Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • déploiement
  • mobile
  • souveraineté
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de représentants de la Fédération française des télécoms et du groupe de télécommunications Iliad : M. Olivier Riffard, directeur des affaires publiques de la Fédération française des télécoms, M. Anthony Colombani, directeur corporate de Bouygues Telecom, Mme Claire Perset, secrétaire générale adjointe de SFR et Mme Ombeline Bartin, responsable des relations institutionnelles de Free mobile

La séance est ouverte à 9 heures 35.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

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Je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui la Fédération française des télécoms (FFT) qui rassemble Bouygues Telecom, Orange et SFR, ainsi qu'un représentant de Free mobile. La Fédération française des télécoms est représentée par M. Olivier Riffard, directeur des affaires publiques, Bouygues Telecom par M. Anthony Colombani, directeur corporate, SFR par Mme Claire Perset, secrétaire générale adjointe et Free mobile par Mme Ombeline Bartin, responsable des relations institutionnelles.

Cette audition s'inscrit dans le cadre des réflexions que nous souhaitons avoir sur la souveraineté de nos infrastructures numériques. La mise en œuvre du déploiement fixe et mobile, la 5G, la protection des infrastructures contre les risques de sécurité constituent des enjeux sur lesquels nous travaillons. Nous sommes évidemment intéressés par l'ensemble des éléments relatifs à la crise de la covid-19 dans votre secteur d'activité.

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Nous aimerions vous entendre sur plusieurs sujets et d'abord sur le sens qu'a pour vous la notion de souveraineté numérique au sein de votre secteur d'activité. Ce concept est parfois rapproché de celui d'autonomie. Il désigne une forme d'indépendance, de capacité à maîtriser son destin numérique, de ne pas subir les contraintes imposées par certains acteurs publics tels les États ou privés comme les géants du web (GAFAM). De votre point de vue, de quelles façons cet impératif peut-il trouver une ou des traductions opérationnelles concrètes ?

Je souhaite aussi revenir avec vous sur les enjeux relatifs au déploiement des réseaux fixes et mobiles. La souveraineté numérique recoupe en effet directement la question de l'accès aux réseaux de communication électronique. L'objet de nos interrogations est de nous assurer précisément qu'aucun risque systémique ne puisse venir en entraver le bon fonctionnement. Nous aimerions donc vous entendre non seulement sur l'état des déploiements en lien avec le plan France Très Haut Débit et le « New Deal mobile » mais aussi sur la nature et le type des risques de sécurité qui pourraient affecter nos infrastructures à l'avenir ainsi que sur les moyens de s'en prémunir.

Nous souhaitons également échanger sur la 5G. Les enchères viennent de s'achever pour la bande des 3,5 gigahertz et des offres commerciales ont été lancées. Dans ce contexte, alors qu'un régime d'autorisation spécifique a été mis en place par le législateur pour ces équipements, nous aimerions beaucoup entendre votre opinion sur ce sujet, avec la diversité évidente de points de vue qui vous caractérise.

Enfin, nous travaillons également, au sein de cette mission, sur les aspects économiques de la souveraineté numérique. Ils concernent aussi bien la fiscalité que l'émergence d'acteurs français ou européens capables de lutter à armes égales avec nos concurrents extra-européens. Votre regard sur le marché des télécommunications en France et en Europe, très éclaté me semble-t-il, et sur ses possibles dynamiques à venir nous sera une aide précieuse.

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Olivier Riffard, directeur des affaires publiques de la Fédération française des télécoms (FFT)

La Fédération française des télécoms a été fondée en 2007. Son objectif est de représenter l'ensemble des 17 opérateurs membres – des opérateurs grand public et des opérateurs d'entreprises – et de promouvoir le secteur dans le cadre d'une régulation ouverte. L'exemple typique en est, depuis deux ou trois ans, le « New Deal mobile », un déploiement animé et promu par la Fédération. Ce sujet n'est pas du tout concurrentiel, ce qui nous permet d'être extrêmement mobilisés.

Les services de télécommunication représentent actuellement en France 2 % du produit intérieur brut (PIB). En 2019, 9 gigas de données ont été consommés en moyenne par mois par les mobiles. Nous avons 30 millions d'abonnés au haut débit. Notre secteur représente 51 % du chiffre d'affaires de l'économie numérique, 74 % des emplois, 82 % des investissements et, malheureusement, 83 % des impôts et taxes, ce qui fait le lien avec vos questions sur la fiscalité, notamment vis-à-vis des GAFAM.

Vous avez demandé quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur nos déploiements. Pour la partie haut débit et déploiement de la fibre, nous en étions en 2019 à 4,8 millions de lignes déployées et l'objectif pour 2020 était de dépasser la barre des 5 millions compte tenu du rythme de croisière très important constaté. La crise sanitaire a conduit à l'arrêt pendant plusieurs semaines de l'économie. Nous atteindrons finalement en 2020 un objectif quasiment similaire à celui de 2019 et nous arriverons à 4,8 ou 4,9 millions de lignes déployées.

Malgré toutes les difficultés, le secteur des télécoms n'a jamais arrêté de déployer. Le rythme est tombé très bas pendant le premier confinement mais, contrairement au secteur des bâtiments travaux publics (BTP) et d'autres qui étaient à 90 % à l'arrêt, nous avons toujours maintenu un rythme de déploiement de l'ordre de 20, 30 ou 40 %. Nous avons très vite réussi à remonter, d'abord parce que nous avons anticipé la situation dès le début du confinement, de telle sorte que les salariés disposent très rapidement des protections indispensables pour aller sur le terrain. Nous avons été beaucoup soutenus par les parlementaires et le Gouvernement, ce dont je les remercie. Nous avons obtenu des dérogations pour que les salariés des télécoms soient reconnus comme des acteurs essentiels, puissent se déplacer pour assurer la maintenance des réseaux. Enfin, les opérateurs ont donné un peu de visibilité et de trésorerie à leurs sous-traitants pour qu'ils ne fassent pas défaut.

