Intervention de Michel COMBOT

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 10h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Michel COMBOT, délégué général du CSF :

Les sujets de souveraineté ne sont pas totalement évidents et sont liés aux sujets de sécurité. Le secteur des infrastructures numériques s'est énormément développé en France par la concurrence depuis près de vingt-cinq ans, avec l'ouverture à la concurrence guidée par les directives européennes. Nous considérions alors que la concurrence entre plusieurs acteurs permettrait de stimuler l'innovation et d'accélérer le développement, ce qui est bien le cas à l'heure actuelle.

En se plaçant selon le prisme de l'accès aux services de communication électronique, les prix en France sont parmi les plus bas avec des réseaux qui sont parmi les plus performants au monde. C'est un point important car ce n'est pas totalement évident pour une chaîne de valeur qui est en concurrence sur tout le segment.

Pour les câbles, il existe plusieurs constructeurs de niveau européen en concurrence, sans même parler des constructeurs hors Europe. C'est vrai également pour les équipements et encore plus au niveau des opérateurs avec quatre opérateurs en France. Cette concurrence entraîne comme bénéfice la stimulation des investissements et du déploiement. En revanche, elle a pour conséquence que le ratio coût-efficacité est souvent regardé par tous les donneurs d'ordres pour avancer.

Je pense que nous pouvons tous ici converger vers l'objectif suivant : la France doit disposer des infrastructures et surtout d'une industrie la plus performante possible et la moins dépendante des technologies étrangères. Toutefois, nous avons fait face depuis plus de vingt ans à une désindustrialisation très importante sur certains segments de marché, notamment pour les équipementiers. Nous avons certes aussi de bons exemples car le développement des infrastructures a permis de générer le développement d'industriels sur d'autres segments.

Le parti pris au sein de la filière est de transcender ces aspects de concurrence pour essayer de retrouver de l'investissement et du développement sur les points essentiels de nos infrastructures. Notre comité de filière est un peu une exception car d'autres comités sont vraiment gérés par des industriels. Nous avons décidé au sein de notre filière de faire gérer notre CSF par les fédérations parce que nous avions cette habitude de rassembler des acteurs qui peuvent avoir des enjeux concurrentiels très forts. Cela nous permet de trouver une vision commune consistant à investir dans les infrastructures de demain et dans les métiers de demain.

Par exemple, la 5G commence à se développer de manière très concurrentielle entre opérateurs mais nous pensons que certains enjeux dépassent la vision concurrentielle, notamment l'apport de la 5G pour les autres industries. Nous avons donc décidé d'aller ensemble convaincre et démontrer quel peut être l'apport de la 5G pour la modernisation des autres industries dans une optique de relance de notre économie. Nous essayons de trouver ces éléments communs qui permettent d'avancer en créant de l'emploi, en créant du service, en développant des PME et en réindustrialisant notre pays, en tout cas notre vivier de PME et d'industriels. Il s'agit aussi de continuer à créer des débouchés pour nos industriels. Développer ainsi ces emplois, ces infrastructures constitue pour nous la véritable souveraineté, au-delà de l'aspect concurrentiel.

Nokia connaît des difficultés et supprime des emplois. Nous pouvons nous demander comment recréer de la valeur dans ces infrastructures pour permettre de recréer de l'emploi en France. Cela peut être avec de nouvelles infrastructures, de nouveaux métiers, en créant de nouveaux emplois dans l'industrie pour le développement de la 5G dans les industries elles-mêmes. Cela peut être aussi avec les territoires connectés ; il s'agit de prendre en main tous les usages numériques pour créer des services performants dans tous les domaines, aussi bien pour la gestion des services publics de l'eau, de l'énergie que pour la gestion de la donnée publique. L'enjeu est de créer de l'emploi, de créer du service et de moderniser l'ensemble de ces secteurs. C'est encore une question de souveraineté : au lieu d'aller acheter à l'étranger, s'il existe demain une solution française et européenne, ce seront autant d'emplois conservés et notre souveraineté en sera renforcée.

Les débats n'ont jamais été évidents au sein de notre comité de filière car nous sommes par nature très concurrentiels. Les gens font parfois des calculs à très court terme en achetant hors Europe parce qu'ils ont besoin d'augmenter leur ratio coût-efficacité. Toutefois, c'est en investissant sur l'avenir que nous arriverons à convaincre l'ensemble des personnes de conserver et de redévelopper des services en France, avec en plus un enjeu de qualité. La souveraineté consiste aussi en le développement d'infrastructures de qualité.

Nous avons donc un gros travail à faire. Pour la fibre optique, nous sommes embarqués dans un chantier industriel hors-norme. Nous avons commencé avec du cuivre au début du XXe siècle et il a fallu plusieurs dizaines d'années pour réaliser le réseau cuivre. Pour le réseau fibre, le programme a démarré à la fin des années 2000 et nous espérons avoir terminé la couverture d'ici 2025 ou peu après. Nous aurons donc créé en quinze ans une infrastructure énorme. C'est un chantier comme le pays n'en a jamais connu.

Nous avons de vrais sujets d'emploi et de qualité car, si le déploiement est rapide, il est parfois trop rapide. Même pour le cuivre, on voit encore en se promenant dans Paris des fils de cuivre sur les façades d'immeuble parce que, à un moment, il a fallu choisir de déployer très rapidement, les gens ne voulant pas attendre six mois. Actuellement, pour la fibre, vous n'attendez pas six mois mais quelques semaines avant d'être raccordé et, parfois, les déploiements vont très vite. L'enjeu de qualité est pour nous un enjeu de souveraineté pour disposer d'infrastructures pérennes à long terme.

Le soutien du Gouvernement et du Parlement est essentiel pour nous aider à faire émerger les services de demain, les emplois de demain et les industriels de demain. Le chantier de la fibre optique se terminera un jour. Il faut déjà réfléchir au développement suivant. Il portera notamment sur la 5G, sur les réseaux virtuels, les développements de logiciels, la maîtrise des données par les collectivités et plus globalement par les entreprises. Le soutien de l'État est essentiel sur ces sujets.

Nous travaillons avec l'État notamment dans le cadre du plan de relance. Nous avons avancé mais nous ne sommes pas encore au bout parce qu'il faut comprendre que, en investissant un peu maintenant, nous aurons un effet de levier énorme. Nous avions déjà eu cette discussion voici dix ans à propos de l'investissement dans la fibre optique. Lorsque nous avons présenté le premier plan fibre optique en demandant un programme de subventions notamment pour la fibre optique dans les zones rurales, tout le monde protestait. Dix ans plus tard, cela paraît naturel et le plan de relance a abondé le fonds pour permettre à la fibre optique de se développer plus loin dans les zones rurales.

Il faut discuter de ces questions pour refaire sur d'autres types de technologies et de services ce que nous avons fait sur la fibre optique voici dix ans. Nous en verrons le résultat dans dix ans. Si nous n'avions pas fait ces choix, nous n'aurions pas aujourd'hui une des infrastructures en fibre optique les plus développées au monde.

L'enjeu de notre comité est de préparer les infrastructures de 2030. Le soutien public, des parlementaires et de l'État doit se faire maintenant. Dans dix ans, il sera trop tard. Nous avons des champions de la fibre optique en France. Cela doit nous permettre de développer des champions sur les autres domaines des infrastructures numériques de demain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.