Audition, ouverte à la presse, de Mme Lorena Boix Alonso, directrice chargée de la stratégie et de la diffusion des politiques à la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies de la Commission européenne.
La séance est ouverte à 10 heures 05.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
. Je vous prie d'excuser notre rapporteur Philippe Latombe qui défend actuellement les amendements dans l'hémicycle. S'il en a la possibilité, il nous rejoindra, mais c'est à moi que revient l'honneur d'accueillir Mme Lorena Boix Alonso, directrice chargée de la stratégie et de la diffusion des politiques à la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies de la Commission européenne. Comme vous le savez sans doute, notre mission d'information porte sur les moyens de bâtir et de promouvoir une souveraineté numérique française et européenne. Il nous est donc absolument essentiel de recevoir l'éclairage européen des institutions qui peuvent contribuer à ces mêmes objectifs. Dans le cadre de nos travaux, nous sommes particulièrement sensibles à l'actualité européenne dans le domaine du numérique. Nous avons d'ailleurs initié cette mission en auditionnant Mme Mariya Gabriel, commissaire européenne chargée de l'innovation, de la recherche, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse.
Je souhaite vivement que l'audition de ce jour nous permette de comprendre de quelle façon la souveraineté numérique est envisagée, promue et défendue au sein de l'Union européenne. Je pense également qu'il nous serait utile de faire un point d'actualité sur les différents dossiers numériques portés par la Commission européenne concernant la régulation des plateformes et les stratégies de la donnée et de l'intelligence artificielle, qui sont des sujets sur lesquels la Commission est particulièrement engagée.
La souveraineté numérique est d'une importance capitale et fait partie d'un concept plus large, celui de la souveraineté stratégique. Les technologies numériques sous-tendent les évolutions dans tous les secteurs de l'économie, que ce soit l'agriculture, les finances ou la sécurité. Plus généralement, elles déterminent nos capacités à relever les principaux défis sociétaux, comme la santé et l'environnement. N'importe quelle dépendance, même minime, à l'égard de technologies numériques développées et produites en dehors de l'Union européenne pourrait rendre vulnérables ces différents secteurs de notre économie et de notre société. Une dépendance dans le domaine numérique pourrait mettre en péril non seulement notre économie, mais également notre sécurité, nos valeurs démocratiques et nos droits fondamentaux. L'ubiquité des technologies numériques dans l'économie rend particulièrement important le développement de la souveraineté numérique. La crise de la covid a renforcé cette idée en agissant comme une prise de conscience de l'importance de ces enjeux. Cette crise est un drame humain et une crise économique, mais je suis convaincue que ce drame aurait été plus conséquent sans le numérique qui nous a permis de continuer à exercer nos activités économiques et sociales et qui a également aidé à gérer la situation du côté humain, social et médical. Cette fantastique accélération qu'a apportée la covid dans de nombreux secteurs est une opportunité. C'est pour cette raison que vos travaux arrivent au bon moment. Il convient de redéfinir notre approche du secteur numérique. C'est également un grand défi car ceux qui ne s'adaptent pas encourent le risque de devenir hors-jeu, que ce soient des pays, des entreprises ou des écoles.
La pandémie a révélé des défis, mais également des vulnérabilités. Nos sociétés et économies sont exposées aux chaînes d'approvisionnement mondiales et nous sommes vulnérables si nos outils numériques sont complètement conçus, produits et contrôlés ailleurs. L'enjeu n'est pas uniquement économique mais touche également à nos valeurs, que le développement technologique doit respecter. La résilience stratégique de l'autonomie numérique ne consiste pas à nous isoler, mais à défendre nos intérêts stratégiques et nos valeurs. Pour y parvenir, il faut réduire notre dépendance en construisant nos capacités technologiques. Nous devons développer des projets susceptibles d'aboutir à des alternatives européennes dans les technologies et stratégies clés. Il est nécessaire de donner à nos citoyens les moyens d'agir en encourageant nos talents à se développer, puis à déployer et utiliser ces technologies stratégiques essentielles dans l'intérêt commun. L'Europe peut jouer un rôle central dans cette course mondiale à la puissance technologique. Dans le contexte géopolitique actuel, les grandes puissances telles que la Chine et les États-Unis sont conscientes de l'importance que représente cette capacité à gérer ses propres technologies. L'Europe est plus que jamais consciente des implications.