Au 30 juin dernier, 26 millions de locaux étaient éligibles aux services très haut débit. Nous comptions 12,6 millions d'abonnements avec une progression de près de 600 000 abonnés. La dynamique est donc maintenue. Nous avons réussi à éviter de prendre du retard. Nous ne sommes malgré tout pas encore à 100 % parce que nous avons mis en place des protocoles sanitaires extrêmement stricts. Par exemple, trois personnes ne peuvent plus être présentes en même temps dans un véhicule lors des déplacements. Le but est de maintenir ce rythme élevé, avec actuellement entre 14 000 et 15 000 lignes déployées chaque jour pour la fibre.

Le déploiement mobile s'est maintenant industrialisé avec une architecture inédite où, pour la première fois, le Gouvernement et les parlementaires ont fait le choix du partenariat. Les quatre opérateurs se sont engagés à mettre 3 milliards d'euros dans l'infrastructure mobile pour résorber les zones blanches le plus rapidement possible, en contrepartie du fait que l'État ne renouvelait pas les fréquences 4G, ce qui leur a permis d'économiser 3 milliards d'euros. Les effets en sont maintenant tangibles.

Le « New Deal mobile » comportait plusieurs volets. Le premier était que les opérateurs s'engageaient à basculer tous leurs sites mobiles en propre en 4G d'ici la fin de l'année 2020. Actuellement, la plupart des opérateurs sont quasiment à l'objectif, c'est-à-dire que l'ensemble de leurs sites en propre ont été basculés en 4G avec un peu d'avance.

D'autre part, un dispositif de couverture ciblée avait été négocié dans lequel les collectivités identifiaient des zones prioritaires que les opérateurs avaient l'obligation de couvrir dans les deux ans. Depuis juillet 2018, les collectivités ont identifié plus de 2 000 zones à couvrir. Les opérateurs ont l'obligation d'y déployer un pylône, le plus souvent mutualisé à quatre opérateurs, les arrêtés étant publiés trois ou quatre fois par an. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) et le Gouvernement ont fait le premier bilan début octobre. Les opérateurs ont atteint l'objectif de déploiement du nombre de pylônes, sauf pour une vingtaine de pylônes qui n'ont pas pu être installés dans les délais. Les raisons en sont soit des difficultés liées à des oppositions de riverains soit des difficultés liées à l'absence d'autorisation administrative d'accès à des sites classés.

Le « New Deal mobile » est donc vraiment entré en phase industrielle. Nous avons un partenariat exemplaire avec les collectivités et les parlementaires.

Nous avons continué à déployer durant le confinement, malgré quelques problèmes d'approvisionnement en pylônes. C'est pour nous, Fédération et opérateurs, un enjeu extrêmement important.

Vous nous avez interrogés sur notre conception de la souveraineté numérique pour notre secteur. Sans rentrer dans les détails que mes collègues complèteront, nous pensons que l'effet du numérique sur la souveraineté est très important puisque ce domaine fait émerger un certain nombre de géants économiques dont la puissance économique et financière peut rivaliser avec certains États. Ces géants conquièrent des marchés en se jouant des régulations et n'ont pas du tout les mêmes régulations ni les mêmes obligations que les opérateurs. Nous le regrettons mais, tout en partant de ce constat, je souhaite être un peu plus optimiste.

Pour nous, la souveraineté numérique s'appréhende d'abord à l'aune de la qualité des réseaux fixes et mobiles. Les infrastructures numériques en France sont résilientes comme nous l'avons prouvé pendant le confinement, innovantes et performantes. Elles sont même extrêmement performantes et pérennes. Lorsque le plan France Très Haut Débit a été initié en 2013, beaucoup de pays européens nous regardaient bizarrement mais ce réseau nous est aujourd'hui envié. L'Allemagne vient de mettre 7 milliards d'euros pour déployer un certain nombre d'infrastructures parce qu'ils ne sont pas dans une aussi bonne situation que la nôtre. Nous faisons vraiment la promotion de ce réseau et la souveraineté numérique passe d'abord par un réseau important.

L'Europe a selon nous toutes les qualités pour créer ses propres champions du numérique. Nous avons des réseaux de qualité, une longue tradition de recherche scientifique, d'excellents ingénieurs scientifiques même si nous pouvons regretter que certains s'expatrient hors d'Europe. Nous disposons aussi d'un environnement extrêmement dynamique de start-up. Nous pensons donc que l'Europe est le lieu où doit pouvoir se déployer dans les prochaines années tout l'avenir de cette souveraineté, en passant par l'intelligence artificielle, la cybersécurité, la sécurité des réseaux. Nous avons un socle très solide sur lequel nous pouvons capitaliser.

Les opérateurs travaillent avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) sur la sécurité des réseaux, notamment de la 5G. C'est leur métier depuis plus de vingt ans. Les opérateurs ont toujours respecté les préconisations de sécurité des réseaux pour la 2G, pour la 3G, pour la 4G et feront de même pour la 5G. Nous avons donc des réseaux extrêmement sûrs.

