Merci pour cette initiative. Il est en effet important de pouvoir échanger entre la représentation nationale et les parlementaires européens – nous devrions nous aussi être capables de vous auditionner sur un certain nombre de points, ce qui est envisagé par le Parlement, même si les conditions sanitaires nous entravent sur ce point. J'en profite pour souligner que le Parlement européen dispose d'outils permettant de continuer à travailler à distance, de façon décentralisée et dématérialisée, avec la possibilité de voter et de suivre des commissions à distance. Je constate que l'Assemblée nationale dispose également de ces outils, ce qui me semble positif pour notre pratique.
Sur les questions que vous avez évoquées, la souveraineté européenne passe d'abord par la capacité à agir, en défensif ou en offensif, à prévoir sa propre régulation dans le cadre institutionnel actuel, mais également à répondre à un certain nombre d'enjeux communs à l'ensemble des États membres. Au sein de tous les principaux groupes politiques européens – les Verts, le PPE, Renew Europe et les Socialistes –, on constate la même volonté de construire un modèle autour de cette souveraineté numérique, qui ne serait ni le modèle chinois ni le modèle américain, et d'exporter par la suite ce modèle comme une référence d'un point de vue éthique, moral et industriel. Avant d'en arriver là, il existe un sujet primordial, en l'occurrence la stratégie européenne des données : en effet, les données sont le « carburant » de tout ce qui émergera en termes de souveraineté numérique européenne, ce qui pose la question de notre capacité à organiser la collecte, le traitement et l'utilisation des données. Cet écosystème ne pourra être établi qu'à partir du moment où ce carburant sera réglementé, avec une collecte dont les modalités auront été harmonisées chez les 27. Cet enjeu est l'enjeu premier de toute la stratégie de souveraineté. Thierry Breton est aujourd'hui en pointe sur ces sujets : la Commission souhaite en premier lieu entrer sur cette question avant de développer l'ensemble des autres enjeux.
Parmi ces autres enjeux, nous avons notre modèle européen sur l'intelligence artificielle, modèle sur lequel nous travaillons actuellement. Nous avons choisi d'entrer par plusieurs biais qui, aujourd'hui, sont des angles morts de la réglementation européenne : le modèle éthique de l'intelligence artificielle, la question de la responsabilité – et donc de la responsabilité civile, avec notamment la question de la voiture autonome – et la question de la propriété intellectuelle. En effet, de plus en plus d'œuvres ou de productions pourraient être réalisées par l'intelligence artificielle de manière autonome, ce qui pose la question de la propriété intellectuelle pour toutes ces créations qui sont le fruit de l'intelligence artificielle. Aujourd'hui, les cas spécifiques sont peu nombreux, mais nous savons que ce domaine est appelé à grandir, et il nous manque un cadre réglementaire européen sur ces questions.
Un troisième enjeu, à mon sens, concerne la souveraineté et la protection de notre démocratie. Il s'agit de la pierre angulaire de ce que l'Europe peut protéger et organiser : c'est notamment la question de l'ingérence dans les élections. Il y a consensus, au Parlement européen, pour réfléchir à nos modèles de protection des démocraties. J'ai beaucoup voyagé à l'est de l'Europe, dans des pays qui ont plus d'expérience que nous en cybersécurité, en cyberdéfense et en ingérences politiques, de la part notamment de la Russie : force est de constater que nous avons d'importants progrès à faire sur ce sujet, qui est un sujet européen. Ce sujet doit permettre à l'Union européenne de développer un modèle de protection pour les États membres qui en font la demande, afin de les protéger contre toute forme d'ingérence, notamment électorale. Il convient également de tenir compte de la question du terrorisme, du DSA, de la régulation des contenus haineux : ce sujet sera traité au Parlement, dans la mesure où, le 2 décembre, la Commission devrait nous proposer sa première feuille de route sur le DSA. Le DSA est l'actualisation de la directive sur le commerce électronique « e-commerce », avec de plus grandes ambitions. En France, nous avons quelques enjeux d'ordre économique : certains pays veulent en effet revenir sur le copyright, qui constitue une vraie victoire française. Il y aura donc des aspects défensifs, dans ce nouveau texte, et nous devrons collectivement y prendre garde – l'Assemblée nationale pourra nous aider sur ce plan. D'autres enjeux sont à développer, comme la régulation des contenus haineux, avec la mise en place d'une « loi Avia » au niveau européen, loi qui sera beaucoup plus efficace si un compromis est trouvé au sein de trois groupes politiques, qui sont très clivés en leur sein. Il s'agit d'ailleurs davantage d'une question culturelle que d'une question politique, avec des différences entre les pays nordiques, pays les plus libéraux, et les pays plus régulateurs. Il conviendra de trouver un compromis, ce qui sera relativement complexe.
Tel est aujourd'hui notre chantier, qui est donc très vaste à l'échelle européenne.