Nous devons développer nos capacités dans trois domaines clés : le secteur des données, qui est fondamental ; la microélectronique et les microprocesseurs, qui sont dans toutes les chaînes de valeurs électroniques ; et la connectivité. Nous possédons deux outils principaux pour y arriver : les investissements et la régulation. Je vais principalement développer ce deuxième point, mais je pense qu'il faut jouer sur les deux. D'après notre présidente, Ursula von der Leyen, la décennie du numérique commence. Elle veut développer l'Europe et a proposé dernièrement ce qu'elle appelle une boussole numérique. Le Conseil européen a appelé la Commission à développer ce concept. En mars 2021, nous proposerons des objectifs chiffrés et clairs pour l'horizon 2030, afin de ne pas présenter uniquement les investissements et la régulation, mais pour nous fixer des buts et mettre en œuvre les moyens pour les atteindre. Je serais très heureuse de développer le concept de souveraineté numérique à l'occasion de nos débats et d'expliquer de manière plus approfondie les différents projets législatifs des prochaines années.
Vous avez bien rappelé la déclaration de la présidente de la Commission européenne et sa volonté de faire de la décennie 2020 celle du numérique. Nous avons la sensation que la souveraineté numérique fait l'objet de définitions nationales sensiblement différentes dans un certain nombre d'États membres. Comment la Commission travaille-t-elle pour construire une vision commune dans ce domaine et quelles en sont les premières déclinaisons concrètes au niveau du pouvoir législatif ?
Vous avez parlé de l'aspect réglementaire, j'aimerais aborder le thème de la concurrence. Les GAFAM disposent aujourd'hui d'un pouvoir de marché sans précédent dans un nombre croissant d'activités. Les acteurs européens éprouvent de grandes difficultés à devenir des concurrents efficaces. La régulation des plateformes numériques via le Digital Services Act et la réforme sur la concurrence européenne sont deux chantiers ouverts par la Commission. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les effets de fond espérés et sur le calendrier ?
La souveraineté technologique est un concept très en vogue qui possède de nombreuses définitions. Je considère qu'elle possède deux volets, un interne et l'autre externe. Le volet interne représente la nécessité de développer nos propres technologies, ce qui ne signifie pas que nous les produirons toutes en Europe de façon totalement indépendante. Nous devons développer nos capacités propres pour les technologies stratégiques afin de ne pas être dépendants d'un pays unique. Nous avançons l'idée d'investir ensemble sur de grands projets. Les coûts pour développer des capacités fortes dans certaines de ces technologies sont considérables. Un pays isolé ne peut faire face aux défis que cela implique compte tenu du poids des investissements. Pour cette raison, la Commission veut que nous y travaillions ensemble. Il est important de parler de ces concepts au niveau national, mais encore plus au niveau européen.
Nous proposons d'effectuer des investissements coordonnés pour certains grands projets tels que la recherche et l'innovation, mais également pour le déploiement de nos capacités numériques. Il est crucial de développer le cloud pour établir une infrastructure européenne des données, d'agrandir notre capacité de production des microprocesseurs à faible consommation, de déployer des réseaux 5G le long des axes de transport, de mettre en place des infrastructures de communication ultra sécurisées qui utilisent des méthodes de cryptage quantique, et de progresser sur les supercalculateurs. À titre d'exemple, les supercalculateurs occupent un rôle important dans le développement des vaccins et médicaments. Auparavant, comparer des molécules afin de confectionner un médicament prenait des années, mais le processus a été considérablement accéléré avec l'utilisation de ces machines. Pour autant, le coût d'un superordinateur est colossal. Dans cette optique, nous avons créé EuroHPC ( European High Performance Computing Joint Undertaking - Entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance), une entreprise commune aux pays européens. D'énormes projets peuvent ainsi participer favorablement à la souveraineté technologique que nous devons réaliser ensemble.