Sur la 5G, nous pouvons regretter les conditions un peu précipitées dans lesquelles la loi sur la sécurité des réseaux a été introduite à l'été 2019 avec, selon nous, un manque d'anticipation et de concertation avec les acteurs télécoms que nous sommes. Nous avions déjà souligné à l'époque deux points : le caractère rétroactif de cette loi et le délai de traitement des autorisations. Même en tenant compte de la parenthèse covid, force est de constater que les autorisations délivrées par l'ANSSI l'ont été de manière tardive.

Je souligne un dernier point qui ne fait pas partie du spectre consensuel de la Fédération : ni la loi ni le décret n'ont prévu un dédommagement pour les opérateurs qui devraient éventuellement démonter des infrastructures.

Nous avions signalé tous ces points et nous regrettons le manque d'anticipation. Ceci étant dit, nous respectons bien évidemment toutes ces règles et nous sommes très attachés à la sécurité des réseaux. Créer des réseaux le plus innovants possible est d'ailleurs notre métier.

La 5G provoquera une virtualisation des réseaux ; il n'existera plus de véritable connexion, tout sera en lien. Cela crée un véritable enjeu au niveau européen pour être capables d'une véritable harmonisation entre tous les États membres de l'Union, même si je sais que ce n'est pas facile en particulier sur le plan fiscal. Nous nous réjouissons de l'initiative récente de la Commission européenne qui veut travailler à un outil pour définir des standards uniformes.

Nous saluons l'initiative prise en 2019 par la France de créer une taxe sur les services numériques. Nous la portons depuis plusieurs années mais nous pensons que cette décision devrait être prise au moins à l'échelon européen, dans l'idéal au niveau de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les négociations internationales n'avancent pas. Elles sont embourbées du fait d'intérêts qui nous dépassent largement entre la Chine et les États-Unis.

Cette taxe existe ; cela va dans le bon sens mais c'est une goutte d'eau par rapport aux géants du web (GAFAM). Au-delà de la fiscalité sectorielle qui pèse sur les télécoms et que les GAFAM ne supportent pas, les GAFAM paient vingt-cinq fois moins d'impôt sur les sociétés que les opérateurs de la Fédération. Ce premier pas doit donc être confirmé même si c'est extrêmement compliqué et si la question va bien au-delà de notre petit marché européen.

Nous saluons également les initiatives lancées au niveau européen sur le droit de la concurrence, notamment pour créer un cadre de régulation qui s'applique aux géants du Net. Notre secteur est extrêmement régulé, par l'ARCEP au niveau de déploiements, par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au niveau audiovisuel qui est un domaine dans lequel certains acteurs sont très présents. Nous plaidons pour une régulation qui s'applique à l'ensemble des nouveaux entrants et des grands acteurs. Il s'agit de faire émerger des nouveaux services, des start-up, mais que nous soyons tous à armes égales. L'ensemble doit être conçu au bénéfice du consommateur.

Nous connaissons les grands gagnants de la crise sanitaire. Il suffit de regarder la progression de Netflix et d'autres applications. Ils sortent largement vainqueurs. Ils utilisent des réseaux performants et résilients sans participer pour un centime à l'aménagement numérique du territoire.

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Ombeline Bartin, responsable des relations institutionnelles d'Iliad / Free

Je représente le groupe Iliad, maison-mère de Free mobile mais aussi l'opérateur fixe Free qui existe en France depuis vingt ans. Nous sommes aussi présents en Europe, en Italie et nous avons acheté un opérateur mobile en Pologne. Nous travaillons donc à la construction d'acteurs européens solides qui permettront certainement de garantir une meilleure souveraineté européenne.

Même si nous ne sommes pas membres de la FFT, nous sommes alignés en tout point sur les éléments que vient d'énoncer Oliver Riffard sur la souveraineté numérique. Je souligne que nous avons en France la chance d'avoir quatre opérateurs français solides, compétitifs et indépendants. Ces acteurs ont tous un actionnariat majoritairement français avec des actionnaires solides et investissent massivement dans des infrastructures déployées sur tout le territoire à grande vitesse et même à un rythme inédit en Europe. Ces infrastructures offrent une sécurité importante, d'une part en termes de maillage territorial puisque nous couvrons aujourd'hui la majorité des zones rurales et que nous en couvrirons la totalité assez rapidement, d'autre part en termes de continuité de service puisque les opérateurs conçoivent leurs réseaux pour parer à toute interruption de service avec beaucoup de redondance des équipements et des opérateurs en présence. Les réseaux sont construits de telle sorte que l'ensemble du réseau ne tombe pas si une attaque a lieu sur une partie du territoire et que d'autres parties du réseau puissent prendre le relais.

Pour nous, la souveraineté numérique consiste à avoir des opérateurs solides, des infrastructures fortement déployées, redondantes, accessibles sur l'entièreté du territoire et à offrir aux opérateurs la maîtrise de leurs équipements, de leur réseau. Ce dernier point passe par la gestion de la sous-traitance et de la maintenance de leur réseau mais aussi par le choix des équipements que les opérateurs exploitent.

Nous n'avons aucun doute sur l'utilité de la loi 5G. Il appartient bien évidemment à l'État de surveiller quels sont les équipements autorisés sur nos réseaux. Néanmoins, la mise en œuvre de cette loi soulève beaucoup de questions. Nous nous interrogeons aujourd'hui en termes de sécurité publique. Certains opérateurs sont autorisés à exploiter des équipements sur certaines zones du territoire tandis que d'autres opérateurs ne le sont pas pour des motifs de sécurité publique. Nous nous demandons donc pourquoi ces équipements seraient dangereux en termes de sécurité publique pour certains mais pas pour d'autres. Cette loi conduit à un résultat un peu fragile car elle semble inéquitable et est contestée par une partie des opérateurs.

