Intervention de Charles Thibout

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Charles Thibout, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique (CNRS, EHESS, Paris 1) :

Je ne pense pas que le fait qu'ils soient démantelés ou non change grand-chose, en tout cas pour nous. Les deux grands exemples du XXe siècle sont la Standard Oil au début du siècle et AT&T au début des années 1980. Leur démantèlement a provoqué de nouvelles ententes qui ont substitué un oligopole à un monopole. Je crois que démanteler n'a pas grand intérêt.

Les relations entre les États et ces entreprises m'intéressent beaucoup. Je pense que cette réflexion n'existe pas aux États-Unis dans la mesure où la frontière entre public et privé, entre État et entreprise est de plus en plus floue. Il se produit une sorte d'hybridation ; des personnalités très importantes de ces entreprises accèdent à des postes de conseil et même de décision au sein l'appareil d'État comme Eric Schmidt, l'ancien président-directeur général (PDG) de Google qui a été nommé en 2016 à la tête d'un organe consultatif important du Pentagone. Il est chargé de faire le lien entre la Silicon Valley et le département de la défense. Il est pressenti pour diriger un groupe de travail sur les industries de nouvelles technologies au sein de la Maison-Blanche sous l'administration Biden. L'équipe de transition de Biden comprend notamment l'ancienne directrice juridique adjointe de Facebook, l'ancienne vice-présidente aux affaires gouvernementales d'Apple. Des liens existent donc avec des phénomènes de « pantouflage » – revolving doors – entre l'État fédéral américain et ces entreprises de sorte qu'émerge une figure hybride de l'État. Ces phénomènes ont toujours existé, de tout temps et partout, mais ils sont actuellement assez concentrés dans le secteur des nouvelles technologies numériques.

En Chine, nous avons effectivement vu une petite sanction de la part de l'État chinois sur Alibaba et Jack Ma mais, pour le moment, le modèle fonctionne et demeurera encore pendant plusieurs années. En 2018, Jack Ma alors PDG d'Alibaba, Pony Ma de Tencent et Robin Li de Baidu ont été nommés vice-présidents d'une commission de sécurité de l'internet chinois. Il leur a été délégué un pouvoir régalien de contrôle et de sécurité de l'internet, ce qui prouve que ces entreprises bénéficient d'une véritable confiance de l'État. Je ne crois pas que ce soit sur le point de changer.

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