Nous disposons actuellement de plusieurs programmes pour financer ces projets. Nous espérons arriver rapidement à un accord entre le Conseil et le Parlement sur le cadre financier pluriannuel. Dans le cadre de la nouvelle facilité pour la reprise et la résilience, pour la première fois, nous avons constaté une prise de conscience de l'importance du numérique avec 20 % des dépenses qui y sont consacrées, c'est-à-dire entre 130 et 140 milliards d'euros sur les deux prochaines années. Nous possédons également deux autres moyens de financement : l'Europe numérique, avec 8 milliards d'euros, et la Connecting Europe Facility, qui est davantage centrée sur les réseaux.
Si certains États membres comme la France sont de fervents promoteurs de ces concepts, d'autres pays sont plus réticents. Tout dépend de la définition que nous leur donnons. S'ils sont compris comme la fermeture au commerce international, je pourrais comprendre certaines réticences, mais ce n'est pas le cas.
Le second volet que j'aimerais aborder est le volet externe de la souveraineté technologique. Il s'agit de l'aspect international, qui possède également une dimension défensive. Comme le répète régulièrement le commissaire Thierry Breton, nous devons arrêter d'être naïfs, surtout dans nos relations internationales. Il faut nous protéger des pratiques commerciales déloyales en appliquant les règles internationales, garantir la réciprocité des accès aux marchés internationaux, lutter contre les effets de distorsion des subventions étrangères dans notre marché unique et, comme vous l'avez mentionné, adapter le cadre européen de la concurrence pour garantir qu'il réponde aux défis de la transition verte et de la transformation numérique. Le volet international ne signifie pas uniquement que nous devons être défensifs, avec des concurrences équitables, mais également que nous devons créer des liens avec ceux qui partagent nos valeurs. Nous ne sommes pas complètement isolés.
La présentation du Digital Services Act est annoncée pour décembre. L'objectif est de doter l'Union européenne d'un cadre juridique ambitieux pour les services numériques, notamment les plateformes en ligne. Nous voulons parvenir à une harmonisation des règles au niveau européen pour permettre l'essor et l'innovation au sein du marché commun. Le Digital Services Act sera accompagné du Digital Market Act. Ce dernier essaye de garantir une économie numérique innovante et une compétitivité équitable. Son objectif consiste à tracer les lignes directrices de cet espace informationnel, dont parle régulièrement notre commissaire, afin de renforcer le marché unique. Lorsque les entreprises proposent leurs services sur le marché, il faut qu'elles soient responsabilisées pour protéger nos citoyens contre les activités illicites.
Ces éléments constituent le cœur du Digital Services Act. Ce cadre législatif, d'un côté, permettra une protection juste des citoyens et une garantie de leurs droits et, de l'autre, rendra possible l'émergence d'un secteur numérique robuste et compétitif en Europe. Ce qui est illégal en dehors du web doit également l'être en ligne. Notre idée consiste à créer une série d'obligations de vigilance pour les plateformes en ligne. Pour en citer quelques-unes, nous pensons à des procédures de notification, avec la création d'une procédure en Europe de notification des contenus illicites, ainsi qu'à des mesures de recours, de transparence et de coopération avec les autorités publiques. Ces obligations de vigilance seront renforcées pour les grandes plateformes. En effet, la responsabilité s'accroît en fonction de l'audience.
Les règles actuelles de gouvernance s'appliquent par rapport au pays où est établie la plateforme. C'est un principe valable et important, car une entreprise doit pouvoir choisir où s'installer. Je partage avec vous nos réflexions car cela n'a pas encore été adopté, mais il sera très important d'éviter que les plateformes se cachent derrière un vide juridique. Nous réfléchissons à créer un système de coopération entre toutes les autorités nationales pour éviter ce genre de situation.