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Pourriez-vous détailler ce que vous venez de dire ?

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Ombeline Bartin, responsable des relations institutionnelles d'Iliad / Free

La loi visant à autoriser de façon préalable l'exploitation des équipements 5G sur les réseaux mobiles prévoit un régime d'autorisation de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) qui délivre ces autorisations sur des motifs de sécurité nationale, de défense publique. Elle prend en compte les degrés de déploiement des réseaux et les conditions d'exploitation de ces équipements par les opérateurs.

Comme l'a souligné M. Riffard, nous avons mis beaucoup de temps à obtenir ces autorisations. Nous avons obtenu lors d'une première vague les autorisations expresses d'accord mais pas les refus. Il a fallu en faire la demande pour obtenir les refus et les motifs indiqués sont très sommaires.

Free mobile exploite des équipements Huawei sur une petite partie du réseau correspondant aux zones rurales dans lesquelles nous déployons des sites pour zone blanche ou répondant aux besoins du dispositif de couverture prioritaire. Pour ces zones qui ne sont pas à forte densité, dans lesquelles il n'existe a priori pas d'infrastructure critique, l'autorisation d'exploiter en 5G avec du matériel Huawei ne nous a pas été délivrée. Nous nous interrogeons sur la façon dont est appliquée cette loi puisque, pour des zones semblables, Huawei a été autorisé pour d'autres opérateurs.

Notre question est donc de savoir s'il existe des motifs de sécurité publique qui puissent être valables pour certains opérateurs mais pas pour d'autres et comment le justifier. Plus globalement, la mise en œuvre de cette loi est assez contestée. D'autres opérateurs ont déposé un recours devant le Conseil d'État.

Pour nous, finalement, l'important pour la souveraineté numérique est d'avoir des opérateurs solides, des infrastructures denses, redondantes et que les opérateurs soient au cœur du dispositif de lutte contre les cyberattaques et les cybercrimes, en interaction constante avec l'ANSSI et les autorités légales pour renforcer la sécurité de nos réseaux pour nos clients particuliers et professionnels.

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Claire Perset, secrétaire générale adjointe de SFR

Je suis évidemment en phase avec ce qui vient d'être dit par Ombeline Bartin et Olivier Riffard. Je pense que la solidité des opérateurs et des réseaux est le point principal.

Le confinement a bien montré que nos réseaux sont extrêmement solides. Cette crise a été un véritable test puisque la France entière télétravaillait, tandis que les élèves suivaient leurs cours en ligne. Tout le monde était plus que jamais connecté. Si certains avaient des doutes sur la solidité de nos réseaux, je pense qu'ils n'en ont plus désormais.

Nous investissons plusieurs milliards d'euros chaque année dans les réseaux. C'est un élément clé et c'est aussi un élément de distorsion par rapport aux GAFAM. Nous investissons et nous déployons des infrastructures que les GAFAM utilisent sans participer aux investissements.

Je rappelle que les opérateurs réussissent à déployer le très haut débit dans des délais record, même si nos concitoyens sont impatients et trouvent que nous n'allons pas assez vite. Le déploiement de l'électricité dans la France entière a demandé quasiment un siècle tandis que le déploiement du très haut débit aura demandé vingt ans.

S'agissant de la sécurité et de la question de Huawei, je redis comme mes collègues que nous travaillons au quotidien avec l'ANSSI pour la sécurité de nos réseaux 3G, 4G et 5G. Nous respectons évidemment les impératifs de sécurité nationale et la législation en vigueur. Pour autant, les décisions d'interdiction d'utilisation de Huawei ont pour nous des conséquences très importantes. Nous allons en effet devoir déconstruire puis reconstruire une part substantielle de nos réseaux. Sur les plans économique et financier, les conséquences en sont très lourdes puisque ce sont des investissements colossaux que nous n'avions pas prévus. Nous demandons donc une compensation comme c'est le cas aux États-Unis où un fonds de compensation a été créé pour les opérateurs concernés.

Je rappelle aussi que tous nos data centers sont situés en France, ce qui est une garantie importante pour la sécurité des données.

J'insiste sur la distorsion de concurrence avec les GAFAM, que ce soit en termes d'investissements ou de fiscalité, même si nous allons dans le bon sens avec la taxe qui a été votée. C'est un premier pas mais ce n'est encore qu'une goutte par rapport à ce que les opérateurs pourraient attendre pour un véritable rééquilibrage de la concurrence.

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Anthony Colombani, directeur corporate de Bouygues Telecom

Je souscris à ce qui a été dit par les précédents intervenants.

J'étais, voici des années, professeur de géographie et, à l'époque, nous travaillions beaucoup sur le général Lucien Poirier, un des pères de la dissuasion nucléaire française. Lucien Poirier définissait la souveraineté comme la capacité de décider seul. Je pense que c'est au fond bien ce dont nous parlons aujourd'hui. L'État est souverain lorsqu'il peut décider seul ou avec des acteurs de confiance.

Je définis donc la souveraineté numérique comme reposant sur trois piliers. Le premier est de disposer d'opérateurs solides, bien capitalisés, qui ne sont pas à la main de fonds de pension étrangers. Je crois que c'est le cas des opérateurs français. Ils investissent, ne se lancent pas dans des aventures mais montrent, par leur sérieux, qu'ils sont présents depuis plusieurs décennies sur le territoire et que nous n'avons aucune inquiétude à avoir à leur sujet.

