Intervention de Lorena Boix Alonso

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 10h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Lorena Boix Alonso, directrice chargée de la stratégie et de la diffusion des politiques à la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies de la Commission européenne :

La souveraineté technologique est un concept très en vogue qui possède de nombreuses définitions. Je considère qu'elle possède deux volets, un interne et l'autre externe. Le volet interne représente la nécessité de développer nos propres technologies, ce qui ne signifie pas que nous les produirons toutes en Europe de façon totalement indépendante. Nous devons développer nos capacités propres pour les technologies stratégiques afin de ne pas être dépendants d'un pays unique. Nous avançons l'idée d'investir ensemble sur de grands projets. Les coûts pour développer des capacités fortes dans certaines de ces technologies sont considérables. Un pays isolé ne peut faire face aux défis que cela implique compte tenu du poids des investissements. Pour cette raison, la Commission veut que nous y travaillions ensemble. Il est important de parler de ces concepts au niveau national, mais encore plus au niveau européen.

Nous proposons d'effectuer des investissements coordonnés pour certains grands projets tels que la recherche et l'innovation, mais également pour le déploiement de nos capacités numériques. Il est crucial de développer le cloud pour établir une infrastructure européenne des données, d'agrandir notre capacité de production des microprocesseurs à faible consommation, de déployer des réseaux 5G le long des axes de transport, de mettre en place des infrastructures de communication ultra sécurisées qui utilisent des méthodes de cryptage quantique, et de progresser sur les supercalculateurs. À titre d'exemple, les supercalculateurs occupent un rôle important dans le développement des vaccins et médicaments. Auparavant, comparer des molécules afin de confectionner un médicament prenait des années, mais le processus a été considérablement accéléré avec l'utilisation de ces machines. Pour autant, le coût d'un superordinateur est colossal. Dans cette optique, nous avons créé EuroHPC ( European High Performance Computing Joint Undertaking - Entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance), une entreprise commune aux pays européens. D'énormes projets peuvent ainsi participer favorablement à la souveraineté technologique que nous devons réaliser ensemble.

Nous disposons actuellement de plusieurs programmes pour financer ces projets. Nous espérons arriver rapidement à un accord entre le Conseil et le Parlement sur le cadre financier pluriannuel. Dans le cadre de la nouvelle facilité pour la reprise et la résilience, pour la première fois, nous avons constaté une prise de conscience de l'importance du numérique avec 20 % des dépenses qui y sont consacrées, c'est-à-dire entre 130 et 140 milliards d'euros sur les deux prochaines années. Nous possédons également deux autres moyens de financement : l'Europe numérique, avec 8 milliards d'euros, et la Connecting Europe Facility, qui est davantage centrée sur les réseaux.

Si certains États membres comme la France sont de fervents promoteurs de ces concepts, d'autres pays sont plus réticents. Tout dépend de la définition que nous leur donnons. S'ils sont compris comme la fermeture au commerce international, je pourrais comprendre certaines réticences, mais ce n'est pas le cas.

Le second volet que j'aimerais aborder est le volet externe de la souveraineté technologique. Il s'agit de l'aspect international, qui possède également une dimension défensive. Comme le répète régulièrement le commissaire Thierry Breton, nous devons arrêter d'être naïfs, surtout dans nos relations internationales. Il faut nous protéger des pratiques commerciales déloyales en appliquant les règles internationales, garantir la réciprocité des accès aux marchés internationaux, lutter contre les effets de distorsion des subventions étrangères dans notre marché unique et, comme vous l'avez mentionné, adapter le cadre européen de la concurrence pour garantir qu'il réponde aux défis de la transition verte et de la transformation numérique. Le volet international ne signifie pas uniquement que nous devons être défensifs, avec des concurrences équitables, mais également que nous devons créer des liens avec ceux qui partagent nos valeurs. Nous ne sommes pas complètement isolés.

La présentation du Digital Services Act est annoncée pour décembre. L'objectif est de doter l'Union européenne d'un cadre juridique ambitieux pour les services numériques, notamment les plateformes en ligne. Nous voulons parvenir à une harmonisation des règles au niveau européen pour permettre l'essor et l'innovation au sein du marché commun. Le Digital Services Act sera accompagné du Digital Market Act. Ce dernier essaye de garantir une économie numérique innovante et une compétitivité équitable. Son objectif consiste à tracer les lignes directrices de cet espace informationnel, dont parle régulièrement notre commissaire, afin de renforcer le marché unique. Lorsque les entreprises proposent leurs services sur le marché, il faut qu'elles soient responsabilisées pour protéger nos citoyens contre les activités illicites.

Ces éléments constituent le cœur du Digital Services Act. Ce cadre législatif, d'un côté, permettra une protection juste des citoyens et une garantie de leurs droits et, de l'autre, rendra possible l'émergence d'un secteur numérique robuste et compétitif en Europe. Ce qui est illégal en dehors du web doit également l'être en ligne. Notre idée consiste à créer une série d'obligations de vigilance pour les plateformes en ligne. Pour en citer quelques-unes, nous pensons à des procédures de notification, avec la création d'une procédure en Europe de notification des contenus illicites, ainsi qu'à des mesures de recours, de transparence et de coopération avec les autorités publiques. Ces obligations de vigilance seront renforcées pour les grandes plateformes. En effet, la responsabilité s'accroît en fonction de l'audience.