Voici les grandes lignes du Digital Services Act. Je peux également détailler d'autres propositions législatives si vous le souhaitez. Nous avons en effet plusieurs propositions que nous adopterons prochainement. En décembre, nous aurons le Digital Services Act et le Digital Market Act. Une autre proposition que j'estime essentielle pour la souveraineté numérique est l'identité numérique. C'est quelque chose que notre présidente a annoncé dans le discours et le débat sur l'état de l'Union et qui figure désormais dans notre programme de travail pour le premier trimestre de l'année prochaine. Nous voulons faire une proposition qui vise à établir un cadre unique pour une identité numérique européenne qui soit universellement reconnue, sécurisée, fiable, et qui puisse être utilisée partout où nous nous identifions sur internet. Cela ne signifie évidemment pas qu'elle remplacera les identités nationales, mais c'est quelque chose qui peut jouer un rôle fondamental. En ce moment, lorsque nous commençons à utiliser un nouveau service sur internet nous rencontrons souvent la demande : « Comment souhaitez-vous vous identifier ? » Nous pouvons entrer notre nom et notre e-mail, mais il nous est également proposé de nous identifier en utilisant une plateforme des GAFAM. C'est une méthode d'identification tellement plus facile que nous préférons souvent l'utiliser. Évidemment, se pose alors la question de l'utilisation de nos données. Il serait préférable que nous possédions le moyen d'utiliser une identité numérique alternative qui nous permette de contrôler nos données et de garantir la sécurité. Il est trop tôt pour préciser le contenu de cette proposition, mais c'est l'idée sur laquelle nous travaillons et que nous explorons actuellement.
Un autre enjeu important est celui des données. Nous allons créer un cadre pour la gouvernance des données afin de garantir la solidité et la pérennité des espaces européens communs des données. C'est une idée importante pour notre commissaire. Les GAFAM ont gagné la bataille des données personnelles en développant de nombreuses activités qui leur sont liées, mais l'enjeu pour l'avenir concerne les données industrielles et publiques. L'Europe est très forte dans ce domaine grâce à une industrie et un secteur public puissants. Nous pouvons accomplir beaucoup de choses autour de l'économie de ce type de données industrielles et publiques, d'où l'idée de créer des espaces communs des données. Pour y arriver, il est nécessaire d'établir un cadre réglementaire de gouvernance afin de savoir ce que nous pouvons faire. Je vais donner un nouvel exemple. Avec la pandémie, nous avons réalisé que les données sont centrales. Nous utilisons les données, comme je l'ai dit précédemment, pour trouver des médicaments et un vaccin, mais également pour mesurer l'évolution de la pandémie et pour évaluer l'impact des mesures prises par les gouvernements. Nous aurions pu accomplir beaucoup si nous avions eu cette coordination des données et cette gouvernance pour savoir ce que nous pouvions en faire et de quelle manière les utiliser. Pour cette raison, nous proposerons très prochainement un cadre de gouvernance des données en Europe, peut-être ce mois-ci. Cela permettra également de libérer la valeur des données mises volontairement à disposition, de faciliter le partage des données de manière contrôlée avec une vision technique, juridique et organisationnelle, et de renforcer la confiance dans ces espaces de données.
Nous préparons également au troisième trimestre 2021 une proposition législative qui vise à améliorer la qualité des données du secteur public, telles que les statistiques et les données géospatiales, afin qu'elles soient disponibles pour réutilisation compte tenu de leur potentiel pour les petites et moyennes entreprises européennes. Nous préparons une loi d'exécution sur l'ensemble des données de grande valeur afin de les rendre réutilisables dans toute l'Union européenne dans des conditions techniques et, dans ce cas-ci, gratuites. Comme vous le constatez, beaucoup d'éléments arriveront sur les données.
Une autre initiative législative, prévue pour le troisième trimestre 2021, est également en discussion. Elle cherche à accroître l'équité dans l'économie des données. Elle visera à clarifier les trois utilisations des données dans les contextes Business To Business et Business To Government. Premièrement, nous voulons améliorer le droit de portabilité des données afin de donner aux citoyens plus de contrôle dessus. Par exemple, nous voulons être capables d'exercer le droit que nous possédons, mais qui est difficile à mettre en œuvre, de porter nos données ailleurs lorsque nous voulons sortir d'une plateforme. Deuxièmement, nous allons examiner le droit de propriété intellectuelle en vue d'améliorer davantage l'accès à l'utilisation des données. Troisièmement, cette initiative clarifiera l'utilisation des données dans le domaine de la cybersécurité.
Nous réexaminons en ce moment la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information. Nous avons terminé l'analyse d'impact et présenterons une proposition législative idéalement avant la fin de l'année, ce qui me semble être un objectif réaliste.