Le deuxième pilier est de disposer de réseaux performants. Nous avons vu pendant la crise qu'un certain nombre de services étaient assurés par ces réseaux et qu'il était absolument nécessaire qu'ils soient performants, redondants, sécurisés, avec de bons niveaux d'alerte positionnés aux bons endroits en cas d'attaque, en cas de réseau qui tombe… Je ne crois pas qu'une entreprise française ait pu avoir des difficultés opérationnelles fortes ou être mise en danger par des réseaux de mauvaise qualité même si nous pouvons évidemment toujours progresser. Ce n'est pas le cas dans tous les pays. Aux États-Unis, l'état des réseaux en cuivre et des réseaux optiques a parfois mis en danger l'activité économique.

Le troisième pilier est d'avoir des opérateurs qui travaillent en confiance avec les autorités. Nous avons évoqué l'ANSSI et nous pouvons évoquer aussi nos activités dites « d'obligation légale », c'est-à-dire les activités par lesquelles nous avons un dialogue constant avec les autorités pour mener toutes les actions nécessaires à la force publique. Nous communiquons peu sur ce point mais nous en sommes très fiers car c'est un élément très fort de la souveraineté.

J'attire toutefois votre attention sur le fait que les mutations technologiques ont tendance à cacher de plus en plus le trafic aux opérateurs. Une grande partie du trafic voix et data est aujourd'hui cryptée ; ce trafic passe par des systèmes de DNS et échappe aux opérateurs. Ceci constitue un vrai sujet de souveraineté puisque, pour obtenir ces informations, il ne faut pas aller taper à la porte des opérateurs qui ont tous leurs sièges sociaux dans un rayon de quelques kilomètres autour de l'Assemblée nationale mais à la porte d'intermédiaires techniques ou d'acteurs étrangers qui ne répondent pas toujours avec la célérité nécessaire.

Sur la 5G, nous ne contestons pas le principe de la loi. Que l'État se mêle de la sécurité de ces infrastructures n'est évidemment pas contestable. Nous respectons cette loi à la lettre, dans les délais prescrits et avec toute la célérité nécessaire comme il convient pour un acteur responsable. Néanmoins, cette loi pose des problèmes opérationnels évoqués par Ombeline Bartin pour la question des délais, par Claire Perset pour la question financière. Nous devons aujourd'hui démonter une grande partie de nos infrastructures. Cela a un coût financier et cela a aussi un coût pour les clients parce que ces opérations de swap, c'est-à-dire de changement d'équipements, génèrent des difficultés ponctuelles qui peuvent être compliquées à gérer. Je tiens à être bien clair : nous ne contestons pas le principe de la loi mais une partie de sa mise en œuvre.

La 5G est un véritable sujet de souveraineté. La 5G est le réseau du futur. Elle sera très utilisée par nos entreprises et sera un élément très fort de compétitivité. Ce sera un élément clé dans la concurrence internationale. Nous voyons que la 5G se déploiera avec un certain nombre de difficultés. Dans l'opinion publique et chez certains élus, nous constatons une véritable méfiance, parfois même une vraie défiance, ce qui a conduit certains d'entre eux à prendre des moratoires qui créent évidemment des difficultés pour nous. Il ne faudrait pas que cette opposition larvée à la 5G, parfois violente puisqu'une quarantaine d'antennes ont brûlé en France, nous fasse prendre du retard. C'est un point extrêmement important. Nous comptons vraiment sur les parlementaires, les pouvoirs publics, les élus et les différentes autorités pour faire de la pédagogie et vaincre un peu ces résistances. Les opérateurs ne pourront pas le faire seuls. Nous avons certes le droit pour nous mais ces conditions sont insupportables pour nous et ne correspondent évidemment pas à nos valeurs.

En ce qui concerne les aspects économiques, Olivier Riffard vous transmettra l'ensemble des chiffres sur la fiscalité. Il me semble qu'il faut revenir aux bases. Nous savons depuis la construction de l'État moderne, au moins depuis Louis XIII, que la souveraineté est d'abord la souveraineté fiscale, la capacité à faire payer l'impôt aux gens qui gagnent de l'argent. Aujourd'hui, la différenciation fiscale entre nous et d'autres acteurs qui sont parfois nos concurrents directs est abyssale. Depuis des années nous sont promis des taxes, des renouvellements, un environnement équitable, des dispositions qui permettent de tout mettre à niveau mais c'est très lent.

Ce n'est d'ailleurs pas vrai uniquement dans le domaine fiscal mais aussi dans le domaine réglementaire. Un exemple très ponctuel mais très parlant est celui de l'impact environnemental du numérique. Dans le cadre de la loi sur l'économie circulaire votée récemment, il a été imposé aux opérateurs de communiquer sur les émissions de gaz à effet de serre liés aux usages numériques. À partir du 1er janvier 2022, nous devrons communiquer à chacun de nos clients le fait que sa consommation de 2, 3, 5 ou 10 gigas de données fixes ou mobiles a occasionné l'émission de tant de kilogrammes de CO2. Il n'est passé par l'esprit de personne d'imposer cette obligation aux GAFAM. Il nous a été demandé de le faire, nous le faisons, nous nous mettons en ordre de marche, cela nous prend du temps et de l'énergie mais personne n'a pensé que cette obligation pourrait aussi être imposée à Google et à Amazon. Lors du téléchargement d'un film ou de la commande d'un colis, il ne serait pourtant pas complètement idiot de donner l'équivalent en émission de gaz à effet de serre. Nous aurions donc vraiment besoin de cet environnement équitable, ce level playing field. Les discours politiques laissent à penser qu'il est en cours de mise en œuvre mais, malheureusement, sur le terrain, nous vérifions que ce n'est pas le cas. Il est parfois facile de taper sur les opérateurs qui sont à portée de main tout en oubliant qu'il serait bon que le bras du législateur aille plus loin.

