Dans le cadre du Digital Services Act, la France porte trois éléments particuliers. Le premier concerne la régulation économique des plateformes, le deuxième la régulation des contenus et le troisième la régulation du commerce en ligne.
La question de la régulation économique des plateformes est probablement ce qui fait le plus consensus au niveau européen. La position de la France est simple. Certaines entreprises sont aujourd'hui en position monopolistique ou oligopolistique. Leur empreinte sur notre économie et notre société a atteint un point tel qu'elles doivent se voir appliquer une régulation asymétrique, extrêmement forte et qui leur soit dédiée. L'actualisation de nos outils de concurrence ainsi que la mise en place de régulations et de supervisions dédiées avec un superviseur de niveau européen dédié sont donc indispensables. Il pourrait imposer des notions d'interopérabilité et de régulation d'accès à certains services, les terminaux par exemple, considérés comme des infrastructures essentielles pour lesquelles nous ne pouvons pas laisser s'exercer la libre concurrence. Il pourrait aussi imposer des notions de transparence sur les pratiques de ces plateformes. Nous ne savons actuellement pas comment elles se comportent exactement. Le régulateur pouvait imposer des obligations pour contrôler les secteurs et marchés dominés par ces plateformes, en les considérant comme des infrastructures essentielles.
Nous n'écartons pas la question du démantèlement et nous souhaitons qu'elle reste sur la table, comme l'a demandé la France de manière précise. Le démantèlement est toutefois un ultime recours. En effet, d'abord, concrètement, il prendrait vingt ans compte tenu des recours juridiques ; ensuite il n'est pas certain que cette solution soit la plus efficace. Les modèles économiques sont changeants.
J'ai d'ailleurs eu une très intéressante discussion avec l'ancien président de la Federal Communications Commission (FCC), équivalent aux États-Unis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). Sa position était : « Don't break them up, break them open » – ne pas les briser, mais les ouvrir – donc de passer par l'interopérabilité, l'ouverture des données et la régulation. Il estimait que ce serait beaucoup plus efficace et rapide. Il faut toutefois garder le démantèlement dans la boucle des sanctions, où il existe déjà.
Il convient par ailleurs d'éviter certaines fusions qui nous semblent dommageables, comme l'acquisition d'Instagram ou de WhatsApp par Facebook. Elles conduiraient non seulement à empêcher la concurrence mais à renforcer la situation monopolistique des acteurs.
Compte tenu de ce que la Commission européenne a posé sur la table avec la mise à jour des règles de concurrence et le Digital Services Act, je crois que le terrain est favorable pour progresser sur ces questions en Europe. Nous le verrons début décembre.
Les obligations de modération de contenu appliquées aux plateformes font plus débat. Cette question relève moins de la souveraineté numérique mais davantage malheureusement de l'actualité. Aujourd'hui, les grands réseaux sociaux sont régis par la directive « e-commerce » sur le commerce électronique qui les rend irresponsables des contenus publiés sur leurs plateformes car ils ne sont pas éditeurs mais simplement hébergeurs.
La France soutient qu'il faut considérer, à l'image de la deuxième partie de la « loi Avia » visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, la nécessité d'obligation de moyens pour les plateformes dans la modération et la régulation des contenus les plus problématiques. La loi a été invalidée par le Conseil constitutionnel, mais seulement par voie de conséquence en ce qui concerne cette deuxième partie, donc sans jugement au fond.
Les plateformes devraient se doter d'équipes de modération à la hauteur de l'enjeu qu'elles représentent. Facebook et Twitter n'ont ainsi pas le même. Elles doivent avoir des obligations de moyens sous la supervision d'un régulateur. La France est extrêmement offensive sur cette question. Il nous semble qu'il s'agit d'un bon équilibre entre la régulation et la liberté d'expression.
Ce sujet fait en Europe infiniment plus débat que la question économique pour des raisons de sensibilités culturelles à la liberté d'expression, qui sont assez différentes. Certains pays européens ne souhaitent rien ajouter à la régulation actuelle des plateformes. La capacité de notre pays à réguler cette question est incertaine, étant sous directive européenne. Nous sentons les lignes bouger et nous poussons en faveur cette obligation de moyens.
Ces obligations de moyens seraient fixées au niveau européen, avec éventuellement une supervision européenne, mais la définition des contenus illicites ne relève évidemment pas d'une définition européenne. La culture française n'est pas la même que la culture suédoise ou la culture portugaise sur la liberté d'expression et la haine en ligne. Nous souhaitons donc que des obligations de moyens soient posées au niveau européen tandis que la définition des contenus illicites resterait à la main des États, compte tenu des forts liens avec les héritages culturels.
Nous portons enfin la question de la régulation des places de marché. Certaines, comme Wish que j'ai eu l'occasion de dénoncer en tant que ministre pendant le confinement, ont des comportements vis-à-vis de leurs vendeurs qui sont d'une irresponsabilité totale. Vous trouvez aujourd'hui sur certaines places de marché une majorité d'articles vendus par des vendeurs non européens et non conformes aux règles européennes. Dans la régulation actuelle, ces plateformes sont irresponsables, au sens qu'elles ne sont pas responsables juridiquement. Vous pouvez, sur ces plateformes, acheter un jouet qui explosera à la figure de votre enfant sans que la plateforme soit redevable de quoi que ce soit. C'est inacceptable.
La France porte le fait que des obligations spécifiques soient imposées aux places de marché sur le contrôle de la conformité de leurs vendeurs non européens, pour s'assurer que les vendeurs non européens respectent les mêmes règles que les vendeurs européens et ne soient pas irresponsables. C'est une question qui dépasse la liberté d'expression et relève de la sécurité sanitaire. L'Europe serait fondée à être beaucoup plus dure et à sortir du cadre de la directive « e-commerce » sur ce sujet spécifique.
Voici donc les trois positions que la France porte dans le cadre de la nouvelle directive sur les services numériques.