Enfin, comme vous l'avez mentionné, nous proposerons également pour l'année prochaine un cadre réglementaire pour l'intelligence artificielle où nous essayerons de conserver un équilibre entre, d'une part, l'encouragement de l'innovation et du recours par les entreprises et le secteur public à des solutions d'intelligence artificielle et, d'autre part, la protection de nos citoyens contre les biais parfois indésirables qu'entraînent ces technologies. Nous possédons un programme très intensif, en coopération avec tous les États membres.
Nous avons constaté, depuis le début des travaux de la mission, la difficulté d'établir un écosystème public et privé de cybersécurité et cyberdéfense, non seulement sur son aspect réglementation, mais également sur le volet économique. J'avais une dernière question. Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur les aspects éthiques de l'intelligence artificielle, de la robotique et des sujets connexes ? Je sais qu'il y a des réflexions à la Commission européenne là-dessus.
Je pense qu'une véritable prise de conscience du besoin important d'investissements dans ces domaines est nécessaire. En Chine et aux États-Unis, les investissements dans la cybersécurité ont augmenté d'une manière radicale ces dernières années. Nous constatons une prise de conscience, comme j'en parlais dans mon introduction, du potentiel énorme du numérique, mais nous pouvons tout perdre si nous ne sommes pas protégés. La covid a montré de manière très claire l'enjeu. Des hôpitaux ont été attaqués à des moments-clés. Des centres de recherche qui travaillaient sur des vaccins ont également subi des attaques. L'enjeu est donc considérable. Souvent, nous percevons la sécurité comme cantonnée au monde numérique, mais il s'agit d'un sujet tangible et physique. Des personnes peuvent mourir si un hôpital est attaqué. Il s'agit donc d'un problème crucial et il est important d'investir dans la cybersécurité.
Nous possédons plusieurs initiatives au niveau européen. En ce moment, une discussion se tient entre les États membres et le Parlement européen pour la création d'un centre de compétence sur la cybersécurité. Son objectif est de développer l'excellence en matière de cybersécurité avec la participation de tous les États membres et de créer un réseau de communication entre ces centres et les réseaux d'excellence sur la cybersécurité au niveau européen. Leur création est imminente, nous terminons les négociations en ce moment. Beaucoup d'argent entre en jeu puisque 2 milliards d'euros seront apportés par un nouveau programme que nous avons créé, le programme de l'Europe numérique. C'est un programme de près de 8 milliards d'euros qui, pour la première fois, est consacré exclusivement au numérique.
Ces financements seront, pour la première fois encore, consacrés non pas à la recherche, que nous allons évidemment continuer à financer, mais à un élément sur lequel nous n'investissons pas assez en Europe : le déploiement des technologies. Dans le domaine de la recherche, nous sommes parfois très bien positionnés en Europe, comme dans le domaine de la cybersécurité. Nous sommes forts pour investir et pour trouver des technologies magnifiques. Nous possédons des entreprises impressionnantes, mais que se passe-t-il ensuite ? Cette technologie est développée et déployée ailleurs. Nous possédons des exemples de technologies découvertes en Europe qui ont été déployées en Chine ou aux États-Unis. C'est pour cette raison que nous avons créé ce nouveau programme Europe Numérique, afin de financer le déploiement en Europe de ces technologies avec 2 milliards d'euros consacrés au déploiement des nouvelles technologies en matière de cybersécurité. Ces programmes font partie des négociations sur le cadre financier pluriannuel. Nous clôturons actuellement les négociations et je suis très confiante. Évidemment, nous devons continuer à investir pour la recherche et le programme Horizon Europe y consacrera une partie de son budget.
Au niveau de l'intelligence artificielle, comme vous l'avez mentionné, des travaux ont été faits. Nous avons créé un groupe de haut niveau pour développer des directives sur les principes éthiques de l'intelligence artificielle. Ce travail sera pris en compte par la Commission européenne lorsque, l'année prochaine, nous proposerons un cadre réglementaire. Il est très important de trouver un équilibre avec nos valeurs et principes éthiques européens pour ne pas freiner l'innovation. La Commission cherche à garder cet équilibre et je pense que nous avons fait preuve par le passé de notre capacité à apporter des propositions réglementaires pour le maintenir. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous sommes copiés par d'autres pays. L'année passée, nous avons proposé la première réglementation sur les plateformes, qui concernait d'autres domaines. Elle a été imitée par la Corée et le Japon. Compte tenu de l'impact que peut avoir l'intelligence artificielle sur nos démocraties et nos droits fondamentaux, nous espérons pouvoir devenir un exemple au niveau international.
