et une entreprise européenne. La décision n'est pas à la main de l'État français, même si nous pouvons le regretter.

Je ne suis pas le mieux placé pour répondre à la question d'un ministère dédié au numérique. Je pense que le fond du sujet est de faire progresser la culture de l'État, des hauts fonctionnaires et des ministres sur les questions du numérique et de l'importance du numérique. Nous avons vu encore la semaine dernière, de façon dramatique, à quel point le numérique irrigue l'ensemble de notre vie quotidienne et de nos politiques publiques. Il répond à des codes qui ne sont pas exactement les mêmes que ceux de la vie réelle, à certaines contraintes et opportunités. Il est important que chaque politique publique soit conçue dans une approche notamment numérique, pas uniquement tout de même, et de faire en sorte que nos politiques soient décidées de manière holistique en prenant en compte le numérique.

Sera-ce mieux avec un ministre d'État du numérique ou faut-il que chaque ministre injecte du numérique dans sa politique publique ? Encore une fois, je ne suis pas le mieux placé pour y répondre. Cela me rappelle les débats dans les entreprises privées pour savoir s'il faut une direction de la transformation numérique du groupe ou s'il faut injecter du numérique dans chaque unité commerciale. Les choix peuvent évoluer d'ailleurs. Il pourrait y avoir un intérêt symbolique à le faire mais le principal est de faire en sorte que le numérique progresse au sein du Gouvernement et des administrations.

À cet égard, je considère que ce Gouvernement et cette majorité ont fait progresser d'un pas inédit la question du numérique. Est-ce suffisant ? Probablement pas. Devons-nous continuer ? C'est certain. En tout cas, le numérique a, au sein de ce gouvernement, une place qu'il n'avait pas dans les gouvernements précédents. Ayant fait partie de ceux-ci, je le sais et je pense que, en la matière, le plus intéressant est d'écouter la manière dont les entreprises du numérique en parlent. Nous ne sommes certainement pas au bout du chemin.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.