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L'Europe a la volonté de mettre un peu d'ordre dans les réseaux sociaux et de réguler les réseaux, notamment en imposant des retraits de contenus. Je pense à la proposition de loi « Avia » qui est pour partie reprise, au moins dans son esprit, dans la réglementation européenne en préparation. Ces obligations incombent aux opérateurs. Nous avons eu parallèlement un appel à la Cour de justice de l'Union voici quelques mois sur la conservation des métadonnées.

Comment voyez-vous plus généralement le rapport entre la réglementation européenne et la réglementation nationale, vous concernant ? Selon vous, quel serait le meilleur champ pour un certain nombre de sujets ? Par exemple, sur la sécurité des réseaux, le niveau français, national est-il le plus pertinent ? Sur la partie des données, le niveau européen est-il mieux ? Comment voyez-vous l'architecture entre la réglementation européenne et la loi nationale ?

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Vous êtes plusieurs à avoir dit du bien du réseau français. En quoi le réseau français est-il plus sécurisé que, par exemple, le réseau allemand ? Pouvez-vous décrire quelles sont les sécurités que vous estimez suffisantes ou supérieures dans le réseau français ?

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Olivier Riffard, directeur des affaires publiques de la FFT

Depuis plusieurs années, les opérateurs ont, d'après la loi, l'obligation de retirer extrêmement rapidement, c'est-à-dire en quelques heures, les contenus pédopornographiques et terroristes. Dans ces deux cas, et c'est la seule exception, nous ne passons pas par la case « juge ». Le système marche et nous le faisons très rapidement. L'actualité récente fait que nous avons enfin mis sur le devant de la scène la plateforme de signalement Pharos, à laquelle tout remonte. Il faut savoir que la Fédération française des télécoms fait office de filtre : tout ce qui est remonté sur les contenus pédopornographiques et terroristes passe par un premier filtre technique de la Fédération pour voir si la caractérisation des faits sera ensuite exploitable par la plateforme Pharos. Nous demandons depuis des années une véritable prise de conscience, que nous ayons des effectifs formés et beaucoup plus nombreux pour Pharos, que soit créé le fameux parquet numérique. Toutes ces nouvelles infractions, ces nouvelles atteintes à la vie privée et autres ne sont aujourd'hui pas traitées à un niveau suffisant par les tribunaux.

Chacun sait où trouver les opérateurs, les fournisseurs d'accès internet que nous sommes. Le réflexe est de nous demander de couper les contenus, ce qui ne nous pose aucun problème puisque nous respectons comme d'habitude scrupuleusement les lois. Toutefois, il existe de multiples intermédiaires techniques, des hébergeurs et des moteurs de recherche qui échappent de fait à toutes ces obligations.

Nous pensons qu'il faudrait en premier lieu avoir une harmonisation européenne comme nous l'avions dit pour la proposition de loi « Avia ». Il semble qu'une prise de conscience européenne ait lieu. L'objectif de cette proposition de loi était d'être précurseur mais nous avons bien vu que, juridiquement et au niveau de la mise en œuvre, la question était plus compliquée. Le problème s'est posé de la même façon pour tous les débats liés à l'empreinte du numérique, à l'économie circulaire, à la réparabilité des téléphones portables. Nous nous apercevons aujourd'hui que ces problèmes devraient plutôt être traités au niveau européen.

Il faut que tous les acteurs de la chaîne de valeurs soient appréhendés. S'agissant des contenus et de la sécurité, les hébergeurs et les moteurs de recherche sont donc concernés. C'est à eux qu'il faut demander de supprimer des contenus puisque, en vertu des principes de la neutralité du Net, nous n'avons pas vocation à regarder ce qui passe dans nos réseaux et nous en avons même l'interdiction. Si nous regardons ce qui passe dans nos tuyaux, nous sommes en infraction. Aussi, lorsque le juge nous demande de couper telle ou telle page sur Facebook, nous ne sommes pas capables de faire une coupe chirurgicale contrairement aux autres acteurs intermédiaires et nous coupons l'accès à Facebook de tous nos clients, ce qui pose des questions de proportionnalité par rapport à l'atteinte.

Lorsque je parlais de l'Allemagne, je ne pensais pas à la sécurité des réseaux sur laquelle je n'ai pas de données mais à la qualité de nos réseaux. Il faut savoir que l'Allemagne a fait le choix depuis une dizaine d'année de monter en débit sur le très haut débit et que, aujourd'hui, le système explose complètement. Ils n'ont plus suffisamment de capacités et réfléchissent maintenant à la fibre. Sur le mobile, l'Angleterre et l'Allemagne ne couvrent pas les zones blanches et investissent des milliards en s'inspirant du « New Deal mobile ». Je voulais dire que la qualité de connexion de nos réseaux est extrêmement bonne et nous nous en apercevons puisque, que ce soit de la part des pouvoirs publics ou des élus, nous sommes en train de glisser de « je n'ai pas de connexion, cela ne marche pas » à des questions liées à l'inclusion numérique, à l'empreinte du numérique, au fait que Nantes par exemple ne veut pas d'antenne 5G en jugeant que la 4G suffit.

Nous pensons que, sur les questions de fiscalité et de régulation des contenus, une approche européenne coordonnée est vraiment nécessaire. La principale difficulté provient du fait que nous avons quatre opérateurs en France, plus de quatre-vingts en Europe et une trentaine de régulations différentes, ce qui complique beaucoup l'harmonisation. Nous pensons malgré tout que tout ce qui concerne la souveraineté et l'émergence de champions du numérique passera par une approche coordonnée et harmonisée.

