Intervention de Olivier Riffard

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 9h30
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Olivier Riffard, directeur des affaires publiques de la Fédération française des télécoms (FFT) :

La Fédération française des télécoms a été fondée en 2007. Son objectif est de représenter l'ensemble des 17 opérateurs membres – des opérateurs grand public et des opérateurs d'entreprises – et de promouvoir le secteur dans le cadre d'une régulation ouverte. L'exemple typique en est, depuis deux ou trois ans, le « New Deal mobile », un déploiement animé et promu par la Fédération. Ce sujet n'est pas du tout concurrentiel, ce qui nous permet d'être extrêmement mobilisés.

Les services de télécommunication représentent actuellement en France 2 % du produit intérieur brut (PIB). En 2019, 9 gigas de données ont été consommés en moyenne par mois par les mobiles. Nous avons 30 millions d'abonnés au haut débit. Notre secteur représente 51 % du chiffre d'affaires de l'économie numérique, 74 % des emplois, 82 % des investissements et, malheureusement, 83 % des impôts et taxes, ce qui fait le lien avec vos questions sur la fiscalité, notamment vis-à-vis des GAFAM.

Vous avez demandé quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur nos déploiements. Pour la partie haut débit et déploiement de la fibre, nous en étions en 2019 à 4,8 millions de lignes déployées et l'objectif pour 2020 était de dépasser la barre des 5 millions compte tenu du rythme de croisière très important constaté. La crise sanitaire a conduit à l'arrêt pendant plusieurs semaines de l'économie. Nous atteindrons finalement en 2020 un objectif quasiment similaire à celui de 2019 et nous arriverons à 4,8 ou 4,9 millions de lignes déployées.

Malgré toutes les difficultés, le secteur des télécoms n'a jamais arrêté de déployer. Le rythme est tombé très bas pendant le premier confinement mais, contrairement au secteur des bâtiments travaux publics (BTP) et d'autres qui étaient à 90 % à l'arrêt, nous avons toujours maintenu un rythme de déploiement de l'ordre de 20, 30 ou 40 %. Nous avons très vite réussi à remonter, d'abord parce que nous avons anticipé la situation dès le début du confinement, de telle sorte que les salariés disposent très rapidement des protections indispensables pour aller sur le terrain. Nous avons été beaucoup soutenus par les parlementaires et le Gouvernement, ce dont je les remercie. Nous avons obtenu des dérogations pour que les salariés des télécoms soient reconnus comme des acteurs essentiels, puissent se déplacer pour assurer la maintenance des réseaux. Enfin, les opérateurs ont donné un peu de visibilité et de trésorerie à leurs sous-traitants pour qu'ils ne fassent pas défaut.

Au 30 juin dernier, 26 millions de locaux étaient éligibles aux services très haut débit. Nous comptions 12,6 millions d'abonnements avec une progression de près de 600 000 abonnés. La dynamique est donc maintenue. Nous avons réussi à éviter de prendre du retard. Nous ne sommes malgré tout pas encore à 100 % parce que nous avons mis en place des protocoles sanitaires extrêmement stricts. Par exemple, trois personnes ne peuvent plus être présentes en même temps dans un véhicule lors des déplacements. Le but est de maintenir ce rythme élevé, avec actuellement entre 14 000 et 15 000 lignes déployées chaque jour pour la fibre.

Le déploiement mobile s'est maintenant industrialisé avec une architecture inédite où, pour la première fois, le Gouvernement et les parlementaires ont fait le choix du partenariat. Les quatre opérateurs se sont engagés à mettre 3 milliards d'euros dans l'infrastructure mobile pour résorber les zones blanches le plus rapidement possible, en contrepartie du fait que l'État ne renouvelait pas les fréquences 4G, ce qui leur a permis d'économiser 3 milliards d'euros. Les effets en sont maintenant tangibles.

Le « New Deal mobile » comportait plusieurs volets. Le premier était que les opérateurs s'engageaient à basculer tous leurs sites mobiles en propre en 4G d'ici la fin de l'année 2020. Actuellement, la plupart des opérateurs sont quasiment à l'objectif, c'est-à-dire que l'ensemble de leurs sites en propre ont été basculés en 4G avec un peu d'avance.

D'autre part, un dispositif de couverture ciblée avait été négocié dans lequel les collectivités identifiaient des zones prioritaires que les opérateurs avaient l'obligation de couvrir dans les deux ans. Depuis juillet 2018, les collectivités ont identifié plus de 2 000 zones à couvrir. Les opérateurs ont l'obligation d'y déployer un pylône, le plus souvent mutualisé à quatre opérateurs, les arrêtés étant publiés trois ou quatre fois par an. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) et le Gouvernement ont fait le premier bilan début octobre. Les opérateurs ont atteint l'objectif de déploiement du nombre de pylônes, sauf pour une vingtaine de pylônes qui n'ont pas pu être installés dans les délais. Les raisons en sont soit des difficultés liées à des oppositions de riverains soit des difficultés liées à l'absence d'autorisation administrative d'accès à des sites classés.

Le « New Deal mobile » est donc vraiment entré en phase industrielle. Nous avons un partenariat exemplaire avec les collectivités et les parlementaires.

Nous avons continué à déployer durant le confinement, malgré quelques problèmes d'approvisionnement en pylônes. C'est pour nous, Fédération et opérateurs, un enjeu extrêmement important.

