Je souscris à ce qui a été dit par les précédents intervenants.
J'étais, voici des années, professeur de géographie et, à l'époque, nous travaillions beaucoup sur le général Lucien Poirier, un des pères de la dissuasion nucléaire française. Lucien Poirier définissait la souveraineté comme la capacité de décider seul. Je pense que c'est au fond bien ce dont nous parlons aujourd'hui. L'État est souverain lorsqu'il peut décider seul ou avec des acteurs de confiance.
Je définis donc la souveraineté numérique comme reposant sur trois piliers. Le premier est de disposer d'opérateurs solides, bien capitalisés, qui ne sont pas à la main de fonds de pension étrangers. Je crois que c'est le cas des opérateurs français. Ils investissent, ne se lancent pas dans des aventures mais montrent, par leur sérieux, qu'ils sont présents depuis plusieurs décennies sur le territoire et que nous n'avons aucune inquiétude à avoir à leur sujet.
Le deuxième pilier est de disposer de réseaux performants. Nous avons vu pendant la crise qu'un certain nombre de services étaient assurés par ces réseaux et qu'il était absolument nécessaire qu'ils soient performants, redondants, sécurisés, avec de bons niveaux d'alerte positionnés aux bons endroits en cas d'attaque, en cas de réseau qui tombe… Je ne crois pas qu'une entreprise française ait pu avoir des difficultés opérationnelles fortes ou être mise en danger par des réseaux de mauvaise qualité même si nous pouvons évidemment toujours progresser. Ce n'est pas le cas dans tous les pays. Aux États-Unis, l'état des réseaux en cuivre et des réseaux optiques a parfois mis en danger l'activité économique.
Le troisième pilier est d'avoir des opérateurs qui travaillent en confiance avec les autorités. Nous avons évoqué l'ANSSI et nous pouvons évoquer aussi nos activités dites « d'obligation légale », c'est-à-dire les activités par lesquelles nous avons un dialogue constant avec les autorités pour mener toutes les actions nécessaires à la force publique. Nous communiquons peu sur ce point mais nous en sommes très fiers car c'est un élément très fort de la souveraineté.
J'attire toutefois votre attention sur le fait que les mutations technologiques ont tendance à cacher de plus en plus le trafic aux opérateurs. Une grande partie du trafic voix et data est aujourd'hui cryptée ; ce trafic passe par des systèmes de DNS et échappe aux opérateurs. Ceci constitue un vrai sujet de souveraineté puisque, pour obtenir ces informations, il ne faut pas aller taper à la porte des opérateurs qui ont tous leurs sièges sociaux dans un rayon de quelques kilomètres autour de l'Assemblée nationale mais à la porte d'intermédiaires techniques ou d'acteurs étrangers qui ne répondent pas toujours avec la célérité nécessaire.
Sur la 5G, nous ne contestons pas le principe de la loi. Que l'État se mêle de la sécurité de ces infrastructures n'est évidemment pas contestable. Nous respectons cette loi à la lettre, dans les délais prescrits et avec toute la célérité nécessaire comme il convient pour un acteur responsable. Néanmoins, cette loi pose des problèmes opérationnels évoqués par Ombeline Bartin pour la question des délais, par Claire Perset pour la question financière. Nous devons aujourd'hui démonter une grande partie de nos infrastructures. Cela a un coût financier et cela a aussi un coût pour les clients parce que ces opérations de swap, c'est-à-dire de changement d'équipements, génèrent des difficultés ponctuelles qui peuvent être compliquées à gérer. Je tiens à être bien clair : nous ne contestons pas le principe de la loi mais une partie de sa mise en œuvre.
La 5G est un véritable sujet de souveraineté. La 5G est le réseau du futur. Elle sera très utilisée par nos entreprises et sera un élément très fort de compétitivité. Ce sera un élément clé dans la concurrence internationale. Nous voyons que la 5G se déploiera avec un certain nombre de difficultés. Dans l'opinion publique et chez certains élus, nous constatons une véritable méfiance, parfois même une vraie défiance, ce qui a conduit certains d'entre eux à prendre des moratoires qui créent évidemment des difficultés pour nous. Il ne faudrait pas que cette opposition larvée à la 5G, parfois violente puisqu'une quarantaine d'antennes ont brûlé en France, nous fasse prendre du retard. C'est un point extrêmement important. Nous comptons vraiment sur les parlementaires, les pouvoirs publics, les élus et les différentes autorités pour faire de la pédagogie et vaincre un peu ces résistances. Les opérateurs ne pourront pas le faire seuls. Nous avons certes le droit pour nous mais ces conditions sont insupportables pour nous et ne correspondent évidemment pas à nos valeurs.
En ce qui concerne les aspects économiques, Olivier Riffard vous transmettra l'ensemble des chiffres sur la fiscalité. Il me semble qu'il faut revenir aux bases. Nous savons depuis la construction de l'État moderne, au moins depuis Louis XIII, que la souveraineté est d'abord la souveraineté fiscale, la capacité à faire payer l'impôt aux gens qui gagnent de l'argent. Aujourd'hui, la différenciation fiscale entre nous et d'autres acteurs qui sont parfois nos concurrents directs est abyssale. Depuis des années nous sont promis des taxes, des renouvellements, un environnement équitable, des dispositions qui permettent de tout mettre à niveau mais c'est très lent.
Ce n'est d'ailleurs pas vrai uniquement dans le domaine fiscal mais aussi dans le domaine réglementaire. Un exemple très ponctuel mais très parlant est celui de l'impact environnemental du numérique. Dans le cadre de la loi sur l'économie circulaire votée récemment, il a été imposé aux opérateurs de communiquer sur les émissions de gaz à effet de serre liés aux usages numériques. À partir du 1er janvier 2022, nous devrons communiquer à chacun de nos clients le fait que sa consommation de 2, 3, 5 ou 10 gigas de données fixes ou mobiles a occasionné l'émission de tant de kilogrammes de CO2. Il n'est passé par l'esprit de personne d'imposer cette obligation aux GAFAM. Il nous a été demandé de le faire, nous le faisons, nous nous mettons en ordre de marche, cela nous prend du temps et de l'énergie mais personne n'a pensé que cette obligation pourrait aussi être imposée à Google et à Amazon. Lors du téléchargement d'un film ou de la commande d'un colis, il ne serait pourtant pas complètement idiot de donner l'équivalent en émission de gaz à effet de serre. Nous aurions donc vraiment besoin de cet environnement équitable, ce level playing field. Les discours politiques laissent à penser qu'il est en cours de mise en œuvre mais, malheureusement, sur le terrain, nous vérifions que ce n'est pas le cas. Il est parfois facile de taper sur les opérateurs qui sont à portée de main tout en oubliant qu'il serait bon que le bras du législateur aille plus loin.