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Je suis élu de la région Grand Est dans laquelle, dans quelques mois, tout le monde sera desservi en très haut débit (THD), même dans les plus petits villages.

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Anthony Colombani, directeur corporate de Bouygues Telecom

Le niveau européen est toujours meilleur car il apporte une sécurité juridique et une harmonisation. Toutefois, rien n'empêche un État de prendre des dispositions différentes sur les sujets qu'il juge sensibles, voire relevant de sa souveraineté, à condition que ces dispositions soient prises proprement. La loi « Avia » était une initiative parfaitement justifiée par le niveau de violence, voire de barbarie, qui règne sur certains réseaux mais ce n'était manifestement pas la bonne manière de procéder puisque le texte a été taillé en pièces par le Conseil constitutionnel.

Ce sujet précis du retrait des contenus haineux relève d'ailleurs d'une forme de souveraineté. Cela ne concerne pas que les contenus haineux mais aussi la possible manipulation d'élections ou les fake news qui sont un sujet de souveraineté démocratique. Il faut rappeler que l'obligation de retrait des contenus n'incombe pas aux opérateurs au sens des fournisseurs d'accès internet mais bien aux plateformes puisque, en vertu de notre statut de tuyaux, nous ne regardons pas ce qui circule. Nous ne coupons pas l'accès aux contenus, sauf si le juge nous le demande et dans des conditions extrêmement précises. Il s'agit surtout d'une question de moyens en réalité. Aujourd'hui, lorsque nous voulons retirer un contenu, condamner un fauteur de troubles, quelqu'un qui émet des messages de haine, de harcèlement, des appels au viol ou autres qui sont parfois très lourdement condamnés, le problème est plutôt celui des moyens accordés à la justice que l'architecture législative et réglementaire.

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Imaginons que vous êtes à la fois législateur et exécutant, que vous possédez une baguette magique et avez la possibilité de faire ce que vous voulez. Comment modifiez-vous la fiscalité ? Vous avez dit avoir l'impression – vérifiée par les chiffres – d'être fiscalement largement assujettis alors que les GAFAM ne le sont pas. Comment verriez-vous une modification fiscale, à quel niveau et surtout de quelle façon ?

Vous êtes physiquement présents sur le territoire national et en Europe puisque vous avez des réseaux tandis que les GAFAM ne sont pas forcément présents de la même façon. Vous êtes des tuyaux et eux fournissent du contenu. Comment voyez-vous l'évolution de la fiscalité pour les GAFAM ?

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Olivier Riffard, directeur des affaires publiques de la FFT

Sans baguette magique et sans me placer par rapport aux GAFAM, je proposerais de supprimer la fiscalité spécifique sectorielle qui s'applique uniquement au secteur des télécoms et est unique au monde. En effet, une fois les 1,3 milliard d'euros d'impôts sur les sociétés payés par les trois opérateurs que je représente, les opérateurs paient, en plus des 10 milliards d'euros qu'ils investissent, encore 1,3 milliard d'euros de fiscalité spécifique qui se décompose en trois taxes.

La première est la taxe sur les opérateurs de communication électronique (TOCE) créée en 2009 suite à la suppression de la publicité après 20 heures sur France Télévisions. Cette taxe, qui n'est plus affectée à France Télévisions depuis 2019 suite à une décision du Parlement, a rapporté plus de 2,6 milliards d'euros au budget de l'État. Nous souhaiterions que cette taxe soit supprimée et affectée plutôt aux opérateurs pour que nous puissions déployer encore plus de réseaux.

Les opérateurs financent également le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). C'est très bien mais nous ne voyons pas pourquoi les opérateurs privés qui, par ailleurs, sont aussi éditeurs de contenus et ont même des plateformes auraient à financer la culture. Nous souhaitons donc aussi la suppression de cette taxe.

La troisième, encore plus injuste, est l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER), créée pour remplacer la taxe professionnelle. Plus nous déployons d'antennes mobiles, plus nous sommes taxés. Cette taxe représente 1,6 milliard d'euros depuis sa création en 2011.

La suppression de ces taxes permettrait que les opérateurs puissent plus facilement assurer l'investissement maximum avec les prix les plus bas d'Europe par comparaison aux autres secteurs régulés que sont l'électricité et le gaz.

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Anthony Colombani, directeur corporate de Bouygues Telecom

J'appliquerais d'abord les recommandations de l'OCDE. Des milliers de pages de rapports ont été écrites pour décrire finement les mécanismes utilisés pour faire de l'évasion fiscale – Dutch Sandwich, Double Irish qui ressemblent à des plats de fast-food un peu gras – et je pense que je taxerais le chiffre d'affaires dans le pays donné. Nous avons un géant du commerce en ligne, un géant des contenus ; je regarderais le chiffre d'affaires, je le taxerais et je mettrais fin aux mécanismes subtils par lesquels le rachat de la licence de marque à la maison-mère permet de faire artificiellement baisser son revenu sur l'année. Je ne suis pas fiscaliste mais géographe ; cela me semble être une manière de faire.

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Claire Perset, secrétaire générale adjointe de SFR

Il est important de rappeler que l'IFER est un impôt exponentiel puisque plus nous déployons, plus nous sommes taxés. Cet impôt a un côté complètement schizophrène : on nous demande de déployer toujours plus mais que nous sommes alors plus taxés. Je sais que les parlementaires en ont bien conscience. Plusieurs députés dont Mme de La Raudière nous ont soutenus sur ce sujet. Nous menons ce combat depuis un moment, nous ne nous sentons pas seuls et nous espérons des changements cette année puisqu'un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) sera rendu.