Les règles actuelles de gouvernance s'appliquent par rapport au pays où est établie la plateforme. C'est un principe valable et important, car une entreprise doit pouvoir choisir où s'installer. Je partage avec vous nos réflexions car cela n'a pas encore été adopté, mais il sera très important d'éviter que les plateformes se cachent derrière un vide juridique. Nous réfléchissons à créer un système de coopération entre toutes les autorités nationales pour éviter ce genre de situation.

Voici les grandes lignes du Digital Services Act. Je peux également détailler d'autres propositions législatives si vous le souhaitez. Nous avons en effet plusieurs propositions que nous adopterons prochainement. En décembre, nous aurons le Digital Services Act et le Digital Market Act. Une autre proposition que j'estime essentielle pour la souveraineté numérique est l'identité numérique. C'est quelque chose que notre présidente a annoncé dans le discours et le débat sur l'état de l'Union et qui figure désormais dans notre programme de travail pour le premier trimestre de l'année prochaine. Nous voulons faire une proposition qui vise à établir un cadre unique pour une identité numérique européenne qui soit universellement reconnue, sécurisée, fiable, et qui puisse être utilisée partout où nous nous identifions sur internet. Cela ne signifie évidemment pas qu'elle remplacera les identités nationales, mais c'est quelque chose qui peut jouer un rôle fondamental. En ce moment, lorsque nous commençons à utiliser un nouveau service sur internet nous rencontrons souvent la demande : « Comment souhaitez-vous vous identifier ? » Nous pouvons entrer notre nom et notre e-mail, mais il nous est également proposé de nous identifier en utilisant une plateforme des GAFAM. C'est une méthode d'identification tellement plus facile que nous préférons souvent l'utiliser. Évidemment, se pose alors la question de l'utilisation de nos données. Il serait préférable que nous possédions le moyen d'utiliser une identité numérique alternative qui nous permette de contrôler nos données et de garantir la sécurité. Il est trop tôt pour préciser le contenu de cette proposition, mais c'est l'idée sur laquelle nous travaillons et que nous explorons actuellement.

Un autre enjeu important est celui des données. Nous allons créer un cadre pour la gouvernance des données afin de garantir la solidité et la pérennité des espaces européens communs des données. C'est une idée importante pour notre commissaire. Les GAFAM ont gagné la bataille des données personnelles en développant de nombreuses activités qui leur sont liées, mais l'enjeu pour l'avenir concerne les données industrielles et publiques. L'Europe est très forte dans ce domaine grâce à une industrie et un secteur public puissants. Nous pouvons accomplir beaucoup de choses autour de l'économie de ce type de données industrielles et publiques, d'où l'idée de créer des espaces communs des données. Pour y arriver, il est nécessaire d'établir un cadre réglementaire de gouvernance afin de savoir ce que nous pouvons faire. Je vais donner un nouvel exemple. Avec la pandémie, nous avons réalisé que les données sont centrales. Nous utilisons les données, comme je l'ai dit précédemment, pour trouver des médicaments et un vaccin, mais également pour mesurer l'évolution de la pandémie et pour évaluer l'impact des mesures prises par les gouvernements. Nous aurions pu accomplir beaucoup si nous avions eu cette coordination des données et cette gouvernance pour savoir ce que nous pouvions en faire et de quelle manière les utiliser. Pour cette raison, nous proposerons très prochainement un cadre de gouvernance des données en Europe, peut-être ce mois-ci. Cela permettra également de libérer la valeur des données mises volontairement à disposition, de faciliter le partage des données de manière contrôlée avec une vision technique, juridique et organisationnelle, et de renforcer la confiance dans ces espaces de données.

Nous préparons également au troisième trimestre 2021 une proposition législative qui vise à améliorer la qualité des données du secteur public, telles que les statistiques et les données géospatiales, afin qu'elles soient disponibles pour réutilisation compte tenu de leur potentiel pour les petites et moyennes entreprises européennes. Nous préparons une loi d'exécution sur l'ensemble des données de grande valeur afin de les rendre réutilisables dans toute l'Union européenne dans des conditions techniques et, dans ce cas-ci, gratuites. Comme vous le constatez, beaucoup d'éléments arriveront sur les données.

Une autre initiative législative, prévue pour le troisième trimestre 2021, est également en discussion. Elle cherche à accroître l'équité dans l'économie des données. Elle visera à clarifier les trois utilisations des données dans les contextes Business To Business et Business To Government. Premièrement, nous voulons améliorer le droit de portabilité des données afin de donner aux citoyens plus de contrôle dessus. Par exemple, nous voulons être capables d'exercer le droit que nous possédons, mais qui est difficile à mettre en œuvre, de porter nos données ailleurs lorsque nous voulons sortir d'une plateforme. Deuxièmement, nous allons examiner le droit de propriété intellectuelle en vue d'améliorer davantage l'accès à l'utilisation des données. Troisièmement, cette initiative clarifiera l'utilisation des données dans le domaine de la cybersécurité.

Nous réexaminons en ce moment la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information. Nous avons terminé l'analyse d'impact et présenterons une proposition législative idéalement avant la fin de l'année, ce qui me semble être un objectif réaliste.

Enfin, comme vous l'avez mentionné, nous proposerons également pour l'année prochaine un cadre réglementaire pour l'intelligence artificielle où nous essayerons de conserver un équilibre entre, d'une part, l'encouragement de l'innovation et du recours par les entreprises et le secteur public à des solutions d'intelligence artificielle et, d'autre part, la protection de nos citoyens contre les biais parfois indésirables qu'entraînent ces technologies. Nous possédons un programme très intensif, en coopération avec tous les États membres.

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