Je veux revenir sur la question de mon collègue concernant la construction d'une stratégie européenne, à laquelle vous avez répondu. Cette construction stratégique s'effectue à travers différents pays qui, bien souvent, ont tendance à vouloir tirer la couverture à eux. Étant un partisan d'une Europe fédérale, je pense, qu'au moins sur cette partie-là, nous pourrions essayer de mettre en place une stratégie avec un leadership européen sur de fortes thématiques. Si nous voulions construire le Google de demain, où plutôt une technologie future là où Google est pratiquement une technologie dépassée, comment éviter que chaque pays essaye de tirer la couverture à lui pour mettre en place une stratégie commune ? Les financements pour l'intelligence artificielle en France représentent 1,5 milliard d'euros, alors que la Chine investit vingt fois plus. La seule solution serait que nous combinions les financements de chaque pays européen afin que chacun puisse se saisir d'une brique de construction pour qu'à la fin, nous aboutissions à un ensemble commun. Cet ensemble commun doit être piloté par une entité unique au niveau de la synthèse des travaux. Comment considérez-vous cette proposition ?
Vous avez raison, il existe cette tendance, qui fait partie de la beauté de l'Europe, pour chaque pays membre, à tirer d'un côté lorsque nous parvenons à un accord. Je pense que c'est pour cette raison que nous arrivons souvent à des propositions équilibrées. Je ne connais pas d'autre système où nous mesurons autant tous les intérêts qui sont en jeu.
Dans le domaine de la souveraineté technologique ou numérique, même si un pays voulait devenir leader, ce serait impossible. Comme vous l'avez dit, les sommes d'argent investies par des pays extraeuropéens sont énormes. Aucun État ne peut rivaliser seul. Le seul moyen d'y parvenir est la mise en place de grands projets. J'ai mentionné le cloud qui est un bon exemple. Comme nous l'avons constaté, la France et l'Allemagne ont commencé à pousser dans cette direction avec le projet GAIA-X pour créer un système de cloud européen. La Commission européenne considère ces projets avec beaucoup de sympathie. Nous sommes en train de lancer une alliance industrielle au niveau européen avec pour objectif la création d'une infrastructure de cloud, qu'il serait impossible de créer avec un seul pays. Notre commissaire a participé à un événement sur ces grands projets et GAIA-X. L'objectif est d'être complémentaire et de créer des synergies. L'Europe permet ces coordinations. Je pense que c'est le rôle que peut jouer l'Europe en démarrant et coordonnant ces grands projets, mais aussi d'y participer financièrement quand c'est possible. Nous disposons de plusieurs outils financiers pour lancer ces projets et attirer, grâce à notre intervention, de l'investissement privé. Il faut réaliser cela ensemble avec les États membres, les entreprises et l'Union européenne. Nous ne pouvons qu'en sortir gagnants.
J'apporte mon soutien à la Commission européenne contre la volonté de certaines entreprises de vider le Digital Services Act de son contenu. Nous sommes avec vous et nous devons mettre en œuvre une stratégie européenne pour protéger nos intérêts. Il y a certes un changement de président aux États-Unis, mais je reste persuadé que la devise America First restera malgré tout la politique de nos amis et partenaires américains.
Je partage ce message. Nous vous remercions à nouveau et vous souhaitons bonne continuation sur des missions aussi stratégiques que vous portez pour notre Union européenne.
Je vous remercie de donner à la Commission la possibilité d'interagir. Je vous informe également que je viens d'être nommée directrice de la cybersécurité, de la santé électronique et de l'identité numérique. Dans mes nouvelles capacités, ce sera avec plaisir que j'expliquerai ces domaines de manière plus approfondie, si vous le voulez.
La séance est levée à 10 heures 55.
Membres présents ou excusés
Mission d'information de la Conférence des Présidents « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »
Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 10 h 05
Présents. - Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Gosselin, M. Denis Masséglia, M. Jean-Luc Warsmann
Excusés. - Mme Frédérique Dumas, M. Philippe Latombe