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Ombeline Bartin, responsable des relations institutionnelles d'Iliad / Free

Je souscris totalement aux propositions faites. Je rajoute que les opérateurs français investissent 10 milliards par an pour le déploiement de ces réseaux très haut débit fixe et mobile. Or, nous constatons que ces réseaux sont très majoritairement occupés par les contenus des grands acteurs américains. Nous avons déjà essayé de porter ce sujet de savoir comment ces acteurs américains, qui occupent 75 % de notre bande passante, pourraient également participer à l'effort de construction du chantier en cours, sur la fibre optique et la densification des réseaux mobiles. Nous nous sommes toujours heurtés, sous couvert de la neutralité d'internet, à l'impossibilité de faire contribuer ces acteurs à la construction et la maintenance de nos réseaux. Nous le regrettons d'autant plus que nous sommes convaincus que la neutralité de l'internet est davantage destinée à protéger les petits acteurs pour qu'ils puissent diffuser leurs contenus librement, dans des conditions non discriminatoires, plutôt qu'à protéger ces grands acteurs américains.

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Corinne Erhel et moi-même avions imaginé pousser au niveau européen l'idée d'avoir une terminaison d'appel data, ce qui permettrait une régulation nouvelle plutôt que de revenir sur la neutralité d'internet. Nous n'avons à mon avis pas intérêt à toucher à la neutralité d'internet mais peut-être plutôt intérêt à porter le concept de neutralité sur d'autres sujets comme les plateformes et les terminaux. Pour favoriser l'innovation, l'économie, la liberté d'expression, nous ne devons pas toucher à la neutralité des réseaux.

J'aimerais avoir votre avis sur ce que nous avions imaginé comme terminaison d'appel data, c'est-à-dire que les injecteurs de trafic paient une partie de l'ensemble du fonctionnement du réseau, pas seulement leur raccordement au réseau. Qu'en pensez-vous ?

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Anthony Colombani, directeur corporate de Bouygues Telecom

Nous y souscrivions à l'époque et nous y souscrivons toujours. Au-delà d'un certain niveau d'asymétrie de trafic, cela ne paraît pas complètement idiot de faire payer une terminaison d'appel data. C'est une des manières de faire.

Nous nous inquiétons aussi au plan environnemental. Si les GAFAM occupent 75 % de nos réseaux aux heures de pointe, elles occasionnent aussi 75 % de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre. Il faut aussi répondre à cet enjeu environnemental. Enfin, ce n'est certes pas vraiment 75 % mais c'est une partie du problème et il faut mettre fin à certaines pratiques, peut-être avant la mise en œuvre de la terminaison d'appel data qui prendra un peu de temps car il est très difficile de mettre tout le monde d'accord.

Il faut interdire un certain nombre de pratiques, telles que l'enchaînement sans fin de vidéos, le fait de pousser du flux 8K sur des écrans 480p. Beaucoup de solutions très pratiques et très concrètes existent pour faire baisser la pression sur les réseaux et contribuer à une modération de la consommation énergétique.

La terminaison d'appel data reste le point d'arrivée le plus intéressant mais il faudra mettre d'accord les pays européens entre eux et avec le pays qui est le berceau de tous ces géants. Ce sera sans doute compliqué.

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Olivier Riffard, directeur des affaires publiques de la FFT

Nous pensons aussi que les États européens peuvent mettre un peu plus de pression sur ces acteurs, mettre une véritable pression politique. Par exemple, au début du confinement, nous étions très inquiets quant au fait que les réseaux tiendraient car ces acteurs envoient – c'est leur modèle de fonctionnement – des qualités de service et des niveaux de définition extrêmement élevés. À force de le leur demander, ils ont finalement accepté de décaler de quelques jours la sortie de Disney+, qui n'existait pas voici quelques mois et est maintenant juste en dessous de Netflix dans les plateformes de vidéo. Netflix a 63 % de parts de marché et Disney+ en a 30 %. Ils ont aussi accepté de diminuer la qualité de leurs vidéos. À ma connaissance, nous n'avons pas eu de manifestation dans la rue d'usagers qui ne pouvaient plus utiliser Netflix ou d'enfants qui recevaient des vidéos en 4K sur leurs terminaux.

Le secteur est parfois un peu agacé par la façon dont ces acteurs font leur lobbying. Nous sommes transparents, nous participons à l'aménagement du territoire, tandis qu'ils ont une autre façon de procéder. C'est agaçant de voir tel ou tel membre du Gouvernement s'afficher avec tel ou tel géant de l'internet tandis que les opérateurs ne sont pas mis au même niveau alors qu'ils pratiquent aussi ces sujets.

Sur la régulation des contenus, c'est trop facile lorsque Facebook ou Twitter disent qu'ils s'en occupent, qu'ils ont mis les moyens humains et financiers et se réguleront eux-mêmes. Si nous affirmions que nous déploierons la 5G en regardant nous-mêmes la sécurité des équipements, cela ne passerait pas. Ce « deux poids, deux mesures » est agaçant, au-delà de la fiscalité, même si nous ne remettons pas en cause l'innovation et l'apport de ces géants. Nous ne voulons pas nous dresser les uns contre les autres mais il faut que nous soyons à armes égales.

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Je vous remercie et j'ai pris bonne note en particulier de la question des flux qui est peut-être un aspect très simple à mettre en œuvre.

La séance est levée à 10 heures 50.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des Présidents « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 9 h 35

Présents. - Mme Laure de La Raudière, M. Philippe Latombe, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - Mme Frédérique Dumas, M. Philippe Gosselin