Vous nous avez interrogés sur notre conception de la souveraineté numérique pour notre secteur. Sans rentrer dans les détails que mes collègues complèteront, nous pensons que l'effet du numérique sur la souveraineté est très important puisque ce domaine fait émerger un certain nombre de géants économiques dont la puissance économique et financière peut rivaliser avec certains États. Ces géants conquièrent des marchés en se jouant des régulations et n'ont pas du tout les mêmes régulations ni les mêmes obligations que les opérateurs. Nous le regrettons mais, tout en partant de ce constat, je souhaite être un peu plus optimiste.

Pour nous, la souveraineté numérique s'appréhende d'abord à l'aune de la qualité des réseaux fixes et mobiles. Les infrastructures numériques en France sont résilientes comme nous l'avons prouvé pendant le confinement, innovantes et performantes. Elles sont même extrêmement performantes et pérennes. Lorsque le plan France Très Haut Débit a été initié en 2013, beaucoup de pays européens nous regardaient bizarrement mais ce réseau nous est aujourd'hui envié. L'Allemagne vient de mettre 7 milliards d'euros pour déployer un certain nombre d'infrastructures parce qu'ils ne sont pas dans une aussi bonne situation que la nôtre. Nous faisons vraiment la promotion de ce réseau et la souveraineté numérique passe d'abord par un réseau important.

L'Europe a selon nous toutes les qualités pour créer ses propres champions du numérique. Nous avons des réseaux de qualité, une longue tradition de recherche scientifique, d'excellents ingénieurs scientifiques même si nous pouvons regretter que certains s'expatrient hors d'Europe. Nous disposons aussi d'un environnement extrêmement dynamique de start-up. Nous pensons donc que l'Europe est le lieu où doit pouvoir se déployer dans les prochaines années tout l'avenir de cette souveraineté, en passant par l'intelligence artificielle, la cybersécurité, la sécurité des réseaux. Nous avons un socle très solide sur lequel nous pouvons capitaliser.

Les opérateurs travaillent avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) sur la sécurité des réseaux, notamment de la 5G. C'est leur métier depuis plus de vingt ans. Les opérateurs ont toujours respecté les préconisations de sécurité des réseaux pour la 2G, pour la 3G, pour la 4G et feront de même pour la 5G. Nous avons donc des réseaux extrêmement sûrs.

Sur la 5G, nous pouvons regretter les conditions un peu précipitées dans lesquelles la loi sur la sécurité des réseaux a été introduite à l'été 2019 avec, selon nous, un manque d'anticipation et de concertation avec les acteurs télécoms que nous sommes. Nous avions déjà souligné à l'époque deux points : le caractère rétroactif de cette loi et le délai de traitement des autorisations. Même en tenant compte de la parenthèse covid, force est de constater que les autorisations délivrées par l'ANSSI l'ont été de manière tardive.

Je souligne un dernier point qui ne fait pas partie du spectre consensuel de la Fédération : ni la loi ni le décret n'ont prévu un dédommagement pour les opérateurs qui devraient éventuellement démonter des infrastructures.

Nous avions signalé tous ces points et nous regrettons le manque d'anticipation. Ceci étant dit, nous respectons bien évidemment toutes ces règles et nous sommes très attachés à la sécurité des réseaux. Créer des réseaux le plus innovants possible est d'ailleurs notre métier.

La 5G provoquera une virtualisation des réseaux ; il n'existera plus de véritable connexion, tout sera en lien. Cela crée un véritable enjeu au niveau européen pour être capables d'une véritable harmonisation entre tous les États membres de l'Union, même si je sais que ce n'est pas facile en particulier sur le plan fiscal. Nous nous réjouissons de l'initiative récente de la Commission européenne qui veut travailler à un outil pour définir des standards uniformes.

Nous saluons l'initiative prise en 2019 par la France de créer une taxe sur les services numériques. Nous la portons depuis plusieurs années mais nous pensons que cette décision devrait être prise au moins à l'échelon européen, dans l'idéal au niveau de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les négociations internationales n'avancent pas. Elles sont embourbées du fait d'intérêts qui nous dépassent largement entre la Chine et les États-Unis.

Cette taxe existe ; cela va dans le bon sens mais c'est une goutte d'eau par rapport aux géants du web (GAFAM). Au-delà de la fiscalité sectorielle qui pèse sur les télécoms et que les GAFAM ne supportent pas, les GAFAM paient vingt-cinq fois moins d'impôt sur les sociétés que les opérateurs de la Fédération. Ce premier pas doit donc être confirmé même si c'est extrêmement compliqué et si la question va bien au-delà de notre petit marché européen.

Nous saluons également les initiatives lancées au niveau européen sur le droit de la concurrence, notamment pour créer un cadre de régulation qui s'applique aux géants du Net. Notre secteur est extrêmement régulé, par l'ARCEP au niveau de déploiements, par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au niveau audiovisuel qui est un domaine dans lequel certains acteurs sont très présents. Nous plaidons pour une régulation qui s'applique à l'ensemble des nouveaux entrants et des grands acteurs. Il s'agit de faire émerger des nouveaux services, des start-up, mais que nous soyons tous à armes égales. L'ensemble doit être conçu au bénéfice du consommateur.

Nous connaissons les grands gagnants de la crise sanitaire. Il suffit de regarder la progression de Netflix et d'autres applications. Ils sortent largement vainqueurs. Ils utilisent des réseaux performants et résilients sans participer pour un centime à l'aménagement numérique du territoire.

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